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:: 02.12.2016 ::
Le mystique, c'est celui qui est en crue, qui est plein de lui-même et, en ce sens, souverain. Je ne crois pas qu'il y ait des mystiques tristes, il ne peut pas y avoir de mystiques tristes. Le mystique est un être d'appétit.

A partir d'un certain degré d'ennui on devrait pouvoir faire fi des politesses et des ronds de jambe, tout envoyer promener, couper les sifflets et la chique. Au lieu de quoi, polis, patients, rongeurs de freins on les écoute s'enfoncer dans leur propre torpeur, suivre le fil dans des labyrinthes dont ils sont les proies sur plan, les pénétrés, les éloquents, les socialistes, les végétariens, les connards de droite, les écolos et les artistes, les chrétiens, les bouddhistes, les boursicoteurs et les analystes, les enlumineurs et les peintres sur soie, les fumeurs de joint et ceux qui ne boivent pas, tous ces emmerdeurs sociaux-convaincus en train de se débattre à même leur détresse, mais bien au chaud ET dans l'ordre de la bande, et il faut que ça fuse ! Il faut qu'ils éclaboussent ! Leur problème, c'est ton problème !

On me trouve rustre, souvent gauche et carrément stupide. Face à ces avalanches de croyance, je reste muet, je ne sais quoi dire d'autre que "oui, oui", j'acquiesce, je ponctue les logorrhées de "ça c'est sûr" réguliers et quand on me demande mon avis je dis que je n'en ai pas, pas le moindre, et c'est vrai.

Une plaie la spécialisation, aussi. Moi, je fais tous les métiers. Mon plan de carrière, c'est comme mes lectures, c'est comme les voyages, comme les études, il faut que ça prenne toutes les couleurs et toutes les formes, sans objectif d'accumulation. Toutefois, à la différence des intellectuels, il n'est pas question de tout savoir mais de tout oublier, d'écorcher le fameux carcan normatif structurant qui fait de moi un être présupposé social.

J'avais de Sartre en tête le paradoxe du garçon de café, alors allons-y pour des extras et l'on verrait bien, j'avais pour schèmes la dictature du prolétariat ou encore la condition des cadres moyens alors faites place, montrez-moi, et voyez-vous ? Après j'en sais beaucoup moins long qu'avant, et j'en suppose beaucoup plus, il me semble sans me vanter qu'il s'agit du meilleur moyen de progresser en probité, les questions valant toujours cent fois le pesant des réponses.

:: 30.11.2016 ::
La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque, quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus.

J'ai triché et suis allé lire. Je vous vois monotypant, c'est à dire peindre ou photographier pour ainsi tenter de fixer cela qu'on ne peut pas répéter ni copier. Tenter l’éternité de ce qui périt au moment où cela est.

Par exemple le bleu des yeux ravagés du bleu des yeux de l'autre. Et si je dis bleu, je parle de la couleur peut-être mais surtout : je parle des bleus de la douleur et de cet abandon total qui ne laisse pas indemne et puis marque la peau. Cette douleur de ne pas figer l'instant parfait, cette peau marquée des retours au banal.

Par exemple cette lumière orange qui fait rebondir une épaule ou la poitrine de l'autre si loin qu'on ne les verra plus jamais. Cette épaule-là ou cette poitrine-là. Il y aura joie à gagner une nouvelle épaule, une nouvelle poitrine, du et de la même aimée mais celles-là, celles qu'on aurait voulu garder, peindre, monotyper, photographier, celles-là sont perdues. Par exemple cette voix à l'oreille qui file déjà vers un oubli qu'on ne (re) constituera plus.

Et c'est bien. Ne croyez-vous pas ? On aimerait tenir tandis que toute la vie est de raser afin de faire mieux encore. On aimerait garder alors que demain sera tellement merveilleux. Il me semble que la joie de vous trouver plutôt que de vous retrouver est là. Et il me semble que la joie des fleurs et de l'automne est monotypée : constituée, surtout, d'oublis.

Alors, monotypez ! Peignez, photographiez, dites le bleu de l'instant qui ne reviendra pas. Ainsi, vous donnez une chance au bleu de demain qui sera, je le gage, plus bleu et beau encore.

:: 29.11.2016 ::
Aimer c'est presqu'entièrement se taire

Face à vous j'aime avoir tort. Que votre voix soit forte. Des fois plus que la mienne. Parfois moins. Qu'en tous cas, cela se pèse.

J'entends votre rire si fort. J'entends vos silences et vos indignations. J'entends vos silences et ce temps que vous gardez pour vous, celui où vous vous constituez. Je vous entends dans l'entre-deux, et puis vos questionnements. Faites votre maison, en dehors de moi, en dehors de mon joli baratin si simple, si clair.

De moi vous ne pouvez convoquer que.... moi. J'ai le verbe facile et la raison de bon sens. Moi seul peut savoir quand j'aime. J'ai l'amour sûr. Je suis seul à le savoir et n'aimerai en convaincre quiconque. Cela se sent, ou non. Pour moi, cela est limpide.

Je ne suis que faiblement armé, je n'ai que mon cœur, ce corps que je ne commande pas et mes mots. Sûrement cela ne suffit-il pas. C'est tout ce que j'ai, pourtant.

Je vous veux heureuse. Votre regard oblique, rieur, incertain parfois. Il me perd, me grandit. Tandis que je fais du bruit, vous m'affranchissez.

De fait, je ne vois pas pourquoi voter. Toute cette colère tournée à l'envers d'une colère qui serait juste. Cette colère d'intellect et non cette colère d'affect.

:: 28.11.2016 ::
J'exècre assez déambuler sur les champs de ruines, sur les morts, tandis que ces morts, par croyance, sont persuadés d'être rois parmi les rois.

Je ne cache pas mon amour pour Nathalie Sarraute. De ce qu'elle a laissé, il y a Martereau, "pour un oui ou pour un non", "disent les imbéciles" et "le planétarium" qui m'ont touché au cœur.. Et d'autres (enfance, tu ne t'aimes pas) bien sûr, mais ceux-la proéminent au-delà.

De fait, je ne saisis pas grand chose de l'instant.

Il ne me semble pas (est-ce simpliste, populiste, refusant la complexité ?) que l'on puisse aussi simplement s’exonérer de l'amour et des heures inquiètes et espérantes à propos de ses enfants, amis, amours, voisins, parfois collègues.

Il ne me semble pas que l'on puisse s’exonérer d'un bébé dormant dans la même chambre que soi, ou d'un chien fou de joie tandis qu'il gratte la piste d'un lièvre en pleine forêt. Il me semble fou de perdre son temps ailleurs que faire l'amour à son amour jusqu'à ce qu'elle s'endorme ravie (enlevée, emmenée).

Je crois que la politique c'est ça : l'amour de ses enfants. De ses amours. De ses amis. Des amis des amis de ses amis.

Sinon, je ne comprends pas.

De fait, je ne vois pas pourquoi voter. Toute cette colère tournée à l'envers d'une colère qui serait juste. Cette colère d'intellect et non cette colère d'affect.

:: 26.11.2016 ::
Il peut-être assez doux de n'avoir pas à choisir

Je lui demande si, par hasard, elle n'aurait pas l'accent chti. Et la femme froide, rigide, semblant désordonnée, tout à coup, elle étincelle. Mais parlons plutôt de mon propre regard :

Ils diraient "morne" peut-être. Ou dépeuplé. Ils diraient qu’ils ne peuvent y lire d’expressions, et, dès lors, ils signifieraient l’apathie et puis la lassitude.

Mais non. Simplement je vais le regard calme, couchant le monde et ce que j’en peux dans une lande de mémoire, entre le mauve et la bruyère. Le tumulte, je le laisse derrière. Les cendres au blanc fracas, le vent poussé à travers les têtes et membres des grands arbres, les esquarres, les plis des labours jonchés en le tumulte obscur et puis les blés ployant sous les coups à la mère des violences, ce dur appel de la corne rameutant bras et jambes l’équipage, tout cela, je le laisse derrière.

J’ai été capitaine. Quelque chose comme d'une frégate, ou d'une goélette entre deux amarrages. J’ai été bon soldat, et puis fils vaillant, et puis notable corseté d’ennui et de responsabilités en nœuds de soie par-dessus ma lavallière trébuchant d’or bonnement cousu. J’ai été celui qu’on hèle, celui qu’on tance et puis commande, j’ai été celui qui comme le cuir fait claquer la raillerie ou bien la récompense. Mes joues sont marquées d’humeurs souveraines, de froides aussi : le goût du fer. La trace des ivoires canins. Mes mains sont tachées des graisses machines, des chimies dégueulasses bouffant jusqu’à section des doigts, de l’encre des décrets ; leur ombre planait en grognant, circonspecte, et toisait qui de droit. Mes mains considérables ! Elles aimèrent des femmes, et le doux souvenir, elles singèrent les codes d’hommes quand il fallu s’entendre, elles signèrent la paix, et la guerre, la mort et puis la guérison. J’ai donc été médecin, ou prêtre, peut-être soigneur pour les fauves et les bêtes fragiles, ministre ou général de ça, je ne me souviens plus.

Je vais le regard calme. Quelque fois l’air que je respire pique encore, comme jadis mais je sais prendre garde. S’époumoner, aller à la rupture des vocales, au larynx ulcéré de ce que le monde est monde ? Vous voyez bien que c’est inutile.

J'accompagne un enfant, sans vocation d’espèce, ma fille, parce que c'est un commandement qui dépasse mon choix : cela donc m’agrée. Cela, donc, est mien.

Je vois ses yeux et les yeux de mon aimée et les miens dans un semblable ensemble. C’est la tristesse et le curieux mêlés. C’est la colère et l’amour tout autour. C’est la parfum d’une averse ravagée au milieu de sa course et caressant le sol à l’instant de poser. C’est le poème tout le temps, et la chanson qui rit en une ravine sombre, des lapins qui décuplent de force afin de tourner bien en rond, c'est des sorcières folles, et des oiseaux de nuit faisant cligner leurs yeux oranges, C'est des lunes paisiblement dormant dans l'humus, percées des natures qu'elles traversent depuis en-haut.

Et de l’histoire, quelques notes et une portée encore qui s’écrit, et cette spéciale façon de rêvasser : encore est-ce inutile. Mon regard, vide, sans expressions ni sens, c’est un œil calme, allant au monde, et le laissant derrière.

:: 25.11.2016 ::
Un mot seul.

Celle ligne d'écume déposée à tes lèvres Un trait d'huile ou bien de craie sanguine Une signature de sang qui cille, un écorchement ou bien ton rouge à lèvres mélé de ma salive nos bouches qui se froissent en un désordre parfait. C'est cela la musique. Ce rythme nègre, parfois presqu'obscène En fait il est si beau. Personne ne s'y trompe, ni les enfants, ni les vieillards Ni les gens qui ont su ce qu'aimer est. De la rue nous sommes les amants splendides Les jeunes, la fougue, des fleurs éclatantes Les fous, les innocents, des larmes cascadant Les yeux comme des chaloupes Les corps comme des tiges, assurées, parfois moins Toi une liane autour de moi, tronc. Moi les paumes rondes et douceurs ineffables Toi en coupe à boire. Au calice ! Tes épaules, ce temps dissous Ton cou, ce temps dissous Ton souffle, ce temps dissous C'est difficile de nous organiser en rimes Quand tout déconne, quand cela mène à te vouloir Sans temps, (il est dissous), sans raison, (un mot bien trop grossier) Ce bordel incroyable Ces évanescences ivres Viens mon amour, viens Meurs dans mes bras : en retour Je te promets mon brisement en un râle : Une eau forte et grave, un feulement très doux.

:: 24.11.2016 ::
Dans une brèche d'automne quand l'eau frappe le sol, déchirant la lumière et son ombre solide de bronze; maculant de grosseurs les détails infimes, brille : c'est un ru qui floque la terre de sillons massés.

Là où cela commence et là où cela continue. De la fin je préfère ne rien dire puisqu'à l'évidence la mort comme ne pas exister resteront purement théoriques. Intellectuellement, affectivement.

De fait nous sommes résolus à choisir. Malgré Bourdieu, La Boétie ou Arendt. Nous ne nous rendrons coupables que de ne pas prendre position dans l'instant, ce qui ne préfigure rien des séditions ni des guillotines.

Tandis que le monde s'écroule et que vous êtes encore trop forts pour que nous puissions vous dissoudre, nous allons aux champignons, nous faisons l'amour, nous mangeons et buvons. Vous vouliez le pouvoir ? Vous ne dirigez plus maintenant qu'une bande de soudards ripaillant en attendant de mourir. Jamais nous ne vous servirons car vous nous avez dépouillé de notre amour de nous-même et de notre espoir.

Il y a encore la pluie, les champignons et les feuilles d'automne. Il y a encore ces après-midi grises où il n'y rien d'autre à faire que de faire l'amour ou de faire interminablement durer des déjeuners exquis pendant lesquels l'on dit n'importe quoi et l'où on rit.

Voyez-vous, vivre ou mourir se font très bien sans vous.

:: 22.11.2016 ::
Donner la liberté au monde par la force est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises. En la donnant, on la retire.

Moi c'est s'ils veulent. Et quand ils veulent. Je n'ai besoin de plaire ni besoin de convaincre. Il suffit que le travail que j'effectue soit ce qu'il doit être. Bien fait.

Il me plaît d'échanger une facture de 50 euros contre un repas à 15. Il me plait de refaire un travail sans compter mes heures.

Il me plait d'être là où je suis, de décider du prix de mon travail. Il me plaît de passer le temps nécessaire à ce qu'il soit bien fait : ce n'est pas à moi d'en décider d'ailleurs, le client le sait mieux que moi.

Il me plait de ne pas être au travail et de rêvasser. Il me plait d'y retourner et de remplacer le commun fadasse par un moment à part. Il me plaît de n'avoir à gérer ni agenda ni relance. Être voulu, en tant qu'homme de métier est vraiment beau.

Entreprendre, c'est choisir comment, quand et où. Mais c'est surtout choisir pourquoi. C'est ce regard si particulièrement orienté vers une finalité que l'on définit soi-même. Un regard. Un regard empli de sens.

Il me plaît de n'être ni dans les mots, ni dans la croyance. De faire un boulot simple et qui peut servir.

Il me vient d'écouter à nouveau cette mirifique chanson de Bashung "ma petite entreprise". Je parie que j'y trouverai des parallèles, à l'évidence.

:: 21.11.2016 ::
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire.

Je bois. Maintenant tous les jours. Sans aller au naufrage, je peux dire que je bois un peu trop tous les jours.

Je n'en attends pas un avenir heureux. c'est sur le moment et cela peut s'arrêter n'importe quand.

J'apprends à écrire en ayant bu. A expérimenter différemment le monde comme il va : de fait, il me propose un tas de surprises, la plupart souriantes ou franchement drôles. Notre "raison" est entachée à ce point d'absurdité que l'alcool en souligne le grotesque. Vous dites que "nous allons faire la guerre pour faire triompher la paix" ? Sobre, cela craque comme un rhumatisme, cela bloque comme un lumbago. Ivre, cela déclenche une franche hilarité, et un réflexe sain "Ah oui ? Alors qu'ils aillent se faire foutre".

Je n'en attends pas un avenir heureux, mais je compte dessus pour des instants présents. Détachés de cette idée folle de durer dans la seule perspective de faire s'écrouler tout ce qui nous entoure.

Je ne parle pas des rires dantesques, des lumières somptueuses, d'une certaine sexualité, des confidences entre amis, d'oser dire plutôt que de retenir. Je n'en parle pas puisqu'il est inconvenant de faire l'apologie de l'alcool.

Et puis, je ne renonce pas à tout ça sans alcool. Tout comme je ne renonce pas à vous vouloir toujours.

:: 20.11.2016 ::
Lettre à B.

Voilà trois ans et demi, chère enfant, que vous vous opposez, que vous vitupérez, haïssez, que vous vous immiscez sans être capable ni d'un deuil, ni d'une avancée en conscience et en âge, qui pourtant, et de l'avis de tous, vous serait salutaire.

Vous êtes intelligente et honnête. Soit. Mais à quoi bon être parée de si cristalles vertus si elles ne servent qu'à desservir celle que vous aimez et à souffrir vous-même ?

J'ai eu le tort d'essayer de vous plaire, de me faire accepter. Sans comprendre au moment que montrer patte blanche était, finalement, le meilleur moyen de vous assoir dans un fauteuil qui ne vous revient pas.

Avons-nous besoin de votre avis ? Non. Avez-vous à vous prononcer au propos des amours de votre mère ? Non. Avons-nous besoin que vous m'aimiez ? Toujours pas.

L'intelligence, sinon la probité, devrait vous conduire sans détour à le concevoir, mais voilà : votre jalousie vous rend aveugle et vous préférez une interprétation sordide plutôt que qui je suis vraiment. Ainsi, vous faîtes souffrir celle que vous chérissez plutôt que de lui faire confiance.

Voilà trois ans et demi que vous instillez votre poison et que vos coups font mal.

Pourtant, je ne parviens pas à me résoudre à simplement vous détester car ce serait grave. Voyez-vous, arrivé en âge, je mesure sûrement un peu mieux que vous le poids du présent s'inscrivant dans les années à venir.

Ces années que je ne connais pas. Ces années que j'espère aux cotés de celle que vous aimez. Et que j'aime aussi. Ce qui , selon ma conception de ce qu'est "aimer", devrait nous rapprocher.

:: 17.11.2016 ::
Sans prendre la place, sans l'occuper ni la défendre, voilà des femmes ce que j'ai vu souvent.

C'est ce repas de famille à la vingtaine à table, c'est cette réception d'amis à laquelle l'on tient particulièrement, une occasion spéciale : il faut regarder le squelette des présences et ses mouvements, l'écroulement des hommes habitués à ce qu'on les serve tandis qu'ils se servent, ces glissements discrets, furtifs, comme pour ne pas déranger, ces assises du bout des fesses et ces prises de paroles malingres pour dire : que ce sera meilleur chaud, que chéri peux-tu ouvrir le vin, que passe-t-on à la suite ? En voulons-nous encore ?

Il faut entendre ces voix fortes et savantes, se coupant, sourdes à celle des femmes, il faut voir ces lippées furibondes et ces coups de fourchette détruisant sans égard les ordonnancements pourtant comment autant de présents, il faut bien ricaner aux méchancetés glissées comme si elles n'étaient que plaisanteries par ces hommes honteux de l'imperfection de l'ensemble, gênés, presque, du corps de leur femme, de leur robe, de leur insuffisance politique ou botanique, du fait qu'elle ne connaisse rien aux autos, aux affaires, aux champignons, à la pêche, alouette.

J'ai un peu plus de cinquante ans. Je traîne cet héritage odieux d'être un homme ayant été éduqué comme un homme. Je ne vaux pas mieux qu'eux. J'en ai honte.

Une vie ne suffira pas. J'ai honte. Je ne sais que donner mes mains dans le secret des alcôves. C'est insuffisant. J'ai honte. J'aimerais, une bonne fois pour toute, apprendre à bien fermer ma gueule.

:: 16.11.2016 ::
En trotte-trottoirs désensablés et de pavés sous les pavés, Il est permis de permettre et permis d'interdire, Je suis face à l'amer.

Ils fossoient les marées migrantes d'en-haut de leurs dunettes, tout, tout vous dis-je, en observant de loin ces tout qu'ils divisent jusqu'au zéro de crispations sanguinaires et bravaches, une louche pour les pédés, une autre pour les femmes, une troisième dans la gueule des chômeurs et puis des anarchistes et c'est ainsi que les loups de mère le sont pour leurs frères. Je suis face à l'amer.

Il faut les voir ces beaux messieurs, ces belles madames auréolés du drapeau et puis du tricolore : jamais ne se taisant, jamais ne sachant pas ! Des réponses plein la bouche, plein la poche, de cette intelligence sûre qui t'économise la peur des boulevards et des gueux qui y gueusent, qu'on y soit pour quelque chose, ou non. Et te fichant par pans entiers, par brouettes, par wagons, des gosses mal éduqués, des camés, des indécis et des rêveurs, des poètes et des nichées de février.... la voix haute ! Le cheveu permanenté ! La dent immaculée ! Ces mâchoires si blanches et bien plantées ... ça me fait peur ces dents carnassières, toujours en bonne santé, des dents d'aluminium déguisées par l'écume de leur haine. Je suis face à l'amer.

Ca roule coton et vague danse, ça suinte et chuinte en un collant de sel. Les mouettes s'y marrent, les bateaux s'y amarrent, jusqu'à l'horizon l'on n'y voit pas l'ombre d'un seul connard. J'aimerais faire face à la mer.

:: 15.11.2016 ::
Pour être confirmé dans mon identité, je dépends entièrement des autres.

Je pourrais être blanc. Une femme. Je pourrais être né de l'aristocratie ou dans un pays où les bombes font pluie. J'aurais pu être petit, analphabète, un bon gros chien peut-être. Il aurait pu me manquer l'usage de mes bras, mon pays aurait pu m'empêcher de montrer mon visage. Je pourrais avoir la souplesse des félins et un territoire rapetissant. J'aurais pu avoir ces beaux yeux d'âne sans cesse harcelé par les mouches, j'aurais pu être ce monsieur dominant répondant sans faille à la nature que le rôle commande.

Je vois bien ce qu'il y a de culcul-gnan-gnan à épeler ceci. Mais je ne sais pas quoi dire d'autre à ma fille.

Elle a 12 ans. C'est assez compliqué de l'éduquer à l'intérêt pour soi-seul.

Je ne sais pas quoi dire d'autre aux gens que j'aime, à mes amis, à mes amours.

Il y a ces nuits, il y ces moments où je suis un roi aimé, il y ces chiens qui soupirent s'endormant dans la complétude. Comme moi quand je dors contre toi. Je me réveille, j'embrasse tes épaules, je me rendors, comme un chien qui fait son rond.

Je crois ne rien saisir de ce qui compliquerait cela.

:: 14.11.2016 ::
Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que nous lui fournissons pour nous détruire : nos yeux, nos mains, nos corps.

Je me souviens de ce texte anonyme trouvé selon la légende dans une église de Baltimore vers la fin du XVIIéme que je crois vous avoir envoyé. Il dit de notre place à tous.

Se soumettre, plier tient à cette idée que nous vaudrions moins. De naissance ou de complexion, d'éducation ou de fortune, de rapidité ou d'assurance différentes, nous vaudrions moins.

Cela vaut au travail, dans le rapport des filles et des garçons, dans celui des gens éduqués selon le catalogue quand d'autres le sont différemment.

Se soumettre, plier tient au degré de confiance tiré de l'amour reçu, ou des défenses construites autour de l'amour absent.

Avoir, ne pas avoir, savoir, ne pas savoir, voyez-vous les enfants ? Pas encore écrasés, pas encore cédant leurs yeux, leurs mains, pas encore effrayés.

Il est urgent, je crois, de prendre soin de nos jardins. De n'en ouvrir la porte qu'à ceux qui ne tireront profit des fruits et des fleurs qui poussent ici que l'infinie admiration de cette vie qui prolifère, en dehors d'eux-même, de leurs bénéfices et de leur pouvoir.

:: 13.11.2016 ::
L'écho nait d'un obstacle érigé entre le cri et l'infini où le cri se perdrait, sans obstacle.

Vous savez, quand vous êtes moelleux dans l'épais du canapé face au feu et qu'il n'y a que le bois expulsant sous le gaz chaud sa sève parfumée et les craquements que la flamme provoque - détonations inégales en saisons de feu, d'abord le printemps puis l'été de feu, puis l'âtre ralentissant et c'est l'automne, et puis le froid revient en un hiver très lent- qu'il n'y a pas un bruit dehors, ni télé ni radio, et qu'à peine l'on fait grésiller une cigarette ou bien tinter un verre car l'on ne veut ni troubler ni même interférer....

Quand les yeux brillent et que les voix sont basses.

Quand les gestes inutiles fondent en ajustements millimétriques.

Alors, l'on parle. Sans vitesse et sans prévoir, c'est la voix basse qui commande et qui dit.

Le corps et l'incomplétude, la faiblesse et le besoin de feu. Qui dit le froid.

Tard, il y aura le sommeil : les baisers de la nuit mêlés à la nuit des mains jointes.

Les saisons. Le vert dehors, et puis les roux. Le feu, dedans. Le corps. C'est beaucoup et c'est peu. Pour qui veut peu c'est tout.

:: 8.11.2016 ::
La peinture prime sur la photographie en ceci qu'elle écrit également avec sa part d'ombres.

Ça pourrait être une photo en cela que la lumière rédige quelque chose de l'instant sans le figer vraiment, qu'elle entoure un mouvement et une forme.

Sans détails, je veux dire, sans les petites laideurs accumulées par l'âge et les coups reçus, cela montre de moi quelque chose que j'adore dérober de l'œil aux autres : l'attention appliquée en dehors du temps et des lieux, une attention pure, personnelle, être là à ce que l'on fait, emmené par ce que l'on fait, défait des autres par ce que l'on fait.

Ici, je prends attention. Et rien n'existe d'autre.

Cela m'évoque l'absence aux choses et la présence exclusive que requiert de faire très bien l'amour.

:: 7.11.2016 ::
Je connaissais une indécente de lit

C'est un carré urbain, une carrée comme l'on dit à l'armée. Mais parce que j'ai refusé d'y réparer les aspérités, parce qu'il y a un store qui filtre toutes les couleurs du jour et les gris et bleus de la nuit, parce que le blanc bon marché qui recouvre les murs fait penser à de la chaux, parce que j'y ai collé une petite huile sur bois assez pieuse, un prie-dieu de velours rouge bien bouffé, et une lampe orange (comme cette autre qui m'attend chez vous) aux pâleurs incertaines, parce qu'encore je veille à ce qu'il reste toujours la naissance de petites toiles d'araignée dans les angles (un bon anti-moustique), l'on dirait une chambre à la campagne.

Voilà, le mot est lâché. Chambre. Comme cette chanson. Comme dormir contre vous, parfois léger au bord du sommeil, de vos épaules et votre peau, parfois écartelé de sommeil et pesant de tout mon poids à pousser votre dos, vos fesses pour m'y mêler, pour m'y perdre.

Sans vous, elle n'a pas la même teinte, pas les mêmes murs, pas les mêmes ombres. Sans vous, elle ne chante pas les mêmes airs. D'ailleurs, elle ne chante pas.

Il y a, à un angle de lit, un morceau de soie dont j'aimerais vous voir parée et que l'on joue. A cet autre, des bougies, de celles qui colorent la peau et de celles qui additionnent votre odeur à la leur. Il y a ce grand tiroir de commode plein d'un secret bazar innocent mais dont j'aimerais qu'il vous intrigue. A votre chevet, j'ai posé des livres. Moins innocents mais très classiques et que je voudrais vous lire.

Au sol, un parquet prêt à recevoir vos vêtements arrachés par mon impatience, au plafond un plafonnier sinistre qu'il est interdit d'allumer. Un tas d'oreillers. Des draps de lin très épais, une couette rouge, pourpre, carmine.

Vous y êtes invitée. Ne me faites attendre que ce qui est nécessaire, et puis, venez.

:: 6.11.2016 ::
Trahir. Aimer. Que choisissez-vous ?

Ne pas s'occuper de soi, rester dans l'obligation contraignante, astringente, dans le manque à faire, ne pas entendre les propositions faites (aller ici, voir cela, découvrir), constater que l'on est en retard, qu'il aurait fallu faire, ici, là, maintenant, se sentir vieillir insuffisant, coupable et sombre.

Dépression. Qu'on rejette si souvent, sans comprendre.

J'y oppose la transparence en mouvement, l'interrogation des enfants, la justesse des enfants.

Partout j'entends les histoires. De famille, de travail, de société, d'amis, des histoires où aimer est trahi.

Quand je vois, quand j'entends ma fille (Lili), j'ai un repère précis (et je me fous totalement que cela soit "gnan-gnan") : trahir "aimer", c'est se tromper soi. Lourdement.

:: 3.11.2016 ::
Il y a, à mes yeux, un truc infiniment noble dans l’adjectif "spartiate". J'adore le lire. Je n'ose pas souvent l'écrire tant j'ai peur de l'égratigner, de ne pas le mériter.

Vous vous demandez qui je suis, même après tout ce temps là, et cela se comprend. Croire est compliqué. Et je ne veux pas que vous croyiez -rappelez-vous, je viens d'une secte et croire pour moi n'est pas voir - et j'ai bien étudié mon Épicure. Peu. Le bonheur, c'est peu. C'est peu et le désir. Ainsi, l'expression disant qu'untel est un épicurien est bien abîmée. Être épicurien, c'est être spartiate. C'est peu. C'est aussi beaucoup désirer, mais sans manque, sans frustration.

Bien entendu mon enfance assez dure pourrait justifier du fait que j'aime l’adjectif spartiate. Elle l'a été. Cela pourrait me donner raison. Mais l'autre facette est que je n'ai de cesse de refuser le pouvoir, l'avoir, l'influence.

Le jour où tu as dit que tu ne croyais pas que je refusais de faire du fric au black, tu t'es trompée lourdement mon amour. Tu ne sais pas qui je suis. Tu ne sais pas ce qui compte.

Pendant la guerre, je serai le premier à tomber sous les balles. Parce que je n'ai pas raison. Parce que je veux peu. Quand j'ai ce peu, c'est absolu. Alors je connais le bonheur entier, dans sa définition prime.

Mais ce peu, je le veux, et ne le lâcherai qu'à la mort.

:: 1.11.2016 ::
Ce qui ne tue pas ne rend pas plus fort. Au mieux ça cicatrise.

C'est en 2008 que j'ai appris à endurer, à ne pas prévoir ni concevoir, à m'endormir tranquille alors que tout s'écroulait. A m'arrêter à l'idée que je faisais tout ce qui était possible, et que, quoiqu'il arrive, j'aurais fait ce qui était possible.

Le jour de mes dix-huit ans, bien plus tôt qu'en 2008, je m'évadai d'une secte dans des conditions délirantes. Il fallait être jeune pour oser. J'y avais vécu la plupart des tortures imaginables. Je risquais la mort, oui, mais une mort très pénible. Ce n'était en rien du courage, mais une sorte d'obligation. J'avais gardé en moi ce dessein, de m'enfuir, pour moi, pendant des mois. Je m'endormais en m'enroulant autour de l'idée, de l'image, de moi, partant. Je pouvais échouer. Mais j'aurais alors fait ce qui est possible. La mort très pénible n'était pas trop chère en échange de toutes mes nuits tranquilles, gagnées sur l'effroi et la terreur.

J'ai vécu ensuite quelques mois avec 1 franc pour manger par jour. Un pain au chocolat, ou une baguette de pain que je faisais gonfler dans l'eau tiède. Des pommes de terre volées, jusqu'à la nausée. Des nuits à me réveiller de faim, pour me rappeler que, sans la faim, je serais mort de froid dans mon sommeil.

Et puis une mobylette. Un studio dans lequel je suis invité longtemps, des boulots arrachés à grand coup de bluff et de cv bidonnés.

Des rencontres incroyables. A qui je dois tout.

Et pourtant.... tout cela ne forme pas, n'apprend pas, ne fait pas grandir, ne blinde pas.

Quand je suis blessé, c'est toujours aussi vif. Et je doute très franchement qu'être blessé puisse rendre plus fort.

:: 31.10.2016 ::
De gros édredons, des lits de gris.

C'est curieux comme l'on apprend à dire qu'il fait moche, qu'il ne fait pas beau quand le ciel est de plomb.

Assez vite je me suis affranchi de cela, j'ai aimé la pluie, je n'ai jamais eu de quoi m'en protéger, je n'ai pas eu peur qu'elle ne me mouille. Plutôt qu'elle ne m'altère, elle me nourrit.

Surtout, je vois cette beauté tranquille assise au cœur des gris multiples, j'entends ce chant quand l'eau s'écrase : toutes ces mélopées ! Selon qu'il pleuve sur l'acier, le verre, le bois, la terre alourdie, les tuiles, les plantes.... avec plus ou moins de force, de vitesse, d'intensité, et ça change.... une chanson, un répertoire lyrique entier.

Sans parler des plages de crachin bordant l'océan où l'on va se refroidir, se raffermir, se reverdir, sans parler des tresses furieuses choquées par l'orage, sans parler de tes mains qu'il faut tiédir, sans parler des abris qu'il faut chercher, partager, comme l'on partage une fortune, sans parler de quand te faisant jouir tandis que les éclairs.

Tout ça, les plantes et les bêtes, les enfants, le vert, tout ça commence sous la pluie.

:: 30.10.2016 ::
Je voudrais changer les couleurs du monde

Rouge.

Ta couleur. Celle que tu donnes.

Rouge lampe.

Rouge bouche.

Rouge feu.

Rouge beau.

Rouge chaud.

Rouge jusqu'au sommeil.

D'orange à rouge.

L'hiver, aussi bien que l'été t'accompagnent en pleins rouges.

Et tes bleus éclatants.

:: 29.10.2016 ::
Je veux m'enfermer avec toi...

Il y a l'habiter. Mais plutôt s'y blottir aux creux et pleins des mers. C'est une prison d'os étreinte de chairs, on sait quand l'on y vient. C'est dire d'un lien d'eau, implacable et puissant,languide, c'est Saphir et Jade, c'est Priape adorant les sables qui le retiennent.

Chaque claquement rapproche et de la souffrance et des vertiges parfaits. Le jour commence avec la lumière, finit avec elle. N'a que peu d'importance.

C'est un toit du monde sur lequel le ciel peut tomber. C'est te chercher dans le noir. C'est me passer de toi, car la mer. Le fracas, le départ, les retours-toujours, des lézardes à l'édifice : je m'use et me durcis. C'est cela : la vie entame et tanne, comme la marée.

Oui, trois semaines. Pour commencer. Des orages, des tempêtes. Beaucoup de silence, bercé par ce désordre d'iode.

:: 26.10.2016 ::
Faire énigme est une chose curieuse. Pourtant, aller au bout des choses impose et l'absence de pouvoir, et l'absence d'avoir.

C'est une évidence. Elle est psalmodiée en échos par tant. Et puis niée. Et puis combattue dans des efforts de justifications pathétiques.

Voilà trois textes où il est question de mathématiques.

L'environnement, le prochain; ce et ceux qui nous entourent. Certains d'entre nous sont forts. Capables. Ingénieux. Intelligents. Rusés. Malins. Habiles.

Rester une énigme -tous ces possibles, toutes ces capacités- se résume pour moi à une affaire de mathématiques. Très simples. Dont le résultat n'est pas dans tous les cas une affaire de vieillissement individuel confortable.

:: 16.10.2016 ::
C'est le travail d'une vie que d'être un homme.

Éclairés. Tout du moins concevant, même faiblement, l'idée de la conscience. Certains garçons essaient. N'osant rien, pourtant, rien opposer à l'idée, qu'entre autre, une soit-disant différence pousserait les garçons à être mécaniques, tandis que les femmes, elles, seraient sensibles.

Si l'on ne s'intéresse ni aux garçons ni aux filles, l'on répétera. Stupidement. Si l'on ne s'intéresse pas à l'humain, l'on ânonnera. Une épaisse théorie du genre, qui ne vaut pas mieux que d'autres sermonnées sur la place publique.

Parce que l'on bande. Pauvre de nous. L'homme qui bande se rend coupable de calcul, d'arrières-pensées, de stratégies, de pulsions qui le dépassent, l'avilissent et le poussent à brader son âme au prix d'un éjaculat.

Alors voilà ce qui serait de la tendresse et du temps doux : une érection. Voilà ce qui serait des amours par-delà l'horizon, des espoirs solaires : une érection. Voilà ce qui serait des assoupissements où l'on se sent fondu aux choses et à la peau, des soulèvements de poitrines tellement mêlées qu'on n'en connait plus les frontières, des ces débuts de nuit qu'on voudrait immuables, encrés, ancrés. Immobiles. Dans cette éternité lente, rêvée, où le seul corps qui soit soit celui, non armé, de la présence. Voilà ce qui serait de l'homme dont le pénis durcit sous l'émotion, ou le confort, tout comme quand il dort : ll serait privé de l'amour, du vrai, relégué à l'impériosité de se vider.

Voilà ce que serait l'homme : vide, ou se vidant.

Il est des théories du genre qui ne m'effraient pas plus.

:: 13.10.2016 ::
Vous finirez par plier ! Par ramper !.

Et donc, il faut plier. Toute la vie, il faut plier. Face aux parents, et à l'école. Face à la nécessité de l'argent, et face à l'obligation du mensonge compromis qui laisse croire qu'on fait société quand il n'est question que de la trahir. Face aux conventions, aux obligations, aux codes. Il faut plier toujours. Parler légèrement, correctement, accepter d'être employé médiocre et menteur, mari ou amant propre et décent, il faut plier en face de l'espoir de la longévité (théorique, et que l'on ne maîtrise en rien).




:: 15.02.2016 ::
La solitude est une affaire d'ordinateur.

L’on ajoute deux et deux, l’on croit que l’on fait quatre. L’on en hérite, ou non, l’on en hérédite même si l’on en croit le bon professeur Eugéniste, et c’est ainsi qu’on ne dégénère pas. Deux gènes et deux gènes font quatre gènes.

Créativité. Emotion. Talent. Comptant ces qualités, je n’arrive pas à trois. Ce que je n’arrive pas à dire, à vous dire, c’est que, tandis que je vais du point A au point B, seule manière pour moi d’espérer un jour atteindre C, vous avez-vous tout l’alphabet sous les yeux. Sans ordre et sans séquence. Et que le langage rend impossible de décrire cela car les mots, en petits trains bien ordonnés, font que la logique s’exprime d’un wagon suivant l’autre, tandis que le sensible emprunte lui, toutes les voies, toutes les voix, en même temps.

Dans votre conception des choses, deux et deux ne signifie rien. Vous avez en même temps trois et un, quatre et zéro, mais au-delà des additions, vous avez chaque partie se soustrayant, se divisant, se multipliant, et le tout à la fois, et le tout l’un sans l’autre, et le tout plus le tout.

Je dis, aussi qu’il faut être sot pour arrêter ce postulat à quatre. Quatre quoi ? Quatre, en soi, n’existe pas, et l’on voit bien la sottise de ce deux et deux font quatre. Vous allez jusque cent. Et de n’importe quel bois, de n’importe quel angle. Chez vous, quatre, c’est quatre quelque chose : c’est bien vous qui produisez le juste résultat.

Défaites-vous des mémoires qui n’en sont pas, des professions pérorées alentour et qui ne disent rien. Méfiez-vous des régnants sur le monde si distants de la vie, des chats et des enfants.

Jamais vous ne me convaincrez. Je sais, à vous fréquenter, à puiser en vous comme dans la pléiade, à vous voir juste toujours, que ce que l’on appelle logique n’est qu’une invention des médiocres à excuser qu’ils ne chantent ni ne peignent, que leurs mains ne savent pas caresser ni nourrir, que leurs larmes sont si sèches qu’elles ne feront jamais s’épanouir la plus petite fleur.

Lu : Petit guide à l'usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués.
:: 13.02.2016 ::
Nous sommes des enfants... nos jouets changent simplement de prix...

Quand même, il faudrait ralentir. Et en vitesse encore. Reprendre des habitudes d’ombres et de regards plus loin. Laisser nos mains dans les poches ou posées sur la table, bien en évidence à ne rien faire.

Essayer de se souvenir. C’est facile. Depuis cet arbre-là, dodeliné de vent, depuis le luisant des pavés ou le bruit de ces oiseaux : on prend ça comme un bout de laine qu’on tire à soi. La pelote vient. C’est un déluge de vents froids, tièdes, taquins, agaçants, que sais-je, une pelote entière de vents gardés au creux de soi. C’est le vent de ces vacances dans le massif central, c’est le vent des départs à l’école quand le corps n’est qu’une allumette, celui qui se joue des oiseaux et de la pluie. Pareil pour la pluie, toutes nos pluies, pareil pour les oiseaux, tous nos oiseaux auquel l’on peut ajouter les oiseaux des livres, les oiseaux du cinéma, de la danse, les oiseaux joués à la flute, au piano…

Inventer des oiseaux. Les peindre. Ne rien en faire. Rêver d’en être un. Froisser le vent de ses ailes. Zigzaguer dans la pluie. Se rappeler les philosophes des oiseaux, leurs citations précises et faire des liens avec les mécaniciens des oiseaux, les décorateurs des oiseaux, les ingénieurs.

On lèverait la tête. En face de nous, il y aurait cette femme d’un certain âge, assise droite, presqu’austère, un chignon gris tiré dans la nuque. On sourirait. Vos oiseaux, à vous… me les donnez-vous, et leurs couleurs avec ?

Ca irait lentement. Ce serait au-dedans de nos têtes. Pendant ce temps-là, au fond de nos sacs, rendus à leur seul utilité de simplificateurs dormiraient nos téléphones portables.

Lu : Science et religion
:: 12.02.2016 ::
Le beau jour se prouve au soir.

J’en avais vécu, de ces moments inextinguibles, des noirs troués de la nuit. Seul. On, était seul-pas-seul. On, avait choisi, en montagne, une terrasse, un coin de lune, On, y avait construit un abri de toile, un esquif frêle. On, se tenait dans un dehors glacé. On, était noyé de silence, alentour, sauf le rauque des quêtes de comètes rares et parfois. Et le silence, le silence… par paquets d’empli, par immobiles…

Et les fuites d’étoffes, cette incapacité des ténèbres à recoudre les accrocs, les soleils, là-haut, là, aussi, comme des chandelles blafardes, comme des dents, comme des tiges.

Des épées, des aiguilles, du fer non croisé. Et l’On, avait plaisanté, au début, et l’On, l’avait cherchée, la grande ourse, bien sûr, et la petite, plus dur, et les centaures proches… Et l’On, s’était tenu, les mains froides. Lentement, ça s’était installé. C’était descendu, du brouillard d’en là-haut, c’était entré, ça s’était propagé.

Comme une confusion. Une chose diffuse, difficile à ciller. Une sorte de malaise, ambigu, plus que serein. Quelque chose de paix, quelque chose de perte. On, s’était senti aspiré, balancé n’importe où, émietté très grand, tout petit. Ca flouait les contours. On, était seul-seul. On, devenu je. Et tous. Et tout. Et rien. Et le silence, maintenant, et le silence.

Et quand On, voulait dire, c’était grand, si grand, et qu’On, était petit, et le silence, quand On, voulait le dire le lendemain, il ne restait que soi, à prendre toute la place, haut sur la pointe des pieds, à pérorer, castafiore ampoulée, à chercher quelque chose dans la voix, dans l'intonation, dans les mots, On, l’avait dit en hurlant, On, avait vociféré, combien le fait d’être là... combien le fait d’y avoir pris billet… ça avait été important... le soleil, lui, disparu sous les gravats, sous les ordures charriées par ce qui renvoyait à soi, au soi des autres... les étoiles, piteux points de tricots, chandails incompétents, maille bouffée, mitée…

Lu : Charmes
:: 11.02.2016 ::
Si c'est pour jouer les fugitifs / Moi je suis volontaire .

C’est les plages claquées de la froidure hiver. C’est ce sable battu d’écume en rouleaux mousseux et ton pied s’y efface, à peine empreint. C’est ces vols horizontaux d’oiseaux arquant les ailes en géométries arthritiques et percluses. Une lutte. Des criasseries. Des abandons, quand ils sont soufflés à vingt mètres tout à coup. Partout l’air se lourde d’iode, se pèse d’encre et de sels blanchis. C’est tes couleurs d’airain et de cannelle et puis tes cheveux fous, ta bouche laissant fuir des rires, ton odeur d’amande et tous les tonnerres fouettés de l’eau jamais éteinte.

Nous irons là. Sur cette ile. Février ne sera pas encore au bout de lui-même.

Nous avons hésité. La peinture. La Lozère, notre plateau de pierres tenu au secret de nous seuls. Les bâtisses de briques collées comme un fatras de rouille debout, par-dessus les canaux. Même Ostende. Même Malte.

Tout est à prendre. Je veux tout prendre de ça, je veux dire : te donner ça, et le reste. Comme parfois je t’offre Paris, Orsay, le Luxembourg, New York-Brooklyn-bridge-Central-Park, le Metropolitan.

C’est l’éclat du phare projeté dans tes yeux répétés par le phare en écho dans tes yeux. C’est les fruits luisants de l’eau, mes mains écartant les verres par-dessus le couvert. C’est le vin qu’à claque-langue tu liches et le lit bordélisé de marées fouettant porte et fenêtres, le lit tangué de nos bordées, le lit étale de ton sommeil.

C’est le musc, et le miel, et le lait et ta peau et ma peau prise de ta peau prise de ma peau.

Ici. Ailleurs. Nous. Aux débords du temps.

Lu : Impasse Michéa
:: 10.02.2016 ::
Manquer de possibles propose l'idée de la nécessité et peut-être, aussi, celle de banalité.

Voilà. Des heures quiètes, des cailloux dans le dos, du fond de pantalon humide, voilà des herbes gitées d’opale... Voilà, les narines tendues, les lèvres qui se sèchent, ces heures, et ces heures... ça s’était aplati. Voilà, du cortège d'ombres montantes, des oraisons gracieuses, des oiseaux et des eaux, et de l’écho, creusé, renvoyé, plus bas, dans des roches usées... et le soleil... ce soleil, celui-là, qui, pour soi seul, vous faisait une amoureuse cour, vous composait l'aubade, et vous laissait, paisible… Voilà, de l’immensité, de l'espace, de la conscience à l'instant collée, voilà, du regard immergé, à l'horizon, des vastes étendues, voilà des embrassades.

On, acceptait d’être si petit, On, acceptait la bienveillance de protectrices instances... ça s’était aplati. Il n'en restait rien, un rien de l’épaisseur d'une feuille, un rien qui ne pesait pas lourd, en face des rhumes, en face des hordes migratoires, des mois d’août mérités.

On, en venait à douter. Etait-ce vraiment beau ?

On, avait pensé, aussi, c'est grand, c'est si grand... On, était si petit, On, était peu de choses... deux bras face aux millions de mains de la mer, deux bras face aux millions de bras du soleil, qui vous cueillaient, vous faisait tourner sur vous-même, ça pouvait vous brûler des lunes d'un clignement de l'œil, et ça vous cajolait, entre deux rayons longs... Ca s’était couché, Sa majesté, On, prenait part au bain, Sa majesté... ça aurait pu vaporiser les eaux en un quart de seconde, les faire se soulever en bouillantes vapeurs, les faire s’échapper des fosses et les vouer, à errer, loin du lit... ça aurait laissé au sol un dépôt racorni, vide de soi, stérilisé, la terre, une théière…

Et ça avait préféré s’engloutir, lentement, précautionneusement, orangeant par le dessous les vagues tiédies, ça avait déposé à l'horizon une ligne tassée de coton, ça avait ce savoir-vivre qu’ont les puissants, ceux qui ne doutent pas du respect qu’On, leur accordera. Sans questions. Sans est-ce beau. Parce qu’ici, les hommes n’ont pas vraiment de place.

Lu : Répétition
:: 08.02.2016 ::
il est bien gris bleuté avec une touche de vert chaque fois qu’on venait je disais tu vois les tomettes des Levrault on a beau dire ça se conserve et la chaleur comme une espèce de chaleur dans le caveau mais sobre décente la chaleur...

Dans l’alcool du moment je te veux mon amour
dans l’alcool du moment et puis sa pesanteur quand ta main tremble que sursaute ta main et que ta main s’éteint ta main chaude et qui pèse et puis ta main s’éteint enfin elle stoppe le travail et tout ton corps dort ton beau corps dort encore et là je te veux mon amour ta tête à mon épaule et mon bras en enceinte et puis te prendre encore comme cette nuit
il devait être 5 heures il devait être 6 heures non sûrement un peu plus tôt que six heures
tu venais de sortir de ce lit de notre lit du lit qui nous accueille nous abrite et nous aime tu revenais à peine
juste à travers les persiennes pointaient les premiers petits gris de l’aube le jour naîtrait plus tard le jour nous attendait mon amour tu es revenue les petits gris de l’aube suffisaient à faire éclater la blancheur de ta peau sa douceur tes formes adorables
tes beaux seins lourds de femme tes hanches dessinées de femme ton ventre adoré de femme
j’étais anéanti de sommeil encore il était plus tôt que 5 heures sûrement alors j’ai refermé les yeux
la dernière partie de toi mon amour que j’ai vue c’est ton sexe
et j’ai eu envie d’y plonger de le brûler de le baiser d’y gouter qu’il soit humide et s’ouvre qu’il attende de jouir de moi et de mes caresses de mes baisers et des coups de boutoir
qu’il jouisse de mon bâton qu’il jouisse d’amour
maintenant tu dors ton beau corps dors encore
je te veux j’attendrai
je te veux je te ferai jouir
de mes caresses de mes baisers de mes coups de boutoir de mon bâton de mon amour
et tu t’endormiras encore
ton beau corps contre moi dormira encore
Lu : Le début de l'A
:: 01.02.2016 ::
And I want to believe in the madness that calls now / And I want to believe that a light's shining through somehow /And I want to believe, and you want to believe / And we want to believe / And we want to live / Oh we want to live

Ca a été immédiat. Dès les premières notes. J’avais tout juste dix-huit ans.

Rien ne m’y prédisposait. Mon adolescence artistiquement morne perdue dans une secte où l’on ne goûtait ni au cinéma, ni à la musique ne m’avait en rien préparé à cette décadence sophistiquée, moins encore à l’art total. Il me semble que la seule chose à laquelle j’ai pu lier David Bowie à ce moment-là, c’était ma lecture du « portrait de Dorian Gray » et de « la peau de chagrin ».

Dès les premières notes. All the madmen. Les mille voix. On a parlé toujours de l’homme aux mille visages. J’y reviendrai. Pas des mille voix. Tout de suite, je les ai entendues, toutes ces voix ensemble, ce bordel polyphonique, ce grain pluriel à nul autre pareil. Arrive assez vite la flute de pan. L’entendez-vous ? Je n’étais pas musicien, je n’en jouais pas ni n’en écoutais, instinctivement s’est forgée l’intime conviction d’être de ces privilégiés qui, par le truchement d’un tourne-disque, avaient fait une rencontre décisive. J’ai su, dès lors le génie, qu’il serait mon génie, mon bon génie non pas sorti d’une lampe, mais d’une galette vinyle. La flute de pan d’All the madmen éclate, ouvre, pulvérise la structure musicale posée par l’intro faite à la guitare, vient doubler, tripler l’énormité de la proposition faite par cette drôle de mélodie dite par le chant aux premières secondes. Mais ce n’est pas tout. La ligne de basse, inversée, vient encore ajouter de la complexité. Et l’apogée est atteinte à cette question en contrepoint : « Am I ». All the madmen devient un morceau fou, totalement baroque, le reflet exact du thème proposé par le texte de la chanson. Un hasard ?

Ensuite il y a eu « Scary Monsters ». Dans la même soirée. Et puis teenage wildlife. Scream like a baby m’a achevé ce soir-là, laissé pour mort. Et encore n’avais-je pas vu les pochettes.

Le lendemain, j’ai réécouté, en boucle, les morceaux cités plus haut. Et puis suffragette city. TVC15. Je suis mort une seconde fois, en entendant cygnet committee. Une démence pure. Le ciel, et le vent, et l’orage, et la tempête, et l’océan, et la peau, et la notion même de parfum, de couleurs, une définition sidérale et sidérante de la violence et du contraste.

Alors j’ai regardé les pochettes. Et je suis tombé amoureux. Je n’ai pas connu plus beau, plus décadent, plus souriant et perdu, éperdu, gracieux et volage, serein, hanté, inspiré, fou, provocant, d’une laideur parfois si monstrueuse qu’elle m’a permis de redéfinir complétement mes canons de beauté. Cela m’a posé la question de la sexualité. Je n’éprouvais aucune attirance sexuelle, mais j’étais fasciné. David Bowie m’a permis d’être certain de mon hétérosexualité.

Il m’a accompagné en bon génie jusqu’au 10 janvier 2016. Il y avait déjà presqu’un mois que j’écoutais Blackstar, plusieurs fois par jour, en essayant de convaincre mes amis qu’il venait de produire un de ces meilleurs morceaux, ever. Le clip me rendait dingue. Comme à chaque fois, il y avait ce malaise accablant doublé d’une joie solaire.

David Bowie m’a forcé à lire, encore plus. A aller, à aimer le cinéma. A connaître Lou Reed, Iggy Pop, Bauhaus, bien d’autres encore. A me confronter au Velvet, à comprendre Warhol et plus généralement l’art du vingtième siècle. Il m’a tenu en vie quand j’étais désespéré. Il m’a fait entendre différemment la poésie. Si j’aime Ferré, Mallarmé, Lynch, Brel pour ses paroles, c’est parce que David Bowie y conduisait, fatalement. J’ai chialé comme un môme en apprenant sa mort. Je n’aurais jamais pensé être un groupie. Ses milles visages. Ses voix parlées, incroyables, ses rires ! Et ses mille voix chantées, en même temps. C’est une chance de vous avoir croisé David. Je ne parviendrai jamais à rendre le millième de ce que j’ai reçu de vous. Merci, merci, de tout l’amour que vous avez donné au monde.

Lu : Au sud de nulle part
:: 31.01.2016 ::
Se souvenir, voilà le premier pas vers "comprendre".

A chaque jour accordé de vous, je tire de mon archet une note semblable. J’en attends qu’elle fasse naître chez vous une plainte, un sanglot un rire ou un frisson, en tous cas : que d’elle vous ne vous lassiez pas.

C’est peut-être un pari vain. Incapable d’harmoniques ou de demi-ton, de porter jusqu’au dièse ou de retrancher au bémol, je vous accable de monocorde, d’atonal. Je dis : « je t’aime mon amour ». D’autres en feraient des opéras, des rhapsodies, en couvriraient d’immenses toiles saturées de couleurs, d’autres encore sculpteraient le bois, la terre et le fer, il y a ceux qui l’écriraient, empruntant aux différentes formes que peut prendre le verbe, tous les possibles, les utiles, les incontestables, les sensibles, les mélodieux, les certifications.

J’ai moi un autre parti-pris, dont on pourrait dénoncer la rhétorique aisément, si l’on m’accusait de penser et ce serait un injuste procès : il suffirait de lire mon âme, mes entrailles, ou dans mon sang pour s’en convaincre. Il me vient plutôt de l’idée que l’homme est gouverné par des instances qui le dépassent (que je refuse d’essayer de nommer) qu’il a sa place et seulement celle-ci. Que son gout de langue et de musique et puis de bruit, que sa soif de diversité et de mouvements ne traduisent pas plus qu’une foi qui parfois chez lui chancèle. Qu’on ne peut pas tout dire. Que je me refuse à mettre en mots les couchers de soleil ou bien la mer montante, les cieux gluants d’étoiles, l’orage, le goût des fruits, cette robe papillon, tes mains fermées autour des miennes quand, nue, tu t’es échouée à mon corps en plein creux de la nuit.

« Je t’aime mon amour ». Je suis bien trop chétif et surtout transpercé pour savoir décliner ces mots-là, en faire des phrases qui finalement pareraient à l’emprise totale, à l’empire, au délitement. Voilà mon unique verset. Mon bréviaire, mon catéchisme, ma partition. « Je t’aime mon amour », et j’ai dit ma messe. A l’intérieur, cette note me tient en haut, sans pause, doublée d’un très précieux silence, et me convainc d’être sans nuances et, mieux, sans aucune différence.

Lu : Soie
:: 30.01.2016 ::
« Tu », « Vous » sont d’identiques flèches. Seules leurs pointes diffèrent.

C’est affaire de tensions et d’évitements. D’écarter volontés et programmes, de céder par devers soi, et même : malgré. C’est affaire de dignité échouée, croulée sous le fracas des trombes et des assauts, de faire plier, rompre, déchoir de toute décence. C’est se bouter à même la stature de l’autre, pulvériser sa bienséance, c'est affaire de faire sortir dessous les glaises tièdes des bêtes furibardes.

Voyez-vous, quand vous lancez la partie, que vous convoquez les hôtes et les joueurs, votre rappel aux règles préfigure la force des enjeux. S’il n’est question que de passer le temps, de distraire ses amitiés, un « tu » fera l’affaire : il propose une espace suffisamment étroit pour que les accolades et les étreintes adviennent sans question, s’imposent même presque. Ainsi, l’on entrera bien vite et sans s’arc-bouter dans les taquineries récréatives, sans se faire mal encore : même tombant, l’on ne chute pas de haut, même courbant, l’abandon des guindes dès le « tu » rend les soupirs élastiques. Ici, il n’est donc ni question de guerre, ni de combat, ni de honte, ni de sanglot, ni de plainte, ni de brisements et, comme pour le cinéma ou la lecture, l’on peut s’accorder parfois un divertissement sans fonds et sans reliefs, sans agitations, sans ruptures.

Est-ce le fait d’une perversité native ou bien celui d’une passion dévouée aux arts de la guerre, est-ce la conscience de la mort qui tellement vite s’impose que je me refuse si souvent à la distraction ? J’aime trouver mon terme et mon double, j’aime l’intranquilité de progresser à même d’étroites lignes de crête, j’ai besoin, toujours, de bouleverser, de poignarder mes affects et ma raison à l’endroit même où cela repose. Ainsi des films et des livres, que je choisis pour leur disposition à me détruire, un instant au moins. Toujours est-il qu’il faut que ma proie puisse s’enfuir, et c’est l’évitement, il faut que ma prise se méfie, qu’elle doute, l’évitement encore, il faut qu’elle renonce à sa vie même, voyant les projectiles et ayant abdiqué, priant même d’être blessée, trainée, offensée, outragée, puis, peut-être expiée, délivrée. C’est cela, la tension. Il faut, au fond que tout meure en elle, en nous, comme chez les bêtes rendues folles de souffrances et de peurs. C’est le travail de « vous », sa tâche et son dessein : la distance créée rend l’appui incertain, dangereux, « vous » ne promet ni de n’être pas abandonnée, ni d’être exaucée, ni d’être retenue par-dessus le gouffre.

« Vous », multiple par nature, joue d’autres rôles encore : sa fausse déférence aggrave toute lascivité, farde lourdement les inconvenances, souligne chaque témérité comme une abdication, une aliénation, c’est la gorge offerte des pâtures prises au piège, ce sont les arabesques des dentelles souillée, corrompues, difformes et déclassées. Le triomphe et le régal des prédateurs.

J’aime « vous », l’entendre et puis le dire, qu’il fluctue et s’en aille, un instant seulement, puis revienne faisant ainsi du souvenir un somptueux soupçon. Je chéris de me trouver pris au collet, de mordre à la nuque, de rompre tout à fait, de soustraire à grand peine des enfers.

A la poussière nous retournons. Et renaissons, encore, de nos cendres.

Lu : Les tendres plaintes
:: 28.02.2009 ::
Un condensé de ravissement qui aimerait rire : qui n'en voudrait pas ?

Je tiens sa main et nous marchons. Elle raconte, elle rit, elle sourit, ce qui étonne c'est sa beauté de porcelaine et sa douceur, c'est son attention sans relâche, c'est cette gentillesse sociable, polie jusque ce qu'il faut, c'est sa générosité et cette volonté de faire plaisir à ceux qui l'entourent, c'est sa sagesse. Souvent je la regarde sans qu'elle ne s'en doute. Ses yeux. Ses mèches, ses joues, son nez parfait. Ses sourires qu'elle multiplie à l'infini, jamais nés des mêmes causes, jamais identiques aux précédents.

Un jour tu liras ça Lili, ma fille et tu ne t'étonneras pas qu'ici je dise mon amour de toi car à l'oral déjà je n'en fais pas mystère. Je n'imagine pas de père plus heureux, comblé, fier même que je ne le suis. Ta mère et moi sommes fous de toi, même si nous avons choisi des chemins différents. Je suis heureux aussi que tu aies une petite sœur dont tu t'occupés déjà avec toute la tendresse et l'humour qui te caractérisent.

En mots simples, en phrases que volontairement je n'écris pas vraiment afin de n'en pas brouiller le message, je déclare : "Lili, je t'aime".

Lu : Cahier d'un retour au pays natal
:: 04.02.2008 ::
Si la patience est une vertu, il faut la bien récompenser !

Vous envelopper et vous chérir. Me tendre à vous pour votre seule présence, votre chaleur, le son de l’air qui vous traverse. Mes mains près de vous, la droite sous votre joue, le bout des doigts dans vos cheveux. Mon bras enroulé depuis la taille jusqu’à la nuque en une force solide et calme Vous savoir paisible, vous délassant, rêvant, vous reposant loin du travail ou du tumulte. Oubliant tout sauf vous. Donner corps à nos heures, nos heures, seulement les nôtres et faire ce qui vous plait, seulement ça.

Prendre la pleine mesure de votre alanguissement de votre sommeil, de votre quiète rémission, de votre bien-être. Sentir le plus petit mouvement de vous, un battement paupière, un muscle détendu, un soupir, le froissé languide de votre corps aimé du mien.

Etre votre ami, votre confident, votre galant, votre amant, ce que vous voudrez.

Ce que vous voudrez. Voilà le maître, et je serai comblé de le servir obstinément puisque rien ne vaut davantage que de vous savoir exaucée comme vous le méritez.

Lu : Par les champs et les grèves
:: 20.12.2007 ::
Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les pauvres. Ils n'ont peut-être pas beaucoup d'argent, mais il y a beaucoup de pauvres.(Alphonse Allais)

Ici et là l’on me demande pourquoi je n’écris plus, plus ici en tous cas, si « ça » recommencera, si « ça » repartira.

J’ignore ce que le ça fait, s’il ère ou rêve, s’il prend des force au creux du silence, s’il crève. Je flotte depuis longtemps dans un surmoi plein d’orgueil et de raisons, de rancœurs, aussi. Je joue aux cartes et gagne beaucoup d’argent. C’est à la mode. N’ai pas l’ombre d’un sursaut moral. C’est très tendance. Me fous éperdument du sort du monde. Ca me détend. Répète en boucle ce que tout le monde sait, avec au coin des lèvres un petit rire mauvais. Suis parvenu au prix d’un autisme constant à me défaire de la honte collective d’appartenir à cette époque, à cette nation, au rang des emmanchés médiocres. Ai l’âme farcie de statistiques stratèges et de séquences visant au contrôle des tables de poker qui constituent l’essentiel de mon horizon.

Je n’écris pas car je n’appartiens pas à cette réalité là. Et j’ai compris que les miennes, mes multiples réalités, stagnent bien trop au loin pour qu’on puisse supposer une jonction quelconque. Je n’ai jamais aimé mais. Je n’aime pas discuter ni enrichir mon point de vue de nuances qui sont supposées adoucir la violence du moment. Je suis de culture chrétienne même sans croire en dieu, et ne vends pas mon âme au diable qui, pour le coup, ferait une bien trop belle affaire.

Je n’écris pas car je suis incapable de le faire aussi bien que Ferré. Il y a ce texte : « il n’y a plus rien » que je connais par cœur et qui constitue mon tout poétique. Et l’ensemble de ma pensée politique. Je suis radical et j’ai raison de l’être. J’emmerde ceux qui n’ont pas même vision des choses que moi, ils ne m’intéressent pas, et souvent, je les hais.

Je n’écris pas car je ne peux pas dire tout mon amour de Lili, ma fille adorée (et crabe). La texture, la densité, les couleurs de cet amour, tout ça je ne sais pas le dire. Ni rien des feux fous, des sourires des rires et des larmes, des jeux, des surprises, de l’émerveillement. A tout ça et à beaucoup plus que tout ça pas un mot ne convient.

Je n’écris pas car je ne sais pas situer l’avenir. Un métier, une occupation, Claire, ce que j’écrirai, mon statut de citoyen, la vieillesse, la mort, mon allant aux choses, le fil futur d’une vie que j’ai voulue décousue, et qui, de fait…
Lu : Super system
:: 24.08.2007 ::
Encore.
Comme souvent (car vous dites peu, et que ce peu là compte davantage que beaucoup de beaucoup), vous avez raison : vous faire l’amour, vous laisser me le faire, être ensemble c’est bien plus que seulement délicieux, bien plus qu’un emportement fiévreux, bien plus que s’assommer de plaisir ou fluctuer interminablement dans l’entre deux du désir et du feu.

Vous faire l’amour c’est les mains et les lèvres, la peau bien sûr et nos corps ébouillantés l’un l’autre, les jambes, les parfums, le dos, les fesses, nos cheveux et regards, nier le temps, se ficher d’où l’on est, c’est les souffles et gémir, les ondulations, les arrêts, le pal que je veux être et vous en conque avide, les manœuvres si lentes qu’elles sont comme tortures, le poids de tout mon être à vous coller là encore pantelante, encore épuisée, encore heureuse, et puis ce quelque chose de tellement inné, de tellement adolescent, irréfléchi, essentiel… Il y a entre nous ce lien absolument étroit qui fait que nos corps s’aiment, qu’ils s’aimeraient peut-être si nous n’étions pas là, mais en sus : il y a vous et ce silence simple, il y a vous secrète et sûre, il y a vous accrochant le plus petit brin de lumière ou d’intelligence légère, il y a vous et ce visage à se damner, vos épaules et ta nuque que je ceinture d’un bras pour la nuit et celles qui longent les jours à t’attendre, ce ventre que je tiens d’une seule paume et tes attaches si fines, je pourrais te briser au lieu de quoi je prends tout de toi avec tendresse et force et puis… nous mourrons alors, c’est atroce d’ardeur, atroce de langueur, atroce d’absolu et je veux recommencer, te tuer de caresses, d’emprises et d’entreprises exquises, mourir contre toi, dans toi, aller nu, aveugle et saoul jusque dedans l’oubli de tout ce qui serait autre que faire l’amour ensemble.
Lu : Floire et Blanchefleur
:: 12.07.2007 ::
Deux mois, cinq ans.. dix... ce n'est ni long ni pas long, ce n'est rien pour un veau.
Tandis que ça en bourre bien comme il faut (ras la soute), qu’il en pleut des cordes et des tombereaux, qu’il en vient des cieux, des enfers et plus généralement de toute part, moi j’en suis progressivement dépossédé. C’est que, voyez-vous, l’ennui de la ressasse est qu’elle égale en résultat celui de l’ignorance crasse : trop dire c’est ne pas dire, et tourmenter sans poésie notre nomenclature n’est pas exactement sans conséquence. Ainsi ce vocable de valeur, « valeur » ne vaut pas pour eux comme pour moi et je peux mesurer qu’à chaque instant je m’en vide un peu plus alors qu’ils s’en emplissent.

Que leur chef ait su par quelques héroïques passes plaire aux hommes en cajolant leur inextinguible soif de maîtres, de chefs et de chibres replets, je le conçois. Après tout, les messieurs aiment autant les tanks que les pétasses, idolâtrent tout de go le gras-le gros, adorent sans honte les capés, les sabreurs et ceux qui les écrasent. En revanche, ce qui m’échappe, c’est le comment il s’y est pris pour endormir les dames. Car il me semble que pareil énergumène arrivant en soirée attirerait à lui quelques dédains sentis, de la pitié peut-être des plus conciliantes : l’incessant moulinet des bras, cet aplomb sans silence, cette occupation de chaque pouce au sol sans jamais pas de coté, son bon sourire saupoudré d’incontestables triomphes, son bardas de morales multiples, tous usages et usées comme le couteau suisse de grand papa… tout ça… il me semble que cela pue, et il me semble aussi que les femmes se trouvent à priori incommodées –par nature- de la confrontation aux odeurs piquées, aux relents aigrelets.

Deux mois comme un jour sans pain, ou plutôt comme dix ans, ah l’on en raclera du quart de fer blanc et du fond de tranchée, ah l’on s’en fera fourguer du coup de botte aux fesses, de l’hostie, de la messe, ah l’on en bouffera de la réduction aux acquêts des finesses et des liesses… c’est bien normal peuple de France : coupables vous êtes nés. Expiez, payez vos indulgences, renâclez, baissez le front, endurez, c’est ce que vous méritez le mieux. Pendant que vous besognez à arracher votre pardon, je me vautre moi à même la paresse, seulement bercé des mains de Claire, des livres crèmes, de mes sommeils tard du matin, de cet été gris-Bruges ou bien Ostende, de la danse et de la grâce, des espaces laissés là et qu’occupent ceux qui se foutent royalement de ce que leur condition s’améliore ou pire, empire.
Lu : Poèmes de l'an demain : anthologie autour de dix poètes sénégalais.
:: 11.07.2007 ::
Les ceusses qu'apportent toujours sans ciller une solution à chaque problème, ils ont tellement d'appêtit... ils t'en inventeraient, des problèmes, pour être sûrs de pouvoir continuer à te fourguer des solutions.
Ca arrive aux environs de comme ça tellement qu’on dirait c’est le rite, l’habitude, car comme ça se fait toujours pareil jusqu’au décompte du (des) temps. D’abord, il y avant. Je suis plein d’un bruit sourd, très fort car il prend tout de la place, muet aussi car je n’entends goutte du dit polymorphe bruit. Un bruit comme blanc. Un anti bruit peut-être, mais bien gueulard alors. Quand je parle, c’est très vite, ma voix aussi est blanche et je m’entends disséminer de gros rires piaffés à l’autour consterné. Mes membres flottent, ma tête flotte et ce n’est pas léger, ni tiède. Je devrais plutôt dire : ma tête s’éparse.

Ensuite il y a pendant. Mes yeux d’abord, deux lasers épinglés à l’angström de l’épaisseur d’une page. Ma main, la droite en pleine cavale, la gauche porte ce que pèse mon front, devenu un bloc d’argile très chaude. Et puis je suis percé. Mille obus escients cassent la coque, mille voies d’eau, tout le savoir du monde, toute son intelligence, mille rotules du tout au tout. Ce qui rédige sans aucune rature, sans jamais de retour en arrière, c’est tous les articles lus, toutes les radios sérieuses, les tonnes d’encre digérées, les conciliabules, les palabres, les jacasseries, les discussions, les engueulades. Moi je suis ailleurs, dans un puits de musique, dans le vent glaneur maraudant, dans la vague accablée des laits du sable, et je ramène par brassées les bibelots de mes séjours de dedans l’intérieur de vos têtes. Les meilleures notes, c’est vous. Moi, je scripte. C’est tout. Il y a aussi que c’est plutôt agréable ça : je n’existe que si l’idée est mal. Si elle est juste, je fiche très loin son camp.

Enfin, il y a après. L’absent. Le brutal. Celui qui n’a jamais dit : c’est bien, ne le dira jamais. Celui avec qui rien de tout cela n’aurait été possible. Celui qui, s’il m’avait aimé, m’aurait conduit au rang d’élève moyen, de concourant médiocre. Au bonheur en somme. Après donc, il reste la douleur de n’avoir été qu’un imposteur usurpant ses titres et ses médailles auprès d’un jury trop clément, un je quoi, un je brillant et dur.
Lu : Hold'Em Poker for Advanced Players.
:: 03.07.2007 ::
Ça t' va/Ce dos qui descend/Sous l' œil indécent/Des gars qui te gaffent (Léo Ferré)
De vous ce sont mes mains qui parlent le mieux je crois, elles disent : que la paume est assez pour prendre tout et le garder à soi, que la force de mon bras quand il vous plaque à moi se devine à son feu tendre, à sa fibre têtue, que chaque doigt comme un branche lascive que vous entourez et que vous serrez fort, elles disent l’âme de ce quelque chose d’animal quand vous dormez en rond et les lianes, les simples végétales, elles chuchotent aussi que vous frissonnez, que votre peau propose un grain très doux qu’il faut savoir apprendre à lire.

Au sol de mon ressui de pierre et bois, depuis un an l’on peut trouver ce Barthes, « la chambre claire » : au-delà de l’appel nommé du titre seul il y a un développement tout fait d’intelligence à propos du punctum, la piqûre… le détail poignant. Ce qui me point.

Ce qui me point chez vous je l’ignore. C’est au regard. C’est au souffle. C’est ce soulèvement calme de votre poitrine, sa profondeur, sa solide ténacité, ce sont les racines et votre manière étourdie de flanquer par-dessus bord l’inepte et ce qui mange le temps, c’est, encore, votre appétit de moi en homme, en fort des halles si tant est que je sache presque me figer tout à fait, votre lenteur, tout ce silence, voici le point, le centre et le détail, voilà quelques pourquoi de pourquoi depuis l’été d’avant je vous attends.
Lu : Système de la mode
:: 21.05.2007 ::
On ne dit jamais rien de la mer...
Il en va des demandes comme des questions qu’on aimerait n’avoir pas à poser : on attire à soi des réalisations laborieuses et bancales, des réponses incertaines car hors du temps de l’interrogé et puis souvent cette mauvaise grâce de l’artiste qui, parce qu’il aime perfidement soumettre le monde à son pas, ne livre que de l’ancien, du mâché, du livrable et pas de l’inédit. Depuis Louis XIV, je sais bien mon essence divine et quand je voudrais chanter des vers quadriceps l’on exige de moi de la cheville fine, parfois du galbe mollet.

Toutefois je vous aime. Et comme il convient d’en apporter la preuve – l’on retiendra mon mutisme revêche en tant que charge à charge – je m’en vais le coucher ici. Ce sera gravé. Immortel. Vous l’aurez voulu, de mes redites aussi.

Ce qui frappe d’abord, c’est ce point resserré que fait votre œil droit autour de quoi se figent mille volants flottants, autant de formes souples et que je suis seul à voir. L’on vous pourrait croire douce ou bien évanescente, peut-être même distraite. L’on pourrait se laisser aller à se déclarer indispensablement scient, très maître, accroire vous servir comme une source unique de laquelle vous tireriez l’essentiel et le tout, se proclamer en somme : héros, amant, Monsieur-l’homme. Mais vous êtes, et s’il fallait qualifier cela, je dirais : dénouée. Ce peut sembler étrange au regard de votre relatif peu de printemps, pourtant : ni professeur, ni savant, ni chirurgien, ni parents, ni force de l’ordre –j’abrège, l’autorité prend cent noms laids que je m’efforce d’oublier – n’ont raison de votre fronde, moins de vos griffes encore. Dénouée, cela dit libre, vos cheveux, vos seins (que j’aime), vos épaules, ce que vous dites, vos élans de fièvre, votre bouche mouillée de rouge, vos ruades, les corps de glaise que vous avez pétris, les lignes têtues que rarement vous égrenez, votre manière très sûre d’empoigner ce que vous désirez et d’écarter le reste, tout cela traduit plutôt clairement qu’il est moins incertain de vous combler que de promettre. Dénouée, cela dit une chose assez près de la mer, au fond. Une chute c’est jaillir encore. Désespérer c’est sourire de force, et puis sourire vraiment, et puis rire aux éclats. Rien n’est grave. Tout l’est. L’on ne vous amarre pas. Dénouée c’est l’arrogance aussi. Nul chez vous ne plie, ne rompt, vous êtes de cape, d’attaque, d’estoc, le sot qui vous affronte n’a qu’insuffisamment bûché son Cervantès.

De votre corps j’aime tout : la peau, les fesses (terriblement), les mains, l’odeur (plurielle), la gorge, vos conduites alanguies, paresseuses ou pleines d’obéissance, les seins (déshonnêtement), la bouche, les traits et les mimiques, les gestes, vous regarder effrontément ou bien sous cape, vous étourdir de mon poids. Vous, votre corps : vous méritez bien de gémir.

Stoppons là l’entreprise, vous voyez bien que l’on ne vous décrit pas, ni ne vous paraphrase. Je vous aime voilà tout. C’est immense et c’est triste. Immense, vous en êtes d’accord, mais triste vous ne l’entendez pas tandis que, secrètement, comme un blâme cruel, me reviennent chaque jour ces mots venus d’une chanson de Reggiani et qui tirent mes larmes : « elle est jolie, comment peut il encore lui plaire, elle au printemps lui en hiver… un autre que moi demain t’emmènera à Saint Germain prendre le premier café crème… Il suffisait de presque rien, peut être 10 années de moins pour que je dise : je t’aime »
Lu : Champagné-les-Marais
:: 08.03.2007 ::
Faisons donc plutôt le tour du propriétaire...
Dénombrant les espaces que compte la mythique « page blanche », en face de laquelle chaque écrivain, n’est-ce pas, je ne suis pas très étonné d’en apprécier une infinité, environ, et encore me suis-je probablement arrêté un peu avant la moitié. Alors, comme Sully, je me frotte les mains et retrousse les manches, reprends le joug et le licol, laisse errer mon regard en dedans d’un endroit particulier où s’inscrivent les informations relatives au poids, à la couleur, à l’odeur, à un certain magma de son et aux géométries qu’elles soient à angles ou élastiques, il y a des mouvements diffus tantôt rapides tantôt si lents qu’on croirait ceci-cela statique, la respiration des choses, le temps des choses, la voix des choses et quand, pour une raison ou une autre je relève la tête, je constate qu’une quantité variable de signes s’est substituée au blanc de la page et qu’écrire postule mathématiquement que l’infini et rien sont à peu près équivalents pour peu qu’on en retranche l’instant présent.
Lu : André Breton. Quelques aspects de l'écrivain
:: 07.03.2007 ::
J'ai beau être super nombreux à l'intérieur de mon crâne, je ne peux décidement pas endosser la schizophrénie de tous et de toutes.
Après la gentille, c’est la pas très agréable qu’il faut bien lire aussi, il se trouve qu’aujourd’hui j’ai assez de santé à entreprendre la correspondance de Sasha, de Marianne, de Claudie ; je m’y fais bien rosser. On se croise, en général dessous les ciels d’été. En tous cas fait-il doux. Je n’acte pas grand-chose, plutôt je laisse se provoquer quelques collisions dont on peut dire qu’elles ne sont certainement pas de mon fait seul et chacun reprend sa trajectoire, moi rehaussé de la mémoire de la mer (les goémons de nécropole, le fantôme Jersey, les mains qui vous font du flala sous l’anathème), elles dans des trucs beaucoup plus compliqués qui se conjuguent ou se comptabilisent, et je regrette de ne pas regretter. En tous cas puis-je dire ici en forme de prévenance que depuis longtemps déjà je prends soin de ne jamais avoir recours au mensonge.
Lu : Perspective cavalière
:: 06.03.2007 ::
J'aimais déja Breton avant, dont j'abordais la pensée autant que possible. Et puis il y a eu Lili.
Lili repousse son verre d’eau, réclame du vin ce que je suis contraint de refuser avec un peu d’impatience car il me tarde, ma fille, d’aller se nous taper de royales cloches tous les deux en de mirifiques auberges dont je constitue minutieusement la liste et tu pourras compter sur moi je te l’assure, toutes tes questions auront réponse, les parfums, les goûts, les cuissons et les cépages, pareil pour la peinture, la musique, le cinéma, les bouquins, la danse, les voyages, les musées, et puis après tu te débrouilles beauté, parce que ce n’est pas parce que papa reste curieux compulsif que tu n’auras pas à te façonner en dehors de ça. Moi, c’est l’accompagnement au mot « ouverture ». Le reste de ton lexique, il est de ta responsabilité de le constituer, jour après jour la charge te revient de l’enrichir de beau, de libre, de toi.
Lu : Le Revolver à cheveux blancs
:: 05.03.2007 ::
Rien n'indique que nous puissions, demain, entonner sereinement "ça ira, ça ira, ça ira.."
Si je résume, Bayrou est un vrai socialiste de droite, le nabot quant à lui se situe idéologiquement un peu à l’est des strotkistes léninistes (c’est Jospin qui doit fulminer, s’il avait su…), le borgne beurre ses affiches d’une France dont il souhaite qu’elle foute son camp mais à la baille, Royal numérote ses abatis avec pour conclusion que son bureau marketing a misé peut-être un peu léger quant au fait qu’elle soit femme, les écolos s’étripent car eux sont sincères tandis que d’autres…, et je n’évoque ni le cas de Besancenot, ni celui de Laguiller car ceux là m’émeuvent, ce qui est mauvais signe.

A vouloir réhabiliter « la valeur travail » (lavaleurtravail voulais-je dire, comme on l’homologuera sous peu à l’académie française), le contrôle de l’immigration (on croit rêver, ou plutôt, on aimerait), le « besoin naturel et légitime de sécurité des français», la nécessité d’une politique basée sur le pragmatisme et cet impératif que tous les candidats soient bien en poste pour la nouba du 28 avril, on va se la prendre profond de chez profond, et faudra pas dire qu’on savait pas, n’est-ce pas, car nous nous souvenons, bien sûr, excepté peut-être des bienfaits de la guillotine et des potences.
Lu : Le baron d'Holbach et Karl Marx- de l'antichristianisme à un athéisme premier et radical.
:: 04.03.2007 ::
Petit, je me fichais complétement d'être celui qui propulsait son pipi le plus loin
A force de seriner qu’être malade coûte cher, qu’être trop vieux pour usiner coûte cher, que se former coûte cher, que de ne pas se conformer coûte cher et que tout ce qui ne produit pas de bons gras dividendes coûte cher, on voit l’employé s’excuser de dormir (ce qu’il fait de moins en moins d’ailleurs) et nous cultivons nos dépressions plutôt que nos jardins…

A part ça pas grand-chose. Ah si : j’ai peur. De tout. De la guerre, de la famine, de la violence, des autres, du vol, des méchants, de l’avion, de la voiture et de la cigarette, d’être gros, des virus de la quéquette, de l’environnement, de la croissance, de la décroissance, de l’emploi et de sa perte, du stress, de la faim, de la prise d’age, bref, de ce coté là je suis ce qu’on appelle un parfait citoyen et un pas si mauvais démocrate.
Lu : Tout est à nous !
:: 03.03.2007 ::
Finalement, il semble clair qu'un kilo de plumes ne pèse pas du tout même chose que mille grammes de plomb.
Fabuleusement inconséquent, je suis un vrai sale pur petit con et je me fous de tout, la vie des autres ne me concerne plus, je tente de m’en sortir et c’est déjà pas mal, j’en ai fini des prêches et de ma si précieuse éthique moralement chiantissime, je me situe dans l’allant carpé diem ambiant sans l’ombre d’un remord et je croque là dedans comme dans une pâtisserie délicieuse tout en ne considérant en aucun cas ni contrecoups, ni corollaires ni séquelles, le futur ne m’intéresse pas du tout, j’habille le tout de cette déclaration d’indépendance pour ne pas carrément dire d’intention : « ce n’est pas mon problème » et je préfère sembler mesquin que torturé, en somme ce n’est qu’un peu d’humilité et de clairvoyance que de décider de n’être pas épaules du monde et puis j’étais épuisé, et triste, et imbécile d’une autre manière quoique sans doute moins coûteuse, je bouffe, bois et baise tout en ruminant que ce qui est pris n’est plus à prendre, bref c’est la mémoire que je veux araser, pour ça je vais jusqu’à la sévère cuite, mais rien n’y fait : je me réveille avec les sterno-cleido-mastoïdiens complètement perclus et il semble que, quoique je veuille, je suis tout de même enclin à génériquement me prendre la tête.
Lu : De quelques choses vues la nuit
:: 02.03.2007 ::
Sans la puissance, la maîtrise n'est rien (Niark).
Cette manière de réponse immédiate et ce grondement terrible, cette hallucinante assise quoique je décide, l’impeccable mordant qu’on distingue comme filés d’aciers l’un à l’autre joints, tant de finesse et tant de force, tant de certitude et tant de caractère, c'est prolongement et nous nous fondons à l'autour, nous c'est un missile lancé et plus rien qui soit obstacle, je contourne, entre et sors en un orage multidimensionné, virevolte, prends de l’angle, relance, tempère, bouffe de l’asphalte à la vitesse d’un grand V au galop, considère en une fraction d’autres usagers et les oublie plus vite encore, ma respiration se fait intensément tranquille, mon corps se place au nanomètre, mon regard est une centrale analytique au service de mes mains (à moins que ce ne soit l’inverse), j’avais arrêté ça sept ans, presque huit, ce que je décrète à cet instant, c’est qu’aucune femme ne saura plus jamais me faire me priver de moto.
Lu : Moments of Being
:: 01.03.2007 ::
Votre nom, je ne le dirai pas. Car il est tout à fait impossible que l'on vous prenne pour une autre.
Elle et moi c’est sûr, sommes aériens et ne connaissons pas d’urgence (un vrai mot à la con celui-là, en tous cas dans un certain emploi), nous prenons un temps infini pour le silence, pour les caresses parfois, pour les regards qui traînent mais presque vides car nous logeons dans nos solitudes pensives ou bien contemplatives et que nos mains rarement s’effleurent ou que nos mots à peine se choquent ne revient pas à statuer sur une quelconque indifférence. Nous nous aimons je crois. Et pourrions nous passer l’un de l’autre, comme de tout et de tous d’ailleurs, mais peut-être pas de toutes.

Il y a aussi le temps de la photographie, des portraits, des poses et des éclairages que nous agréons pour peu qu’ils soient subreptices (j’y reviendrai). Si mon œil fonctionne mal depuis assez longtemps je peux toutefois user du sien, précis. Et elle de ma confiance. Encore une fois, nous disposons de toutes ces heures, et de celles qui viennent. De l’écriture du temps par delà la lumière.

J’y reviens, donc. Ce qui nous agrége avant le reste, c’est, je crois, le plaisir d’être pervers. Quelle meilleure preuve de ce trait de caractère que d’en crâner et de s’en satisfaire ? Voilà les intellectuels, et les déchus, voilà les âmes éloignées d’elles et les enfants perdus. Peut-être est-ce compenser, toujours est-il que nous jubilons de faire se joindre nos égarements, nos desseins obscurs, notre incontestable prépotence qui nous autorise à décider de nos proies avant qu’elles ne deviennent nos jouets. Nous sommes deux chats. Comme les livres, comme la mémoire, nous avons plusieurs vies.
Lu : Victorian Photographs of Famous Men and Fair Women
:: 28.02.2007 ::
Prenez très tôt consicence de votre beauté, car l'on regrette vite que cela soit (déja) passé.
Non, non, non, c’est décidé, je ne ressemblerai jamais à ces vieux machins tout gris, ils me font peur, leur peau est laide, ils sont froissés, empâtés, nullement pareils à moi ni à ce à quoi je veux sembler plus tard.

Moi, depuis peu, je suis beau comme une rock star, et j’ai pas bossé quarante ans comme un possédé pour gagner cette gueule là et que ça dure dix ans, faut pas déconner non plus.

Après tout, Bowie s’est fait lifter. Alors soit j’ai la tronche à Beckett, comme prévu, soit j’irai me faire refaire sur le meilleur billard à Genève ou à Gstaad, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est hors de question que je me laisse aller à endosser des traits qui ne diraient plus rien de moi.
Lu : Vers inspirés par la vue du crâne de Schiller
:: 27.02.2007 ::
J'aurais bien aimé être un type parfait. Ca aurait été plus facile je pense.
C’est Zoé (ma cousine, et profitez que ce n’est pas la votre pour la croquer, veinards que vous êtes) qui m’écrit ça ou plutôt me questionne : elle entend bien l’intérêt de la poésie, de la douceur et des fragments de l’amabilité amoureuse que je dispense ici, mais pas la haine, pas les cris, pas la violence, pas que je m’égosille ni ne stridule.

« …haïr me déplait, haïr m’énerve, mépriser m'empêche d'apprendre et de comprendre… » dit-elle, alors pourquoi je ?

Si tu savais, Zoé, combien je suis distant de ça, la poésie, la douceur, l’amabilité amoureuse… ça a été tant de travail, c’est encore tellement d’efforts, c’est contraindre ma nature et tous les bleus à l’âme, c’est oublier les sarcasmes, les blessures et les coups, c’est taire qu’on a disposé de moi et de ce qui aurait du rester comme confiant, naïf, vierge, putain, il en a fallu de la force et de la stature, il en a fallu des gros biceps et des épaules pour se tirer de ça, la mesquinerie, l’arnaque perpétuelle aux sentiments, l’emploi de la terreur et de la trahison, tous ces mensonges dont on m’a bercé, gavé, comme une oie en vue de se nourrir de moi, de ma créance et de mes yeux si clairs, les offenses subies, la négation de ma dignité, pire, de mon intégrité, et je sais bien qu’il y a tout autour des enfances plus terribles encore. En attendant, j’attends de voir quels adultes ça façonne et quelle violence ils écument.

Haïr me déplait aussi. J’y perds mon temps, ma jeunesse, et ma musique. Mais cela m’est nécessaire, comme un silice que je tiendrais serré, clous en dedans, contre la peau. Pour ne pas oublier, pas une seule fois, pas une seconde, que par intelligence, sagesse, logique, parce que c’est la seule réussite, qu’aimer, être doux, poétiser tout ce merdier est la croix ou l’étendard que je porte à bout de bras et que même si parfois la pente est raide, je n’en lâcherai pas l’ombre d’un pouce, et ça jusqu’à la mort.
Lu : Oh les beaux jours
:: 26.02.2007 ::
Artiste, j'avais choisi ça au départ pour la galerie. Comme d'autres pompier, ou bien docteur. Parce qu'enfant, l'on s'imagine toujours comme un futur notable.
C’est dingue ça, les fidèles qui reviennent ici après tant de silence, qui écrivent et commentent et cela vous semblera peut-être excessivement chochotte ou faussement modeste que je m’avoue touché au cœur, pourtant…

Je vois bien que le blog d’os ce n’est pas tout à fait rien, qu’il y avait une attente, un certain plaisir, sûrement de l’agacement aussi.

Je l’assure, je n’avais pris aucune décision quant à recommencer, ou non. Je n’attendais pas non plus, ni ne me questionnais. L’écriture de moi semblait impossible non pas en raison de sa dureté ou de la tristesse qu’elle aurait immanquablement véhiculée mais plutôt que j’étais moins à même, longtemps, de m’éviter le bruit ambiant, le tumulte, le vacarme. C’était éparpillement. Mots pas à moi. Pas mienne musique. Rythmique dehors de mes poumons personnels et privés. Une imposture de plus de la pensée construite en briques de savoir : elle n’est plus la pensée, mais un amalgame poreux, un matériau empli de bulles anémiant sa structure même et s’affaissant dès qu’arrivée au seuil critique (c'est-à-dire assez vite).

Or, la pensée est ce qui vous secoure ou vous palie quand, par raison de peur ou de douleur trop forte, vous taisez la part sensible. La "part" / "sensible" ? Il faudra bien que j’arrête un jour d’associer ces deux mots, part, et sensible. Et que j’énonce en virulent postulat que le mot « sens » – comme le mot « rets » ou cet autre « viscères » - ne s’utilise qu’au nombre pluriel.
Lu : Dante... Bruno. Vico... Joyce
:: 25.02.2007 ::
Si je devais recommencer ma vie, je la mènerais à l'identique. Sauf pour les enfants : j'en ferais des dizaines.
Lili que j’aime à l’infini, chaque seconde, chaque œillade, chaque question, tes intonations ma belle, tes mimiques joliment joyeuses, expressives, hilarantes, touchantes, tes gestes rapides et ton bidon bien rond, cette habitude de sauter la dernière marche, le fait que tu me donnes la main confiante pour mieux la reprendre, confiante, que tu dises tout, que tu résistes, que tu joues à tout et que tu lises, ta gravité, ta légèreté, tout ce que tu pèses dans mes bras quand la fatigue ou la paresse sont là, tes réveils (Papa ? Je suis cachée !) et tes siestes longues, les heures que nous passons à rigoler, à chanter, à construire des maisons que nous fichons en l’air en mille épars, tant pis pour le salon, la petite musique de Mozart que tu fredonnes, tes danses en même temps que les nains de blanche neige avec les bras en l’air en vagues fusées, les loups, les dragons et les petits poussins, les bisous que tu déclines et les que tu réclames, ton indépendance effrénée et ton retour à la tendresse, tout toi, tout de toi, je t’aime comme un père, un père comblé, un père qui sait maintenant ce qu’est d’aimer, d’aimer follement, d’aimer à l’infini.
Lu : La grandeur de Bach.
:: 24.02.2007 ::
Etre homme est le travail d'une vie entière, et c'est quand l'on commence à l'être vraiment que l'on ne le peut plus comme il faudrait.
Ainsi vous demandez clairement qu’on soit puissant, presque frustre, que l’on ne vous considère pas trop galamment, que l’on ne perde de temps ni en cour, ni en aubades et qu’on vous satisfasse en pleins tout autant qu'en déliés. Bien sûr que je vous pétrirai et vous empoignerai, vous gaulerai jusqu’à chavire et plus de souffle, que je vais rompre votre équilibre et votre lien au monde, comptez sur moi : s’il m’est arrivé, jadis, de finasser et de ne pas remplir mon rôle mâle, j’ai gagné au long de ces dernières années une sorte d’assurance et de solidité propres à contenter vos élans même indociles.

Je ferai de mon mieux, j’en fais le serment. Sans certitude d’être à l’égal de celui de vos chimères mais avec une infinie tendresse que vous prendrez vous comme un empressement sauvage et âpre, car ces choses là vous appartiennent avant que de dépendre de quiconque.
Lu : Dans le scriptorium
:: 23.02.2007 ::
La carte d'identité, c'est plutôt rigolo comme idée. Rigolo, et complétement con aussi. Où avez-vous vu que "je" n'était qu'un seul ?
Les pas lentement lourds, les pardessus et vestes d’étoffes raides, austères et sans relief, du gris, du noir, nos gueules d’enterrement et la journée même s’y met avec ce soleil dur et le bleu froid de février, ce n’est pas l’œil de Fred, pas ses couleurs, pas son froissé et pas ses plis.

Quand même il y a les voix juives des psaumes psalmodiés depuis la barbe des rabbins et puis des gens qui pleurent. Loulou (Florent) semble s’en taper comme de l’an quarante, il s’effondrera plus tard, au moment des poignées de terre jetées par-dessus le trou, le bois, le corps de sa mère. Les morts sont si petits dans ces boites et je me demande comment l’on peut compter tant de place dans tant de vies quand une fois à la tombe l’on vous range avec une telle économie.

Pas de fleurs. Ici l’on n’en dépose pas. Et pourtant sont venues quelques unes de mes jolies cousines. Un pot. On se torche et l’on parle un peu. A l’intérieur de moi c’est atone, ça vient avec retard, tout est coton même la peine. Est-ce que je n’arrive plus à rien d’autre qu’à de tout me foutre ? Et puis je réalise : ce que je suis, c’est tous ces gens, mes oncles, mes cousins, mes amis, ma marraine, mon père aussi, toute cette chaleur et puis les habitudes. Un à uns ils partent, un à un ils vont faire les petits dans des petites boites sous la terre, à chaque fois ils s’en vont emmenant un essentiel fragment de moi.
Lu : Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister
:: 22.02.2007 ::
Time is a cigarette (David Bowie)
Deux semaines auparavant sa hanche s’était brisée de ce qu’elle avait éternué avec trop d’insistance, ses cheveux elle les pleurait depuis longtemps et c’est la dernière chose dite, un peu inquiète : si elle prenait encore ce truc… perdrait-elle ses cheveux ? Y avait il le numéro d’un coiffeur indiqué sur la porte de sa chambre ?

Défoncée, complètement défoncée, le regard en dedans d’un monde un peu flottant, un peu diffus et les os pourris par le crabe, et le corps de l’épaisseur d’un parchemin, la même couleur aussi, et les poumons gorgés de mort, et cette lutte jusqu’au dernier moment : je n’ai jamais su si la force c’était ça, de couper court à sa peur et d’écarter tout le sensible pour tenir droit le plus longtemps possible, ou alors, était-ce une forme de faiblesse déterminée ? Ne pas voir qu’on va mourir, c‘est peut-être ne pas mourir, ou alors le plus tard possible.

Voilà mon frère seul, une fois encore mordu jusqu’au sang de l’existence, mon petit frère qui morfle à tour de bras… et son fils, Florent, sans maman. Une femme de plus. Encore une femme, et du cancer, encore.

Je fais une sorte de collection de morts, une ribambelle, un chapelet, j’enterre 15 fois par an et à chaque c’est un peu de plomb sur les épaules, un peu les coins de la bouche qui s’affaissent, cela use et corrode. Vieillir, c’est ça : les chagrins d’amour, et les morts. Sans quoi j’aurais encore seize ans et l’on verrait ce qu’on verrait bordel de merde.
Lu : L'arrache-cœur
:: 21.02.2007 ::
Si vous êtes comme ça, téléphonez-moi. (Jacques Dutronc)
Vous m’écrivez ce mail de quelques mots et de très peu de lignes mais chaque et chacune sonnent si juste et je me demande bien qui vous pouvez être et de quel talent étrange vous êtes dotée, qui vous fait voir à travers l’image et sans trop prêter aux sons, aux mots…

Je continue (on a les manies qu’on peut, les tics de raisonnement, les couloirs de pensée) à conforter cette théorie du corps, celle du corps simple, celle qui voudrait que nos sens nous amènent à l’essentiel et à l’essence, que tout le reste n’est que brouillage et bruits confus, qu’une fois débarrassé de la pensée, du langage et des vérités assénées sans trêve l’on dispose d’une minuscule chance d’être enfin, c'est-à-dire non pas d’exister s’égosillant et défendant sa place, mais plutôt d’aimer ou de haïr, c'est-à-dire d’aimer.
Lu : Dernières nouvelles de l'homme
:: 20.02.2007 ::
La vitesse comme à l'époque où il fallait fuir les prédateurs, reste la preuve qu'on crève de trouille et que, dès lors, l'on se soustrait du monde.
Et puis je me décide à ouvrir les vannes, à parler, à dire, à témoigner, et c’est je crois cohérent dans le sens de mon statut de père car après tout le sens des responsabilités et l’éducation puisent de ça, dire, communiquer, informer.

Par exemple la scientologie, vingt quatre ans de silence, vingt quatre ans pris à me construire en dehors de cette horreur et de cette négation, car il faut bien naître, et qu’une fois né il faut vivre. Je dis il faut. Peut-être que non, mais dans ce cas, il faut aussi fermer sa gueule. Sans doute est-ce mon inclinaison pour la philosophie, même si je n’y comprends goutte, qui me mène à ça : vivre, c’est dire. Ecrire. Prendre part.

Et puis remettre en cause, tout, rester curieux, n’avoir aucune certitude, en tous cas définitive.

Ainsi, l’on verrait comme contradictions mes participations nombreuses et récentes aux émissions de télévision car j’ai sévèrement jugé par le passé cette chose là, la télévision, à juste titre d’ailleurs. Peut-être, encore faut-il, pour s’en faire une idée juste, réinvestir chaque sphère, chaque concept : les choses évoluent, notre regard aussi. Et puis prendre ensuite le temps de se laisser empreindre, se dispenser de toute hâte. Voilà : être là, être lent. Ainsi l’on évite peut-être la destination inévitable, sinon, que représente de finir comme un vieux con.
Lu : La chaîne
:: 19.02.2007 ::
Lamborghini, Ducati, rimes riches du mot vie
On sait bien que je ne donne pas avec insistance dans la promotion des marques, que je m’inquiète comme beaucoup d’une écologie vacillante, que je ne concoure pas davantage à encourager la frénésie de consommation qui semble parfois être le dernier ressort d’une humanité occidentale un peu à court de poésie, de nostalgie ou de mélancolie, aussi l’on ne me fera pas procès (j’espère) de l’affirmation suivante :

« L’homo pilotus trouvera son entier accomplissement à travers les marques italiennes, et à travers celles-là, seulement. Lamborghini is good for you. Et ma récente Ducati supersport est une pure machine à fabriquer du sourire béat et du corps en mouvement, de la vie quoi, de la vie heureuse. »
Lu : Oman: Une démocratie islamique millénaire (1500-1970)
:: 18.02.2007 ::
Same player shoot again. And it's not so fun to compete.
Ce à quoi l’on assiste, c’est à cette progression en quinconce des idées (non), des valeurs (non), du boniment des libéraux, ça gagne sensiblement du terrain jour après jour, ça glorifie le travail, l’effort et la performance, ça flatte les turgescences entrepreneuriales et toutes ces conneries relatives à la croissance et au profit, ça bâtit des programmes complètement vides de sens mais pleins de chiffres et de pourcentages et c’est à peine si l’on ose encore prononcer « éducation » ou « service public » du bout des lèvres à condition de s’en justifier dare-dare et à reculons, et t’en vois plus un seul pour vraiment balancer ses quatre vérités à l’autre nazillon tripoteur de louches outre-atlantique tout perché sur ses ergots de redresseur d’ordre et suceur de trafiquants d’armes… ça vient même déplorer à la lucarne que son parrain d’obédience (le borgne breton) ne trouve pas ses signatures plutôt que de nous le foutre en taule.

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ce pays là ? Cette république merdeuse ? Ces intellectuels vérolés ? Cette gauche mièvrement insignifiante écopant par désoeuvrement plus que par conviction une barque déjà crevée de toute part ? Les débats – se souvient-on seulement du sens de ce mot partageant une racine avec celui là : « ébat », et cet autre : « combat » ? – la presse, les infos, les discussions de bistrot, les arguments : un long cauchemar duquel je crains ne plus jamais me réveiller.

Et qu’on ne vienne surtout pas me dire que c’est la faute à Royal. Sans les caciques énucléés l’entourant, elle aurait été peut-être la meilleure d’entre nous. Seulement, faut croire que faire entendre sa voix ici bas, c‘est avant tout fermer sa gueule.
Lu : Histoire de la gauche caviar
:: 17.02.2007 ::
La seule chose sur laquelle il ne faut jamais transiger ou reculer : le droit à l'intériorité... Ecoutez couler le temps. (Olivier Revault d'Allonnes)
Par le truchement d’une babiole moderne et donc super compacte la musique nous arrive (nous choppe, nous retourne, nous fume dirais-je). Les textes plutôt. Ce que nous avons perdu de la stéréophonie en partageant les écouteurs, nous le gagnons d’une autre manière je crois : nous sommes deux (ensemble) la tripe étreinte, les poings blanchis, ce quelque chose tant électriquement crispé, colérique, pas si distant d’une certaine qualité de pleurs.

Ma play-list, toujours la même. Ainsi je teste celles de mes fréquentations qui dureront dans le temps, et ça fait pas bézef au plan du nombre, en revanche : les rares reçus sont titulaires à vie. Je vois son insensé regard d’agate verte se pelliculer à cette phrase : « je ne sais pas pourquoi la nature met tant d’entêtement biologique à faire que les fils ressemblent à ce point à leurs pères », je vois ses poumons chercher l’air à celle là : « si nous ne mangions pas les vaches, les moutons et le reste, nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni le reste », elle serre les dents à « que les assis dans les velours glacés, soumis, molasses, que ces horribles magasins roulants portant tout en devanture » elle ose un sourire au moment d’ « antisocial, tu perds ton sang froid », hoche la tête pour « you gotta fight for your right to party ».

J’ai depuis peu ajouté ma France à moi. Celui-là, à peu de choses près, j’aurais du l’écrire. Il y a aussi respire, suffragette city, welcome to the machine, scary monsters, Bela lugosi’s dead, she’s in party, Hey, quelques autres encore. C’est son corps, seulement son corps secoué de musique et de vers qui me renseigne quant à nos compatibilités potentielles.

Après quelques heures de voyage épaule contre épaule et morceaux se succédant sans pause, nous savons elle et moi que nous pouvons faire l'économie des rites de séduction l'un à l'endroit de l'autre : sans mot dire, il est plus qu'évident que nous nous comprendrons.
Lu : Musiques - variations sur la pensée juive
:: 16.02.2007 ::
Un homme averti mais sans mémoire et sans intégrité en vaut deux. Deux salopards.
Comme les coureurs de fond je suis parti trop tôt et je m’essouffle, je n’y comprends plus rien, et puis je hais les gens, ce pays, toi, vous, moi, les autres, toutes ces odeurs de merde qui gluent à la babine, toute cette mollesse qui vend son âme à heure fixe et rentre au logis (maréchal), ensuite, maugréant vaguement car on l’empêche d’en vendre davantage et plus vite. Il me semble avoir sous-estimé le syndrome de Stockholm ou encore ce commandement de curé qui veut qu'on tende la seconde joue quand la première n’est plus baffable.

Comprenez bien tout de même que l’écart se creuse, qu’il se creusera encore. Plus ce pays se peuple d’imbéciles, plus nous prenons de l’altitude. C’est mécanique. Et ce n’est pas notre faute.

Je crois bien que rendu à un certain point et si tant est que l’on se prétende humaniste, l’attitude la plus cohérente est de vous haïr, vous tous. Les autres, les comme moi, les à cœur, à mémoire et à cohérence seront vos dommages collatéraux et je devine que ce n’est pas, dans l’immédiat, votre soucis le plus essentiel.
Lu : L'invention du big bang
:: 15.02.2007 ::
A l'encyclopédie les mots ! Un baillon sur la tronche ! (Léo Ferré)
Longtemps l’on vit aux cotés de mots auxquels l’on reste indifférent, voire qui nous gênent, celui-là est de ceux-là qui m’apparaissait comme inaudible à vingt ans, à trente encore, tant il disait la turpitude plaquée sans considération de l’autre, tant les mâles l’avaient plein la bouche comme chose méprisante aveugle et sourde, tant il ne disait rien du sensible ou de l’espérance sinon feinte : un mot salement avide et sans écho.

Plus tard je commençai à l’utiliser mais toujours dans l’accord de ma partenaire, à condition qu’il lui plaise et toutefois du bout des lèvres, jamais plus fort qu’un souffle, uniquement rimant à des circonstances très particulières et ayant parfois peur de faire mal ou de mal faire. Toutefois, bien dit, au bon moment et si j’évitai la brutalité, j’en pouvais tirer quelqu’obligeants plaisirs.

Pourtant, si l’on y songe « salope » communément admis comme vulgairement sexiste est à l’inverse de ça. Comment ! Vous n’auriez pas, madame, le droit d’aimer légèrement, dans l’abandon, le bouillonnement ? Vous n’auriez pas droit à cet assez délié pour que votre corps, votre sang, votre peau vivent un accomplissement heureux, assumé, librement apprécié sans arrière-bétise ? Et qui veut vous brider ? Madame, sachez qu’être salope est non seulement votre plus strict droit mais aussi une manière sûre de déclarer que vous vous appartenez, au moment et à l’endroit qui vous conviennent ou vous comblent. Et la preuve qu’en rien ce terme ne peut être entendu de péjorative manière est qu’il, jusqu’à aujourd’hui du moins, reste sans l’once d’une équivalence qui se rapporterait à l’accablante espèce des dotés de phallus.
Lu : Après la pluie
:: 14.02.2007 ::
L'année dernière, je me rendais enfin ce compte : vivre c'est ne faire aucune concession, rester dans l'excès de sa révolte, de sa colère, de son désir. Vivre, définitivement, ne s'accorde pas aux conduites pastels.
Incontestablement celui là de 14 février en est un fameux, le meilleur sans doutes. N’en ayant aucune en particulier je les ai donc toutes, je visse à leur regard l’empli du désir immense et tendre des hommes qui aiment vraiment les femmes, par-dessus l’épaule de Jossia qui m’accompagne je me charge du ballet tout en glisse des effrontées, des amoureuses, des ingénues et des indifférentes, des filles qui aiment les filles, de celles qui s’en foutent pas mal, ça tangue et chaloupe dans le désordre le plus aimable, c’est bruyant, coloré, complètement féminin dans cette acceptation totale du moment et de la fête, dans ce bar à tendances où elle m’a emmené (à moins que cela ne soit le contraire) elles sont en majorité écrasante et je suis bien, comme dans mon élément, je drague à tue-tête à défaut d’à tête-bêche en n’ayant aucune chance d’aboutir et c’est ça que j’aime je crois : dire mon amour, ma tendresse, combien je suis touché et que ça, tout ça, soit parfaitement gratuit.
Lu : Antonin Artaud, 1896-1948
:: 13.02.2007 ::
Parfois je voudrais que ma vie soit aussi joliment stupide qu’une chanson de variété.
Je fais ce beau cadeau de partir alors qu’on m’aime encore, et je dis qu’en tant que bientôt vieux monsieur j’ai appris l’indéniable élégance de ce geste : ainsi je resterai un souvenir brûlant et l’on regrettera la douceur de mes mains ce qui est tout de même bien plus sympathique que d’attendre de me détester en se demandant, vraiment, qu’est ce que je fous avec ce type ?
Lu : La mécanique des femmes
:: 12.02.2007 ::
J’ai un mal fou à différencier l’état d’être nuancé et celui d’être lâche.
Les débuts du cinéma c’est Méliès et les frères Lumières et ce n’est peut-être pas pour rien, ce film « le train entrant en gare de la Ciotat » où nous sommes assis en posture de nous faire écrabouiller, comme un présage. L’image c’est ça, qui nous apprend que nous n’avons pas à quitter nos sièges ni à nous jeter de coté alors que mille tonnes de fontes bouillantes nous fondent en plein dessus : il suffira d’éteindre le projecteur et nous serons intègres, physiquement au moins.

A moins que ce ne soit les idées, la rationalité qui font de nous des joueurs misant telle ou telle hypothèse comme si elles présentaient un intérêt théorique égal ou une amusante issue de casse-tête. Nous testons, c’est si drôle, et puis… on verra bien.

Sauf que j’en veux sérieusement à les ceusses qui vont hypothéquer partie de l’existence de ma Lili. Encore moi, j’ai lu Sweig et Kafka, je sais comment cela se termine. Mais elle ! A 28 mois, a-t-elle mérité ces échéances là ? Et tous nos mômes, ceux du siècle, ceux de tous les siècles ? Bref. Tout ça pour dire que je ne suis pas décontracté du tout concernant les échéances à venir. On l’aura gueulé sur les toits. Les gens rigolent. Sûrement ont-ils oublié l’émerveillement d’être parents. Les chemises brunes sont cols roulés aujourd’hui. J’ai beau dire partout que je m’en fiche, que je suis au dessus de cela, la vérité c’est que je fouette, et pas qu’un peu.
Lu : Lutte avec les démons
:: 11.02.2007 ::
Le monde ! Tout le poids ! Toute la charge ! L’attente du monde, l’espoir du monde, l’histoire du monde ! Toutes les fenêtres battues, cassées, ouvertes, éclairées du monde ! Et les larmes, les colères, les rires, l’amour : des manières d’échos.
De l’aphasie d’Olivier (amnésix) je pleure un peu, ce sont de drôles de petits sanglots qui bousculent le nerf sympathique et vrillent l’estomac, je ne peux m’empêcher de me poser pour moi-même la détestable question de l’immanence ou du complot (comme si tout cela était tendu de causalité, c’est absurde, je me hais) car voilà l’éloquence frappée en son sein : si l’on mourrait par le glaive, où diantre serais-je percé, moi-même ?

La lente balade d’O (kinjiki) prolonge quelque chose de moi jeté par-dessus les toits, au-delà et dedans la vie simple, la vie là et tranquille, je la suivais au Luco ou bien dans le désert Paris, maintenant c’est le Japon ou carrément ailleurs mais peu importe : c’est le derme monde, celui de la pluie, du froid, du vent, celui des odeurs et couleurs, celui de l’âge des choses mais non figé, le monde temps, le monde tant.

Je lis très distraitement quelques dizaines de blogs. Ca n’a aucun sens. Tant mieux. Ca gueule pas des masses. Tant pis.

Finalement c’est assez intéressant ce constat qu’on parle plus qu’on n’écoute, y compris sur la toile, même sans beaucoup à dire et sans beaucoup savoir, même sans style très sûr et sans orthographe : je n’aurais pas mieux souhaité. Et les agrégatifs messieurs du business (peut-on couper les couilles de Loic Le Meur avant que je ne m’en charge moi-même ?) en sont globalement pour leurs frais : on ne peut pas asséner vendre, revendre, rerevendre avec toute la petite cohorte de concurrence avide d’en vendre mieux sans inculquer en même temps un certain goût de l’infidélité cliente… que donc gagnent les meilleurs, car les meilleurs ont ceci de merveilleux qu’ils ne durent jamais longtemps.

Je n’ai donc pas beaucoup changé. J’aime la poésie, particulièrement si elle ne dit rien et tout le reste m’énerve. Sensible, super, hyper. Je suis une sorte de bain chimique à la date de péremption complètement dépassée, et c’est bien comme ça, j’ai toujours cultivé une certaine affection à l’endroit des couleurs de l’outrance.
Lu : L'algèbre arabe, génèse d'un art
:: 10.02.2007 ::
Encore ! (Citation anonyme)
Mes rêves depuis vous sont nourris de frôlements tendres et puis de chuchotements, il y a votre voix basse à l'oreille disant tout, ou plutôt ne disant que choses capitales, capiteuses aussi, il y a le fauve de vos yeux comme des pierres du désert, mais des pierres d'eau, légères, curieusement mêlées de brun, et douces, il y a cette minuscule étoile fichée à la narine qui enlève mon regard comme une perle de Vermeer, vous êtes si belle, tellement fille des sables, tellement femme des dunes nimbées pourpres et incroyables lumières, vous tremblez, vos mains font et défont comme une lettre de ce papier cristal, je suis bien et si j'ai l'air de vous brûler -trop intenses questions, trop présente attention- ce n'est que pour vous promettre mon absolue douceur, que je suis là, que si je vous attends c'est avec toute la patience que procure la certitude d'une rencontre décisive, que nous n'allons pas nous perdre, que le temps importe peu quand le cœur sans équivoques sait.
Lu : Du rouge au gynécée
:: 09.02.2007 ::
On croit savoir pourquoi l’on fait les choses et bien sûr, l’on se trompe. Peu importe. Ce ne sont pas les raisons ni le pourquoi qui comptent, mais que ces choses soient faites.
Parce que l’écriture d’un roman est une gymnastique singulière et qu’il est si difficile d’éviter les tours de façon, la marque de fabrique et les voix répétées. Parce qu’un texte court permet bien mieux d’attiser la colère ou les larmes et qu’il est plus proche du silence. Parce qu’obsédé par la mort, je suis obsédé par la trace. Parce que je sais bien qu’un jour l’on voudra des clés et que je préfère les voir cherchées dans un journal, si peu intime soit-il, que dans mes frasques ou mes petites manies. Parce que j’en ai fini de me laisser glisser et qu’il est temps de trouver à nouveau le bonheur d’une certaine intégrité, d’une certaine discipline. Parce que j’aime inventer la mémoire, moi qui en suis si grandement dépourvu. Parce que devenu père, je sais combien l’on souffre inévitablement de tout ce que l’on n’entendra jamais de ses propres parents : ici Lili obtiendra quelques pistes. Parce qu’en moi dissonent, folâtrent, psalmodient, roucoulent, murmurent ou vocifèrent les voix d’une polyphonie splendide et tragiquement banale que je ne veux pas taire. Parce que je veux tenir ma place. Parce qu’après l’amour il me reste encore quantité de forces. Parce que je vous aime et que j’exige que ça se sache. Voilà quelques unes des raisons, en tous cas de surface, pour lesquelles je reprends ce journal.
Lu : Virginia Woolf: Lesbian Readings
:: 08.02.2007 ::
Probablement nous répétons-nous sans cesse les plus gros mensonges afin de pallier à la trop pointue transparence du réel.
On entend souvent ça, qu’écrire aurait une vertu thérapeutique, qu’écrire serait comme se soigner des offenses, des échardes, que ce faisant l’on pourrait cautériser souffrances et maux par le truchement d’une remise en lumière de ce qui se serait tapi dans l’ignorance ou l’inconscient.

Ceux qui soutiennent ça n’écrivent pas. Au mieux, ils se racontent ou bien se content.

Ecrire ne se fait dans aucun temps ou l’éternel (ce qui est identique), cela fusionne la dolence des choses alentour, cette table, cette odeur, la lumière à l’instant et les couleurs, le poids du corps et son immédiate texture et puis le grain sous les doigts, le goût de la bouche, la température du sang battant la veine, les incomplétudes quotidiennes qui restent fichées quelque part en autant de pièces de soi manquantes. Ecrire ne charrie pas vers je quoique ce soit qui appartiendrait au passé mais l’érige, l’invente complètement dans la couleur, dans l’air et l’eau de maintenant. Il faut dire aussi des faits qu’ils sont les seules choses que la mémoire puisse prétendre à retranscrire, et encore, si l’on accepte les intervalles écrasés, les voies d’une logique intégralement décrite à la fin du fait et non dans son déroulement et que ces faits ne servent en rien l’écriture, souvent même l’empèsent ou bien la lestent.

On ne guérit pas par l’écriture, elle nous blesse ou forme une carapace préventive pour les fois d’après qui, bien sûr, n’adviennent jamais, puisque nous avons écrit. Elle se tisse là, maintenant, elle prépare là et maintenant d’un peu plus tard et ce maintenant, ce là vaudraient vérité d’évangile que si l’on arrêtait d’écrire…
Lu : Tandis que j'agonise
:: 07.02.2007 ::
Comme les chats, la mémoire et les livres, nous avons plusieurs vies.

Un os à ronger reprend.

A peu, voilà deux ans. L’on peut dire depuis ce certain 14 février 2005 que Maud choisissait pour me quitter, Lili sous le bras. Deux ans de silence, sans l’écriture de ce journal, sans réel amour aux femmes ni à quiconque excepté celui, neuf, inédit, inconnu, qui me lie à ma fille.

Lili : le prénom de ma fille. Elle a deux ans et quatre mois. Un condensé d’ivresses, d’appétits, d’égards, de tendresses, de joliesse, d’élégance. Je l’aurais préférée ni trop jolie, ni trop intelligente et c’est raté sur les deux tableaux. Il lui faudra donc lutter, apprendre, progresser, il lui faudra se défaire des pièges et des facilités, travailler dur à gagner l’humanité véritable inévitablement masquée par la séduction de l’existence qui s’adresse aux mieux dotés. En attendant, j’en suis littéralement dingue, les heures passées ensembles sont celles du fou rire, de l’amour, des histoires, de l’enlèvement de soi vers le plus haut, vers le plus beau. Les plus belles heures de ma vie, je le dis sans manière et puis sans mièvrerie.

Les femmes : à défaut d’être assez courageux pour les aimer tout à fait –ou n’en aimer qu’une mieux encore – j’offre quelques idées, et puis mon corps. Je leur parle beaucoup. J’ai appris à les écouter, et apprendrai encore. J’essaie d’être un amant généreux, solide. Un homme fort et doux, un homme aux mains habiles, aux baisers sensibles, à l’allant robuste. Je n’ai jamais autant séduit qu’en ce moment et me refuse souvent. Rien ne s’inscrit dans la durée ou la continuité, j’ai l’impression de n’être pas tout à fait moi, comme éclopé. L’année dernière encore j’en pleurais. A présent, je prends mon mal en patience. On n’oublie pas ses morts, ni ses chagrins d’amour, ni la souffrance liée à ça. Je n’oublie pas, mais je veux vivre.

L’écriture : j’en vis, et bien encore. Deux romans sont en route, un recueil de textes dans une très belle maison à paraître, il semble que de vieux démons soient en passe de rendre gorge. Je m’interroge moins quant à la finalité, à l’intégrité de mon travail. Après tout, ils en veulent, ils en ont. Tout de même, je vois bien qu’on vit plus de l’écriture qu’on ne la fait vivre et cela m’attriste. Mon ambition d’ailleurs est liée à cela : faire vivre l’écriture pour ce qu’elle provoque et non pour ce qu’on en attend. Peut-être verrais-je la fin de ce certain moyen age qui, je trouve, donne la part belle aux usurpateurs. L’écriture d’ici, ne me plait plus beaucoup même s’il y a quand même de belles choses, souvent c’est compliqué, rugueux, douteux au plan des thèmes abordés. On verra bien. Aujourd’hui est un texte non écrit, une manière de me situer, demain j’irai chercher au-dedans de moi-même.

Et puis aussi : c’est votre anniversaire, vous êtes incroyable, et m’êtes chère. Je pilote voiture et moto de course. Je parle beaucoup des sectes et compte bien régler (et dire) certains comptes gardés inertes depuis 24 ans. J’ai ce très mignon petit appartement, à la croix rousse qui me dit assez précisément par le biais de sa décoration, de son mobilier. Je fais peu de photos mais y reviens, peu à peu. Je lis assez peu. Travaille beaucoup. Mange souvent dehors, sors beaucoup. Fréquente des gens extraordinaires. Ecoute toujours autant Bowie, Ferré, les Pixies, des trucs qui tapent en plein milieu de l’entraille et de le viscère fondamental. Remets, comme je l’ai toujours fait, toujours tout en cause. Au nouvel an, ma bonne résolution était de n’en prendre aucune. Jusqu’aujourd’hui, je m’en trouve plutôt bien.

A demain, donc.
Lu : Chronique des prophètes et des rois
:: 06.06.2006 ::
Avoir trop peu de courage, c'est avoir perdu tout courage.
Tandis que vos mains fines se défont lentement de notre atelier d'écriture, ces yeux immenses accrochés de lumière et puis votre voix traduisant le vocable ambition par ce verbe simple : respirer ou encore cet autre, vivre, je pense que nous sommes vous et moi les mêmes enfants perdus, que nos sourires se brisent aux mêmes rimes et puis toujours nos pas qui reprennent leur marche, un identique courage, nous sommes tous deux lost in translation et je voudrais mêler mes doigts dans cette invraisemblable coiffure et rougir votre bouche. J'ai dit commet m'écrire. Ici j'ajoute que je ne sais pas ton nom. Qu’il me tarde de l’apprendre.
Lu : Ulysse
:: 02.02.2005 ::
And now, it's toothpaste time
Et quand même, ce soleil peu pesant de février ou des printemps qui s’annoncent, ce bleu encore subtil fragile comme une théière de biscuit me ramènent toujours aux absolute beginners, à ce moment entre tous d’il y a quelques années. Je me trouve à Ibiza, nous sommes à Pâques mais il n’y a pas encore un seul boche alentour, ce que je lis c’est Ulysse de James Joyce tandis que Sasha révise son Faulkner, l’après-midi s’étire quiètement quasiment sans mot dire, le café est bonbon, il y a partout ce parfum de l’hors-temps empesé de sucs frivoles et fleurs, de l’embrun peut-être bien, chaud juste ce qu’il faut, je suis attablé à même que la femme la plus vive que je connaisse, il y a comme une note extrêmement discrète qui dit l’arrêt des heures et des choses sérieuses, lunettes et poses au nez, je suis bien, tout possible, tout doux, tout intelligence ou gentillesse, la lumière et les ombres sont seulement parfaites, il me faudra longtemps pour écorner cela d’un mot ou bien d’une description.
Lu : L'éloge de la parole
:: 24.01.2005 ::
Toutes des saintes... sauf ma mère.
A fréquenter les mères il devient évident que le modèle matriarcal, sous une forme ou une autre, est le seul qui tienne. Et me réjouis de constater qu’un déséquilibre démographique de plus en plus accentué en occident fait naître presque deux femmes pour un homme à l’heure actuelle. Je croyais être né vingt, ou cent, ans trop tard, en vérité j’en ai quarante de trop.
Lu : La haine du pauvre
:: 23.01.2005 ::
C'est une de ces machines à l'appétit dévorant tout, sauf elle-même...
Mû par je ne sais quel élan de clairvoyance je comprends qu’il est inepte d’incriminer qui que ce soit de ce que ce monde organisé tourne tel qu’il le fait, sans principes ni cœur : il y a longtemps que plus personne n’est à la barre, le moteur ayant engendré je ne sais quelle machine folle s’économisant le recours d’une tête, la tranchant même, et nous n’y pourrons rien changer.

Je me rappelle ces films « beau temps mais orageux en fin de journée » et puis « violence des échanges en milieu tempéré » tous deux servant un propos identique, un peu amer, un peu goitre, un tiers météorologique. Et tente d’approcher, une fois encore, vainement encore, l’idée d’un lien plausible qu’on dirait tendu entre culture et nature, par devers soi.
Lu : Conscience occidentale et fables océaniennes : La dynamique de la contradiction
:: 19.01.2005 ::
Si l'erreur est humaine, que penser de l'infaillible mâle ?
Je ris, souris et puis sens qu’au profond, il y a le ressac puissant de la tendresse et ce retour à l’amoureux, vous avez failli et pensez que je moque cela, cet écart à vos principes, à votre volonté, à votre intelligence.

Il y a, je crois, cette différence entre les hommes et les femmes : tandis que vous semblez toujours en quête d’une perfection solide qui vous offrirait robustes bras et choix pesés au mieux juste, nous ne sommes jamais autant touchés que quand vous nous indiquez cette issue vers l’humain. Sortir de notre cartésianisme et de nos précis calculs, oublier un instant notre économie continuelle, ne plus appliquer à tout le vivant cette espèce de règle de trois qui fait du mâle un comptable plus qu’un éthéré, un délétère.

Quand vos mots vous échappent, quand votre décision se révèle fausse ou bien chancelante, quand votre beauté se trouve un peu froissée, un peu aile cassée, je vous aime comme mon île secrète, comme ma nuit de lait, comme un trait d’amertume poète tiré par-dessus les toits, la vie est là, fragile, poseuse, le reste se résume en chiffres, en opérandes, rien qui se chante, rien qui se joue, rien qui s’embrase.
Lu : Origines de la bipédie
:: 18.01.2005 ::
Et nous pourrons nous réjouir d'avoir encore, à nous, pour nous, le droit de plier au droit de l'autre.
Prenez le temps de vivre, celui de vos passions à bord de votre nouvelle Mercaudi Hsd2i ™. Tandis que notre nouveau moteur à calage cyclique auto-segmenté ™ vous emmène loin devant, vers votre destin peut-être, dans un discret ronronnement tout de puissance contenue, goûtez à l’incomparable grain du cuir de zébu argentin ™ habillant chaque pièce de votre salon roulant, jusqu’aux endroits les moins accessibles. De l’index, vous commandez votre système haute-fidélité et assistez à la Traviata comme si vous étiez assis en première loge à la Scala, ou encore revivez les heures de Woodstock. Souvenez-vous.

Il pleut dehors. Ou peut-être neige t-il. Quelle importance quand les trains avant et arrière sont dessinés en épures de géométrie torique ™ , vous apportant une indéfectible accroche et un confort irréprochable ? La climatisation à vingt-sept bouches indépendantes ™ vous comble d’ailleurs de toute la tempérance à laquelle vous aspirez et les systèmes automatiques d’éclairages et de chasse-pluie s’occupent du reste. Vous n’avez rien à faire. Vous êtes bien. Vous ne conduisez plus, vous êtes propriétaire de la nouvelle Mercaudi Hsd2i. Prenez, enfin, le temps de votre vie ™.
Lu : No logo
:: 16.01.2005 ::
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour.

Chère Elle,

J’avais pu déjà, quelques jours avant vous et au cours d’une échauffourée que je me suis bien gardé de vous narrer tant votre allant à la propriété me semblait impérieux, renouer avec les pratiques en moeurs de la capitale. Figurez-vous que, par le biais de ce blog et forte d’un toupet peu commun, une de vos congénères m’entreprit d’assez belle manière, jouant tout à la fois sur la corde de ma sensiblerie sexuelle et sur celle, plus vibrante encore, de ma manie de mettre en mots. Ce fut discours amoureux et promesses orales, provocations charmantes, défis lancés sans vergogne : las, je suis un homme et ne prétends pas échapper de façon permanente à ma condition, aussi je tombai dans les rets si savamment ourdis et répondis présent aux manigances de l’intrigante.

Nous avions conçu un petit canevas propice à vaincre l’écueil que parfois le regard représente et qui, s’il me lassait douter de la sagesse de notre entrée en contact, ne m’avait pas permis d’augurer précisément la liberté à laquelle je serai bientôt contraint. Une chambre meublée de court, mais un lit (qui céda dès les premiers assauts). Une mobilité quasiment épileptique qui fait naître un étrange inconfort des caresses, des baisers et des intromissions : jamais dedans, jamais autour et l’impression, quand même, d’y être depuis lurette. Mais surtout, ce verbiage ! Tous ces mots ! Madame enrichissait à elle seule les lexiques les plus évocateurs, au point que je fus un instant certain d’assister à un concert expérimental où la polyphonie serait exploitée en vue de m’écœurer tout à fait. Il me semble n’être pas précisément ce qu’on appelle un enfant de choeur. Là, je le devenais. Un innocent. Un puceau.

Vint ensuite votre tour. Après une érotisation tout à fait stupéfiante d’un contact à priori social, vous ne mîtes pas longtemps avant de me faire savoir où vous m’imaginiez. En trois tours de téléphone (je pris un plaisir fou, éthéré et intellectuel à notre entretien aux propos de toutes choses) et quelques échanges de clichés plus ou moins détaillés j’avais compris que vous alliez me plaire et que déjà vous m’aviez objectalisé assez pour que votre sommeil s’en trouve amélioré. Quelques jours distants et même fièvre, sinon que vos manières furent dites par le menu, ce qui est bien quand il s’agit de se préoccuper de la rentabilité théorique d’un voyage mais qui glace un peu quand l’intérêt de l’autre ne se limite pas là. Vous faisiez quatre pas quand j’ouvrais tout juste la main, vous me sautiez au cou quand je vous souriais. Et puis ce rendez-vous. A Paris. Chez vous. Dont je fus, croyez-le, sincèrement honoré.

Je passai une excellente soirée. Vos yeux, votre sourire, votre finesse et ce vous captivant, magnétique, terriblement vivant. J’aurais pu de cela me nourrir longtemps mais n’avais rien contre le fait de vous découvrir un peu mieux encore. Chez vous, à Paris, une chambre meublée de court, un lit instable aussi. Seule nuance : vous, vous aviez placé des glaces autour de votre alcôve, qui auront leur importance. Vous futes experte de musique et de corps, ce fut pics et sommets... quoique formidablement ordurier, beaucoup trop, et laissant finalement si peu à conquérir que je m’interrogeais quant au devenir d’une telle relation. Sachez cela : si je n’avais pas été un peu saoul, si vous n’étiez pas aussi jolie et, surtout, si vous n’étiez pas aussi charismatique, je n’aurais pas aimé entendre le tiers de ce que votre bouche émit durant ces quelques heures. Le partage de mon intimité se fait dans le temps, la confiance, le non-dit et compris à mi-mots. Coupons là : il ne faut pas être hypocrite, et j’en ai profité plutôt deux fois qu’une, tout de même.

Ce qui, en revanche reste entièrement obscur, c’est cette façon de me reléguer au rang des anonymes sitôt que votre satisfaction trouva son double. Savez-vous qu’en tant qu’humain, mon aspiration à la douceur trouve sa source dans quelque chose qui me dépasse ? Et que si vous ne supportez pas d’être effleurée durant votre repos, il est au moins dix méthodes pour le dire sans assumer une défroque de brute épaisse ?

Depuis, nos rares dialogues sont assez diserts d’amabilités. J’essaie de savoir qui vous êtes, et ne vous comprends pas. J’ignore si cela provient du fait que j’ai été élevé dans le goût de la compétition et l’habitude d’être rossé plus souvent qu’à mon tour, mais me trouver en face d’un vous si totalement énigmatique me fascine et ravive mon inclinaison pour la mort (la définitive, mais aussi la petite). J’adore.
Lu : Jeu et réalité
:: 13.01.2005 ::
Ce qui est merveilleux, pour moi, le reste. Cela ne s'use ni ne se ternit.
Je me demande bien quand elle va se produire, la fameuse séparation du père dont on fait choux rebondis en les manuels de la psychanalyse (et qui pèse à peu près autant qu’Oedipe, que l’inconscient et que le refoulement, ce qui ne me laisse aucune chance de te convaincre sérieusement que je n’ai jamais été amoureux de ma mère), cette espèce d’inévitable distance que les mâles prendraient vis-à-vis de leur progéniture afin d’assouvir à nouveau quelques instincts de se proroger ou je ne sais quelle foutaise. Chez moi j’ai l’impression que cela prendra plus que du retard : les sourires à craquer d’allégresse ou bien déjà teintés d’une absence plutôt sérieusement rêveuse, le ballet infiniment gracile de tes mains qui tirent à toi le monde par plis de soie et plus délicat même, cette manière étourdissante de blottir ta chaleur à la mienne, peau à peau, ce regard curieux et ta voix, ta voix nom de nom, qui, quoiqu’elle inaugure comme son, ravissement ou plainte encore, fait de moi un oublieux de tout, vois-tu, ce que tu portes de paisible et de léger, tout cet écarquillement hilare et cette confiance entière, c’est moi, la meilleure part de moi, cela ne s’abandonne pas, au contraire, on y revient, comme au port après les déferlantes et les caps difficiles.
Lu : TAZ : Temporary autonomous zones
:: 18.12.2004 ::
Toute vraie passion ne songe qu'à elle.(Stendhal)
Et puis je prends mes cliques et pars me claquemurer dans un hôtel en haut d’un col, je ne veux rien voir ni personne, ni la vue qui s’impose depuis les fenêtre, ni les suissesses ravaudées qui prennent ici le frais et moins encore le room service qu’on paye pour se composer une allure de révérences, je ne veux rien dire ni lire, pas penser ni me plaindre, ni parler ni entendre, je ne veux que me souvenir de cet amour là, celui-là pur et très au-dessus des jours, celui-là fait d’abandon, de confiance, de corps délités de convenances et mots tendres, l’amour des premiers regards stupéfaits et jolis, l’amour de l’arrachement de soi vers l’immense et l’englouti, le cœur à rompre, les mains jamais emplies, ton décolleté qui m’obsède et regard qui fulgure (cette attention précise, le méplat à ta paupière), ta voix absolument belle, tes cheveux, boucles et bouches adorés, nos mi-dits et encore, ton odeur tour à tour d’amande et de sucs pesants, tes soupirs, tes sourires, le pourquoi l’on en est arrivé là mais surtout pas le comment, cette parfaite intégrité, altérité, équilibre et respect, tous ces trucs même pas dicibles que je sais là, les rêves et les désirs, l’écoute et les départs, l’ennui même parfois, que veux-tu : je t’aime et ce n’est pas notre démence qui me fera oublier ça ou alors je serais fou, et crois-moi si tu le peux, c’est pas demain la veille.
Lu : Le lomo
:: 17.12.2004 ::
D'un point à l'autre, le chemin le plus court génére, en général, un vacarme considérable
Traversant bonne part du pays et me félicitant de mes moyennes, haute si elle est horaire, basse au compte des litres au cent (voyez-vous encore cette obsession de faire que certaines coutumes ne s’oublient pas, ainsi endosse-je l’entier de mon identité de papa), j’en viens à faire halte à l’arrogant relais de poste autoroutier afin d’y ravitailler monture, cocher et passagers (alouette).

Vides et pleins, échange de liquides. Moi, je suis coté boutique. Plus précisément je contemple un indicateur vidéo qui précise le stade de préparation du café (qui n’en sera pas un, un séjour à Naples ou bien Madrid en convainc plutôt bien) auquel la machine prétend. Il y a une sorte de bruit de fond en notes et voix : qui taraude. Il y a foule d’écrans qui font la promotion d’une station de ski ou d’une lingette à propre, et c’est du bruit encore. Il y a ceux-là qui téléphonent et j’apprends des belles-mères, des affaires, des étapes et heures d’arrivée. Il y a ces enfants qui réclament et des parents qui dépensent en improbables en-cas et en boissons suspectes. Par la vitre je vois qu’on occupe les places prioritaires avec diligence. Qu’on klaxonne, qu’on dérape ou qu’on crisse. Tout est bien, des poissons dans l’eau. Il n’y a sans doutes que moi qui imagine les parois du bocal, et je comprends que rien ni personne ne me sauvera de l’épuisette, que je porte à l’intérieur les mailles et le filet, que sans doute Didier avait raison de déplorer que mon regard soit triste, lourd, totalement désespéré.
Lu : Instants volés
:: 29.11.2004 ::
Toi, on ne t'aurait pas moquée si tu t'étais prénommée merveille.
Deux mois deux jours, je me rappelle très bien ce moment là à quatre heures et une minute du matin, un tout petit corps lové dessous la poitrine de ta mère, la peau et les cheveux mouillés encore du souvenir d’un ventre auquel personne, hormis, n’accédera, le crâne diagonal et les yeux clos témoins d’une fatigue surhumaine, cette voix immédiatement belle, immédiatement suffisamment plurielle pour dire tas de choses en nuances et finesses, bras et jambes comme crapaud-recroqueville et puis la première distance à tâtons, les yeux de Maud fous d’amour fou, nos larmes évidentes emportant tout : ta présence de corps et d’eau, ta présence bien sûr, absolue, absolument sereine aussi.

Tu dors parfaitement et ne pleure presque jamais, sauf à dire qu’il est temps, peut-être, de dîner, souper, déjeuner, goûter… tu rigoles tout le temps, tout t’émerveille et puis ta bouche un coup en cœur, un coup en bec de tortue quand il s’agit des consonnes, la confiance que tu nous fais, un ange peut-être mais alors un ange ivre de rire promenant son amusement quant au monde, un ange diablement attentif à ce qui fait mouvement, couleur ou bien musique : tout cela qui paralyse au point qu’il m’est impossible d’écrire, la poésie même semble s’affubler en imposture, une manière.

Il y a deux ans, dans ce blog, le quatre décembre, j’ânonnais : le temps, enfin, est froid et Paris clignote comme une splendeur heureuse. Voilà ton nom secret, celui qui, plus que Lili, te sied comme à ravir, voilà comment en secret je t’appelle : splendeur heureuse.
Lu : Marabout ficelle
:: 25.11.2004 ::
L'image du jeu est sans doute la moins mauvaise pour évoquer les choses sociales.(Pierre Bourdieu)
Il faut lire la chronique de Sorj Chalandon. Au sujet de la télé. Ou plutôt, chaque jour dans Libé, sur un petit moment de télé rapporté au plus près.

Et démolir sa télévision. Encore je veux bien croire qu’entre adultes consentants, informés et conscients l’on goûte à cela comme on teste l’héro, le flash et puis le fix, mais peut-on, sans affecter la défroque collabo, laisser les enfants devant cela ? La réponse est non. Le reste n’est que lâcheté, soumission, exposer ses gosses à cet éclairage là, c’est, soyons clairs, laisser détruire froidement ce qu’ils portent en eux d’humain, de généreux, de possible à envisager l’avenir, c’est mettre aux fers les hommes libres, c’est préparer activement ce monde de demain ou seuls l’argent et le mensonge gouverneront, et peu importe qui en est le porte-drapeau pourvu que, rescapée, l’horreur brute ne triomphe.
Lu : Bourdieu, mouvements d'une pensée
:: 24.11.2004 ::
Récuser dieu, la belle affaire, quand nous sommes incapables de discerner un sens premier, une jouissance, qui nous serait propre.
Ah ouiche, nous voilà bien prompts à railler la paille à l’œil de nos amis américains : évaluons-nous comme il se doit les proportions de la poutre que nous tenons en le secret de nos fondements ? L’entendez-vous l’autre imbécile se réclamer de dieu et l’affubler d’une garance morale unique ? L’avez-vous vu truquer chiffres et résultats au cœur des shows à caméras qui s’organisent en compliments autocentrés ? Connaissez-vous la liste de ses proches, la crème de la crème, l’élite de ce que ce pays compte de notable et rutilant (on va en bouffer), Richard Virenque, Mimi Matty, Christian Clavier, Charles Pasqua, le gentil scientologue Tom Cruise ? Le suivez-vous récoltant ici une médaille pour la grandeur de sa position anti-antisémite, là les clés d’une ville en reconnaissance de sa bravoure à exhumer le pire du principe Pompidolien ? Terre-toi camarade, terre-toi : la chasse a commencé, déjà la meute te flaire, il te faudra, bientôt, goûter à l’âpre de ses crocs.

Je renonce à saisir la subtilité d’une division qui se ferait à l’épaisseur du portefeuille et qui classerait la France en populations d’altitude variable ; en revanche je conçois assez bien celle-là qui poserait à droite la fange des crétins attardés, des salopes et des porcs, et à gauche les oisifs penseurs, les fainéants incapables si ce n’est d’une condescendance de rigueur qui aide à faire que l’hiver passe, bien serrés au nid, ouiche, qu’est-ce qu’on rigole…

Et puis je comprends mieux : que ce monde là, allant comme il va porte sa limite connue, qu’il offre un espace dans lequel la critique évolue comme une façon de vivre à ces censeurs, qu’il ne faut rien changer sans quoi mes potes qui lisent Libé et les petits conglomérats de râleurs auxquels je me mêle les jours d’ennui ne sauraient pas quoi faire, qu’il n’y a plus rien et que c’est bien comme ça, qu’un jeu sans adversaire tout de suite amuse moins, que la vie est un jeu, n’est-ce pas ? Perdre une partie après tout, n’est conséquent qu’individuellement et ne heurte que peu la lutte de masse, aussi, me réclamant de gauche ne devrais-je pas m’offusquer de ce que la mort, invariablement, trouve ses souteneurs et sa potence.
Lu : Difference et répétition
:: 23.11.2004 ::
Une théorie nouvelle ne triomphe jamais. Ce sont ses adversaires qui finissent par mourir.(Planck)
Sur la photo que Raphaël envoie on voit amas tubulaire fumant d’acides gras et de gaz mort-né, six cheminées pointant vers ce qui serait peut-être un ciel sans elles, des assemblages abscons de métaux sans autre épaisseur que celle d’un blanc éteint, imprécis, palot comme l’est le visage d’outre-tombe, un peu translucide aussi mais sans veine qu’on devinerait, des soudures, des échelles gluantes de brume chien-loup, des crachotements de couleurs avortées en quart fer-blanc ; aux pieds de cette chose il y a un parking également blafard et le tas de bagnoles qui va avec, une espèce d’arbuste circonscrit dans sa carrée de béton dont les bords coupent en lignes dont on ne doute, quelques panneaux de signalement qui disent : pas là, pas ici, comme ceci ou cela, au pas, debout, interdit, pas autorisé.

Des amants viennent là, des maris et épouses, des pères et mères, des amis ou membres d’un club, d’anciens enfants aux joues de lait, ils arrivent à six heures, à huit les plus tardifs, ils disent en quittant le lit ou le foyer : je vais au travail. Quand ils sont arrivés, qu’ils ont rangé l’auto, l’ont verrouillée et rassemblé leur nécessaire, ils disent je travaille, je suis au travail, j’ai beaucoup ou, pas trop, bien ou mal, travaillé.

On pense à la constante de Planck ou encore aux quanta, on pense à Leibniz, à Apollinaire dans la tranchée, on pense à l’humain de Léger comme les boîtes répétées de Warhol, à cette curieuse métamorphose de la langue qui appelle un bulldozer un chat et serpentin un gras cloaque si tant qu’on l’ait électrifié, on pense à opposer l’idée de la collaboration à celle de la participation. J’aurais du être professeur. De musique ou de lettres, précisément. L’on me haïrait pour ce tic de corriger chaque phrase, chaque mot qui, dit ou bien muet, secoue perpétuellement mon entente. Je dirais je travaille. Moi aussi, et ce n’est pas pareil.
Lu : Ivresse de la métamorphose
:: 22.11.2004 ::
Tu n' vas jamais chez Rubinstein/Qu'a d' la frimousse en comprimé/Qui pour deux plombes vous met en scène/La gueule des dames pour la parade/Et quand tu sors chez les snobards/Et que j' te demande si t'es parée/Tu m' dis avec ton air anar :/"Moi j'ai l' soleil sur la façade" (Léo Ferré)
Comme vous je fais tourner ces disques jusqu’à la litanie, il y a Ferré, Bowie, les Floyd et Reggiani, un peu de Brel et pas mal de Brassens dont la concision tue, j’aurais donné cent vies et davantage encore pour seulement avoir écrit cela : « tu m’dis avec ton air anar, moi j’ai le soleil sur la façade, ça t’va » ou bien l’hôtel du rendez-moi ça ou encore all the madmen mais je n’ai pas cette consistance, il faut accepter d’exister en éponge : absorber et n’exprimer qu’un jus teinté, s’emplir d’un air léger sans conséquence, sans saveur et sans force.

Pourtant je pleure et suis bien convaincu de n’être pas loin du sensible de ces auteurs là, de cette intelligence particulière qu’il faut aller fouiller des deux mains et du bec, je comprends, je suis pénétré, envahi jusqu’aux larmes reste pourtant aride : se superposent les faces goitres des ridicules s’ébaubissant d’une prose de laquelle ils restent étrangers et lointains, parfois j’ai même la sensation de poser pour moi-même : ainsi je m’aime dans cette idée de l’amateur qui sied mieux à mon teint que celle du pourfendeur d’une réalité brute dont je triompherais si je m’intéressais aux affaires ou à la politique, ainsi je propose à moi-même et mes pairs une posture dont je juge qu’elle contient ce qu’elle peut de sex-appeal, mais au fond il me manque le fondement transcendantal, il me manque d’y croire tout à fait, à corps perdu, il me manque d’avoir été bâti autrement que dans l’assurance que tout cela n’est pas très sérieux, que Rousseau était un bouffon prompt à l’entourloupe ; que Diderot et Montaigne nous emmerdent, que Kant ou bien Hegel devaient furieusement s’emmêler les arpions pour ainsi divaguer et que Céline ou Mallarmé étaient en vrai de fieffés salopards, il me manque de confondre l’homme et le bruit qu’il produit, fut-ce un beau bruit ou bien un bruit malin, il me manque d’incarner complètement mon enveloppe mortelle.
Lu : Amour, Prozac et autres curiosités.
:: 21.11.2004 ::
La fleur parfaite est rare. Une vie consacrée à la découvrir ne serait pas une vie gâchée.
Tout de même il y a cette étoile, belle et bonne, qui méticuleusement calque sa trajectoire à la mienne, une fortune bienveillante parfois tellement ostensible que j’en viendrais à me sentir coupable de ce qu’elle brise son dos à veiller dessus ma tête.

Ainsi de Lili qui donne l’impression d’avoir décroché la totale timbale. Lili qui fait ses nuits complètes depuis qu’elle a dix jours. Lili qui sourit à s’en pourfendre la mâchoire pour peu qu’on murmure quelques tendretés à l’oreille. Lili qui ne s’ennuie jamais, trop occupée à partager avec son chien de peluche bleue et son ours tout en bonnet la trépidante existence qu’elle consacre à découvrir couleurs et parfums, bruits furtifs et musiques pleines, voix proches et visages amicaux, mouvements de monsieur chat pour une fois subséquemment respectueux des espaces et territoires, Lili qui aime le bain, dormir, sa mère au-delà de tout, son papa dont la voix la ravit, le velours et le bois, le rouge, les tapis et puis ce qui bariole, étincelle ou se fane lentement comme flamme de chandelle, Lili dont le timbre, et les yeux, et les mains, et la peau sont choses impeccablement achevées mais glanant toute vie à l’autour, et je me demande bien comment j’ai pu passer autant d’heures sans celles-là, celles-là : les heures de Lili.
Lu : Ce que parler veut dire.
:: 27.10.2004 ::
Hear me, see me, feel me, touch me. (Tommy)
Voilà la corps, dans toute sa splendeur, débaroulant à grands fracas d’évidences mais sans altérité au cœur de l’existence, mon corps si souvent renié, bafoué, ce corps dont je n’acceptais pas la séance, dont je croyais qu’il était une prison ou une sorte de pensum qu’il me faudrait subir jusqu’à la délivrance, une enveloppe peut-être mais alors : mouillée, froide, inamicale, une enveloppe d’écorce moisie qu’il faudrait voir tomber tout à fait pour qu’enfin l’âme se montre au jour.

Voilà des enfants de la violence. Ils abritent l’agresseur et comme la mort du corps par lequel ils souffrent. La faim, le déni, les coups, le froid, les dents non soignées, les maladies pas guéries, les vêtements si laids qu’ils sont offense, les railleries et cheveux non taillés. Quand m’as-tu dit que j’étais beau ?

Voilà la nuit honteuse, bleuie sous la lanière, sous les baffes, voilà les nez pas torchés et les remugles aux yeux, voilà les allusions lourdes et les fièvres traînées jusqu’à plus soif. Quand m’as-tu dit que j’étais fort ? Ou que j’avais bon goût ?

Je suis mon corps. Je suis aussi ce corps où logent le besoin, la demande, la nécessité du soin et de l’acceptation. S’il est beau, musclé, bien portant, je me le dois entièrement. Si je suis élégant, je me le dois. Mon bonheur, je me le dois, mon allant, mon jamais-peur, mon toutes-les-expériences. Pour un million il y en a un qui aille à cette résilience. Un qui aimera son, ses enfants, tout à fait débarrassé de la colère, de la bestialité. Je suis celui-là. Un miracle.
Lu : La fascination du pire.
:: 26.10.2004 ::
L'insomnie est une amante au sexe carnassier, les draps des suaires de solitude.
Il y a deux ans pilepoil commençait ce blog vis-à-vis duquel et depuis peu j’ai pris mes distances. C’est drôle comme l’on sort de l’écriture ainsi qu’on y rentre, sans prendre garde, sans bruit, sans méfiance ni choc particulier. D’une réalité l’autre, d’une strate l’autre mais parfaitement étanches, sourdes l’une à l’autre.

Bien sûr Lili qui est résolument tangible en plus d’être le bébé le plus aimable qui soit force un peu à loger au cœur d’une vérité respectueuse. Ai-je droit au fantasme, à projeter quand, immédiate et sensible la personne qu’elle est exprime un autre imprévisible, différent de qui je suis ? Puis-je écrire Lili ? Le sens des responsabilités dont je suis un peu trop encombré impose que non, tout au plus puis-je m’écrire Lili.

Autrement (qui est une figure de style car à dire vrai, il y a peu de vie en dehors de cette paternité neuve) il me faut reconnaître que la mise en berne de ma libido consécutive à cette grossesse, à cette naissance, ne conduit pas une sublimation pourtant décrite, démontrée. Il faut croire qu’encre et fluide chez moi sont mêmes, que c’est le goût du sexe ou plutôt de l’aura qui l’entoure, de sa mythologie qui, plus que dieu ou que mon humanisme prétendu, me poussent à rédiger, qu’un fil invisible et étroit relie les mots aux vertiges du corps et je comprends soudain : la mort n’est rien si elle n’est pas petite.
Lu : Anthologie des apparitions.
:: 25.10.2004 ::
The ice age is coming, the sun is zooming in/Meltdown expected and the wheat is growing thin/Engines stop running, but I have no fear/London is drowning, and I live by the river(The Clash)
On n’en croit pas ses yeux, la laide comédie des torrents de kaki, d’acier, d’ogives, d’hommes crapahutant à la va comme je te pousse fusils d’assaut en main en autant de missels, les sourcils barrés de noir pris au cirage des rangers, les grelots de gourdes, pelles et cartouchières battant les flancs, c’est la baratte à merde et ce déluge là occupe à plein les postes de télévision, les journaux ou ce qu’il en reste, les slogans de campagne, les conversations au salon entre un verre de bourbon et un joint de grass locale..

A New-York d’abord, ensuite au long de la Californie qui n’abrite plus depuis longtemps la moindre maison bleue, la violence (cette spirale non posée, ça me fait comme un rat), la guerre, la peur. On terrorise la masse et elle n’a pas d’excuses, la masse, agglutinée qu’elle est aux shows avilissants et aux langages pauvres, elle ira exprimer son suffrage le pire en tête et le monde en reprendra quatre ans minimum dans la gueule, ça lui apprendra, le monde, à exiger son quorum d’oxygène.

Bien entendu il y a Bush. Pas un mot ne suffirait. Mais l’autre ? L’avez-vous vu vantant victoire en tête sa volte au Vietnam ? Imaginez ici qu’on se proclame héros de l’Algérie afin d’emporter le scrutin. Ou ancien de la gestapo, outre Rhin.

La démocratie ? Mon cul. La démocratie, cette solution offerte aux imbéciles soucieux d’en user aux fins de défouler leurs mauvais moi, qu’ils crèvent. La liberté ? Mon cul. Qu’ils crèvent. Quel écrivain ? Philosophe ? Quel peintre ? Quel poète ? Quelle musique, quel film décent en deux mille quatre ? Que ces rampants aillent brouter du fil-coutil, qu’ils engraissent mieux colossalement encore, qu’ils se défoncent et sombrent dans le pacifique sud ou sous les champignons qu’ils cultivent en centrales, rendu à un tel stade d’écœurement, je n’imagine plus qu’une issue en forme de jugement dernier.
Lu : Identification des schémas.
:: 24.10.2004 ::
Je m'en fous, je suis riche (Pierre Desproges)
Cher ministre prime,

Fortuitement, car je m’informe peu, j’apprends par le bruissement d’une agora à laquelle je n’aurais jamais du appartenir que votre gouvernance prévoit de rogner en substance le montant de l’impôt sur la fortune que j’acquitte depuis quelques, et jusqu’ici avec grâce.

Depuis mai 2002 j’exulte moins à l’idée de libeller au nom du trésor public, il est vrai. Donner ma dîme à une petite société corrompue comme l’est votre fratrie, soutenir les soutiers que sont Ambiel, Sarkosy, Pasqua, Juppé, j’en passe de moins établis ou tristement illustres, ne me remplissait pas de joie au-delà du raisonnable. Mais il me restait au moins la compensation de réaliser par ce jeu d’écritures comptables un effort républicain, de me réclamer d’une charité vertueuse. Je suis riche ? Tant mieux, j’en suis fort aise et pour me déculpabiliser comme on rachetait jadis son âme en arrosant prieurés et diocèses, je ne me plaignais jamais d’avoir à mettre la main à la poche de mes manteaux de soie ou d’alpaga.

En ces temps troubles, Monsieur, je vous conjure de remettre à plus tard (et pourquoi pas aux calendes) votre projet d’alléger la taxe susnommée. Nous aurions bien mauvaise conscience de nous garnir davantage quand l’estomac du peuple se serre et puis, ne faut-il pas contribuer à l’effort de guerre ? Bâtir une escouade européenne prête à nous prémunir de l’ennemi qui, comme chacun sait, rôde en attendant son heure ? Clouer le bec toujours plus acéré des sauvageons ? Construire quelques prisons ? Assermenter notre comptant de matons ? Subventionner notre gentil baron ? Croyez que ce que vous continuerez à prendre d’une main, nous le récupérerons des deux nôtres par le truchement du privé auquel vous vouez votre intégrale confiance et qu’un changement de cap inquiéterait plus qu’il n’apaisera. Si toutefois vous n’entendiez pas ma requête, je vous prie, au moins, d’indiquer à laquelle des bonnes œuvres précitées je pourrais expédier quelques liasses car je veux, à défaut de m’enorgueillir d’une prodigalité finalement assez chiche, pouvoir au moins sauver ma conscience et ne pas regretter mon prochain bulletin de vote.
Lu : Un moment à Pékin.
:: 05.10.2004 ::
Se défendre du joli, du doux, du tendre tout simplement demande à l'homme une dépense d'énergie telle qu'il en oublie de mener une vraie vie.
Au nid nous régressons paisiblement jusqu’à toucher du tendre, du doux, du babillé, cet univers voûté en rond et ciels douillets, il vient que Lili eut pu se nommer splendeur ou bien merveille, il y a cette peau souple et ces yeux grands ouverts sur mille tâches pures à couleurs formées variablement, il y a ces mains et pieds parfaitement modelés en contour de chair pulpe, il y a velours de cheveux et ventre transi de tout, déjà les longues pauses à effleurer la distraction des choses et l’allant à l’inaccompli de l’autour, sourire aux anges, dormir à poings fermés, les maisons de pierre gemme, la jolie voix de Lili chevrotant quand l’amour requis se fait attendre…

Et toute cette ignorance. Je tiens pour certain que l’inévitable préhension du monde par son extrémité cognitive est une condamnation au grand n’importe quoi laid-méchant, que conscience avec ou sans science n’est que ruine de l’âme, qu’il eut mieux fallu ramper comme des bêtes et s’en aller brouter –jusque là- des fleurs, de la luzerne, je ne sais quoi pourvu que cela soit vertement vert ou bleuissant de rouges et de carmins, et puis dormir, dormir nom de nom, dormir à fond de glouglous-de-claques-langue et ronflements, dormir au lait d’une maman gagnée à son tour par un sommeil ineffable où les craquements du monde arrivent de très loin, imitant à ravir le bruissement des arbres à la lune montante.
Lu : Parlons travail.
:: 27.09.2004 ::
Une enfant qui arrive dans votre maison, c'est une proposition de renaissance en bonne et due forme qui vous est faite.
Lili est née à 4 heures du matin, portant avec elle trois kilos et sept cent grammes de spendeur tendre. La mère se porte comme un charme, l'enfant aussi, quant au père... il effleure ici les limites de la chose écrite et rejoint ses deux amours au plus vite pour que soit la vie simple.

:: 18.09.2004 ::
Il ne faut pas confondre la hâte avec... en fait, si, après tout, vous pouvez.
Une sorcière assez ringarde venue de Prague d’environ un mètre de hauteur et percluse de couleurs. Un mobile de bois peint mexicain aussi vif que Mercure dans son jus de scintille, des guirlandes de papier faisant comme des chemins d’un feu doux léchant tiède, plusieurs boîtes à musique, quelques photos très éclatantes, ici le Côme au tout petit matin, là la voûte sixtine du Cantal ou de pas bien loin, des anémones et quelques pièces de forme découpées dans un Canson chantant, un bouquin traitant de l’art de la pâte à sel, une veilleuse à doudous ou autres bestioles gambadant aux ornières des forêts inamovibles, le nid est prêt, il me tarde de découvrir qui tu es mais tu peux prendre le temps qui te convient : j’ai supprimé toutes pendules et montres, tous chronomètres, agendas, sabliers, tous ces trucs à découper les existences dans des temps qui ne sont pas les leurs.
Lu : La non particpation aux instances collectives.
:: 17.09.2004 ::
Palmsembleu ! Vous, ici ?.
Comme toujours dans l’absence des êtres, je règle les différents, je comble les écarts. Les morts par exemple vous entendent fort bien, mieux, ils vous font les réponses que vous attendiez d’eux, sans discussions, sans heurts, toujours d’accord et quand ils ne le sont pas (car il faut parfois enrichir ses fantasmes de problématiques, sans quoi ils se faneraient et perdraient toute saveur) c’est de manière intelligible au plan humain, acceptable, l’on peut dès lors les aimer mieux. Pareil des absents avec qui je converse longuement et les choses sont tournées autour de regards un peu humides, un peu souriants, des regards de franchise pareils aux colliers d’accueil si vous allez aux îles, tout le tour du cou, hop, et les fleurs, et les senteurs, éclatants, évidents…

Ainsi de l’Olivier. Ainsi de Bernard, Thierry, Françoise (voilà les prénoms gentiment passant de mode, mais ils sont plus que mon passé, mon présent, d’une époque je suis) qui dans leur absence disent ce qu’ils n’ont jamais formulé à voix intelligible, déparés de les parasites (amour propre, enjeux, opinions, alouette), maintenant je peux entendre et m’accorder au plan humain.

Et puis je lis, ce n’est pas une surprise. Ma mère je n’ai pas pu, mais Olivier oui, doucement ce miracle, ce n’est pas difficile : posez-vous à coucou place de la Bastille, et vous verrez des serpentaires, de vieux thèmes serbo-croates, des moulins de Pescia (et qu’en saurais-je nom de dieu, sinon tricoter des pull-overs de peine, et du mauve plein le froc). Quand j’entends qu’on ne sait pas écrire, je rigole. Tu sais bien pisser non ? Brûler ton comptant d’air, frotter tes mains et taper tes semelles ? Connais-tu la faim, manques-tu de la peau d’autres ? Alors tu sais. C’est là, c’est chevillé comme respirer, cela n’attend que la mise en forme.
Lu : Systèmes de cloisonnement de l'algèbre classique.
:: 16.09.2004 ::
Mon métier c'est émerveilleur. Il consiste à assister le début du travail.
J’appelais de mes vœux une vie tournée à l’extérieur pour l’année 2004, c’était dans une chambre de Prague en décembre et c’est plutôt réussi : pas de blog durant quarante-cinq jours malgré la « machine qui tant et tant dactylographe » et peu de lecture. Tous les jours je m’affaire en ville ou bien aux champs, tous les jours je ne dors pas mais mes journées sont courtes, pressées, fatigantes, j’ai mille et mille à faire et m’interroge sur reprendre, ou non, une psychanalyse.

La petite n’est pas encore née. Nous l’attendons. Tout va pour le mieux.

A tours de bras – de danse, plutôt- nous lançons des invitations, amis, parents, l’occasion de repas mitonnés jusqu’aux petits oignons, il y a tous ces mots que je n’utilise jamais et pourtant quelle beauté ! Voyez comment sonnent clystère… sirupeux… bronchite… péristyle… désastre…

Au vernissage de Chimène qui fait preuve plus que d’une audace folle (de beaux portraits seulement photographiés, assez classiques et prudes, preux, pauvres, pilepoil dans leurs jus, et tiens ! Prends ça dans les badigoinces jeune musée d’art contemporain !) je rencontre cette femme qui en filme d’autres, de petits films de cinq minutes montés dans un temps réel et ne montrant qu’un geste, un mouvement, un son (où ai-je mis les italiques ?) et c’est exactement ce qui me reste du cinéma, quelques secondes en charpente de tout le reste, ce regard ici ou ces quelques pas en surface d’un sable gris nuage, ce jeté d’écharpe ou cette réplique, quelques secondes au plus qui habitent mes milliers d’heures. Je vis avec une femme. Une autre arrive bientôt et c’est cela qu’on apprend en leur compagnie : ne pas passer à coté, ne pas rater ces occasions de quelques secondes nichées dans le tumulte et le désordre ambiant : ce qui reste, en somme, ce qui vit et bat comme le cœur et le sang.
Lu : Ménechmme.
:: 15.09.2004 ::
Mon cartable de cuir neuf brillait comme un marron.
Il y a tous ces courriers –voilà qui intimide- me disant votre affection et parfois le plaisir de me lire, sans fausse modestie je ressens souvent même la surprise, un peu d’autosatisfaction aussi et ce sentiment là n’agrée pas complètement, il est comme les joie mauvaises, les vengeances et les rires sardoniques, une forme de jubilation brûlante, et qui brûle, et puis aussi quelque chose d’un peu plus juste : tant mieux que vous y preniez plaisir, j’écris pour cela, le plaisir, le votre et puis le mien, jamais pour agacer, je tente de poser ce qu’il faut mais pas plus, j’essaie que cela fredonne des fois du doux des fois du dur mais en rythme, toujours, je ne peux faire aucune promesse à l’instant sur une reprise qui serait régulière car, justement, mon plaisir se trouvait un peu en dehors de tout cela dernièrement, et si je n’en ai point vous risquez de vous en trouver privés.

Le quinze septembre, c’est l’heure des vendanges, des rentrées et des marronniers. Et une sorte de déclic ou plutôt l’anniversaire d’un déclic. Le quinze septembre est une date que j’aime, comme le 31 octobre, le huit janvier, le vingt et quelque févier, d’autres encore. Je vous salue, tous, soyez heureux, triomphants, courageux, beaux et considérables.
Lu : La place.
:: 01.08.2004 ::
Grossier toujours, vulgaire jamais. (Coluche)
Celui-là je ne l’avais pas vu venir, sinon tu penses bien qu’il ne serait pas là, chez moi, à siroter mon café équitable en me tenant ce discours étudié, éculé et totalement hors de ce que j’érige en tant que ma propre convenance mais il est beau, beau comme un premier communiant découvrant le vin de messe, joli costume ultra-standard de banquier ou d’agent immobilier, pompes qui brillent et craquent dans l’ombre des dessous de table, sacoche très comme il faut avec calculatrice en double et téléphone dernier cri dans le fond de la poche, dents admirablement rangées dont on devine qu’elles furent redressées sitôt échue la saison des biberons… ce type donc, que je ne connais pas, prend le soin de démontrer combien mes deux petits immeubles de rapport de la Tour-Beaubourg devraient m’enrichir davantage et qu’à pratiquer de tels loyers je prends le risque de laisser s’installer une classe sociale peu en adéquation avec les règles de standing du voisinage, qu’en raison de je ne sais quelle loi mon peu d’appât au gain empêche d’autres investisseurs d’augmenter à leur aise, que le marché ceci et que les perspectives cela et puis me propose tant qu’à faire une évaluation globale de mon parc locatif et un bilan, au final, qui devrait me permettre de gérer plus finement, je rétorque que non merci, que pas la peine, que ses argument, déjà ont porté et que gracias pour sa pertinence axiomatiquement logarithmique, que dès demain j’envoie une circulaire aux familles que je loge : les loyers baisseront encore car à sa porte il faut bien balayer.
Lu : Les oies de frère Phillipe.
:: 31.07.2004 ::
Si les traces de bible qui me restent influencent encore la conduite de mon existence, c'est que l'homéopathie fonctionne.
Tiens et tant qu’à faire, l’occasion de filer la métaphore d’un post à l’autre ne se présente pas si souvent dans ce blog -ainsi je soigne l’art de les transitions- donc puisque j’en parle : je connais un teuton qui ferait bien de comprendre une fois pour toute que de stationner sur l’aire de mon autoroute affective n’est pas exactement anodin et qu’il ne compte pas sur une quelconque impunité que je lui accorderais née de la fatigue ou de l’amnésie, que je suis jaloux c’est avéré et que les petites manœuvres de cour auxquelles, en étique troll du Bad Wurtenberg il se livre s’entassent en pile de haine à comptabiliser, dûment, que je n’hésiterais pas à lui faire avaler morgue, chicots ainsi que cette manie qu’il a de se positionner en troubadour frottant la mandoline à l’attention de la femme de les autres – c'est-à-dire de celle qui me fait l’honneur de vivre en ma compagnie -, que quand l’on est petit, laid, alcoolique et allemand qui plus est on ne la ramène pas car je connais des grenouilles qui éclatent à se faire comme le bœuf et que la machine à baffe, chez moi, c’est un truc inexorable, on ne peut pas l’enrayer, qu’aux quatre coins de Paris (petit champs de fleurs s’étendant de Moscou à l’Auvergne) ou d’ailleurs je ventile, je disperse façon puzzle et qu’à la place du faciès je n’aurais aucun scrupule à lui greffer un bec de gaz modèle dix-huit modifié quarante-cinq. Me suis-je bien fait comprendre ?
Lu : Regards sur l'oeuvre d'Estaunié.
:: 30.07.2004 ::
Il y a masse de choses importantes, au nombre desquelles : la rose, et puis participer. Participer, oui, mais à quoi ?
Ah, tu vas voir qu’on va s’en cogner jusqu’à plus soif des millièmes et des maillots, de la transpiration de marque et des acclamations braillées par ceux vissés de loin à secouer, assis, les bijoux et masses diabétiques, de beaux sourires du tiers-monde (mot passé de mode, à défaut de sauver je reste au moins Sauvyste) triomphants, un peu tristes aussi car il faudra après la liesse s’en retourner où il fait faim, du commentaire vacant son comptant puisque l’image ne suffit pas, des médailles et des métaux de tout bois, du texte au kilomètre tout au service des mêmes amalgames, des mêmes illusions avec en filigrane comme quelque chose qui encore ramènerait au profit, tu vas voir qu’on va encore nous virguler de sempiternels couplets supplétivement écœurants autour de la fraternité internationale et de la paix dans le monde veines enflées de matoiseries pour l’heure indétectables par les commandos de la propreté sportive mais épargnant quand même les ceusses mieux finançant certains droits de redistribution hertzienne, ça va pas s’arrêter comme ça, c’est l’esprit de la guerre, encore, et il semble que cela fasse recette un peu partout, le sport, la guerre, les gosses écrabouillés et le fric, partout, soyons tendances bordel, laissons faire la magie mais qui au fond se préoccupe de ce qu’étaient vraiment les jeux de l’Olympe ? Voilà une réponse partielle : un ramassis de progénitures désoeuvrées financées par les papas-mamans exploiteurs de l’époque prenant gras et brillant à la sueur des autres exhibant biscotos dans le dessein de montrer qu’ici mieux vaut ne pas chatouiller les susceptibilités au risque d’une milice ou d’une petite invasion, et le peuple allant là comme plus tard il ira au spectacle du gibet, aux F16 tapant dur les toits de Bagdad ou tenter de voir qui se cache sous la cagoule du bourreau, un vrai ramassis de champion à crocs, gilets pare-balle – et pas moyen de leur griffer la chatte ! C’est vraiment dégueulasse la moralité publique ! - et je pense que notre petit Nicolas ne s’en sort pas si mal si l’on tient compte de sa nature chétive quand en Californie Terminator prépare la prochaine grand messe à la gloire de l’esprit des peuples, pas si mal pour l’instant, n’est-ce pas, car à l’heure du stade, il lui faudra choisir plutôt le sprint qu’un engagement au tatami.
Lu : Avatar et Jettura.
:: 29.07.2004 ::
Avant j'étais Starsky et Hutch. A présent je me reconnais davantage dans les deux orphelines.
Serge Reggiani va mourir, Serge Reggiani est mort ou quelque chose du genre, avec, les chiens noirs du Mexique, les Pims et Gordon number one et cigarettes anglaises, les italiens et la fraternité, quelle fille encore se verrait dotée d’avoir vingt ans ?

Tu me demandes comment je vais. Seul, je vais seul, j’enterre mes pères comme je le peux, les génétiques et génitaux, j’ai perdu René Char, Ferré, Ponge, j’ai perdu Brel et maintenant Serge, et Jacques-et-George, avant c’était Breton, Braque, Joyce, j’en oublie, je vais seul comme l’on va quand les amours manquent, ai-je dit la liste des mes maîtresses défuntes ? Anaïs Nin, Virginia Wolf, Claudine, Minne, Nathalie Sarraute, je vais comme on va sans ses voix chères et ses regards brillants, un peu perdu les mains fouillant dans le brouillard et puis comme tous, le temps, l’oubli, comme tous : je pose ma pelle et réchauffe ma gamelle.
Lu : La carte postale.
:: 28.07.2004 ::
Un tien vaut mieux que deux tu l'auras, cela vaut à tous coups, sauf pour les dragons. Les dragons, mieux y en a, mieux ça y est.
Puisqu’il faudra des histoires, de celles qui endorment et enchantent l’apnée de l’âme, puisque des couleurs vives seront préférées à moins qu’elles ne soient rondes ou n’existent que pour rendre les tanières plus-douces-plus-accortes, puisque si longtemps je restais épars quand il fallait se bercer de les contes, puisqu’enfin les papas sont ces êtres mythiques à visages effrayants tout burinés de force –prélats, protectorats – je vais t’en écrire, moi, des ronrons qui s’éteignent tout doux comme les mèches avec l’odeur de cire, je vais t’en inventer des princesses du lointain et des quêtes longues comme des bras aimants, des hivers blancs cadmium et des septembres roux d’ours glaneurs de miel glougloutant et feulant contre la venue des piques guêpes, et puis il y aura aussi des chevaux, des volcans, des potirons et des grimoires sans oublier d’indispensables dénouements pétris de mariages et de retours au feu, des légendes à volets de pain d’écorce, de champignons et ronds dans l’eau, à l’avance pardonne-moi d’en fourrer d’un peu mieux de poésie et de trucs rigolos, tu sais papa n’est pas tout à fait comme les autres, papa est un farceur et puis un amoureux, papa prends son temps en toute chose et rêve assez souvent de guimauves guirlandes vêtues de robes fleurs.
Lu : Syllogismes de l'amertume
:: 27.07.2004 ::
Pas de mur entre érotisme et mystique, pas de mûres ?
C’est à nouveau ce dégoût profond des litanies radiophoniques ou rotatives, le mal dit, le mal pensé, l’imprécis hors du rythme étranger de toute musique interne qui me font savoir mon levage du port -je reviens camarade, les voiles de mon thonier qui faseyaient hier s’ébrouent dès le levant, la barre à nouveau s’entache à plein d’eau claire, les berges filent lentement en une fuite arrière, s’estompent après, se désagrègent- et c’est le diapason que je connais bien : une lame faite d’un métal assez particulier qui, se trouvant heurtée par le mou des phrases inhabitées, sonne glas et puis tocsin, et puis le désespoir.

Ma toute terre je t’ai quittée mais il était temps d’un bréviaire, d’un certain recensement. Mes choses je vous ai trahies, j’ai pulvérisé ces poèmes qui vous étaient, je voulais voir. J’ai approché de si près le petit, mon œil a travaillé si fort : quelles structures ? Quelles charpentes ? Le bilan, plutôt est bon, il fallait du courage, j’ai vu : les transparents luni-solaires en vagabonds juchés sur des chars rapides, j’ai gouverné les nuit de la Provence, je me suis tenu debout en renonçant aux poèmes d’acquiescement ou de fortune, épousé un lent lierre et constaté –de visu- qu’une nioque d’avant-printemps s’écrit comme elle se parle. J’ai transposé des mondes muets. Et puis j’ai lu, bien sûr, j’ai lu de tout, du Malherbe et puis de l’Eluard, des journaux de papier ou d’éponge buvant le présent avec l’ivresse d’hier, de gros tomes cabalistes échappés tant qu’on peut de la science dure, j’ai lu signes ascendants, le bois de pin tant que je l’ai pu désertant le moi qui tient en laisse se proclamant plus grand que verbe, j’ai profondément plongé dans les surfaces visibles, pas au-delà, je sais maintenant : la chambre claire, celle plus noire, l’image et la poésie, la photographie, la peinture, écrire.

Plutôt que d’être un seul, je serai double, triple, absent d’identité, je veux avoir dix ou cent prénoms dont on invente voyelles et chiffres jusqu’à l’égarement, je me fous au fond d’être un artiste si au moins il m’est encore donné, longtemps, d’aimer l’art.
Lu : La part maudite
:: 26.07.2004 ::
Bouvard ? Comme l'oisier ? Ou bien le papier-boue ?
Disons que j’avais mal aux dents. Disons également qu’il me fallait, en ce mois déserté, dénicher un fournisseur alternatif en plâtrage et antiseptique, un manieur de roulette. Disons enfin que dans l’attente du fauteuil et du charcutage devais-je occire le temps, sans livre dans ma poche, déconcentré de ce que j’étais par mes menues misères molaires. Voilà qui explique comment j’ai pu me trouver à feuilleter le figaro tout en pensant que de Torpédo à moi, les mêmes causes conduisent à des effets à peu près comparables.

Evitons de nous gâcher à vilipender cette chose, le figaro, d’autres l’ont fait et mieux et puis je perds assez à jacasser à propos de qui vous savez. Cela n’a pas le mérite d’exister, si cela n’était pas nous nous dispenserions de l’inventer, mieux vaudrait être sourd…d’accord. J’en lis (mais ce verbe là n’est-il pas impropre ?) un, j’en lis deux et remarque en dernière page la chronique de Philippe Bouvard.

Voyons voir… ce recours constant aux termes les moins usités de nos lexiques… cette organisation de l’argument et l’alambiqué du discours pour, au final, ne rien produire que poudrage benoit et astuces grosses… cette tonalité insupportablement plaintive quant au monde comme il va de guingois n’est-ce pas, de traviole… Je m’effondre sur moi-même en découvrant, à quarante ans, que le blog d’os n’est qu’un satisfecit moins lu et diantrement moins rémunérateur mais assez identique dans sa forme à la coulure du gnome gaulliste et que, pour bien faire, il me faudrait envoyer une candidature à une sorte de figaro, mais de gauche n’est-ce pas…
Lu : L'appel de la forêt
:: 25.07.2004 ::
La vie c'est un peu théorique. C'est pas plus mal. Sinon, comment tenir ?
Subitement cela s’impose : je vais être père. A la maison nous allons être trois. Je promènerai ma hagardise à cinq plombes du matin pour changer mon bébé, réparer un sale cauchemar ou m’inquiéter d’une fièvre. Si ça se trouve je considérerais comme attendrissant qu’elle se barbouille de purée de légumes jusqu’aux cheveux, sans oublier les murs de la cuisine ou du salon. Je découvrirai combien il est incroyable qu’un nouveau-né ne sache pas se gratter les genoux ou les coudes, et j’observerai ce progrès merveilleux que consiste de tenir sa tête grâce aux seuls muscles du cou, mais pas avant six ou huit ans (arrêtez-moi si je me trompe, je ne prétends pas à une précision chronométrique à ce degré d’avancement de ma paternité). J’affirmerai qu’elle parle à la première onomatopée gargouillée n’importe comment et serai certain qu’elle me comprend sous prétexte qu’elle cligne des yeux ou rote à l’instant où je déclame. Je serai fou d’amour fou dans une maison de pierre gemme. Je rêve. Je vais être père. Waou.
Lu : Théorie de la luminescence
:: 24.07.2004 ::
Je viellis et crois qu'il est temps de faire l'inventaire de mon bon souvenir avant qu'il ne m'échappe.
Je n’avais pas tout à fait quinze ans, Anita ondoyait en sorcière érotique de dix huit aux formes et courbes à engloutir, je me souviens des robes mauves en simili crépon et des écharpes babas enroulées aux poignets, du parfum indien qu’elle portait directement sur la peau, de son drôle de regard fauve à coquetterie, de sa poitrine qu’il me fallait frôler et de sa bouche prompte à tous baisers même les plus dingues, je me souviens de ce tour de promenade fait un soir de juillet lourd de lavandes et de criquets et du froissement de l’air, je me souviens qu’au retour à sa chambre elle s’était risquée à m’inviter pour de plus amples étourdissements et de ma peur d’être incapable, trop innocent, de la satisfaire. J’avais décliné. Une fois couché, seul, dans mon quatre vingt dix d’ado je m’étais mordu les doigts jusqu’à la garde et m’était promis, comme dans Zorba le grec, de ne jamais plus laisser dormir sans moi une femme qui demanderait ma compagnie.
Lu : Le malheur d'avoir trop d'esprit
:: 23.07.2004 ::
Je n'ai d'autre ambition que de répondre à mes besoins primaires.
A New York aujourd’hui c’est l’anniversaire de Sasha. Sasha est l’américaine que j’ai manqué d’épouser à Long Island même si nous ne couchions pas, ayant décrété assez rapidement que nous étions l’un l’autre « parfaitement imbaisables ». J’ai écrit le premier roman dont j’ai tiré quelque fierté dans le dessein de la bluffer, elle qui n’aimait au fond que les auteurs, persuadé que ce ne serait qu’un coup de poker, que je n’écrirai pas vraiment, que je n’avais rien à dire et aucun style qui me soit propre, ça m’était venu en lisant « pour un oui ou pour un non » de Nathalie Sarraute et d’une réflexion plutôt courte sur pattes au sujet des relations de dépendances affectives ou d’intérêts s’établissant entre les amis, les camarades, les amoureux. J’avais imaginé une histoire de montagne, de cordée où tout se dirait de l’existence et de la mort, surtout du désagréable et du non gratuit entre deux protagonistes liés par la nécessité d’en vie rester. Le titre serait « liens », j’avais décidé ça dans un jacket potatoes bar d’Oxford et me souviens très bien de l’incrédulité emplissant son beau regard vert comme l'herbe en irlande. Une idée purement foireuse donc. D’ailleurs j’avais pompé plus ou moins consciemment le début d’un autre roman de Nathalie Sarraute « de la vie à la mort » justement et puis je ne sais plus très bien comment cela s’est passé, chaque jour courbé sur le clavier m’avait entraîné un peu plus profondément vers une voix pleine de colère et de chagrin, vers le bruit, vers la fureur, vers une prosodie étonnement indigeste mais qui, au moins, était mienne.

Je m’étais promis d’être, pour toujours, l’ami de Sasha, de l’aimer ad mortem comme meilleure camarade, perspective qu’elle a jugée plutôt insuffisante. Ai-je été, pour elle, un cristal, un inspirant ? Qu’écrit-elle ? Moi, j’emporte avec le temps et quelques souvenirs assez riants cette voix née dans les veilles à cinq heures du matin, et d’être affamé, toujours, le cri de l’estomac, le cri de la fatigue, le cri du corps.
Lu : Contrepoint
:: 22.07.2004 ::
Quel leurre est-il ?
Me remettre à ce blog duquel j’ai pris considérables aises et distances appréciables, c’est encore une fois afin de constituer une œuvre. Un texte, une entrée, cela n’est rien. C’est la masse qui compte, la série, les variations qu’on peut percevoir au fil du temps autogyré en double hélice, les creux et bosses, les reliefs. La durée. Je m’imagine souvent à la place du navré ou du consterné échoué là, par hasard, distraitement filant le post du trente trois mars ou du quarante et un avril. Franchement, si j’étais lui, je serais passablement éberlué et je claquerais la porte. Un os à ronger me semblerait un peu faible comme justification du rien à voir ambiant, et puis je fatiguerais du déballage larmoyé, des aveux qui n’en sont pas, des plaintes plus ou moins sirupeuses et gluantes d’amours inaccomplies rapetassées en égrillardes évocations. Pour m'y faire, il me faudrait du temps.
Lu : Livre de la poésie allemande.
:: 21.07.2004 ::
Déglinguez ce foutoir que je ne saurais voir.
C’est décidé nous partons. Pour plus de place encore. Mon luxe est double : du silence, de l’espace. Aux commodités auxquelles nous étions accoutumés nous ajoutons : un studio photo, un atelier de peinture, une chambre d’enfant, des balcons et jardins, un garage pour la merco familiale, des sols très faciles quand il est question de briquer.

C’est l’occasion de jeter, de réduire en miettes, en cendres. Crac le canapé empire. Paf telle table, tel fauteuil, au revoir kilos de babioles et autres affiquets s’amassant dans le désordre et l’inertie. Moins j’en ai, mieux je respire. Quand je songe à la conception du mondialiste suédois fourguant ses étagères plastiques et son art de vivre standardisé à bloc dans une conception avant-gardiste de l’espace qui préférerait le mètre cube au mètre carré je suis pris de claustrophobie. Je détesterais que ma bibliothèque se prénomme Blojörk ou bien Pfânselmn. Je déteste les choses, les objets, les meubles. Je n’aime pas le béton, l’aggloméré, les matériaux modernes, les fenêtres ou les pièces rectangles. J’insupporte les tonalités froidement au cordeau des intérieurs vendus jusqu’aux vitrines. Je n’aime pas non plus qu’on nomme « salon » un paquet d’assises plus ou moins coordonnées, ou « chambre » un plan horizontal s’accommodant tant mal se peut d’une double armoire à glaces. J’exècre les cuisines intégrées et les rangements pratiques. Si je n’avais pas si grand soin à benner les machins dont j’hérite, chez moi ce serait le bordel, le complet, l’intégral. Je n’ai que mes livres, et encore, je les prête-je les donne et me soulage de les voir débarrasser le plancher. Je pense à Olivier ayant réduit son vital à quatre caisses moins vastes que des cantines: la classe. Qu'encore j'ai à apprendre.
Lu : Le XVIIième siècle, usages et coutumes.
:: 20.07.2004 ::
La mort ? Pour ce qui me concerne, cela, sans doutes, n'est que fiction.
Moi c’est pas pareil. Si je bois, si je suis ivre. Si je fume même, ce qui, d’ailleurs, n’arrive plus depuis un certain temps. Ou si je conduis vite. Traîne dans les bouges minables, voyage dans des contrées très peu sûres, consomme substances réputées saumâtres. Je ne mourrai pas. Je ne vieillirai pas. Je ne perdrai ni tête ni sang froid.

Mais vous. Vous. Que fichez-vous ? Vous voilà avec votre boutanche de jaune soi-disant provençal mais en vrai usinée dans un entrepôt plat situé près de Créteil ou d’Aubervilliers, vous brûlez du tabac en tube de la marque au chameau, sans pauses, un automate à enfourner de la merde s’il fallait nommer les choses. Rien de poétique à ça. Rien de théâtral. Aucune grandeur décadente qui serait superbe ou bien désespérée, même pas la beauté des manies ordinaires, ni un symbole, ni une provocation, vous consommez. C’et tout. Vous en crèverez. Mais avant vous serez un type malade, pesant, abattu et regrettant de n’avoir pas agi en conscience, vous découvrirez la parole, le bienfait de dire, et il sera trop tard. Permettez : ma mère a décidé de vivre trois jours avant son enterrement. Est-ce pathétique ? Triste au moins ? Même pas. C’est con, seulement con, et il me semble que ce n’est pas l’épithète qui vous convienne le mieux.
Lu : La tentation de Saint-Antoine
:: 19.07.2004 ::
J'écris car je ne sais rien d'autre.
Cette question, vous l’avez vu, m’a réduit au silence une sacré paire de jours. Pourquoi écrire ? Vous avez raison, ne serait-ce qu’au regard de nos bibliothèques, des pages et tomes qui s’amassent sans que nous ayons le temps de les lire, et quand bien même ? Nous les lirions que nous n’aurions ni la force, ni l’étoffe d’en saisir sens et rythme, musique intime ou accords sous-jacents. Il faudrait se souvenir, établir les liaisons à condition de pertinence, mêler, démêler, exercer son sens critique à la mesure de ce que nous savons comme sûr, ensuite de quoi il faudrait aussi se préoccuper du vulnérable et du tendre, de l’éphémère… Encore aurions-nous accompli tout cela que nous n’aurions rien amorcé d’écrire en soi, ni des raisons en vue desquelles.

Certains charpentent. D’autres usinent, discutent, procréent, font de l’argent ou bien des chaises. Certains vendent, d’autres encaissent, achètent, transportent, plantent ou bien carrossent. Il y en a qui ondulent, hésitent, réfléchissent, chantent ou se taisent. Pourquoi le font-ils ? Pourquoi ? Les questions sans réponses sont les fruits de la mélancolie, d’un certain abattement, une manière de repos. Elles me sont nécessaires.

Quand, à nouveau, mes bras pleins de vigueur, mes jambes fourmillantes et mon cœur cent à l’heure, quand ma peau terrain d’imperceptibles piques et mes yeux mouillés de larmes, alors j’accepte ce commandement aussi humblement que possible : qu’il y ait des instances supérieures qui gouvernent nos vies. Que nous n’avons pas choisi notre naissance ni les traits qui nous font comme ceci, ou comme cela. Que nos ventres et nos sexes font des enfants. Que nos estomacs réclament leur dû. Et que nos mains écrivent. D’ailleurs, comme vivre, écrire ne vaut que dans le sens de répondre à cette interrogation du pourquoi, l’on continue tant que parce que reste tapi dans l’ombre.
Lu : Les principaux paradoxes de la physique quantique
:: 18.07.2004 ::
D'ici, on pouvait voir un monde édifiant ses monstres, puisant les matières necessaires de l'ennui et du besoin de distraction
La France antisémite ? Etes vous sûr ? J’ai cru plutôt aux agressions aveugles, crétines, je pensais que tous étaient cibles, les riches, les noirs, les femmes, les profs, ceux qui conduisent nos trains et les obèses, ceux qui lisent une autre langue, les fonctionnaires et puis les myopes, ceux des syndicats et les tenants du même sexe qu’eux, les banquiers et juges, les communistes… je pensais que tous ceux sur lesquels la presse faisait planer son ombre suspicieuse, tous ceux concomités au sein de catégories inventées de bric et broc, je pensais qu’il valait mieux, ici, comme ailleurs, ne pas se trouver effaré par le pinceau du bolide informatif, ne pas se trouver l’objet d’enjeux car alors… l’exclusion, la haine, la colère, le nommé…

Le racisme, sûrement, s’invente au fil des pages des dictionnaires. Table. Joli. Chrysanthème. Autant de lacs, autant de puits. On y boira ou crachera, c’est selon, et c’est vous qui verrez.
Lu : Signes ascendants
:: 17.07.2004 ::
Je dois m'occuper d'être heureux (Albert Camus).
Des regrets je n’en ai pas qu’un seul d’ailleurs, il y a la sûreté d’être né un peu tard, le dix-neuvième aurait été très bien et j’aurais fait mon entrée en Rastignac ou alors serais-je allé me silicoser tranquillement dans une veine de coke non sans pousser mes camarades de pioche à la révolte, si ce n’est trop exiger au moins aurais-je aimé avoir dix-huit ans en soixante-cinq et incorporer une communauté en Ardèche ou dans le Larzac, on aurait fumé de l’herbe à bloc, tricoté des cendriers en fromages de chèvres, on se serait roulé nu dans les rus pour la toilette et fait l’amour à plein toute la journée, dans le respect tu vois, on aurait viré le général et fait crever Pompidou, on aurait lu Charlie Hebdo, la Gueule ouverte, Hara-kiri en se bidonnant comme des oies sottes, on aurait écouté les débuts de Pink Floyd, de Yes ou du Maha Vishnu Orchestra au coin du feu, on aurait refait l’amour assez défoncés (et c’est ce qui m’intéresse le plus, clairement parce que les idées ne sont que prétextes), j’aurais eu les cheveux jusqu’aux fesses en nattes soyeuses qui rendraient dingues les filles et l’air vachement trop beat, et puis je serais rentré dans les ordres avec au moins l’impression de ne pas avoir passé une jeunesse de torche-cul allant chercher ses ordres sous la schlague des décideurs et des brigades, surtout, surtout, aujourd’hui aurais-je vingt ans de plus et pourrais-je attendre la mort avec un peu moins d’impatience.
Lu : Art game book
:: 16.07.2004 ::
Un jour vous émergez. Ah non.
Elle dit que j’ai les pieds sales et j’objecte : pas du tout, ils ne sont pas sales, ils se sont mélangés à la terre de la terre, à un peu de vase car j’étais jusqu’aux mollets dans les Dombes ce matin à m’ébaubir du ballet des martins pécheurs, là c’est un trace d’herbe et peut-être y a-t-il aussi dépôt d’un peu de sueur mais vois-tu j’ai justement su les préserver des détergents et des chaussures tannées en bains dont la chimie fait comme un voile s’assombrissant par-dessus les villes et nos têtes, tant qu’à faire je préférerais mourir d’un tétanos ou d’une gangrène que de suffocation, ce qui prouve si besoin était que j’ai définitivement passé le cap qui m‘érige en vieux con.
Lu : L'état de siège
:: 15.07.2004 ::
Peut-être la leçon est-elle qu'il faut abolir les valeurs dans le moment même que nous les découvrons.(Francis Ponge).
Je passe des heures dehors à rêvasser aux choses, le motif chinois que fait cette aubépine, les points brillants de la rosée parsemant l’herbe au matin, la fuite d’un merle croassant comme un début de Sibelius ou un riff de Ronson, la caresse de l’aube ou le claquement sec des rayons verticaux, les heures au clocher de la vallée d’après, je vais lentement par les chemins tentant d’éprouver une sorte de transparence qui me ferait incorporé, j’éprouve un attendrissement benoît pour ce couple de lièvres revenant du point d’eau nez froncés dans la luzerne, je pense à mon oncle Henri qui se disait poète et découpait des maisons de papier à fenêtres surprises, au silence qu’il aimait et à sa voix aimable, sa pipe brûlait comme une vieille habitude et sa maison de pierres dorées… je n’ai jamais parlé de Ponge avec lui, jamais essayé de lire ce qu’il laissait dans ses cahiers, jamais fouillé sa bibliothèque ni ses rayonnages de disques, maintenant il y a Jacques qui bientôt trépassera et son passé d’anarchiste, résistant, syndicaliste, anticlérical, et mon grand père, les vrais bijoux de famille en somme avec qui je n’ai pas passé assez de temps, qu’ai-je diable tant à faire qui soit plus important ?
Lu : Requiem pour une nonne
:: 14.07.2004 ::
Monsieur, vous êtes un songeur. Et l'important n'est pas de savoir à quoi vous songez, ni pourquoi, mais quand et quand, uniquement.
Immanquablement j’en viens à paniquer : ma certitude de savoir écrire, mon attachement à l’idée que je suis un poète n’est-ce pas, que l’agencement des mots et sons dont je suis le premier zélateur (et forcené avec ça), que cette lubie d’envoyer mes manuscrits et de donner voix, sur le web, à travers ce blog à ma plainte journalière, fierté, orgueil, pédanterie, tout cela me constituerait au mieux comme un à moitié dingue personnage tel qu’on les voit dans l’émission striptease, chanteurs étanches à tout jugement, cinéastes inconscients croyant détenir quelque génie, Dom Juan de pacotille, inventeurs de fil à couper l’eau tiède ou fabricants de soucoupes volantes et je serais pareil à ceux-là gentiment demeurés, mes amis dans mon dos se moqueraient doucettement de moi non sans me trouver quelques charmes dérisoires, mes lecteurs ne viendraient que pour s’esclaffer ou alors remonter le ressort de leur énervement, il y aurait quelques filles non émergées des posters de Sarah Moon ou de chevaux dans l’écume, d’anciennes adoratrices de la prosodie à Cabrel ou de celle à Balavoine retrouvant dans le blog d’os tous les ingrédients qui flattent leur mauvais goût ou son absence, un jour une voix un peu mieux avisée, solide que celle de ma (basse) cour viendrait me faire fermer ma gueule et me dirait : « Réveille-toi Eric, il est temps de prendre pied, il faut faire de l’utile maintenant, après tout, t’accrochant, peut-être ne ferais-tu pas un si mauvais vendeur d’assurances vie que ça. »
Lu : Les olympiques
:: 13.07.2004 ::
La tristesse de l'intelligence artificielle est qu'elle est sans artifice, donc sans intelligence (Jean Baudrillard).
Ils viennent pour se pinter, et c’est toujours les mêmes colères, L. me fatigue de sa grosse voix, de ses arguments que je connais par cœur, A toujours aussi jolie, l’autre que je ne connaissais pas, sympathique peut on dire mais un peu limace sur les bords, j’en ai marre de l’alcool, du bruit, du rire, du temps meublé n’importe comment et des vannes potaches qui censément sont pour me dire qu’on m’aime un peu y compris si je suis plutôt différent, je plaque tout le monde et vais photographier la Fourvière allumée aux bengales, un type m’engueule d’avoir passé tout le spectacle derrière l’œilleton de mon reflex « comme les Japonais », je soupire et rétorque : « si seulement, Monsieur, si seulement… »
Lu : Cool memories
:: 12.07.2004 ::
On dit qu'en France tout finit en chansons. Moi, je sais bien par quoi commencer.
Pour les trajets en voiture il y aura un carnet de chansons plein de feuilles volantes et de gribouillis plus ou moins accessibles, du Brassens, des comptines, du Julien Clerc ou de l’Alain Souchon, Annie Cordy Carlos ou Henri Salvador je m’en fiche au fond, et Bécassine même s’il le faut, un répertoire couvrant de la fin du dix huitième à nos jours revisitant aussi les tubes noirs des années trente et répertoires de rue, Da Silva, Edith Piaf, Tino Rossi, une chanson gaie, douce, triste, populaire forcément, une qui se fredonne en famille pendant que l’auto s’ébroue des kilomètres, plus tard du Ferré, des Beatles, Floyd, Bowie, Pixies, l’indispensable, on chantera à tue-tête tous ensemble dès que ce sera possible, je vais te la réhabiliter moi, la famille, et tant qu’à faire, la nostalgie et la rigolade avec.
Lu : Les hommes sont des petits poucets
:: 11.07.2004 ::
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce que vous vivez aujourd'hui fabrique vos souvenirs d'hier.
Maud décape une espèce de berceau des familles début de siècle, faut la voir bras énergiques et poitrine laiteuse débordant un peu de sa robe, gros bidon plus rond encore qu’on ne le croit sous l’impulsion d’un bébé super actif, gestes puissants, jet d’eau généreusement éclaboussant cheveux clairs, yeux verts cillant dans des soleils irréguliers, j’en prends mon compte d’images, de souvenirs, de cette période douce parfois, tout ça qui fait l’existence, le passé, la mémoire, je me demande aussi de quoi je me souviendrai quand, cloué au lit ou au fauteuil, je n’aurai plus comme alternative à l’immobilisme que de remuer les lèvres en évoquant la splendeur de l'antan.
Lu : Le dernier automne de Verlaine
:: 10.07.2004 ::
Rat des viles ou des champs... est-ce bien la question ? Etes-vous un rat, au moins ?
Peu importe le dix, au Semnoz et villages alentour l’on fête la prise de la bastille le samedi, manière de danser un peu plus tard, il y a un feu d’artifice tiré sur fond de vièle et des matins du monde, il y a d’antiques guimbardes remontées à la choucroute et au polyester et qui font course, il y a ces trois filles longilignes et naïves qui me demandent du feu –désolé, je ne fume plus- qui avouent leur timidité, la montagne s’embrase moyennement, moyenâgeusement puis finalement se bouquète sous les oh des enfants tout contents d’avoir veillé si tard, les cafés sont bondés de gens qui picolent sans prétextes autres que de se faire péter la cruche. Je rentre me coucher sous l’édredon, sur un matelas en laine, dans un lit en noyer, me questionnant vraiment quant à la schizophrénie qui me fait appartenir comme un des leur(re)s et alternativement à ceux des villes ou bien à ceux des champs.
Lu : Les mariés de Fleischer
:: 09.07.2004 ::
Comme la neige vient mal en été et la pluie pendant la moisson, ainsi la gloire sied mal à un insensé.
Un été formidable, vraiment, ce qu’il faut de froid et de pluie, tout mon saoul de ciels en friche, de gris froissés et de bleus violentés, du vent plein les soutes et verts à fond de prairies, rivières grosses et bottes tâchées, fleurs mouillées de vie, animaux abreuvés et climatiseurs inutiles, sols lourds, vers à poindre sans rien faire, pulls irlandais sortis des rayonnages et peaux pâles, longs dodos à l’abris des couettes et petits matins resplendissants, je n’en veux pas d’autre, vraiment.
Lu : L'impasse de Bab Essaha
:: 08.07.2004 ::
Les esprits censés qui savent lire entre les lignes, constatent chaque jour les violences les plus audacieuses perfidement cachées sous une forme légère.(Alexandre Pothey)
Ils sont mignons les coquelets s’étripant pour une présidence ou une favorable opinion. Mais faut dire : on n’en a rien à foutre.

Tu peux bien t’étriper avec ton dauphin afin de choisir comment dépouiller la carcasse, tu peux bien nous saloper la république et virguler autant que faire se peut les murs du palais, tu peux être le premier à aller prendre, intime, tes ordres auprès du Sellière ou de la banque centrale, on s’en cogne. Tu es mortel. Ton coreligionnaire idem. Vos entreprises, vos produits, vos combines ont fait feu avant même que d’être. Nous les connaissons, nous les imaginons, nous pouvons si nous le voulons être plus sordide encore que toi. Que tes frasques et celles de tes chiourmes remplissent les pages et les écrans, peu nous chaut. Tu mourras avant la plupart d’entre nous, c’est un fait que l’on peut dire sans diffamer, tu mourras et cela est bien comme ça.

Nous nous préoccupons des arts et de nos familles, nous nous nourrissons de la douceur des amours que nous nous accordons dans nos couches et à nos tables, quand nous fermons les yeux le soir et avant de trouver le sommeil, ce n’est pas à l’abordage de l’ump que nous consacrons notre pensée. Nous vivons les siècles et le savoir juste, nous sommes éduqués à la paix et nos désirs sont plus vieux que toi, plus puissants que ne le sont tes sbires. Ils te survivront. Ils triompheront, que tu te démènes ou non. Ce n’est pas la première fois que toi, ou bien ton frère, tentiez de briser notre allant au beau, à l’affable et au courbe. Et ce n’est pas la dernière. Pourtant, tu vois, notre espoir reste intègre, nos enfants naissent, nos bibliothèques encore s’ennoblissent tandis que ta voix, déjà, s’estompe comme le font les piètres épisodes et les histoires mièvres.
Lu : Journal d'Espagne
:: 07.07.2004 ::
C'est presque tout que de savoir lire. (Alain)
De vous non plus je n’ai pas eu de réponse, ma lettre sans doute était confuse.

Quelques entrées plus haut, dans ce blog, j’ai dit mon écriture cassée. Ma lecture l’est aussi et j’ai perdu l’entre les lignes ainsi que le chiffre qui me permettait de saisir vos messages secrets. N’importe quoi qui fasse plus de dix mots, je ne le comprends pas et si ma volonté les premiers jours m’a mené jusqu’à l’épuisement, je n’essaie même plus. Je recouvrirai. Ou pas. J’ai tellement changé déjà. Ma vie, sept vies. Comme les chats.

Peut-être ne lirais-je plus à l’avenir. Peut-être qu’il n’y aura plus de poèmes, plus d’écriture autrement consacrée qu’à l’administratif, à la rédaction de rapports, qu’à légender quelques petits travaux dont, de toute façon, vous n’avez ni besoin ni envie. Peut-être m’avez-vous répondu que je n’ai pas su saisir.

Puisqu’il faut faire montre d’un peu mieux de clarté, je dis ici que je ne vous juge pas, que mes références aux bibelots d’inanité sonore ne concernent que moi et mon travail, que chaque vie est une pièce de la mécanique d’ensemble et que vous y avez votre place, même plutôt deux fois qu’une puisque vous l’écrivez. Je dis aussi que votre parement ou votre complexion me préoccupent peu : si j’aime votre voix, cela me suffit pour vous aimer tout à fait. Le comprenez-vous ? De sang, de souffre ou d’encre, d’air poudré de la guerre ou des boudoirs, du salin des mers ou bien des marécages, d’une rémige corbeau ou de la plume de paon les écritures sont mon biais à biaiser et autres verbes pas si distants. Je dis enfin ma disposition à exécuter ordres et demandes, après tout faites-vous montre d’assez de liberté, ce me semble, pour commander les liens qui vous attachent de ceux dont vous souhaitez vous affranchir. Ainsi je disposerai.
Lu : La muette
:: 06.07.2004 ::
Au regard de ce qu'est l'amour, être amoureux vaut assez peu
Jamais vous n’aurez mérité mieux votre nom de baptême qu’une autre vous trouva, l’absente, ce nom qui depuis s’impose quand, sans imaginaire, je prononçais seulement votre prénom d’emprunt, le tragédique officiellement donné il y a vingt et quelques printemps.

A la lecture de ce blog, et de ce mot, inquiétude, Maud me demande si je suis amoureux d’une autre et ma réponse est non, seulement je n’ai pas de vos nouvelles et je sais trop bien qu’il est des silences plus pesants, plus altérants que vos écrits. Mais je ne mens pas. Non, je ne suis pas amoureux d’une autre, l’adjectif ne suffit pas, il est trop pauvre, trop étroit, et puis qu’est ce qu’être amoureux ?

Ce que je ressens vaut cent fois cela, l’amour, c’est le fil qui tient et guide, c’est celui qui tire du lit le matin et mène dans le dédale et le désordre jusqu’au soir, c’est l’admiration inouïe, une reconnaissance logée aux creux du ventre et cœur, c’est cette image très douce de vous évanescente, de votre silhouette effleurant la ville, les couleurs, la pluie, les âmes et les corps, c’est le gracile de vos mains en orbes par-dessus le mouvement et les vagues, c’est vos battements de paupières comme autant de faire sens à la continuité, vous être fidèle quelque soit votre inconstance ou votre tristesse, ne vous imaginer qu’en de beaux endroits, aériens, chics, vous voire boire nectars et champagnes, savoir qu’encore vous êtes vêtue de rouge et de souples étoffes longues, c’est me dire que vous baignez votre peau aux laits les meilleurs et entendez quelques disques que j’aurais choisis comme vous, c’est éprouver que peut-être vous n’êtes pas, sinon la meilleure partie de moi-même.
Lu : Cité de verre
:: 05.07.2004 ::
Il y a toujours une clé, un code, une astuce dans la composition de ces textes. C'est l'occasion de se distraire, peut-être, d'une seconde lecture.
Peu attaché aux matières, souvent je prête, ou donne, ou jette. Les meubles et les objets, les joujous technologiques, les bibelots, les lampes, vases, fauteuils, mes livres précieux car il n’est rien que j’aime tant que d’aller fouiner chez les bouquinistes remplacer les pièces de mon stock disparues ou cédées, finalement je n’aime pas à posséder, tout est babioles qui m’encombrent.

Chez moi je ne possède que l’espace, à condition qu’il soit vidé, aménageable, potentiel. J’ai de la hauteur de plafond. J’ai provision (ou épargne) de mètres disponibles entre le bureau dont j’use et tel mur ou porte. Ce passage, cet intervalle non comblé m’appartiennent.

Je vis entre les choses, entre deux machins qui pèsent pour peu qu’il faille y consentir attention. En voyage je déteste les sacs et les poches pleines. Ici j’ignore le mobilier. Je suis locataire d’une voiture dont la carte grise est pourtant à mon nom, d’un appareil photo ou d’un ordinateur pour lesquels l’on m’a donné factures. Mes rêves fluides sont en pantalon de lin et chemise presque transparente. Mes cauchemars claustrophobes se situent dans cet univers de bric à classer, ranger, conserver et de broc à entretenir, déplacer, arranger. Je trouve les objets lourds, vulgaires et sales. J’y vois l’industrie corruptrice et spolliante qui les produit, les gluants camions qui les transportent, la main d’œuvre souillée et la débauche d’accroches commerciales qui en soutiennent la vente, j’y vois les efforts désespérants en organisation du quotidien qui tendent à les échanger ou les appartenir, j’y vois les bêtes malades que sont les hommes qui les détiennent et se prémunissent du vol, des détériorations, il y a aussi toute cette énergie dégueulasse à terme qui fabrique et façonne, les peurs de n’en pas avoir tout à fait son comptant, ne pas partir pour l’Argentine cette année, c’est me sevrer d’un remède qui me fera férocement défaut…
Lu : Chroniques d'un buveur de lune
:: 04.07.2004 ::
On ne saurait stigmatiser par trop d'expressions le vice de ces hommes souples et trompeurs toujours prêts à parler comme vous le voulez, non comme la vérité l'exige. (Cicéron)
Epluchant le contenu d’une grosse carte mnésique, je comptabilise ce que j’aurais gardé de ce géant mariage : trois clichés assez glamours d’une petite fille qui me poursuivait en tous recoins et m’offrait des fleurs de papier crépon, deux enfants sortant de la piscine et plutôt beaux cillant dans le couchant du Var, une ribambelle de chapeaux des mamans d’époux-d’épouse en toute position, des portraits faits sur la terrasse mais à la dérobée, quelques images décevantes de l’orchestre de jazz où ne ressortent ni le mouvement ni l’harmonie, des regards et des bouches qui parlent, qui disent, qui expriment plus qu’ils ne s’expriment, sûrement.

Comme mon écriture est cassée ma parole l’est aussi, ou ma sociabilité, ou ma capacité à me présenter sous un jour nouveau, celui d’une vie allant quelque part et réalisant au jour le jour. Bien entendu il y a quelques nouvelles réjouissantes, Maud et l’agrégation, ce bébé à venir pour lequel j’en suis de si peu et c’est à peu près tout. Je gère, comme l’année dernière, quelqu’options mi engagées mi caritatives. J’ai un peu rédigé. Comme l’an passé. Mes romans se voient rejetés après palabres. Comme en deux mille trois. J’ai quarante ans, pardonnez-moi de ne pas insister. Quand vos existences sont tellement monticules et bouleversements, objectifs et attentes, la mienne est à peu près étale, rodée, constante. J’ai à peu près lu tous les livres et pour ce qui est de la chair, cela me regarde, qu’elle soit triste ou autre. Je ferai encore. J’aurai, aussi. Mais que sera-je d’ inattendu ?

Je n’ai parlé qu’aux miens et puis me suis couché très tôt, refusant de danser, et les regards. Raphaël et Julie sont mariés. Au cœur du tourbillon, de la musique et de l’alcool, il n’y a que cela qui soit de nature. Le reste ? J’ai les photos, déjà figées.
Lu : De Amicitia
:: 03.07.2004 ::
T'es pas une maman si tu sais pas tout réparer.
A cinq heures du matin il y a deux ans je suis réveillé par mon téléphone que pour une fois je n’ai pas tu, c’est le phrasé incrédule du docteur qui dit la mort de maman bien-que-pourtant c’est à peine croyable voyez-vous, car elle était plutôt calme et son état général n’est-ce pas ne laissait pas présager cela si vite, je réponds je sais, je m’y attendais, ma voix dit cela et d’autres choses qui consolent ou rassurent ou dédouanent se plaçant dans une tessiture étonnement basse et puis raccroche, je m’assois sur le bord de mon lit et, boutonnant ma chemise, je conçois que la journée sera longue, qu’il faudra ménager les miens que j’ai préparés de longue date, que je ne verrai pas le corps, pas plus que j’ai voulu voir celui de Juliette, pas plus que celui de Fred ou de Cyril, ni celui de Samuel, ni celui de Léon, je cherche un peu sonné une terrasse de bistrot susceptible d’accueillir ma torpeur pensive et puis j’appelle. Nicole dernière survivante. Mon frère s’attachant à l’impossibilité des faits et détruisant son combiné de rage. Je négocie avec les pompes macabres la mise à feu la moins coûteuse qui soit, règle les questions de banque, de notaire et de mairie, parvient à joindre Maud qui s’est isolée en Savoie mais reviendra au plus vite, je passe à la maison et m’assure que tout va bien, coupe au hasard quelques roses que j’ai l’impression de voler et brûle le contenu d’un tiroir à correspondance privée, à vingt et une heures je me glisse sous l’édredon après m’être assuré que mon portable est cette fois-ci hors de l’état de nuire.
Lu : Beginning with O
:: 02.07.2004 ::
Il faudrait remplir les sabliers d'une matière qui serait inerte, solide : ainsi, peut-être, pourrions-nous enfin prendre la mesure du temps.
Nuit de broussailles et sauterelles, il est toujours sept heures du matin quand je me lève ici, il est toujours juste à temps pour le renouvellement du jour en strates orange et violâtres avec ce petit quelque chose traînant entre deux teintes, entre loups pâles et chiens de feu, entre tous chats gris et souris vertes, je parcoure la lande reflex en paume et déclenche à la va-vite Aux fins de piéger le millième basculant, celui de la transfiguration, celui flottant à mi entre l’écriture de la lumière et l’avènement des réalités perceptibles, partageables, communes.

Si je réussissais ce cliché là, je pourrais le montrer et dire : « voyez les déséquilibres s’annulant exactement dans l’instant et érigeant la pointe réelle, le monde n’est ni avant ni après sans travestissement, le monde connaît une fraction courte du pur et c’est cet instant là ».
Lu : Dictionnaire amoureux de l'Amérique
:: 01.07.2004 ::
Traçons le vrai portrait de Paris : au nord, le mont Martre ; au sud le mont Parnasse, entre les deux la Seine, et sur la Seine, la piscine Deligny. (Alexandre Vialiatte)
Nous flashons nos quatre cent kilomètres de bitume et voilà les oliviers, la collinette, les ânes paissant au pré les foins fusant de jaunes et les derniers frais coquelicots de l’année, il y a les deux encablures à la fin faites en entier du blanc sec des graviers et poussières, il y a milliards cigales et milliards pépiant, bruissant, zigzagant, il y a le chine bleu sombre d’un ciel crêpé d’étoiles et les hordes nocturnes qui prennent leur quart, il y a la ronde des chasses et des échappées comme une enceinte autour de nous délitant, tranquille, la touffeur diurne du mercure. Les salades arrivent. Le pain d’ici. L’odeur des fleurs et de la chaleur qui se tasse au creux de la nuit naissante. Des poivrons trois couleurs et un rosé plus ou moins recommandable. Le ressac qu’on devine à la saumure de l’air. Raphaël et Julie se marient. Et moi, tellement du nord pourtant, moi qui suis amoureux, bêtement, communément, banalement, moi qui me découvre amoureux donc : le sud, avec passion.
Lu : Pensées de sel
:: 30.06.2004 ::
Fourches caudines ou glaive, ou ridicule, il y a feu que j'ai pris connaissance de ce que sera ma destinée.
Ca s’est éteint, arrêté. Cela a calé. Ca s’est bloqué. Plus un mot qui vienne, plus un air, plus une mélodie. Je me suis asséché, dix huit mois de blog et puis s’en va, s’en vont, même mes fameux petits carnets restent blancs d’annotations, les biographies, les discours, les chansons, il n’en reste rien que ce qui déjà a été, les poèmes que je gardais pour moi, les romans dont aucun éditeur ne veut, les lettres dues à mes amis, rien de tout ça qui soit honnêtement pérenne. Des coups d’épée dans l’eau. Des vaches qui pissent dans des violons. Des pets de mouche sur toiles cirées. Je fais des photos. Et me noie dans l’image.
Lu : La maîtresse de Brecht
:: 29.06.2004 ::
N'y a t'il pas, dans ces mots, presse, information, un double sens susceptible de nous enseigner quel objectif, exactement, est poursuivi ?
L’étranger, du moment qu’on n’y parle pas la langue, fait jouvence et les retours, à chaque, c’est une bonne baffe en plein le groin. La presse toujours. La radio. Les cortèges succubes et noirs, les nuées outre-tombe et les mouvances hennies. L’humanité située dans une laideur dont on ignore où elle se terre. A ce spectacle il est aisé de comprendre bien les ceusses s’isolant dans la pensée confort du tout va bien puisque ne mugissent à leurs portes aucune bête, que le cellier regorge de frais et gras, que chaque battement d’heure apporte son rire ou son confort aimable, mais, du sauve-qui-peut à la résistance moi je balance. Après tout à l’huis de mon chez moi aucune bête, du frais du gras, et mes heures sont bien souvent heureuses. Pourtant j’ai choisi l’agacement

La sagesse commanderait à m’entendre aux choses et au monde comme il va, je pourrais marcher main dans la main avec l’ambiant et ne rien dire, même ne rien ressentir et puis juger des cataclysmes à l’échelle des paléontologues ou des relativistes. Sur de longues durées, voyez-vous bien que l’heure n’est pas si grave, des crises il y en eut, celle-ci n’est pas la dernière, l’humanité, quand bien même sa barbarie potentielle encore se tient debout… je connais aussi la subjectivité de l’impression que l’histoire s’accélère, le ridicule des résistances au progrès, la fatalisme que suscite de clore un millénaire… pourtant, j’ai choisi l’agacement.

Lu : L'agence
:: 28.06.2004 ::
La chaleur se vertèbre/Il fleuve des ivresses/L'été a ses grand-messes/Et la nuit les célèbre.(Jacques Brel)
Où l’on mange des wouelchs et des œufs parfaitement pochés, où l’on fête en famille, une fois, deux fois, trois fois, au Louvre ou en bonnet Péruvien, au cœur du Beaujolais plus tard, c’est la ronde des champagnes et des mots doux, c’est menuets souriants et charmants entrechats, un brunch, un train, ma marraine et Camille, tous les autres, je veux me fondre là à l’âme de chacun, je veux disparaître dans un sourire comme le chat de Carroll et flotter, toujours, dans la douceur des gens du nord et tous ces regards bleus ou bruns. En fin de journée, il y a le premier soir vraiment d’été de l’année deux mille quatre.
Lu : La confusion des sentiments
:: 27.06.2004 ::
C'est assez difficlie de vivre dans le malheur. Mais peut-être pas autant que d'être heureux.
Brice confirme, s’il était besoin, l’intérêt du silence. Qui retient tout et s’intéresse. Qui comprend au sensible. Qui propose en interrogations, vous laissant ainsi tout à fait cheminer. Ma famille extraordinaire. Ou ce qu’il en reste tant des têtes sont tombées. Il y a deux ans exactement nous allions dans une pente à quarante cinq pour cent vaincre la hauteur du Semnoz parmi les pâturages et les troupeaux noueux des vaches montagnardes, Nathalie adorablement pâquerette entre les dents, Brice le mollet campant et l’œil curieux de tout, Maud en robe légère quoiqu’ayant un pied sacrement marin et moi la mort à venir de maman plein l’embrumé de l’âme, nous avancions au soleil de midi en rigolant, l’air encore voletait en ondes fines qui piquaient parfois comme l’eau-de-vie, il y avait grâce de pépiements alentour ou le tracement d’un bourdon fonçant à travers tout les élytres pleines de pollen jusqu’au dépôt du bercail, des nuées de trucs décrivant forces courbes en apesanteur absurdes ou très savantes, et puis la masse à patte crapahutant au sol d’un objectif à l’autre, ronces enchevêtrées, orchidées ou fleurs semblants, buées venues droit d’on ne sait où et proposant le cortège joli d’un flou très réussi, craquements des bois sans l’aide de nul mais toujours triomphants…

A deux cent kilomètres de là, ta chambre aux teintes hospitalières, l’odeur de l’éther, le petit meuble de tôle surchargé de drogues pas très tentantes et ton discours qui jamais n’a varié, ta mine have et puis tes traits brisés, ce jour là il me fallait choisir un camp, ce jour là j’ai compris que le courage, le vrai, consistait à vivre le mieux possible, qu’être brave c’était tout faire dans le sens du bonheur, que cette chose, le bonheur, se nourrissait bien plus diététiquement de se taire que d’hurler sur les toits, ce jour là je gagnai les galons d’un aphasique hussard.
Lu : L'homme-sœur
:: 26.06.2004 ::
Un regard de plus et vous serez sourd !
Que mon dernier roman soit, peu ou prou de discussions ou non, refusé de toute part m’affecte plus que je ne l’aurais cru et j’ai beau tendre l’oreille, aucune voix qui dicte, aucune musique qui berce, j’ai dit de mes amis qu’ils me manquaient ? Sans doutes suis-je vraiment seul actuellement, sans la cohorte des compagnons habituels qui dans ma tête chuchotent ou tonitruent, ceux qui, usuellement, font belles rimes ou vers pimpants, aboient, ceux qui composent et transfigurent, ceux qui rapportent depuis le titre d’une gazette, la marche aïeule d’une dame à chien ou le bruissement des arbres par delà remparts et parapets urbains (imaginez un peu que jusqu’ici je sois sourd, pour un peu j’aurais écrit « citadins » et l’on voit bien l’écart, on grince aux couacs et aux canards) la partition et le comment mener la baguette : je suis seul, sans mon orchestre et sans mes partitions.

Et puis il y a ce soupçon qui se confirme : rien ici n’est de moi. De l’intertextualité je ne connais que quelques mots qui font bien et des idées générales, rien en tous cas qui soit tant soi peu technicien, mais je dois reconnaître que curieusement, l’année dernière en Amérique du sud, cette année en Europe centrale et sans livres, la source se tarit. Ou alors est-ce d’avoir trop prêté à voir, regarder, qui affecterait l’ouie, un peu comme l’on dit des aveugles qui développent pour compenser une audition magnifiée, mieux sensible. Voilà. Remettre mes sens en ordre de marche c’est cesser d’écarquiller et préférer cligner. Et laisser ceux au bout de la laisse m’emmener où ils croient. Ecrire, peut-être, c’est confier son allant à un labrador qu’on n’affublerait pas d’une muselière.
Lu : Qu'est-ce qu'est la mondialisation ?
:: 23.06.2004 ::
Pensez donc un peu à une sphére humaine où vivre serait un sujet comme les autres...
Et puis je n’ai lu aucun livre, ouvert aucun journaux, pas consulté de messagerie d’aucune sorte ni fouillé aucun blog.

Je suis celui des résolutions radicales et des remises en cause, rien de ce que je suis, fait ou possède qu’on ne puisse discuter, railler, dénaturer. Excepté que je sois vivant, que cela me dépasse, que cela procure tous les droits dont celui de rappeler aux distants aux théoriques et aux imbus l’intérêt d’une certaine humilité à l’endroit de cette condition : vivre ne se discute pas, zéro distance, onques blabla. Même si certaines frustrations et incalculables manières de gloser, même admis que la rhétorique mérite sa place au rang de l’art, cela, je ne le voudrais pas.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 22.06.2004 ::
J'imagine souvent plus durement ce que j'imagine que ce que je vois.
A la terrasse d’un grand hôtel, promontoire idéal qui donne à voir un ébouriffant défilé sur le boulevard, j’observe les filles descendre la rue léchant des glaces ou des vitrines juchées toutes sur des talons au minimum aiguille éperonnant à chaque ma matière d’homme et ce que d’autres nomment faiblesse. Silhouettes minces et graciles, dansantes, aiguisées, visages slaves et peaux pales, je vole ici un éclat dans l’iris, là une moue et puis tous les corsages et toutes les échancrures, je crois même soupirer.

Changeant d’angle j’aperçois à ma gauche Maud lisant, son corps détendu et ventre tout rond, sa poitrine qui pèse et ses jambes nécessairement dévolues au rôle de soutenir, elle et le bébé, je passe en un centième d’un désir informe à l’amour le plus tendre, je comprends que, contre toute attente, j’aime à être l’homme d’une unique, l’homme d’une seule.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 21.06.2004 ::
La couleur, partout, un noir et blanc qui s'improvise comme les feux de camps.
Tons sur tons en jaune du couvent Sainte Cécile (voilà où résider) tranchés par le ciel d’un bleu coupant, les verts doux de l’ancien cimetière juif et les tombes comme soulevées de terre par les morts en noms propres, soixante dix mille patronymes avec les dates de naissance et celles d’exécution, une fenêtre de laquelle l’on précipita beaucoup… les senteurs du palais Wallenstein. Et puis de bonnes adresses, pour le chocolat par exemple l’on ira au café le Louvre tout à fait imbattable en la matière. De la main gauche Maud frôle Saint Jean, je la photographie : comme l’exige le protocole elle ne dit rien du vœu à exaucer s’il vous plait on ne sait qui mais je sais bien qu’elle vient de réussir l’agrégation, pour les résultats effectifs il faudra encore patienter quatre jours, mais Prague ne triche pas, et ça, ça, c’est pas pareil.

J’imagine qu’en France l’on fête la musique. Nous aussi. La musique est partout, ici elle se célèbre, mais à l’année.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 20.06.2004 ::
Connaissez-vous Prague ?
En dehors de l’hiver, Prague est tout à fait autrement, pour ses jeux de lumières, pour ses textures et consistances. S’opposent ici plus fort, quand la neige et la brume en estompaient pour peu, certaines rudesses de luttes, certaines contradictions. La ville ici porte dans le baroque des façades, les statues équestres ou non et l’art nouveau des fleurs et bêtes quelques saisissants stigmates de ce pourquoi les hommes s’affrontent ; son histoire. Le temps y fut rêche chose. Le temps y fut parfois amer, il tourbillonna en menaces et tumultes, il y fut froid jusqu’à le saisissement du corps attendant quelques peut-être printemps.

Brisons là : les poètes et les saints (ne sont-ils pas mêmes ?), les songeurs et les peintres rendent compte, uniquement, voilà leur faillite, quand on croit qu’ils présupposent les modèles sociaux et rappellent à certaines vertus (ce à quoi l’intelligence des systèmes leur laisse croire), ils plient en fin de partie, ils s’affaissent et se vautrent dans la chronique, seuls les mots comptent mais qui ne peuvent rien contre les armes, les mots de rien qui n’ont au fait aucun pouvoir.

Qu’on fasse sortir le Golem de la glaise ou qu’on jette aux yeux du monde entier l’épais des ombres écrasantes du château, qu’on compose un solfège nouveau tressé à l’eau baignant les piles du Charles ou qu’on contrepointe polyphoniquement, les chars viennent à la fin, les chars ou bien les grues. Le paysage urbain, pourtant, s’est échappé d’une terre plane, lui aussi, mais il reste, il se pose aux yeux du natal, à ceux du visiteur comme étant de toute éternité. Tenant les mains de Maud, je la guide sur quinze kilomètres dans ces rues connues de cœur et de sang : partout, sous le cru de l’été, ma vue se trouve bien vite stoppée.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 19.06.2004 ::
Oui, Bach, Mozart, Dieu, elles commencent toujours par ça. Ça fait conversation honnête, alibi moral. Et quinze jours plus tard, trapèze volant sur le lit.(Albert Cohen)
Don Giovanni à l’opéra de Prague, il y a la quatrième minute et le trépas du père en une litanie insoutenable et le chant du félon et le catafalque d’une femme enveloppée de douleur et de honte, quelques notes de hautbois très secrètes murmurées en un souffle au fond de la fosse, j’éclate en sanglots irrépressibles, rien qui puisse contenir cela, mes larmes, mon sel, ma morve, cette musique de plainte absolue qui transperce et broie mes os et mes muscles, il y a père et mère, et ce fils tuant celui barrant le chemin qui mène à l’élue, ai-je, moi aussi, été le sujet d’un complexe oedipien ? Ou est-ce trop de beauté ? En Italie six cent quarante et une, mais en Espagne elles sont mille et trois !

Moi aussi j’en ai connu mille et trois en Espagne, moi aussi j’ai rompu des mariages et brisé des confiances tout pris dans mon délire sensuel et l’impossibilité de refuser quoique ce soit de l’odeur et de la peau des femmes, je n’ai pas peur de dieu, ni de mon père, ni d’un quelconque envoyé fut-il messianique, je blasphème et profère, je me tiens droit dans le sang de mes crimes, je ne regrette rien même s’il faut à la fin périr via atroce brasier, je crache, je flambe, je frime, je jouis à bloc de mon éternelle jeunesse car voilà longtemps qu’il est signé le pacte avec le diable, en attendant la grand salle de l’opéra de Prague s’emplit de mes pleurs intègres et intégraux, de ma gratitude sans limites qui muettement s’adresse au fantôme de Mozart.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 18.06.2004 ::
Il faut aussi savoir s'extraire de vos livres chéris, de cette représentation confortable pour plonger au cœur d'une autre : c'est l'heure du voyage.
Fin des épreuves d’agrégation d’allemand de Maud : pas la peine d’attendre les résultats puisqu’elle l’aura ratée et je suis persuadé du contraire, départ enfin pour Prague, mon frère son anniversaire. Moi, je rejoins le commun des hommes : je pars faire du tourisme avec un appareil reflex, je n’écris pas sauf des cartes postales, je n’emmène aucun livre et n’ai même pas pris la peine de réviser mon Kafka, j’aime mon frère par-dessus tout, j’aime Maud par-dessus tout, mes amis me manquent, je préférais qu’il y ait du soleil car après tout je suis en vacances, je m’inquiète des horaires du transport et de l’arrivée, je jette un œil à je ne sais quel match de foot et mon cœur s’énerve, j’achète des oreillers de transport pour se caler la nuque, j’annote le guide comme si je n’avais jamais mis les pieds en République Tchèque, j’oublie deux ou trois trucs de première nécessité, je passe des coups de fil… tout à coup tout de même je me réveille : qu’est cette absorption soudaine au quotidien ? Ah oui : pas de carnet, pas de blog, certaines réalités, de fait, se conduisent en hôte jusqu’à manger dans le creux de ma main, jusqu’à dévorer les paumes, et les doigts, les faits fourmillent, ma fille gigote, tout est bien à cette heure.
Lu : pas une page (sauf des guides)
:: 17.06.2004 ::
Qui vous a dit que j'étais moi ? Et comment l'avez vous reconnu, celui-là ?.
Effréné je multiplie les endroits et les rencontres, vérifiant une fois de mieux (si besoin était) l’improbable écart entre l’auteur et le vivant, à dix heures sûrement nous ne trouvons pas exactement la bonne longueur alors autant pépier n’est-ce pas ? Et puis même, il y aussi l’oral qui ne se fait pas dans le même temps ou les mêmes eaux que les moments de l’écrit aussi y a-t-il ruptures et discontinuités qui heurtent mon coté fille : je suis celui des choses qui durent lentement, calmement, je suis celui des danses langoureuses et des glissements languides, je suis celui des tâches de couleur impressionnistes et des diaphragmes tellement ouverts que s’y engloutissent toutes les lumières et aberrations chromatiques d’alentour ou de plus loin encore, je suis celui qui toujours devrait se taire car intervenir c’est prendre écaille ou bien esquille dans le lisse impeccable du tumulte s’ébrouant, et gerbe de flotte cinglée en pluies calquée de vents, et arrondis des voiles poussant navires à fond de cale…

Je ne suis rien. Il faudrait que cela se sache, se placarde et s’affiche, seule compte une voix qui parfois traverse, et encore, mais celle-là ne dit rien, il faut vous en convaincre, elle ne rend compte d’aucune signification, sa structure n’est qu’esbroufe des cinq sens et si elle parvient parfois à l’illusion alors c’est magnifique, superbe, splendide, un poème, un seul, le reste foutez-vous en jusqu’à la garde…

Aussi votre quotidien ne me concerne que s’il est de fiction. Et puis je m’en vais, une bise, une distance qui se fait naturellement, j’achète un grand sac en osier pour Maud, je vais à ce déjeuner de gens importants mais qui fument et s’égosillent, je prends la tour Effel en photo en cadrant très droit dans un ciel pétant de bleu et de nuages un peu à la Vermeer, je vais traîner un peu aux Batignolles avec un bouquin, je rejoins mon frère super beau et mon cousin super beau, et ma cousine dont je tombe amoureux à chaque tant la beauté incandescente crame la rétine, la rétinette, la pellicule, et Maud qui est à tomber avec son joli gros ventre de femme enceinte, et Stéphanie aux yeux pareils à un corail très somptueux et dont je tombe amoureux à chaque car voyez-vous, cette voix-là, et cette patience, cette sagesse, et cette joie exubérante, merde, je suis amoureux tout le temps, c’est épuisant, et puis vous me manquez, je ferais bien mieux de me taire…
Lu : trou de mémoire
:: 16.06.2004 ::
Au moins une fois j'aurais aimé.
Maud Prométhée et Cassandre, et Hercule et Hélène, dans le sourire et la douleur repartant au charbon le matin une fois sanglotée l’âpreté des après la nuit durant, Maud mère courage et tous les mondes aussi, dans l’expression de l’espoir ou bien du désarroi, l’odeur et la précision de l’œil pourtant ne trompent pas. Vois-tu mon amour, même callipyge et affaissée dans la stature ingrate que donne la peur, privée de voix-privée-d’allant, persuadée d’être restée en retrait, en deçà, vois-tu mon amour, la conscience est un piège et contient sa propre limite, sa ligne de flottaison ou son terme à l’azur de manière proportionnellement inverse tant qu’à faire…

Premièrement cela réussira. Deuxièmement cela, déjà, est fait. Troisièmement je suis le seul juge et jury qui compte vraiment, celui qui insolemment et à rebours de toute évidence s’il le faut te soutiendra quoiqu’il advienne, j’avais écrit attendre de notre enfant qu’il me donne l’occasion de l’amour fou et ce n’était pas précis, l’amour fou déjà je le connais, il est là et commande ma vie à toi, jamais je ne pourrai ne pas t’aimer en fin de compte car cela est, cela fut, tu peux maintenant manquer ou commettre, tu peux mentir ou te reposer, tu peux t’affranchir de moi et même de cet amour, il vit dans l’indépendance complète de l’inamovible, du réalisé, de l’inaltérable, il a été et je pourrai toujours voir, au moins dans le souvenir ou dans ces lignes, la précision de ton œil, sentir ton odeur comme une vérité : cela est.
Lu : Lettres à l'Ashram
:: 15.06.2004 ::
La marée je l'ai dans le cœur, qui s'en remonte peu à peu...(Léo Ferré)
Le sixième arrondissement où vous n’êtes pas, les belles façades des maisons d’éditions et les rendez-vous intimidants, quelques pas au Luxembourg et un verre là où vous savez, le fort contraste des boulevards sous la chaleur du mois de juin, les nuées de touristes jetés des autocars et appareils en laisse, ces deux soirées déjà, ultra-mondaines et les cosmes micros qui se referment autour de moi, en ma qualité d’explorateur fou qui osa (le premier) habiter en province, le bloomsday se préparant rue des irlandais, auquel je vais faute d’arpenter Dublin comme la raison commande, les toits, tout de même, qui rejettent une idée haute du ciel ou de ce qu’il devrait, quelques passages, des visites très rapides car il faut voir tous et chacun, de la peinture et de la danse, de la peinture, de la peinture, les milieux de mes nuits offerts aux courtisées, les rencontres manquées (où êtes-vous noyée ?), les mots qui ne viennent pas, qui ne viennent plus.

De loin j’assiste effaré à la mise en charpie de cet autre blog, turpitudes et déchéances, dont l’écriture après s’être précisée s’enfuit à nouveau de son auteur, écrire une marée, un jour haute, l’autre basse, écrire un histoire ou des histoires peut-être mais écrire fait sa propre histoire et c’est celle-là qui m’intéresse, je me penche sur la factualité avec une sorte de dégoût comme à l’avant première de Venus et Fleur, comme pour Romher qui m’a souvent gonflé car à ne pas faire de cinéma quand nos vies indiscutablement s’inscrivent en jeux pas toujours mesurés l’on fait surjouer d’invraisemblables platitudes et surtout, surtout, je fais maintenant partie d’un autre monde, celui du goût et des couleurs, celui des cadrages parfaits où les sujets se montrent et se retrouvent, où les dialogues cinglent et les peaux s’adoucissent, alors… cette belle vie là, voyez-vous, j’en suis l’acteur volontaire, et le metteur en scène, et le réalisateur, surtout le photographe : le grain même du film ou de son pendant papier, c’est moi qui l’arrange plus que je m’en arrange, on ferra comme on voudra et c’est bien, il est des fois où l’on ferrait bien pourtant d’éradiquer les commentaires…
Lu : Ulysse (extraits)
:: 14.06.2004 ::
On veut voir Venise et puis mourir... S'ôter Paris de la vue, en revanche, c'est revivre.
De la Croix-Rousse souvent je scrute au nord quelque chose qui vienne et chamboulerait la torpeur du soir, je soupire en songeant à Paname, à ses prairies logiquement plus vertes, à sa souriante savane et puis que fais-je ici, quel échouement, quel ratage ? J’ai oublié, c’est tout.

Paris. Oubliée les vapeurs d’hydres et de carbones au point de suffoquer, la pétarade d’apocalypse qui cacophone chaque axe, chaque rue comme si l’on n’était au Caire ou bien à Barcelone. Oubliés les appartements si petits qu’on y fait trois pièces dans soixante mètres carrés et qu’un placard de telle surface ici se désigne comme vaste et pourquoi pas spacieux. Oubliées les peaux translucides parcourues de tics et couvertes de stigmates, les chevelures malades et les chemises tergal des espèces souterraines s’empilant dans le fer-blanc métro, les heures passées à ne voir ni arbre ni ciel, ce qui ici n’est pas si grave si l’on tient compte de leurs textures qui seraient altérées par l’omniprésente couche d’antimoine local. Oubliés les airs parisiens gluants de m’as-tu-vu et de fric inconséquent, gros gosses riches avec conduite à droite ou bien quatre-roues gigantesques agglutinés devant les magasins de marque où l’on va parfaire sa panoplie branchouille de prince des ploucs avec la mine finaude de savoir mieux que quiconque ce qui sera tendance, oubliée la manière de parler à cent à l’heure histoire d’en caser un maximum à condition que cela soit en même temps du dernier monotone, les fausses joies, les revenues de tout, toute la clinquance de cette vie enfuie il y a lurette (et comment ce ferait-ce ?), la bouffe depuis longtemps vidée de son rôle de nourrir et puis de sa saveur, les boissons jetées sur des tables format timbre poste et au prix de la myrrhe s’il vous plait, par des garçons speedés et moins amènes qu’à Vienne, les expos et spectacles dont on ne profite que si l’on apprécie de se trouver au milieu de foule pléthoriques hystériques et braillardes, j’ai oublié tout ça, et je comprends aussi que vivant à Paris, mon écriture s’exerçait diantre-fichtre mieux, voyez-vous, il faut un peu de cette laideur pour diluer son encre, et délier sa plume.
Lu : Emile ou de l'éducation
:: 13.06.2004 ::
On dit de l'œil qu'il posséde un pouvoir de séparation à condition qu'il mélange tout.
Ils diraient morne peut-être. Ou dépeuplé. Ils diraient qu’ils ne peuvent y lire d’expressions, dès lors ils diraient l’apathie et puis la lassitude. Mais non. Simplement je vais le regard calme, couchant le monde, ce que j’en peux, dans une lande de mémoire, entre le mauve et la bruyère. Le tumulte, je le laisse derrière. L’écume au blanc fracas, le vent poussé à travers têtes et membres, les esquarres, les plis des labours jonchés en le tumulte obscur et puis les blés ployant sous les coups à la mère des violences, ce dur appel de la corne rameutant bras et jambes l’équipage, tout cela, je le laisse derrière.

J’ai été capitaine. Quelque chose comme une frégate, ou une goélette entre deux amarrages. J’ai été bon soldat, et puis fils vaillant, et puis notable corseté d’ennui et de responsabilités en nœuds de soie par-dessus ma lavallière trébuchant d’or bonnement cousu. J’ai été celui qu’on hèle, celui qu’on tance et puis commande, j’ai été celui qui comme le cuir fait claquer la raillerie ou bien la récompense. Mes joues sont marquées d’humeurs souveraines, de froides aussi, le goût du fer. La trace des ivoires canins. Des favoris en boucles, des rouflaquettes. Mes mains sont tachées des graisses machines, des chimies dégueulasses bouffant jusqu’à section des doigts, de l’encre des décrets ; leur ombre planait en grognant circonspecte et toisait qui de droit. Mes mains considérables ! Elles aimèrent des femmes, et le doux souvenir, elles singèrent les codes d’hommes quand il fallu s’entendre, elles signèrent la paix, et la guerre, la mort et puis la guérison. J’ai donc été médecin, ou prêtre, peut-être soigneur pour les ours, les fauves, les bêtes fragiles, ministre ou général de ça, je ne me souviens plus.

Je vais le regard calme. Quelque fois l’air que je respire pique encore, comme jadis mais je sais prendre garde. S’époumoner, aller à la rupture des vocales, au larynx ulcéré de ce que le monde est monde ? Vous voyez bien que c’est inutile. Je prépare un enfant, sans vocation d’espèce, parce que c’est la loi, un commandement qui dépasse mon choix : cela donc m’agrée. Cela, donc, est mien. Je vois ses yeux, ceux de ma compagne et les de moi dans un semblable ensemble. C’est la tristesse et le curieux mêlés. C’est la colère et l’amour tout autour. C’est la parfum d’une averse ravagée au milieu de sa course et caressant le sol à l’instant de poser. C’est le poème tout le temps, et la chanson rigole, des lapins qui déconnent et des sorcières folles, et de la politique encyclopédique, et de l’histoire, quelques notes et une portée encore qui s’écrit, et cette spéciale façon de rêvasser : encore est-ce inutile. C’est un œil calme, allant au monde, et le laissant derrière.
Lu : pages d'archives du blog d'os
:: 12.06.2004 ::
Il y a longtemps qu'au courage je préfére la résignation.
Le blog d’os parfois c’est un peu n’importe quoi, une espèce de mélange de pas grand-chose et de rien régurgité des lectures, des spectacles, des idées vite saisies et des pensées fugaces, de l’énergie en vrac distillée à propos d’on ne sait quoi, la forme et le fond définitivement pas si souvent super, rarement l’essentiel.

Parfois je retourne aux archives et m’étonne d’y déceler une ligne ou deux qui vaille, c’est toujours au passé, à froid, ce que j’écris à l’instant est trop tiède pour que je puisse évaluer teneur et sens, rien ne compte que la discipline avec laquelle, d’ailleurs, je prends mes aises depuis quelques mois. Aussi la question de poursuivre, ou pas, se pose quasi quotidiennement. Et puis mes fautes d’orthographes qui me sont insupportables. Et puis mes airs gros malins, et puis mes indignations ridicules, et puis axiomes rase-mottes, postulats paltoquets, chansons de restes, chansons de gestes, j’ai prévenu : un os à ronger, pas mieux.

Il faudrait rendre compte. De l’ailleurs. De l’amour. Du vibrant et de l’instantané. Le tout bien plus léger. J’en suis incapable. Ici c’est le poids des mots, les mots pesants. Les mots des tonnes et des métaux tordus. Les mots en carcasses embouties des gros bateaux, des chantiers de bruits sales grasseyants de manœuvres. En titre voilà longtemps que j’ai opté pour : le blog d’os, machinchouette, littéraire, poétique, bla-bla. Tu parles. C’est l’abattoir oui, mieux vaut numéroter ses abattis, j’ai prévenu aussi : n’oubliez pas, une fois venus, d’aller lire quelque chose.
Lu : pages d'archives du blog d'os
:: 11.06.2004 ::
Le petit Nicolas... le petit Nicolas... attendez voir... ce n'était pas cette histoire affreuse que l'on comptait aux enfants quand ils ne se tenaient pas sages ?
Tout ce que j’ai pu dire concernant le gnome des finances, je le retire. J’ai parlé un peu vite. De fait je n’ai pas mesuré l’avancée sociale et culturelle que représentait d’exiger des grands magasins qu’ils procèdent à une baisse des prix.

Une publicité parue dans le télérama de la semaine tout à coup m’éclaire : l’enseigne Croisement (grâce à qui je plusitive) s’engage dans un combat noble aux cotés des français, au coté de la France. Ainsi sous la bannière « ayons le courage de faire baisser les prix » pouvons-nous nous émerveiller de l’aubaine qui nous est proposée : le système de dvd pour voiture, avec écran à intégrer aux appuis-tête et tout le saint tremblement vachement indispensable à partir de moins de trois cent euros, soit à peine plus que la moitié du montant de l’allocation de fin de droit. Quand je pense que les enfants de pauvres vont enfin cesser d’être privés de pub lors de leurs voyages d’été jusqu’à la zone commerciale la plus avenante, j’ai une bouffée de gratitude (pointure quarante quatre) qui me vient à l’endroit de notre cher petit Nicolas.
Lu : Un ami qui vous veut du bien
:: 10.06.2004 ::
La recherche a besoin d'argent dans deux domaines prioritaires : le cancer et les missiles antimissiles. Pour les missiles antimissiles, il y a les impôts. Pour le cancer, on fait la quête. (Pierre Desproges)
J’ai eu hier soir la visite d’agents assermentés du gouvernement et présentement préposés à la détection d’appareils télévisuels sis au logis. Costumes sombres, cravates irréprochables ce qui par les temps qui courent est une preuve de bravoure, souliers vernis et me voilà tenaillé entre ma ligne de défense du service publique et de ses fonctionnaires d’un coté et ma haine des opérations policières de l’autre. Econduire ? Prendre de haut ? Proposer un rafraîchissement ? Je n’ai pas le loisir d'opter pour tel ou tel, déjà les questions fusent :

- (le fisc) : Où est-elle ?
- (moi ) : Si seulement je le savais. Je m’interroge ! N’imaginez pas que je sois dolent, laxiste, tous les jours cette question de la localisation me taraude, celle de l’ailleurs aussi, les intrications de temps et d’espace qui ne se résument pas à un lieu mais se définissent à travers un croisement de dimensions non finies, et encore semblent-il que la question doive se poser différemment selon qu’on aborde les particules à masse constante ou celles à transfert de charge. Desquelles nous préoccupons-nous ?
- (le fisc) : Où est-elle ? Votre télévision ?
- (moi ) : Ma quoi ? Ma plait-il ? Ma quoi ni qu’est-ce ? Ma télévision ? Je ne possède ni chaîne en propre, ni action particulière dans une entreprise de ce type et je conçois qu’un jour, un gouvernement mieux responsable que les précédents l’interdise comme l’on a légiféré aux propos de l’absinthe, de l’opium encore que ces substances là me paraissent incomparablement plus nobles et propices à enrichir l’imaginaire…
- (le fisc) : Nous l’avons entendue. Vous regardiez le vingt heures.
- (moi ) : Pardonnez-moi, je n’ai pas saisi à temps que vous vous intéressiez, non pas à la télévision, mais à l’improbable éventualité que je dispose à domicile d’un poste de retransmission : je n’en ai pas. Quant au vingt heures, je m’offusque courtoisement de ce que vous puissiez me soupçonner d’être victime d’une telle opération d’insensibilisation quand je m’efforce au contraire de donner tout le cours possible à la musique et à la poésie. Ainsi, par exemple, le moment que vous avez choisi pour meurtrir mon huis était ici celui de la lecture de Goethe. Cela vous agréerait-il que j’en déclame quelques vers ?
- (le fisc) : Et le câble, là ? C’est bien le boîtier du câble ça non ?
- ( moi ) : Croyez bien que je déplore de n’avoir pas eu la chance de me voir formé aux métiers de l’électricité, d’autant que l’actualité me pousserait plutôt, en tant qu’usager et que citoyen solidaire à soutenir les initiatives syndicales contre la privatisation. C’est peut-être le câble. Qu’en pensez-vous ? L’est-ce ?
- (le fisc) : On n’a pas de temps à perdre. Où est-elle ?
- (moi ) : Je manque à mes obligations élémentaires d'hôte, il est inconvenant de nous faire nous tenir au vestibule. Puis-je vous proposer un tour du propriétaire ? Je possède une réjouissante collection de gravures orientales, ainsi que quelques bonnes toiles. De petits maîtres la plupart sans valeur marchande réelle, mais voyez, j’apprécie ce bord de mer d’Eugène Boudin, très différent de celui-là peint au dix-huitième par Van Decken et mentionné, je crois, dans la recherche de l'absolu de Balzac. Ici le grand salon, la bibliothèque qui me tient lieu de bureau…
- (le fisc) : Ah ! Vous avez un ordinateur !
- (moi) : Dont j’ignore le fonctionnement à vrai dire. Je serai bien incapable, si c’était nécessaire, de concevoir les circuits qui le composent mais j’en fais un usage régulier, certes.
- (le fisc) : Allumez-le ! Vous avez bien une carte télé !
- ( moi ) : Il y a affectivement tout un tas de cartes plus ou moins mystérieuses dans cette machine, mais pas de carte télé. Ne serait-ce pas étrange alors qu’une vie ne suffirait pas à profiter de l’Universalis ? Et puis il y écrire, aussi, qui comble formidablement, et dernièrement la photo, savez-vous qu’il est possible de se passer des bains chimiques et des lourdes machines maintenant que nous pouvons développer les tirages directement à l’écran ?
- (le fisc) : Bon, bon, excusez-nous, nous avons entendu les actualités et à l’étage personne ne paye de redevance. Savez-vous quel voisin a la télévision ?
- (moi) : Si je le connaissais, je le dénoncerais immédiatement car il me semble effectivement dangereux de s’adonner à tel vice, ou alors aurais-je déjà organisé un collectif, une ligue qui lui viendrait en aide… malheureusement j’ignore de qui il s’agit : je ne fréquente que des gens honnêtes, et puis, tout l’étage m’appartient. Vous ai-je fait part de ma réfléxion à propos du logement en métropoles ? Je ne m’en souviens plus, nous avons parlé déja de tant de choses intéressantes…
Lu : Ils s'aimaient
:: 09.06.2004 ::
Des mots rayonnants, des mots de lumière, avec un rythme et une musique, voilà ce qu'est la poésie. (Théophile Gauthier)
L’ouverture d’un battant lourd (et l’embrasure, et le cadre), ma porte grince trois notes longues très exactement semblables aux premières mesures de la petite musique de nuit, le dos encore endolori (combien de temps passé, enfoncé, défoncé, dans ce fauteuil en cuir), la pâleur de l’aube (il est cinq heures et je n’ai pas sommeil) à peine là longeant, rasant les murs (et le calcaire retombe en poussières), la silhouette en masse failles et masse brisures qui interroge si cigarette (une cibiche, du gris qu’on roule entre les doigts), cette autre dansante s’affairant à courir à l’emploi (y a la rue qu’est maboule, jolie môme), le premier rayon, déjà tiède (le soleil, quand ça se lève, ça ne fait même pas de bruit en descendant de son lit ça ne va pas à son bureau, ni traîner faubourg Saint-honoré), l’effondrement du monde étalé en primes pages (les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent, il pleut des bombes aux toits de nos maisons, à l’arrière saison), ce livre dans ma poche que je n’ai pas le courage d’ouvrir (l’intelligence, c’est un peu le sourire de la vitesse) ce couple mangé de désir à l’abordage des hôtels (allons nous promener, histoire de dire qu’on a fait quelque chose), cela doit-il être ? Es muss sein. La musique ? Dans la rue.
Lu : Petite plume
:: 08.06.2004 ::
Si vous êtes comme ça, téléphonez moi. (Jacques Dutronc)
Pour cet anniversaire j’aimerais nous allonger dans le vert cru des herbes ou d’une eau lente à l’ombre, marguerite entre les dents je regarderais au loin ou au vague impermanent souligné par le vent, porté dans l’onde, cela viendrait paisiblement, tout comme m’arriverait votre voix un peu basse et rieuse, une empreinte, vous parleriez de vous très simplement, vous seriez drôle, et nous serions tout à fait hors la chatoyance des jabots et des phéromones, je rirais, je vous aimerais, je soupirerais, je me gonflerais d’heures soyeuses et immobiles, je rêverais de délacer interminablement, une à une, les nattes liant votre robe depuis le dos, d’y laisser courir autant de menaces que d’effleurements très doux, de vous caresser seulement d’un souffle et de mes mots et vous seriez soustraite au possible même de voir mon visage pendant toute l’entreprise, je vous abandonnerais là, sans satisfaction ni terme dans l’attente de mieux et d'instants ivres mais qui ne viendraient pas, nous serions emplis de soifs brûlantes et il faudrait longtemps avant que ne reviennent un soir tiédi, l'appaisement, l'après des orages.

Le mercredi vous me lisez je crois. Je redis votre regard si particulier. Je redis l’alliage étonnant dont est fait votre timbre. Je redis votre légèreté parfois, et votre air grave, et votre corps comme une offense à la raison, je redis vos mains qu’encore j’observerai, je redis mes rimes non finies, l’Italie, tous le sud, et le nord, et puis mon amitié.
Lu : Enjeu philosophique du conte romantique
:: 07.06.2004 ::
L'insolence des stagiaires est à rapprocher de celle de certains orateurs : écouter bien c'est trop dire, aller à la tribune c'est comme gober n'importe quoi, la consécration de la parole qu'elle vienne ou aille c'est s'offrir la gueule de bois sans jouir d'aucune ivresse.
Encore ne puis-je même pas dire que si j’aurais su je ne serais pas venu car il était des signes avant-coureurs qui rappellent le goût du sel ou d’autres pareillement saumâtres. Mais voilà, je m’ai trompé. Maman est morte entre les mains d’un dénommé Hamer, faux médecin guérissant du cancer par visitation du souvenir et interdiction d’accès à l’allopathie, ayant génialement conçu que la chimiothérapie était une invention des juifs ou des francs-maçons destinée à liquider le monde de ceux se situant hors de leur obédience. Il y a eu Eck, les adorateurs du nombril, le végétalisme à diarrhées perpétuelles, la dianétique, la scientologie, tout ce néant de la merde qui coule à mes babines (sic) .

« Il ne faut pas penser, vous êtes un rationnel » « Un bébé est une personne, pas un paquet » « Il faut instaurer un rapport tendre avec l’enfant, cela favorise son développement »

Son cabinet se pare de marrons laids, il empeste le salement renfermé. Mécaniquement elle sourit la grande dame sèche, appuyant chaque révélations et quolibets d’une œillade mi-inspirée mi-prophète, je la devine sage-femme sans enfants à trois cent balles de l’heure férue d’haptonomie et dévorant Dolto, elle est sans le savoir ma mère crevant dans le jus d'une ignorance servile et rivalisant toutefois avec le Pic de la Mirandole, par vague d’une tristesse écœurée et de colère aussi je cogne dans ma tête mais reste un bon garçon, poli, aimable et sans trop d’avis.

Voyez-moi. Parlez-moi. N’insultez pas mon intelligence. Dites-moi quelque chose que je ne sache pas. Et surtout, surtout, cessez de croire que le progrès se gagne à l’abandon de qui vous êtes ou de qui je serai. Je suis un rationnel, comme Jane Birkin, je t’emmerde. Tu ne me connais pas. D’abord cela est faux. Je suis incroyablement plus complexe, plus beau, plus grand que le rationnel. De moi tu ne pourrais prendre aucune mesure qui tienne en un mot, en une phrase. Il te faudrait parler pendant quarante ans pour rendre compte de ce à quoi je carbure, il t’en faudrait quatre mille pour circonscrire l’étendue de mon savoir. La rationalité est à mon ouverture au monde ce qu’un grain de sable est au Sahara : constituant de l’ensemble mais en infinitésimale proportion. Ensuite cela n’est pas une tare à ce que je sache, les gens rationnels aussi font des enfants, les éduquent, dans la rue ils me valent.

Pour le reste, c’est gestes déjà mille fois faits au cours de l’intime, la caresse et la voix, l’attention, ce qui vient de la fibre à moins d’autisme sévère. Cet après-midi, j’ai rendez-vous avec mon psy. Je compte bien m'y rendre, mais j'arrête de me rendre. J’ai cessé de trouver chic d’aller affaisser son sofa du poids de turpitudes qui ne sont que dans l’ennui du contexte. Cet après-midi, je consomme la rupture.
Lu : Haptonomie, science de l’Affectivité
:: 06.06.2004 ::
Puis tout à coup tout vous brûle, la pluie, le printemps, la musique, ça y est, vous êtes vivant, à nouveau.
Rouges et jaunes excessifs. Bleus de l’ombre marqués en fausses barbes ou traits de la fatigue. Dureté des lumières sous le soleil et contrastes enchâssés dans les os et les muscles. Noirs surjetés, blancs presque toujours imaginaires, violets extrêmement doux et parme idem, roses aimables parfois trop pleins, la couleur, les couleurs comme jamais. Les couleurs : d’abord elles n’étaient pas, puis un peu, plus, comme une drogue, trop, partout, trop fortes, sans filtres je vais à l’overdose, j’en vois, j’en vois partout et cela hurle, s’égosille, se jette à soi sans pudeur moindre. Mon œil brûle.
Lu : Cours familier de littérature
:: 05.06.2004 ::
C'est l'été pour la vie, la météo l'a dit (Richard Gotainer).
Chez Jean-Luc je vais complètement détendu quand bien même la plus conséquente concentration de top models de France et de Navarre, chaque détour du parc, des terrasses et jardins, des salons et boudoirs c’est mêmes claques stupéfaites, la grâce des filles, les robes légères, les isocèles et quadrilatères de peau volée ça et là, les cheveux saisis par les rais de la lumière qui déboule de toute source, la naissance d’un sein, le haut d’une jambe, je vais virevoltant d’un lieu de la fête à l’autre, je vais volant des regards et sourires d’à peine une seconde, des éclats dans les prunelles très brefs et des attentions précises, je danse et bois peu, je m’active impersonnellement à ce que tous soient au cœur d’une fête et je porte des verres, la musique m’entraîne à me délurer davantage, j’admire et envie un peu tout le monde, disserte longuement de la nature des corps quasi-stellaires, de l’esthétique selon Kant et de Jean Genet ce qui encore me vaut quelques railleries aimantes de mes amis, je fais masse et masse de photos comme si j’allais pouvoir garder ces instants comme la vie de tous les jours, je mange bien plus que mon comptant mais c’est la faute d’un buffet qui se situe trop au-delà du seulement parfait, Mélanie et Olivier sont au centre mais Serge, Bernard, Halima, Natacha, Ludovic, Jérôme, Arnaud, Sihem, Emmanuelle, Astrid, Emeline, Fabien, Maud, Camélia, Marc et quelques dizaines d’autres dont je ne connais pas forcément les noms sont là, la fête bat son plein comme l’on dit, mon cœur déborde, bientôt Paris, Prague, Pierre-Louis nous recevra peut-être, et puis les plateaux de la Lozère et le ciel qu’on dirait peint par Michel Ange ou Corot, je stoppe la sono quelques secondes, m’empare du public adress et annonce officiellement, repiquant une chanson de Gotainer, que ça y est, c’est l’été pour la vie, la météo l’a dit.
Lu : Qumran
:: 04.06.2004 ::
La prétention ne serait pas un défaut si véniel si elle était muette.
Tu te vexes un peu facilement, un peu vite et peut-être ai-je été blessant dans cette attitude trop sûre qui si souvent est la mienne, tu te sens petite de ne pas avoir d’avis sur cette question, pas de connaissance, d’expérience, et je fonds soudainement dans un élan de tendresse pure, si tu savais combien le monde est comble d’abrutis de mon espèce qui parlent de tout sans savoir quoi que ce soit, de gens énonçant leurs avis et façons de pensée comme si c’était de l’eau, un élan de tendresse et de reconnaissance, tu me rappelles qu’il vaut bien mieux se taire, que j’aie fait vœu de silence et qu’il faut encore remettre cent fois sur l’ouvrage, tu me rappelles cette entreprise de Ponge constituant un bréviaire universel en repartant du plus simple car ce qui nous est proposé alentour est bien trop touffu, complexe, le monde contemporain, l’actualité, notre conscience, tout ça c’est bien trop compliqué et puis que, dans l’ordre, l’amour est le premier truc à aborder méthodiquement avant que d’aller se perdre dans le reste, probablement accessoire qui plus est.
Lu : Écrivain cherche place concierge
:: 03.06.2004 ::
S'écrire anagramme de s'écrier.
Je vous confie que votre écriture change, qu’elle mue, se transforme, que j’y discerne mieux ce qui est de votre souffle ou bien de votre voix sans toutefois vous connaître. En préambule il faut dire que je me peux tromper, que ces assertions faites le sont sans doutes à la légère ou menées pas un caractère que j’ai avoué comme généreusement présomptueux : il se trouve que je me targue ou me pique d’en savoir quelque chose quand je cultive en parallèle l’idée que, miracle de l’ordre naturel sans lequel nous serions par trop piteux et dépités, la limite porte intrinsèquement l’éborgnage du conscient, dès lors, de mon avis l’on peut se tamponner grandement : il n’est pas exactement une parole d’évangile.

Si toutefois j’émets c’est que mon expérience monomaniaque de la lecture me pousse à séparer l’auteur en deux probables : il y aurait l’influé, celui qui ingurgite, et il y aurait l’influent, celui qui crache, expectore, tousse et puis crève. Le premier somnole dans certaines combinaisons laudatives qui tiennent des modes journalistiques, lesquels font pencher le trait des romans piètres, des rapports internes, des documents sans âmes réelles. Cette façon de rédiger, qu’elle soit brillante ou morne donne l’impression aux critères du rythme et de l’arpège de se continuer, de ne pas se conclure, de laisser le lecteur dans un entrebâillement vide, ronronnant et sans imaginaire. L’autre, parce qu’il s’attache à saloper l’édifice publique ou à le brusquer, parce qu’il détermine avant même de plumer (dans l’autre sens du terme) l’auditoire ce que sont les contraintes de sa capacité respiratoire et les matières à laquelle sa chair s’abîme, s’écorne ou s’ébaubit, parce qu’il est traversé plus qu’il ne campe, parce qu’il est plus qu’il ne fait transcrira ses objets, même si une stylistique parfois propre, identifiable, en une somme de déséquilibres, et d’irrégularités qui ouvre à l’autre, à l’inconnu, à l’innommable.

Julien Green, je crois, évoquait l’autre qu’on ne connaît pas et tenant le crayon, une étape est peut-être de savoir établir un privilégié contact avec cet autre mais la pratique vous dirigera, en sympathique et transparente maîtresse, jusqu’à l’appontement à vous-même, à qui vous êtes là, maintenant, maintenant qu’en propre et probe vous vous écrivez. Vous.
Lu : La déclamation théâtrale, précédé d'un discours
:: 02.06.2004 ::
J'ai peur de ne rien connaître de la peur.
C’est un des mystères que j’essaie le plus souvent d’ajourer et qu’à défaut j’ajourne. Je ne connais pas la peur. Mais mes phrases en sont pleines. Quand naturellement la chimie des corps produit de se gorger des poisons de la promptitude et du réflexe à l’approche des menaces, mon cœur à moi se bride la pulsation plus lente, plus profonde, il y a aussi cette manière curieuse d’examen du détail, une forme d’incrédulité. L’enfance, sûrement, l’enfance terrain de l’imminence et du danger, l’enfance et chaque secondes fuir, parer les baffes et les ciels s’effondrant en grands fracas cycloniques, les heures ailleurs tendres où les jolis chevals de les près verts faisaient comme des monstres talochant à qui mieux-mieux, où les mamans et les papas tressaient des martinets le jour de Noël une fois les jouets adéquatement piégés, toute cette foireuse adolescence à dépendre d’adultes psychotiques cumulant par-dessus chef tas d’accessits aux pouvoirs sans jamais en atteindre ne serait-ce qu’une idée haute, le mensonge, la trahison, savoir que manger, dormir, dépendent de votre talent à plier, à vous immiscer là où l’on ne vous désigne pas coupable, et le froid, et les départs de nuit, et cette absence d’une maison à fabriquer la souvenance, le collège aussi terrain miné à doigts pointés car en rien vous n’êtes au gabarit, toutes ces fréquentations dingues de gens bringuebalants et les vies émaillées d’accidents de voiture, de procès, de démissions et de drames, j’ai été affranchi et encore estime-je avoir eu de la chance : l’on ne m’a pas enfreint au plan de cet intime là, c’est tout ce qui m’est resté je crois.

Si bien qu’arrivé à l’age autonome j’avais perdu le potentiel de craindre, la compétence de la peur. La vitesse, le vide, les cris ou les armes, le noir ou la séparation, perdre, affronter ou chuter, tout cela me laisse tout à fait impassible, au plus suspicieux. Pourtant mon vocabulaire s’articule généralement autour de l’effroyable, de l’épouvante, de la perspiration glacée au long de l’échine et des membres tétanisés par la panique à tout propos ; comme si dans le flot de mots j’expulsais, quand même. Ici je suis inexistant, virtuel, théorique. Ici, je ne suis pas un homme. Ici j’ai été volé et si je peux gémir, ce n’est que de cela, de cette séquelle précise.
Lu : Le cahier rouge de Benjamin Constant
:: 01.06.2004 ::
Approchez venez voir les phénomènes de foire/l'enfant tronc la femme calamar/ et l'homme honnête le plus bizarre ! (Bénabar)
Le bouffon aux finances persiste et signe quand d’autres saigneront et nous n’avons plus droit au populaire mais à un populisme crasse : exiger des gros groupes une baisse des prix, c’est donner voix entière à mieux d’esclavagisme, à une pression accrue sur ceux qui ne peuvent pas se rassembler, c’est ébrécher d’avantage le pot de terre tandis que celui de fer s’ombre de la loi, cinq pour cent de moins à l’étiquette c’est dix de moins sur vos salaires et cela ne serait rien si cela profitait à ceux qui le nécessitent. Au lieu de quoi je prédis de belles journées en bourse et quelques plans sociaux de plus, quant aux indiens qui ramassent notre coton, il leur faudra s’accoutumer à ramasser quinze heures par jour pour un quart de dollar, mais après tout, qu’est-ce qu’on n’en a à foutre ? Ils n’ont même plus de quoi se payer un fusil par village et les pauvres, finalement, ne sont dangereux que quand ils sont armés, n’est-ce pas ?
Lu : Les quatre Stuarts
:: 31.05.2004 ::
Me voilà à user de cette formule qu'entre toutes je déteste : nous nous excusons de la gène occasionnée, et vous remercions de votre compréhension.
En raison d’une configuration un peu spécifique de mon navigateur internet, je ne me suis pas rendu compte assez tôt du fait que le système de statistiques adopté pour ce blog diffusait, à la sortie des pages, une fenêtre de publicité. Ne me reste qu’à présenter mes excuses à mes lecteurs, et à modifier au plus vite l’ensemble des entrées de ce blog afin que cette insidieuse manifestation ne vienne plus troubler le message, et vos consultations.
Lu : Atlas du Paris souterrain
:: 30.05.2004 ::
M'offrir Prague c'est comme se préparer au voyage d'Alice : j'irai de l'autre coté du miroir, aux pays des merveilles.
Ce sera Prague encore, cette fois-ci en été, voilà un cadeau d’anniversaire qui fait mieux que mouche puis-je dire. Mais savez-vous seulement qu’au-delà de me procurer la plus vive allégresse, le plus grand des plaisirs et l’ineffable de me sentir aimé, connu, reconnu, vous prenez, m’y accompagnant, le risque de découvrir l’animal que je suis quand, délivré de ma prestance civile, je m’abandonne à la fauve station qui est la mienne une fois seul, une fois en dehors des devoirs du paraître ?

La transformation d’abord sera physique, vous verrez mes iris s’allonger en amandes inquiètes et promptes et plutôt que posant un regard sans questions sur les choses mes yeux se prendront d’une agitation extrêmement rapide, tentant de gober tout et de s’affranchir de la solidité apparente des matières et des êtres. Mes narines habituellement maussades seront la proie d’une fièvre qu’aucun remède n’apaise, toujours voulant percer le parfum secret qui commande aux parfums, maîtresses de mon pas elles m’emmèneront où gisent certaines passions plus ou moins relatives au dénoué, au libre ou à certaines pâleurs. Observant la paume de mes mains, vous constaterez que s’écrivent en dedans d’elles de bien curieuses lignes faisant austères hiéroglyphes et motifs enlacés, tour à tour il y sera question de cabales, d’évasions, d’une sorcellerie toute aimante ou bien sévère et mes doigts pianotant quelque chose à l’amour des fleuves et des gorges en ailes blondes exactement à la cadence des jours jusqu’aux matins et des ivresses en odes, versets, aubades, tout ce qui fait mot dans les langues et les bouches, tout ce qui fait rime, tout ça des cendres, tout ça des feux, tout ça des crépuscules et aubes incalculables. Ma voix se portera vers les octaves d’en bas et mon verbe s’ornera de syllabes et voyelles qui ici n’ont pas cours, vous n’entendrez plus rien des hésitations et toux habituelles en prémisses d’auditoire ou de l’intelligence supposée, à la place vous saurez ce qu’une fois rendu à moi-même je feule et gronde, vous tremblerez peut-être de ce que mon timbre soit si rauque comme le granit caressant le granit, comme la terre s’effondrant en elle-même et ravines, à Prague je maugrée et puis j’y suis un homme beaucoup plus près de sa nature que d’une improbable culture.

Vous ne reconnaîtrez pas non plus ce que vous possédez comme idées de mon comportement, cette aptitude à la distance et au recul, ma sérénité si grise qu’on la dirait apathique, vous aurez à me découvrir fier, primitif mais aussi totalement emporté aux mouvements et formes, sans cesse courant des concerts aux musées et des fêtes aux beuveries, il faudra que vous acceptiez que je danse quatre jours durant peut-être et faire quoiqu’il en soit le deuil de votre sommeil car à Prague je ne dors jamais, question de ce qui est à prendre, manger aussi me semble loufoque, m’arrêter ou m’asseoir relève des incongruités auxquelles l’on ne s’adonne qu’une fois rentrés au logis mais avant : même en rêver me semble trop dolent, inconvenant et heures gâchées quand, plutôt que de prendre le temps il faut en jouir sans trêves, d’une manière urgente, presque jusqu’à l’affolement.

Au lieu de vous préparer à l’étranger que je serai pendant le voyage en vous décrivant le tout par le menu, je vous laisse prendre les forces qui vous seront utiles et vous aurais prévenu : ma joie de revenir à Prague est si forte, si forte, que le meilleur moyen pour vous de m’accompagner là-bas, dans ma tanière, dans mon ressui, c’est de réviser tout votre Prévert, et votre Vian, votre Bataille et votre Ponge. Ainsi, après, logiquement, vous m’aimerez encore, quoique différemment.
Lu : Inde, peuple au mille visages
:: 29.05.2004 ::
La vie est absurde : on vous affirme que vous auriez quarante ans quand vous savez bien, au fond de vous-même, que vous avez à peine commencé à effleurer l'idée d'être vivant...
Ce qui était prévu, c’était de prendre cliques et claques, d’une voltigeant tournemain rassembler un minime d'effets, d’en fourrer les poches et rabats de ma sacoche et de me tirer loin, le plus loin possible, aux endroits où nul ne songerait à vous joindre et où vous ne pourriez pas écrire, en plein désert et même la nature je l’aurais boudée, pas d’arbre non, pas de ciel ni d’étoiles, surtout pas la mer et son ressac quant au vent et aux odeurs vous êtes gentils mais niet, gardez aussi vos gemmes et vos ardoises belles, vos sables, vos fleurs et votre pluie même suave, ce que j’avais planifié depuis lurette c’était de disposer seul de la date et de mon corps au passage de ce guet là, quarante ans, zut, je flippe grave et je kiffe pas ça des masses.

Ah-ah faites moi marrer encore, dites-moi que quarante c’est très jeune et que je ne les fais pas, qu’on a l’age de ses artères ou que c’est dans la tête, dites-moi que moi c’est pas pareil et que je suis immortel, dites-moi que mon visage pas une ride ou alors que des riches et expressives tant qu’à faire, que mon corps extrêmement doux à l’extrême et puis ma peau de soie bien sûr, et aussi ces muscles comme à vingt ans de saillance discrète et pleine de force, dites-moi encore la pensée mobile, la promptitude aux expériences et découvertes, l’absence d’apriorismes et puis d’idées toutes faites, le sexe droit comme un i, les jambes prêtes à bondir et l’ouverture d’esprit, chantez ma louange, faites-moi le compliment du vivant accroché à l’entendeur, dites-moi votre amitié languide et votre admiration ou alors secouez-moi, grondez-moi de me voir si triste de rien, merde, me plaignant du temps qui passe quand la vie m’offre tout et qu’ailleurs le mot malheureux se mesure dans une dimension beaucoup moins microscopique, moquez ma coquetterie de mâle moderne, riez de mon œil chien battu et de l’effondrement des épaules sous la charge d’un calendrier beaucoup plus implacable pour autrui que pour moi…

N’empêche que ce n’est pas vous qui les avez, les quarante, que vous n’êtes pas assis comme moi à la place passager d’un bolide fonçant à toutes pompes à la mort, que vous, encore, vous pouvez vous autoriser à fumer comme pompiers et à boire en trous parfaits, qu’une nuit blanche vous laisse vierge des traces indélébiles et que le top 50 signifie quelque chose quand il m’est absolument abscons, que vous disposez d’années longues à vous accomplir et à devenir célèbres, que vous n’êtes pas dans cette position où je me trouve à devoir très vite édifier votre œuvre, publier un excellent roman, présenter de magnifiques portraits ou jouer de la basse comme une semi divinité, revendre votre voiture de sport (que vous n’avez peut-être même pas encore) et vous préparer à être le meilleur des papas-mamans, n’empêche que vous avez le temps, tout le temps, et que la prochaine fois que je vous prends à faire sombre mine ou appréciation dépressive au propos de votre existence, je me chargerai personnellement de vous rappeler votre fortune, votre immense capital, toutes ces heures profondément géniales que vous avez à vivre, à aimer, à ne rien faire, à vous ennuyer ou bien vous questionner et que ça, c’est bien plus que n’importe quel machin dont on serait usurier, faiseur, acteur ou bien propriétaire.
Lu : La sérénade
:: 28.05.2004 ::
Du lit au lit la route est longue.
Dés lors, que faire de la violence, de mon allant à foutre en l’air, de cette opposition sonore fabuleuse se logeant entre les deux premières syllabes du mot destruction qui mènerait à en aimer d’autres à la poésie tout aussi considérable, par exemple brûler, disjoindre, broyer, fracasser, dissoudre, râper, énucléer, ruiner, éreinter, ou bien, cataclysme, fracture, brisement, blessure ? Que faire de l’énergie colossale logée à même la fibre, secouant les muscles perpétuellement dans l’armement d’une gifle à assener, d’un coup de pied à propulser, comment se priver du plaisir que procure le claquement sec d’une détente et le recul d’un flingue, cette odeur grisante de poudre flottant encore après que la balle n’ait atteint sa cible, de la résonance inimitable d’une douille rebondissant une fois, deux fois au sol ou de la beauté simple de la note que joue le fichement d’une lame en pleine chair ?

Il en est de cela, de cette pulsion de mort à donner, à recevoir, comme de la libido. Cela se chante ou bien se danse, cela s’écrit, cela se filme, l’on en fait des outils très précis ou bien des cathédrales, les grands tueurs deviennent pour plupart de fringants philosophes, des orateurs hors pair, des musiciens, des architectes, des poètes, des gens des arts et lettres et c’est la passe étroite, le chemin tortueux aux bords abrupts comme un appel à chuter pour chaque pas mais le suicide non plus n’est pas montre de dépassement, n’est-ce pas, il n’y a que réaliser plus grand que soi, claquer, flamber bien plus que la force d’en nous, le dépassement si possible sans concours ou bien comparaison (antépénultième étape) jusqu’au Graal, jusqu’à cet état qui dit votre accomplissement, votre sagesse : la paresse, ou la contemplation.
Lu : La palingénésie philosophique
:: 27.05.2004 ::
A l'ordre social je substituerais, si l'on m'en donnait le droit, un super capharnaüm global où l'on verrait Robin des Bois comme un loufoque gentiment désuet et où le mot avoir serait du plus ultime comique.
Voulez-vous que je vous dise ? On peut dire c’est miracle, coup de poker heureux mais parfaitement aléatoire si je n’ai pas tourné en vrai mauvais garçon, il se trouve qu’une bonne fortune dans mes affaires m’a mené à un certain confort et à la léthargie des intellectuels lus, à cette conduite contenue dans l’assurance que les mots n’est-ce pas, que la philosophie ou la pensée à long terme sont meilleurs remèdes que la brutale action directe, il se trouve que Camus, Sartre, Bergson traînaient dans ma bibliothèque lorsque je m’ennuyais et puis sûrement la peau de quelques femmes, certains parfums, quelques vraies nuits d'un amour emportant tout et le reste qui ne sont pas étrangères à cette douceur que j'érige en principe constant, sinon…

Sinon putain, sinon c’est sûr, je t’aurais fait péter mon lot de bombes, comme je les comprends les Ménigon et les Maupin, les brigades rouges et les Aldo Moro, la loi je crois me force à dire ici que je les désapprouve donc je les désapprouve mais merde, quoi faire, quoi faire pour les Sellières et les Reagan, les Sarkosy et puis les Bush, quoi faire qui freinerait tous ces messieurs très bien votant depuis leurs conseils d’administration les amendements qui leur conviennent, comment prendre la parole autrement que via ce livre et puis cet autre, ce petit mouvement protestataire qu’on présentera comme ridicule, un blog peut-être ou un film loué sur la croisette à condition de s’y tenir bien et vêtu d’un smoking, et si Breton évoquait de tirer au ventre mou des foules je ne suis pas sûr que cela ne soit pas parce qu’elle détale, effarée dans le pinceau des phares des chars, quoi faire qui nous permettrait sinon d’inverser le temps frénétique des salopiots tout du moins de le figer un peu, de dire pouce, stop, drapeau ou mouchoir blanc car nous aimerions vous parler yeux dans les yeux, en tant qu’humains car, voyez-vous, nous considérons comme injuste et plutôt peu sympathique que vous ayez décidé de faire de nous votre bétail, qu’un malien vaut même poids qu’un hollandais ou le devrait, que notre sueur ne sent pas différemment de la vôtre, que nous avons mal aux bras, aux mains et puis nos inquiétudes, que nos enfants ne comprendront pas que nous vous ayons laissé façonner cette terre dans cette forme là, que si vous ne lisez pas, ne nous écoutez pas, notre amertume un jour nous conseillera, mauvaise, de vous voir déguerpir, disparaître, vous taire, qu’il est des terroristes d’hier qu’on appelle aujourd’hui résistants et qu’il est difficile encore d’accepter que demain ne sera pas le jour d’une équité retrouvée, qu’à force d’à force nous finirons par destituer Jean de la Fontaine de son statut de trublion car nous en venons à douter de ce que la patience et les longueurs de temps puissent faire mieux que force ou bien que rage.
Lu : Sky Larking
:: 26.05.2004 ::
Les voitures en Formule 1 : si vous les trouvez faciles à conduire, c'est que vous n'allez pas assez vite. ([Mika Hakkinen)
En seconde et complet sous régime j’escargote cette trois-voies joliment étale déroulée dans la transparence d’un printemps irréprochable, ma vue des kilomètres et pas un obstacle même éventuel à la ronde, je me console d’arguments écologiques car il est avéré qu’à cette allure moins je consomme ou bien pollue, ma Murcielago ne demande qu’à s’ébrouer mais la loi c’est la loi, tout de même il me revient cette scène tirée d’Amadeus ou Wolfgang fait donner aux devants de l’empereur une répétition de ballet sans musique, car l’empereur Ne. Le. Veut. Pas. Mais, mais... qu’est ceci demande t’il après s’être lassé des entrechats donnés en un silence présentement assourdissant et Mozart de répondre que depuis une certaine révolution chez un monarque ami la juridiction proscrit vertement la danse. Ridicule s’insurge alors l’Eclairé en faisant rétablir les violons et hautbois, ridicule, et j’enfonce la commande de gaz comme l’on attaque les cordes d’un Stradivarius, dans mon dos c’est la course vers la fin du monde que feulent douze cylindres subitement rendus à leur nature première.
Lu : Le cœur froid
:: 25.05.2004 ::
La vie, un théâtre, un manège, un carrousel, une course d'autos tamponneuses et qui se tamponnent tandis que nous...
Ainsi ce fil se déroule, imprévisible, erratique, cette mince ligne pseudo tendue entre les événements et dont on se demande s’ils sont bien parties de la même pelote, l’existence, la vie persistant dans sa posture de machine à produire du fait et de l’arrivé, du tout et du n’importe quoi, le meilleur comme le pire en un ordre chaotique ou cahotant à chaque et tous, du rire aux larmes, du demain de soleil flingué à bout portant pendant les vols de nuit, cette main donneuse et puis gifleuse qui, elle, joue aux dés tandis que dieu non si tant est que lui soit, et même si la monnaie n’est pas toujours celle de sa propre pièce elle va de pile à face en dehors de toute prédiction, sans logique, sans égards.

Maud n’ayant pas travaillé son comptant tout de même décroche la timbale en une parfaite modestie et il ne reste qu’à confirmer à l’oral ce qu’à part elle tout le monde sait de ses dispositions naturelles : un accomplissement dû, une réussite sans feintes ni failles qui suscite finalement peu d’émotions tant nous savions, tous, combien sur ses lauriers elle a droit au repos. Champagne.

Et puis B. et S. au fond d’une tanière à psalmodier Inch Allah, et puis quoi d’autre, merde, cette laide nouvelle d’un bébé qui n’a pas pu se développer, pas encore, de tout cœur, de tout cœur je pleure avec vous (comme mon frère, comme ma sœur, je vous aime) et regrette mes exhortations égoïstes à la fête mais ce n’est pas ma faute : nos vies tous les jours se jouent d’une manière fatale, définitive, nous misons sommes vertigineuses et gros jetons souvent très au-delà d’un crédit que nous pourrions débourser, tout ça bascule n’importe quand, je peux dire comme dédouanement que trop vite, trop fort, trop triste, trop beau, et que trop me dépasse, que je n'appartiens pas au même monde que la réalité.
Lu : Histoire de Guzman d'Alfarache
:: 24.05.2004 ::
Médium, révélations, objectifs, négatifs, dévellopement... le verbiage attaché à la photographie laisse à penser que nous ne sommes pas si loin d'une certaine problèmatique de l'âme.
J’apprends l’image. Tout me lance, me perce, j’apprends mais ne sait pas les dire : les couleurs, les formes, le subreptice d’une ligne qui se dessine au millième et s’estompe ou se fracasse brutale, la forme dans l’achèvement parfait de l’éphémère, ce qui se brouille tôt après la fulgurance, j’apprends à voir ce mélange de temps et de lumière, les teintes presqu’invisibles.

Des centaines de photos. La plupart fouies en la chambre noire de mon rappel. Les autres par le biais biaisé d’un appareil photo. C’est incroyable vraiment, tout est sujet… et tombent chaque de mes apriorismes, et s’écrasent au néant mes principes dans la révélation du chimique ou de l’électronique.

Je crois être plutôt heureux, ici et maintenant. J’apprends les textures secrètes. J’apprends l’immédiat. C’est le détail le maître. Le petit, le composant, le minuscule. Mon regard s’exerce à l’affiné. De là, les mots, parfois semblent comme de gros paquets de mou moche et claironnants, ineptes. Je crois être heureux, je m’ouvre aux dimensions plurielles, et puis j’aime l’art, avec ou sans contrefaçons.
Lu : Dictionnaire critique des ethnologues et des anthropologues.
:: 23.05.2004 ::
Du ténu au géant, il n'y a qu'une histoire d'échelle.
Lisant ces quelques lignes dansantes posées dans la pâleur de vos pages -elles font comme giboulées ou nuages de scories, comme des lettres aussi- je vous imagine vampant à vous seule l’archipel et vous seriez alors l’ombre de la nuit advenant quand bon vous semble ou quand tristesse vous force, ou alors vous seriez le percement en flambeau d’incandescences brûlant toutes rétines et rendant grâce aux fleurs et nappes d’eau même profondes, vous lisant je vous vois comme ineffable, gigantesque, inévitable, la sœur de ce volcan célèbre, la neige éternelle en coiffe de la beauté du monde, du mot couleur, la jamais noyée mais toujours se délassant entre ciel et mer dans ce regard doux et curieux que vous posez paupières closes ou bien œil infiniment déboutonné, voilà que se touchent et se fondent l’artiste et sa définition : vous êtes mais aussi vous faites sens en une jointe démarche et je me laisse prendre.

Pourtant je le sais bien –ne l’ai-je pas écrit assez souvent ?- que l’auteur comme le chat possède plusieurs vies, qu’il file parfois si fort la métaphore qu’on ne peut plus prédire aucun réel, retrouver ses petits ou l’aiguille dans la botte ; ainsi les portées d’enthousiasme sillonnent en symphonies et grands concerts, ainsi les colères font foin de tous les diables et les tristesses balayantes marées, des lacs étals, des tsunamis, une mousson languide, c’est un des ensorcellements dont sont capables les textes et les rêves : du noir et blanc à toutes les teintes, de la surface plane aux volumes vertigineux, du silencieux au musical, d’une voix seulement sur la page à toutes celles du dedans et de l’imaginaire.

Si bien que pas un instant je n’ai pu vous imaginer seule, dominée par la rue-ses-gratte-ciels, perdue peut-être, ayant froid, vous languissant d’amis trop loin ou d’amours ne frappant pas à bonne porte, pas une minute n’ai-je conçu que vous ayez besoin d’un mot aimable, d’une attention particulière, d’une obligeance, j’étais là, ne pensant qu’à mon moi et à mes exigences, prenant tout sans rien rendre. L’égoïsme pas cajolant. Le pingre et puis la pince, le monseigneur rotant inexactement dans l’acquis et le revendiqué.

Les comptes à rendre ne sont jamais à prendre dit Ferré. Moi, j’oublie que je vous doit tant que dix mille de mes phrases ne vous payeraient pas au centième de votre talent, que la poésie vous place au-delà des obligations et du devoir s’expliquer, les silences auxquels vous m’opposez, il me faut apprendre encore à les révérer : comme ceux-là de Mozart, ils sont encore vôtres.
Lu : L'homme, cet étrange animal
:: 22.05.2004 ::
L'art, cette chose sans forme qui fait couler plus d'encre que de larmes...
Il m’exaspère et dé-flatte mon orgueil chéri de ceux qui au-dessus de leurs postérieurs visent. Pourtant nous sommes un peu de semblable écurie. « De la même crémerie » aurait dit mon père pour qui corporations, groupuscules ou simple assemblée d’intérêts appelaient une métaphore plutôt grasse et rebattue. Moore et moi finalement, c’est l’argument massue proféré dans l’énervement ou la litote moqueuse, c’est le même attachement à l’objet qu’on voudrait nier, c’est ce discours ras la pâquerette qui se fane au sol pauvri faute d’assez de hauteur à jouir d’un rayon solaire et salutaire, d’un peu de lumière, Moore dans son cinéma se racrapote en plein l’abdomen mou des bouillies roboratives et sans saveur : le mal c’est pas bien, détestons le mensonge, et l’injustice, disons que tout est argent-magouilles-visées du pouvoir et se complaire là-dedans c’est faire d’une pierre zéro coup, ni bottant ni à l’estoc, car l’intelligence n’est pas là, elle ne se trouve pas dans le fait déserté de toute probité ni dans le revers d’une veste tournée à qui mieux-mieux ou aux dépens de l’entendeur.

Bien entendu l’on peut ronronner entre greffiers de bonne entente, se gargariser d’avoir su dès avant même que ne se passe, d’avoir subodoré en l’an deux mille pour Monsieur Bush, en deux mille deux pour Messieurs Chirac et Sarkozy qu’au royaume du Danemark quelque chose piétinait sur la tête et odorait le fond du pourrissoir, que ces messieurs prouvaient de par leurs statuts d’à peu près élus démocratiques les limites d’un système ou chacun exprime son suffrage sans éducation ni mémoire, bien sûr nous pouvons nous fanger le licol et disséquer à n’en plus finir le boyau vermineux des bavardages obliques et des déclarations contredites, les mauvaises intentions, évidemment pouvons-nous hurler, comme les loups, chaque jours, de l’amer goût de la pilule et nous servir d’une audience plus ou moins amène et réceptive pour nous décharger de notre bile, mais pendant que l’artiste travestit sa forme et s’attache à le moche de le pas cool, il ne s’élève pas et pas non plus les présupposées inconséquentes foules.

Je vais de l’un à l’autre, me recoupant sans pouvoir évaluer le bien-fondé d’une façon, d’une manière. Toujours j’ai été agacé de l’insuffisance d’avoir compris quand il s’agit de se comporter, de l’écart vaste perdurant entre l’énonciation philosophique, humaine, et l’accomplissement du quotidien. Ainsi ne suffit-il pas d’avoir raison n’est-ce pas, il faut encore que le corps, le cœur, les mains adoptent la conduite conscientisée, cela se fait lentement, une terrible inertie. Et puis, finalement, ce n’est pas si mal peut-être. Pas si mal de se donner la chance d’un double langage, quand bien même les erreurs coûteuses ou la violence parfois insupportable, car nos têtes nous donneraient sans doute trop vite le sens d’une vie devenue dès lors inutile car n’étant plus à vivre. Nos organes, eux, ne glosent pas ni ne prennent recul, ils vivent dans un temps qu’on ne peut pas leur arracher, ils sont peut-être le frein, la racine ou la base de la seule existence, très au-delà des morales, de n’importe quel film ou des textes, dont celui-là, bien sûr.
Lu : Les mots du sexe
:: 21.05.2004 ::
Choisissez une étoile, ne la quittez pas des yeux. Elle vous fera avancer loin, sans fatigue et sans peine.(Alexandra David-Neel)
Evidement il faudrait aussi considérer les choses d’un peu moins haut que du petit nuage sur lequel je vais flottant, envisager un peu de mon rôle et de comment je vais répondre à certaines attentes.

C’est qu’une fille, ça vous pousse un peu. Ce n’est jamais essouflé voyez-vous, ça a une résistance terrible et une faim des choses qui ne tremblote pas, ça se fout pas mal des bilans satisfaits que les garçons se hâtent de réclamer à l’autour, une fille c’est un peu comme une femme : dévorant moteur de progrès, envie d’avancer, en mouvements et en paroles, plus mieux, plus doux, plus juste et puis ce qui passionne, ce qu’on apprend, tout ce qu’on veut voir et comprendre, une fille en vacances ça se plaint toujours de ne pas pouvoir visiter la totalité de ce qui est visitable, et d’avoir à se coucher trop tôt, une fille ça continue à marcher par quarante degrés à l’ombre pour aller reluquer le dernier reste de miette de vestige des fois qu’il comblerait d’un coup les questions irrésolues, une fille ça botte le train des garçons parce que maintenant qu’on est là, il faut profiter de tout et qu’on aura bien le temps de se reposer au retour (ultime concession des filles au règne des garçons, à reculons elles retournent finalement mais le plus tard possible quand les garçons, eux, c’est partir qu’ils concèdent en marche arrière), une fille ça ne se contente pas d’apprendre la japonais en même temps que le russe la biologie la philosophie et le solfège, ça se casse à l’heure des matchs de foot pour une séance de gym et puis après ça va danser jusqu’à pas d’heure, parce qu’une fille ça a des millions de copines dont les anniversaires ou les résultats d’examens tombent tous les jours quand c’est pas plusieurs fois dans la même journée, sans compter celles qui partent en voyage à qui il faut aller dire au revoir et qu’il faut revoir dès qu’elles rentrent, plus les expos géniales et les concerts déments et les petits cafés nouveaux qui fleurissent comme vaches qui pissent et les promenades dans des grimpettes impossibles, c’est pas le genre à coincer huit heures d’affilée devant un cube de plastoque qui délivrerait des soi disant courses de voitures ou du combat de rue, une fille ça demande toujours qu’est ce qu’on fait quand on a l’impression de déjà trop en faire ou bien d’avoir tout fait, c’est un peu marche ou crève (j’ai déjà choisi), et c’est pas le peine de croire que tu vas t’en tirer facilement avec des formules mathématiques ou des concepts de mécanique des fluides quand elle te demande comment ça marche un bateau parce que ce qui l’intéresse le plus, au fond, c’est pas comment ça flotte mais plutôt ce qui de l’essence de l’homme l’a amené à se déplacer ou à transporter des machins loin, alors qu’ici il y a tant à imaginer et que la mer, ça se regarde bien mieux depuis toutes les berges autour ou bien depuis la plage, et que ce qui est un peu nul quand tu le prends, le bateau, c’est que tu ne sens pas l’eau sur ta peau, ni le goût du sel, que tu t’encroûtes quand tu pourrais te dépenser en nageant tout ton saoul (si saoul il y avait mais ça c’est pas demain la veille), une fille ça dit ce que ça pense et même ce que ça ne pense pas, ça ressent un milliard de trucs incompréhensibles à la seconde et ça en parle, il n’y aucune réponse qui lui conviennent, ça ne sait pas, une fille, ça apprend (et ça, ça c’est pas pareil), ça retient tout, et ça part du principe que toi aussi tu te souviens exactement de ce que vous vous êtes dit le dix sept octobre 2002, mais si, tu sais bien, il faisait beau et je portais mon pull violet avec les manches comme ça et les broderies ici et là, toujours est-il qu’en tant que père j’ai bien saisi que si j’avais gagné la chance d’une vie éternelle c’était pas gratuit pour autant, qu’il allait falloir que je me bouge et pas qu’un peu, sur ce point je te prie de me croire, j’en connais quelques unes des filles, et le mieux quand tu fréquentes cette espèce là, c’est d‘oublier le sens même du mot fatigue…
Lu : L'écologie à la croisée des chemins
:: 20.05.2004 ::
Je rêve les choses un peu en avance, sans quoi j'ai peur de ne pas arriver à les vivre assez fort.
J’ai rêvé d’elle, elle avait à peu près quinze ans et une sorte d’acné qui lui allait vachement comme un gant, elle disait papa je veux faire danseuse à Toulouse, je répondais danseuse c’est très bien danseuse, c’est parfait, ce que tu voudras et Toulouse je connais mal mais c’est formidable, forcément, et puis ce que tu veux, où tu veux, quand tu veux, vivre dans le battement des aubaines de ta curiosité perpétuelle, multiplier ce qui t’es personnel, ce qui te vient ou bien te va, cours dans le monde, cours, respire, pose toi là où tu aimeras et puis, fais ou ne fais pas, c’est toi, et toi ne peut être que magnifiquement bien, terrible, sublime…
Lu : Baudolino
:: 19.05.2004 ::
T'es qu'une fleur du printemps /Qui s'fout d'l'heure et du temps,/T'es qu'une rose éclatée /Que l'on pose à côté /Jolie môme (Léo Ferré).
Au compte de ce que je ne sais pas écrire il y a tant. C’est que tout n’a pas texture n’est-ce pas, tout ne répond pas à la pression du doigt comme rugueux, satiné ou bien grainé, tout ne se réalise pas toujours dans le relief ou la ravine, il y a l’impalpable, il y a ce qui n’a pas de volume, il y a changeant, tâché, mobiles colorés et odeurs sinueuses, les parfums instables, les sonorités qui ne laissent aucune empreinte mnésique ou alors inconnues, les poids curieusement lourds flottant à un certain point du corps et qui s’évanouissent avant que j’aie pu les soupeser et puis… le manque de mots, l’incomplétude de la langue, forcément, même si néologismes ou compositions-aux-tirets, les acceptions communes qui emmèneraient loin du sens voulu, la trop grande précision parfois des dictionnaires et alors, comment éviter l’adjectif générique quand il faut rendre compte du bulleux, du flou et de l’intranquille ?

Il m’est plus facile d’établir les comptes-rendus de la peine et de la colère, sans doute ces choses là sont-elles objets mieux saisissables se mouvant d’une graduation l’autre avec lenteur, pesamment, laissant leurs traces. La joie déjà, l’exulté, l’enthousiasme, c’est plus difficile car de fréquence si rapide, enrichis de mille et mille revenues d’on ne sait pas bien où, l’excitation enfante, les pensées furtives à cadences caisses claires, arias extrêmement perchés, fontaines pulsées jusqu’au bleu blanc sombre des ciels très hauts, éboulis confus de larmes ne prenant le soleil qu’au centième et dont l’éclat ne se devine plus qu’il ne se constate, et ne peut pas se décrire…

Aussi l’on m’excusera de ne pas savoir avec assez de méticulosité dire, rendre compte (car c’est bien de cela qu’il s’agit, et tant pis pour la répétition qui pour une fois remplit une exigence de sens plus que de stylistique) du bonheur (est-ce si simple que ça, le bonheur, mais il faut bien terminer mon préambule excessivement précautionneux) ressenti : une fille.

Une fille ! Me voilà roi des pères du monde, me voila propulsé dans l’enchantement super fiérot sans limites ni mesures, et puis la gratitude, me voilà dans les jours beaux de pluie et d’été, et d’hivers purs et d’automnes souplement languissants, me voila aux heures d'aventures par-dessus les mers et galaxies piquetées d’étoiles à ravir... Bien sûr qu’un garçon, je l’aurais aimé absolument, par-dessus tout sans coup férir ni retenue aucune. Mais une fille ! UNE FILLE ! Je ne suis pas comblé, c’est bien plus, c’est le dépassement à cent à l’heure, c’est la fusée interplanétaire de la meilleure nouvelle, et puis je ne suis pas peu m’égosillant de rires, et déjà amoureux, si vous aviez vu ses pieds ! Des merveilles de pieds parfaitement finis avec tous les orteils qu’il faut, et les mains, et une colonne vertébrale à soutenir tous les espoirs confondus, un nombre impeccable de tibias, de fémurs et autres machins jolis, le ventre de sa maman s’agite par vague de ce qu’ELLE bouge, et nous disons cela maintenant, elle bouge, et ce qui vient, me submerge, m’entraîne dans l’absolue complexité souriante à tout et tous, c’est elle, elle, ma fille comme on dit qui ne m’appartient pas mais qui vivra là, dans la fibre secrète, dans l’inexprimable jaillissement de mon humanité, toujours, dans ce qui ne se dit pas, pas en mot en tous cas.
Lu : Rien de grave
:: 18.05.2004 ::
La Maud, je l’ai mariée au premier regard, au premier clignement d’œil, après c’était de la paperasse, et puis le temps qui passe.
C’est sûr qu’il ne faut pas compter sur une débauche d’effusions cérémonieuses ou de rites propres à inciter le romantisme. La musique qui célèbre notre pacs se résume au monocorde tintement des confirmations obtenues en environnement microsoft : ting. Votre engagement est acté. Point.

Nous avons maintenant un numéro de contrat en double exemplaire. Un peu groggy et ce n’est pas plus mal finalement, ce n’est qu’un statut civil et le mariage pour sa partie d’office devrait peut-être comme cela se pratiquer. Nous allons boire un verre à la tête d’or et nous chargeons nous-même des photos de l’instant, en plein la rosière du parc car c’est là que cela se fait, toujours. Et puis Maud la fac une colle d’agrégation. Moi régler quelques affaires. Ecrire. Somatiser tout cela. Laisser le corps dire son inutile, sa prison, l’impossibilité du pur amour dans le cycle répété au quotidien quand, au fond, il n’y a que cela, l’amour, l’espoir de l’amour, l’envie de l’amour et rien d’autre, vraiment.
Lu : Amnésielles
:: 17.05.2004 ::
On dit de l’innocence qu’elle est l’apanage des enfants. Peut-être. Mais dans cette hypothèse, nous ne sommes pas tous de grands enfants.
Bien entendu, nous savions. Tout. Chaque détail. Chaque fait. Comme nous savons ce qui sera exposé lors du prochain salon de l’indignation et de la honte, qui encore n’a pas été dit mais qui sera découvert en temps et heures, comme nous connaissons les prochains articles en vente, les nouvelles promotions, les stands et stances à venir. Tout vous dis-je. Nous l’avions même écrit, daté, les mômes massacrés, les civils tabassés, humiliés, les populations détruites et cette montée inexorable de toutes les violences qu’il faudra maintenant tacher d’oublier dans le vacarme lugubre de l’exhortation à la haine avant que ne vienne celle au pardon. Nous ne l’avions pas prédit, nous l’avions simplement décrit.

Nous n’avons pas eu besoin de boule de cristal pour l’annoncer. Pas besoin de marc de café ou de magnétiseurs. Pas besoin de tenir de longs discours prospectifs ni d’arguments tactiques ou hermétiquement manufacturés, pas besoin de gloser à propos de politique internationale ou de nouveau visage géostratégique de je ne sais quelle zone du monde qui ne répondrait pas aux critères de l’humanité, nous n’avons eu ni besoin de cogiter, ni de spéculer.

Ce savoir là, nous l’avions acquis dès l’école. En physique nous avions étudié le théorème d’Archimède, nous répétions verbatim que « tous corps plongé dans un liquide… » et puis la loi de Newton sur l’attraction universelle, et encore la règle de moindre résistance, celle des vases communicants… En histoire, nous nous étions penchés longuement sur la question de la guerre et sur celle de l’oppression, la main basse sur l’Amérique du sud, la colonisation de l’Afrique, les deux mondiales, le Vietnam, la chute de l’empire romain… Nos cours de monde contemporain nous avaient renseigné quant à la révolution culturelle, l’Afrique du sud, l’Argentine, le bloc et ses satellites soviétiques. En biologie nous avions pu mesurer la réaction des organismes vivants à l’agression électrique. Et puis nous allions au cinéma, nous lisions des romans et des livres de philosophie qui nous apprenaient qu’on n’empêche pas l’homme de vivre, qu’il est impossible d’aller à l’encontre d’une nature première et que, qu’elles finissent mal ou bien, les histoires toujours trouvent pivot autour de l'attente d’un juste amour.

Le fonction la mieux aboutie de connaître (naître avec) est de nous faire gagner le temps des expériences que nous n’avons plus à refaire car leurs conclusions sont sues. Ainsi nous faisons reculer la mort, la retardons, cette ennemie de qui nous sommes. Ainsi celui qui sait n’a pas à réinventer la roue, ni le pal d’ailleurs. Et comme nous savons aussi exactement où nous mènerait une logique où ne comptent que le profit et un matérialisme unique triomphateur, je suggère que nous adoptions un mode de vie et de dialogues radicalement différents. Nous n’avons pas le choix, c’est ce qui adviendra de toute façon, ne reste à résoudre que la question du temps que nous nous accordons pour en arriver là.
Lu : Biblique des derniers gestes
:: 16.05.2004 ::
Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous côtés. (André Gide)
Trois cent mètres de gaz sous les pieds, c’est pas la même ambiance, et encore vaudrait-il mieux compter en volumétrique qu’en vertical : ça tourbillonne tout autour, dessus, dessous, derrière soi, la corde s’enfonce dans la trouée de vide en chandelle droite comme seul lien encore à la terre, on a quitté la précédente dégaine il y a cinq mètres et il en faut escalader deux encore avant le prochain clou : celui là sera-t-il bon ? Faudra t’il encore croire que peut-être il tiendrait en cas de chute quand l’expérience ou la qualité de l’équipement, celle du rocher apportent toutes les preuves du contraire ? Un à-plat très moyen main gauche, un graton et l’autre pied en adhérence et à droite l’on cherche, vite, ne pas brûler toute sa réserve, se préserver, lire correctement la voie mais ne pas perdre temps ou énergie : les doigts trouvent une goutte d’eau de relance puis et une écaille qui fera semblant de bi-doigt : let’s go. Gainer chaque muscle. Eviter le balancier grand dévoreur de forces. Aller fouiller au fond du sac pour un restant de magnésie, un oiseau vous frôle et vous devinez comme un sourire becqué, de la consternation peut-être, une relance encore et c’est un joli bac aux bords assez coupants qui accueille la paume, et une réglette pour l’appui : on peut mousquetonner à l’aise, claquer ses avant-bras histoire de dissiper un peu l’acide lactique, jeter un œil à la suite qui aidera l’exécution ascensionnelle. Hormis le plaisir de me tenir en pleine nature, là où l’homme ne va pas, hormis l’incroyable sauvagerie des éléments et le goût plein de la solitude, toucher la roche sèche, toute l’odeur du ciel et l’ouie comblée d’un silence fait du vent et de son propre sang, il y a cette sensation qui jusqu’à ce que je commence à grimper m’était étrangère : loger mon corps dans sa saillance, m’incarner précisément dans le geste volontaire, réalisé, dans le geste lentement combiné jusqu’à l’exactitude, dans un temps organiquement et seulement devenu mien.
Lu : Pourquoi j'ai mangé mon père
:: 15.05.2004 ::
La notion de fragilité ou de faiblesse disparait complétement dès lors que vous contemplez le monde à la même hauteur qu'un bébé.
A quatre mois et demi c'est-à-dire la moitié, Maud maintenant est assez rondement grossouillete pour que le doute ne soit plus autorisé, ce qui est moins clair toutefois c’est ce que nous avons conçu exactement : petit d’homme ou poids sauteur ? Celui dont nous découvrirons qu’il est fille ou garçon le 19 mai pour peu qu’il soit tourné d’une certaine manière ne dors jamais ou presque, il bondit, gigote, frétille, tortille et gesticule, un boxeur peut-être ou une pro de la natation synchronisée, un bricoleur des mains et pieds, peut-être avons-nous été entendus dans la ferveur de notre imploration : dieu des bébés, ayez pitié, tout ce que vous voudrez sauf un intellectuel (mais quand même pas un militaire ou une commissaire de police, là aussi on aurait du mal).
:: 14.05.2004 ::
L'esprit pénètre tout de sa flamme féconde / Et s'infiltre invisible au vaste corps du monde. (Virgile)
Blog ou journal intime ? J’ai bien l’impression qu’un os à ronger ne remplit ni les conditions du premier, ni les critères du second. Au mieux je mets en ligne un brouillon de textes à tous sujets, sans beaucoup de liens et bien trop peu des faits du quotidien.

Impossible de détailler mes journées et ce qui les émaillent ou les peuplent, les personnes rencontrées, les heures occupées à tel ou tel et les pensées qui vont avec, ce qui est dit, j’ai beau appeler la vie à fond de tous mes vœux ça n’y change rien : je ne vis pas au sens premier du terme, je n’occupe ni les instants ni les conversations et moins encore les événements, ce qui arrive me laisse quasiment de glace à chaque, je n’ai jamais peur, jamais vraiment froid faim ou chaud mais n’en connais que l’idée générale, mes colères et mes peines sont jouées car il faut bien se faire admettre selon les grandes lignes d’un contrat social présupposé, quand je ris ce n’est jamais exactement parce que ce qui est là s’affirme drôle mais plutôt que j’ai vite tracé un parallèle ou une oblique extrapolés entre quelques éléments épars de tout de suite et un tas d’autres choses enregistrées en vrac de n’importe quand, inventées, déformées, colorisées à la truelle, je ne comprends rien de ce qui est sophistiqué ni compliqué, la philosophie, la psychologie ou tout autre machin en logos m’échappent complément dés lors que la méthode consiste en une analyse de ce qui advient/est advenu.

Comme filme Godard, j’existe dans « le tiers exclu », dans une espèce de juxtaposition qui se tient hors du champ, l’invisible des images à la Blanchot, dans des schèmes honteusement simplifiés qui flattent ma raison, me rassurent dans l’évitement d’une condition de parfait dingue mais en vérité mes théories ne méritent même pas qu’on les qualifies de fumeuses, je n’apprends pas ni ne retiens, me contredis sans arrêts, suis incapable de regarder ce qui seulement est là : en lieux et place, je tire des conclusions, j’établis des bilans, je cherche le fil qui tend tout ça par en dessous, l’armature invisible, l’étai-charpente-squelette qui explique, référence ou bien comptabilise, au fond la seule interrogation qui me reste quand, confronté comme tous à la télé poubelle proposant en système mêmes tas de rien jour après jour, entendant les discours accumulats de mots professés sans aucune intention, voyant que les erreurs sont faites en toute connaissance de cause, lisant ça et là les mêmes histoires sauf qu’elles arrivent à Je et pas à vous, assistant au théâtre à certaines redites inédites, la seule question à laquelle je ne parviens pas à apporter réponse, c’est : comment cela continue t’il ?
Lu : Tel quel
:: 13.05.2004 ::
L'histoire s'écrit bien avant que n'arrivent les histoires.
Guillaume Sarkosy, frère de l’autre et actuel vice-président du Medef fortement pressenti à la direction de l’Anpe… Tant qu’on y est, pourquoi pas Jacques Toubon à la culture ? Charles Pasqua à l’intérieur ? Roselyne Bachelot à l’environnement ? ll parait même qu’un peu plus, et Raffarin aurait pu être nommé premier ministre : on l’a échappée belle.

Lu : Le language de l'image
:: 12.05.2004 ::
Il y a pire qu'avoir mauvais goût, il y a chanter faux.
Sauf à se camper dans l’isole d’un masque de soudure, on aura remarqué que ce blog ne s’inscrit pas vraiment comme demi-sel ni se situe dans le ventre mou d’une stylistique modeste, moyenne, économe ou bien aimablement huilée.

Ici c’est lourd. Ca clinque, ça tonitrue, ça s’égosille ou se pathos, il en est même que ça écœure. Ici ça vole lourdement -quand ça ne s’écrase pas- en chasseur bombardier verrouillant d’un objectif à l’autre avant que de lâcher grappes de tourmentes néologisées et tapis d’acier, trucs bouillants, machins tordus, souffreteux, roboratifs, chapes de vélin noircies jusqu’au fatras d’obscurs indiscernables, couleurs crève-œil et stridulations fracasse-tympan.

Ici c’est l’Ircam mais en plutôt moins timide, c’est Stravinsky ou Sibelius, Kandinsky pour la catégorie bavoir fracassant, c’est le pompier Napoléon III vomi des facultés et codes modernistes ronronnants dans la tiédeur d’une littérature de principe, écrire puisque c’est l’usage, n’heurter point la réalité événementielle car le poids de l’histoire, et puis la trace, et puis qu’il faudra bien un jour assumer tout ceci, l’expliquer, s’en défendre. Le doux, le mignonnement docile, le déparé de laudatifs piteusement de trop et d’adverbes distribués en automate, je sais faire : c’est un autre travail.

On devinera l’obsession de briller, la roue du paon s’égosillant ou le caniche criard sautillant d’une pitrerie à la suivante jusqu’au pipi du square. On pourra y voir l’affligeante putasserie gainée de léopards en toc et de carmins à lèvres si peu solides qu’à la première exécution il faut les cimenter encore. On comparera aux jabots, aux poudres et aux perruques. On dira l’apparence, le superficiel, l’effet. Je ne conteste pas.

Je me souviens des soirées comme des intérieurs dont la qualité première tient à l’exact comme il faut. Je me rappelle les petites amies indolores et les coups de queue peu trémoussant qui vont avec, mais pas dedans. J’entends cette génération de chanteurs ennuyeux à bloc d’à-plats pastels et de textes fondus dans l’inexistence parisienne des copineries satinées à l’aulne de voyages speedés à l'intérieur des têtes et pas ailleurs, parce qu’ailleurs ça sent mauvais et que parfois, même, ça fout frousses et boules. Moi, j’ai le goût du morbide, de la catastrophe camée et des serments amers, j’aime à contempler le monde comme une dingue locomotive à l’approche de foutages en l’air inévitables. J’aime la traîtrise, le mensonge dégueulasse, les peines perdues, grillées d’avance, les espoirs absurdes parce qu’inconséquents, les amours dont on ne se relèvera jamais. J’aime le papier de verre, la toile émeri, les râpes fourbies de cruauté, la limaille vitriol crachée en plein la gueule, j’aime les photos surexposées beaucoup trop nettes, ou alors floues au point qu’on n’y comprend que dalle, j’aime avoir faim et les paquebots dépoitraillés, naufragés dans la rouille des ports hideux comme à Rotterdam, à Hambourg ou d'un ailleurs über-bousillé, la peinture éclaboussée en leçons d’une inouïe maestria à la limite de l’escamotage (et qu’on en me parle surtout pas de Dali qui aurait mieux fait d’y aller un grand coup plutôt que de s’astreindre à la dénaturation petite bourgeoise), les grosses poitrines ou bien bien très très tenues, le rock and roll à condition qu’il nique amplis, batteries et guitares à la fin de chaque show, les cheveux qui tombent aux fesses rebondies sucrées, les filles qui n’en ont jamais assez et qui hurlent pendant si c’est possible, et crever de cette vie unique qui passe beaucoup beaucoup trop vite. Je n’ai aucune classe, et je m’en fous. Je n’économise ni ne m’économise. Je n’épargne pas. Ni mes lecteurs, ni mes tentatives si impérieuses et glauques soient elles. Je veux ignorer l’idée même du bon goût, j’ai besoin d’exister, d’en jeter plein la vue, d’en coller plein la vie. Je suis un fat, un plouc prétentieux, un débutant définitif et je m’en rengorge…
Lu : Roman de mes romans
:: 11.05.2004 ::
Quoi de plus insensé que de flatter le peuple pour une candidature, d'acheter ses suffrages, de pourchasser l'applaudissement de tant de fous, de se complaire à être acclamé, de se faire porter en triomphe comme une idole ou de se voir en statue d'airain sur le forum? (Erasme)
Il y dans votre œil à lignes dessus dessous, tout autour de vos lèvres peintes clinquantes si vous n’allez pas ou bien doucies pastelles parfois, à l’avant d’un buste que vous posez en extraordinaire appât quoique soit votre avenance, à l’aplomb de vos jambes agrandies par de croquants talons ou coutures en trompe-l’œil une invariable adjuration, une supplique priée venue du mitan furtif et hermétique, l’âme pourrait-on dire, ou le moi du dessus, ou encore la tresse du cœur de vous qu’on ne distingue que mal, qu’on ne devine que par esquisses, par estompes non précises : plaire.

Le grand marché est cela, l’épargne des hommes et plus encore des femmes, un muscle saillant ou une mâchoire tendue de droites sécantes et parallèles, le regard amande et la lèvre pulpeuse, ce qu’il faut c’est l’éclat et la courbe du bon endroit, et la couleur correcte et puis les accessoires jusqu’au micrométrique, jusque ce qui ne se montre ou donne que tard lors des examens folliculaires de l’intime où tout se recense, et les toisons, et les marques de peau, et la taille ongulée, tout de la carnation et de la complexion, tout ce qui se voit, se touche ou se respire. Ainsi des inventaires. Ainsi des valorisations.

Au règne de l’idéal machin, il vous manque quelque chose : c’est que la frontière entre le trop et le pas assez ne se fixe pas ; tant mieux vous apprend t-on, quelles choses plus laides que la satisfaction, le contentement ? Il faut donc progresser, il faut donc, empruntant le commandement d’une espérance indivisible formulée par le on, séduire il, elle, eux, nous. Je s’accomplit dans la proposition de ils, ils exige de fractionner son multiple par autant de Je qui lui ressemblent, s’assemblent, le composent. Heureusement y a-t-il cet arbitrage impersonnel, la machine n’est-ce pas, la forme sociale que personne ne nourrit ni ne commande, la tendance, ou la mode portées dans l’invisible de l’air et des couleurs subites. Heureusement y a-t-il ce guide secret qui dicte libre, qui surprend, qui bouffe les manches ou émacie les silhouettes, la mire, le ventre de la cible.

Au fond vous ne vous aimez pas. Le psychanalyste qui me servait et que j’ai licencié il y a une semaine environ m’aurait dit vos parents, le bris de vous dans la compétition et puis la surdité, l’aveuglement, constantes biologiques presque si le créneau du corps déjà n’était pas fort occupé par les pontes de stéthoscope et les maniganceurs du Vidal. Les socialistes que j’ai recrutés il y a peu proposent le groupe ployé à l’usage des puissants qui, volontaires, servent d’occultes passions. Les comportementalistes, les ethnologues, les sociographes et les curés disposent de couplets bien affûtés qui vous expliqueront ceci, ou bien cela de ce qui convient ou devrait se vouloir, se concevoir ou faire sujet de rixe mais tous se seront tournés dans l’espace et le temps révolus : l’analyse, même prospective, même tenant de l’intime s’enracine dans la profondeur de nos être, c'est-à-dire de ce qui fut, a été. Je m’interroge moi sur ce demain conceptualisé, sur ce futur représenté sans intervalles ni licences. Vous me plaisez, mieux encore, vous, c'est-à-dire qui vous n’êtes pas encore, me plairez, sans doutes possibles. Et vous, vous plairez-vous ?
Lu : La Distinction : critique sociale du jugement
:: 10.05.2004 ::
Un grande vie est une pensée de jeunesse exécutée dans l'âge mûr. (Alfred de Vigny)
Julie part au Brésil. Ophélie reste au Japon. Jérôme revient d’Afghanistan. Véréna habite Berlin. Véronique voyage au Pérou. Robin revient du Nicaragua. Sihem atterrit à Alger. Sébastien travaille à Singapour. Nathalie à Cuba. Soraya traverse l’Australie afin de rejoindre la Nouvelle Zélande.

De la main je flatte le dos de mon numérique et je bouleverse mes piles de carnets. Du coin de l’œil je caresse le cuir écaillé de mon gros sac de voyage, je vérifie la place de mon plume, celle de mes chaussures de marche, je comptabilise mes guides et surveille le cours du billet d’avion. Québec ? L’argentine ? Tokyo ? Mon humanité se fane, je suis resserré dans l’univers connu du monde allant sans surprises et sans heurts, du monde quotidiennement égal dans le flux des gros titres et des corvées, ce paysage urbain qui ne m’attend pas, les rues invariables, les trajets ordinaires. Il faut partir. Ou arriver. C’est même chose.

Lu : Histoire de la folie à l'âge classique
:: 09.05.2004 ::
Les grosses voix sont le meilleur liant des amalgames.
Ce doit être le troisième ou quatrième depuis que, comme chacun, je suis téléphoniquement mobile, aujourd’hui j’envoie un message court à mon pote Bernard histoire de se caler une distraction pour le soir même. En l’occurrence c’est simplement plus pratique de procéder de la sorte.

Réflexion faite, je me fiche intégralement de ce que les associations de consommateurs trouvent scandaleux ou non que les opérateurs fassent une marge jugée comme énorme au moment de facturer les Sms. Je ne suis pas partout. Et j’imagine deux ou trois sujets un peu moins anodins qui seraient susceptibles d’attirer l’attention des dits consommateurs.
Lu : Traité élémentaire de géométrie analytique
:: 08.05.2004 ::
La question n'est pas de savoir si Dieu existe ou non. Mais plutôt : qui est-il, et à quoi joue-t-il ? (Hubert Reeves)
Sinon, moi ça va, hier il n’y avait nulle amertume dans mon texte d'hier. Il faut : mettre un nom aux choses. Se garder dans la tension et le regard au fond du fond. Tenter de, progressivement, calquer mon comportement sur mon discours. Chercher la rime.
Il en est une par exemple entre ces deux termes : culture, nature.
Lu : Recherches sur le dimorphisme
:: 07.05.2004 ::
Une sentence de mort est une chose superbe à lire à haute voix. (Alfred de Musset)
Vous m’appeliez, souvent aux mêmes heures, toujours au téléphone. Ce pouvait être au milieu de la nuit, l’heure des loups et des lunes glacées de blanc vers trois heures ou bien au saut du lit que je quittais très tôt : c'était plus tôt que l’aube. Je n’avais nul besoin de lever l’appareil de sa fourche pour savoir qu’il s’agissait de vous ou de deviner le pourquoi vous aviez ce besoin de parler. Vous aviez peur.

L’avenir masse indistincte, de quoi demain se ferait, tout cela continuerait-il ou alors : d’épouvantables fracas, des bris, les édifices crêpés au sol en soufflés souffletés, les fatras de poussière et de cendre, le chaos, à coups sourds à nos portes, dans nos vies, une cloche fêlée qui ne saurait plus qu’une note unique et laide ? Toute cette mouvance, le compte des équilibres fragiles déjà pris par le vacillement alentour, l’illusion qui assurément serait percée, la sottise mal grée sur laquelle tout ceci reposait… quand cela chutera t’il, quand cela cessera-ce ? Et puis le sens exact des mots, ceux qui vous importaient, qu’est-ce que l’amour, qu’est-ce que l’espoir, un ami ou l’utile, l’engagement, la croyance, le savoir ?

Vous n’aviez pas dormi, pas une minute, vous aviez attendu que le mal à votre ventre soit si fort qu’il expulsait votre voix en hululements noirâtres, votre plainte ventrée par larges plaies, par puits d’un suc amer et votre sang devenu poison ployé sous les succubes des frayeurs, trop de solitude, trop de silences faux, trop d’énigmes laissées vacantes, votre main finissait toujours par rompre la spirale, vous composiez mon numéro.

Le prochain, l’ultérieur ne sont pas dicibles coulais-je invariablement via le segment de droite torsadée appontée entre nous, le futur est cette chose sans existence et qui ne sera pas. Ni dans ta volonté, ni en dehors d’elle, le futur n’est ni vaste ni mol, ni marchant ni vers l’arrière, il n’est pas tout crûment, ou alors seulement dans la buée des hommes de ce qui les entoure, maintenant, de ce qu’ils n’ont pas voulu voir qui déjà est passé, la cuistrerie de ce qui poindrait se constitue de l’irrésolu synchronique, il est bon d’avoir peur. Ce qui serait folie serait de ne pas craindre, de ne pas démêler immédiatement la botte ou la pelote qu’on tient entre les doigts, ce qu’on connaît, ce qu’on admet, ce sur quoi l’on s’assoit, ce qui nous est commun et scient. Ainsi, cela déjà est effondré, de longue date encore, déjà croupissons-nous, rampons, vivons-nous les échéances maussades, et le médiocre, et le rompu. Le pire n’est pas à redouter, il est là de plain-pied occupant chaque interstice, vissé comme une super-constante, la plus solide peut-être, il imprègne chaque calcul, chaque résultat, chaque opération que nous réalisons, au fond nous ne pouvons rien perdre car, juste après la méprise vite dite, juste après la chimère comptée comme verrou du vrai nous ne possédons rien ; nous ne pouvons rien perdre.

Ces mots-là, n’importe lesquels n’avaient ni queue. Ni sens. Ni tête. A l’arrivée du jour vous vous décidiez à faire un pas au dehors. Dehors du fil d’Ariane, vous le pouviez briser, vous disiez aller mieux et puis vous raccrochiez Ces mots n’avaient rien de savant, ils n’étaient que de plate évidence, truismes malhabiles ou ineptes souvent. Ce qui vous calmait, c’était ma voix. Quand la sonnerie retentissait, avant de vous répondre, je prenais quelques secondes pour travailler une gamme très prés de l’octave deuxième. Un la. Un fa dièse. Un do. Je pouvais vous parler.
Lu : Je est un autre
:: 06.05.2004 ::
Les filles des fois c'est l'avalanche, un coup d'arc dans l'œil, tout qui déménage et toi aveugle, sourd, sans souvenirs, les filles c'est chouette comme vraiment, non, rien d'autre.
A tout prix je dois corriger cette vilaine habitude de tomber amoureux au premier beau sourire, à ce regard immense ou à cette voix qui scintille d’amusements et d’élans mangent-vie (en veux-tu, en voilà), à cette bouche parfaitement croquée ou à cette gorge tendre, je suis un homme respectable, non pas que je tienne tant que ça à ce que l’on m'admire comme une icône austère ou bien spartiate mais plutôt que j’ai, parait-il, passé l’âge des chiots mordillant mille mollets dans l’espoir d’en trouver un qui veuille se prêter aux jeux des patios et à celui, moins sage, qui chamboule les alcôves.

Si je ne le dois à personne au moins me le dois-je à moi-même. Question de dignité, question du peu d’estime qu’à mon propos je conserve mais auquel je m’accroche comme un naufragé sa planche, et puis je suis éduqué, élevé : j’ai vu les vestiges du jour et lost in translation, j’ai lu et vu Lolita selon que de Kubrick ou Nabokov, j’ai si souvent pleuré d’il suffirait de presque rien chanté par Reggiani (elle au printemps, lui en hiver), j’ai trop moqué mon grand-père de le voir tourneboulé dans le soupir fervent et la débauche d’effets artistes à l’approche d’une beauté pour ne pas me tenir sur mes gardes.

Voilà la théorie. La parole de fumeur. Le serment d’alcoolique. Mais le quotidien vous rattrape. Et puis, vous manquez de volonté. Autant arrêter en douceur. Mieux vaut mourir jeune mais en ayant vécu que de durer tristement. Et toute cette sorte de choses.

Encore ce matin. Une merveille de fille, la vie à mille allure et le rire toutes dents qui va avec. Le timbre vocal très au-dessus du ravissant. Un regard noir format gigantesque et la peau velours de pêche de soie de perle. Marrante. Vive en bourrasque d’assauts charmants et de gentillesse franche. Et une espèce de corps à découvrir pour le goût et l’odeur, et la courbe odalisque et le tendu de marbre. Et sortir bon sang, entendre de la musique, ramasser des fleurs en montagne, découvrir des restaus fameusement planqués, se laisser conduire par une voiture à cent à l’heure jusqu’à la mer et les vieilles pierres, redécouvrir Rome, toute l’Italie et puis l’Espagne, repêcher des fraises tombées dans le champagne, danser jusqu’à pas d’heure, oublier ne serait-ce qu’une heure qu’ailleurs ça glauque ou que ça poisse, se la péter à la terrasse des cafés l’air idiot dissimulé derrière des lunettes bien trop voyantes, essayer des fringues jusqu’à n'en plus pouvoir et retourner s’aimer, à bout de souffle…

Mais je suis un homme respectable. En tant que ça, tout conscient de mon statut, j’agis en conséquence n’est-ce pas : pourquoi ne pas être potes, juste potes, et puis tiens, puisque vous travaillez dans l’immobilier, n’auriez-vous pas une opportunité, un juteux placement, quelque chose de quoi profiter en tout bien tout honneur mais commission comprise ? Sinon, c’est quand tu veux pour aller boire un verre, l’idée de rire encore un peu suffirait largement comme occasion d'une prochaîne rencontre.
Lu : La tyrannie de la communication
:: 04.05.2004 ::
Si certains d'entre vous ont quelque chose de Tenessee, j'ai pour ma part bien plus souvent affaire au moins luisant Burrough.
En Savoie, à deux pas d’une maison de famille qui s’adosse au massif, dans l’épicerie la plus minuscule du pays ou pas loin, achetant son pain, elle est là et je trébuche dans le présentoir à journaux avant de m’étaler de tout le long de mon idolâtrie qu’en l’occurrence j’ai véritablement longue : après tout, voilà la meilleure posture pour lui baiser les pieds.

Elle sourit et j’hésite, m’évanouir, mourir ? Puis mon cœur fidèle au poste accepte son emploi, il bat encore et mes jambes soutiennent le corps et le squelette au moment de me relever, c’est ma voix qui prend l’initiative et je m’entends proposer dans un anglais à peu près convenable et pas si tremblant : « auriez-vous le temps d’un café ? » ce à quoi elle répond que oui, ou que plutôt un thé. Voilà comment j’apprends que Maggie Cheung est propriétaire d’un chalet situé à huit cent mètres de mon secret coin de campagne, que quand je lis sous la tonelle certainement répète t’elle, que quand une fois de plus je me laisser bercer par les pizzicatos de la bande originale d’In the mood for love, elle écoute chez elle Louis Sclavis, Michel Petrucciani, Tchangodei ou bien Thélonius Monk.
Lu : Cités de la nuit écarlate
:: 03.05.2004 ::
You wake up late for school - man you don't wanna go You ask you mom, "Please?" - but she still says, "No!" You missed two classes - and no homework But your teacher preaches class like you're some kind of jerk. You gotta fight for your right to party (Beastie boys)
Bernard et Sihem aussi attendent un bébé, nos amis, nos voisins qui nous annoncent ça avec les lèvres un peu pincées encore. Les trois premiers mois sont les plus longs quand on se languit de certaines confirmations et qu’on redoute un peu tous les jours que quelque chose ne vienne bouleverser le bon développement, l'alluvion maudit qui détraquerait la machine à miracles...

J’accueille la nouvelle avec un sourire d’une oreille l’autre, tu parles, les bébés auront deux mois d’écart, quelque chose s’enracine en moi et je crois bien que c’est le phantasme d’une prochaine existence fondue dans celle de l’espèce, le plaisir de me savoir intégré à la société des hommes réalisés, pratiques et quotidiens, l’incorporation en plein le cœur de la troupe des normés…

Des trucs délicieusement bêtes, gagner une fois par semaine le droit d’aller siroter une bière en compagnie de mon pote Bernard en laissant femmes et nourrissons à la maison et se dire qu’on l’a bien méritée, passer le samedi après-midi à réchauffer des biberons et affiner des manips de change pendant que ces dames feront du lèche-vitrine, se dire au téléphone que cette nuit, cette nuit c’était trop et qu’on a pas fermé l’œil-à-quel-age-auront-ils-fini-leurs-dents, toute cette vie magnifiquement contrainte, vertueuse, responsable, l’amour qui flanque déjà des coups de pieds aux ventres avant que de nous traiter de vieux schnocks et même ça j’adorerai, et puis aussi saouler nos futurs ados puisque que ce qu’ils écoutent c’est vraiment des machins de barbares, qu’à notre époque au moins on avait les Pixies, Dead Kennedys, Zappa ou bien Siouxies and The Banshees et que ça, ça c’est pas la même, la vie quoi, la vraie, la vie méchamment calée, la vie de l’amour fou…
Lu : Dimitri Mendeleïev
:: 02.05.2004 ::
Le Messie ne viendra que lorsqu'il ne sera plus nécessaire, il ne viendra qu'un jour après son arrivée, il ne viendra pas au dernier, mais au tout dernier jour. (Franz Kafka)
Sûrement j’étais moins sensible, moins friable, moins caduc ou douillet, à vingt-cinq ans j’allais mon chemin dans la certitude inaltérée de la valeur du moi et de mon avenir qui forcément sourirait : je ne comptais pas mon temps. Je n’avais ni commisération ni amplitude dès qu’il était question de passe-droit ou de largesse, je n’envisageais ni compromission, ni lenteur, mes exigences me servaient en même temps de carcan et d’atèle pour ne pas dire de corset et puis aussi de pretextes à écarter, trancher, m'associer, j’étais tout bonnement inoxydable et beau, intachable, incassable, l’on me détestait et je m’en fichais comme d’une guigne et bien plus que de l’an quarante, j’étais naissant dans la condition propice d’avoir quelque chose à faire entendre, quelque chose à montrer, il y avait très peu de suiveurs constituant mon clan mais ceux-là étaient proies, terrains d’essai et soumis à ma soi-disant pseudo géniale tyrannie.

Et puis les années passent. Les autres me valent bien, au minimum. Mon talent, mon toupet ne se démarque en rien du chic ou de la classe ambiante, le super moi abusivement dimensionné n’a fait recette ni par le biais de la ruse ou de la force, ni dans la patience et la longueur de temps. Il en est même de plus discrets, de moins bruyants, qui dans l’opaque ont posé bases solides et réalisations notables, à l’age intermédiaire ceux-là nourrissaient mes complexes, me faisaient réviser mes méthodes, et puis, finalement plus rien.

Ni modèle ni héros, ni échelle de comparaison qui aient tenu. Pas d’élèves. Pas de maîtres. Pas de dieux. Ne me reste que ce jugement bâti à force d’à force, la démonstration faite de l’absolue différence séparant chaque être de son prochain et de l’absence d’une hiérarchie envisageable entre traits, qualités et défauts, dispositions ou handicaps, conviction qui amène naturellement à considérer comme ridicules les notions de mérite, de pouvoir, de puissance et même de réussite, vérité qui m’amènerait à un état Christique exaspérant si je n’avais pas tous les jours la prétention de porter au dehors et à tue-tête ce qu’on nomme la foutue bonne parole.
Lu : Annemarie Schwarzenbach ou la mal d'Europe
:: 01.05.2004 ::
Le premier mai nous fêtons le travail en chômant. Que faire du reste de l'année ?
Le brin de muguet à quatre euros me rappelle que j’ai connu les flippers à vingt centimes pour cinq billes et les carambars deux fois plus gros pour cinq centimes (j’évoque des quantièmes de franc), l’essence à vingt-deux centimes le litre et la baguette à quinze, franchement, se payer encore de la clochette du premier mai vu son prix, c’est devenu signifiant politiquement parlant.
Lu : Des coups d'épées dans l'eau
:: 30.04.2004 ::
Il faut que les hommes fassent du bruit, à quelque prix que ce soit - peu importe le danger d'une opinion, si elle rend son auteur célèbre ; et l'on aime mieux passer pour un fripon que pour un sot. (François René de Chateaubriand)
L’autre danger, c’est celui qui rampe dans nos rues, qui hante nos boulevards, nos avenues, nos cités et banlieues, la délinquance ou criminalité, l'incivisme ou autre blabla en in pour lequel nous nommons hommes à poigne et meutes en uniformes, l’insécurité qui fait basculer les ministères vers plus-rêche-plus-amer, casquer très cher balles et gilets, serrer les mâchoires : tremblons, craignons, fuyons, gardons-nous des prédateurs à serres et à instincts mauvais, claquemurons-nous derrière nos portes blindées et dans nos autos automatiquement verrouillables, partout les vautours, partout les hyènes et l’assoiffe de sang, la faim de sous et de babioles à faire comme si…

En bon gosse de riche (cela ne se doit pas nécessairement à la fortune de mes géniteurs n’est-ce pas) j’ai sur moi (dans mes poches) quantité de jouets hors de prix qui feraient le bonheur des susdits et d’assez conséquentes sommes, il y aussi cette voiture visible comme un nez de Bourbon planté au milieu de mon visage impertinent d’angélisme épargné par la faim et autres contingences (au délit de sale gueule peut s’opposer le crédit de la bonne, tout aussi injuste du point de vue des catégorisations outrées), les fringues et sapes qui laissent peu de doutes, bref je présente l’amène faciès de la proie facile et profitable, de celle qu’on dépouille sans ennuis, sans remords ni gaspillage.

Je vais partout. A toute heure. Au mas du taureau de Vaux en Velin. Je me gare à la Courneuve. Je marche à Harlem, je traverse le Bronx (qui s’embourgeoise car le bourgeois champignonne faute d’assez d’espace où il naît), je rentre par l’enfilade des favelas, je prends la ligne 9 à une ou à cinq heures du matin. Je traverse les zones indéfinies de Mexico et des villes nicaraguayennes, je déambule aux faubourgs d’Alger, de Los Angeles ou de Naples : je n’ai jamais peur. Je parle à chacun. De nuit, de jour, aux vieux, aux femmes, aux gosses, aux mecs bourrés et aux putes, aux cadres et aux aristos, aux camés et aux frontistes, aux immigrés, aux taulards et aux journalistes, aux curés, aux gentils, aux musiciens, aux intellos et aux barmans, aux ouvriers, aux employés et aux gardiens de parking, aux militaires, aux flics, aux étudiants aux gays aux ingénieurs et aux fripouilles, je parle même aux politiques, aux libéraux et aux sportifs, c’est dire. Je parle dans ma langue quand c’est possible, dans l’étranger qu’à peu près j’annone ou par signes, par sourires, moulinets de bras ou circonvolutions manuelles, je parle, je n’ai jamais peur, je ne peux perdre rien qui me soit plus cher que ce que je perdrais si je ne parlais pas aux hommes, à ma race, à mon bois, à mon âme, je ne pourrais rien perdre de plus précieux qu’entendre et tenter de comprendre ceux qui me ressemblent ou ceux qui me dissemblent.
Lu : Les Choéphores
:: 29.04.2004 ::
Ah le danger ! Prononcez ce mot et voyez quel dangereux comparse il est lui-même !
Je reçois cette réponse d’un éditeur émergent refusant mon dernier roman : « vous menez votre récit sur le plan d’un monologue à la première personne, or c’est la forme la plus dangereuse ». Au moins peut-on croire qu’il l’a lu (encore que la quatrième de couverture suffise à éclairer quant à la structure choisie), et si l’appréciation sonne un peu sec, elle est aussi d’une bienveillante civilité.

Dangereuse ? Je ne connais du danger que celui de fermer sa gueule. Je ne connais du danger que celui de conformer son soi à ce qui n’est pas soi, son art à ce qui ne darde pas, ses visées aux desseins d’un autre générique, cet autre qui n’existe que dans l’informe d’une pensée globale inaboutie, insatisfaite et sans éclats, l’autre qui ne baise pas, ne bouffe pas, ne ronfle pas, l’autre qui n’a jamais joué, l’autre mort non avenu, sans ciel et sans marelle.

Ou alors était-ce une louange ? Pas le danger des artistes aboutis sans cesse se mettant en péril face au public, à la nudité ou au précieux petit capital engrangé, pas ce danger économiquement pingre de toute substance et puis matière ? Non le danger qui trépide et enivre ? Le danger qui donne des ailes ? Celui qui mord et cingle, se trompe et se relève, bruisse, frémit, l’eau bouillante du danger et le café se préparant à fond d’arôme et gorge prise ? Le danger eau de vie des essences essentielles, des esprits crame-catalogue qui vont devant la foule à poil dans la déchirure nerveuse des muscles effarés, effrayants, prêts à mordre cette salope de réserve qui nous fixe âprement dans les froids de la mort ? L’ultime, alors, le grand, l’immanent, le vrai danger qui nous fait quitter tout, et notre prudence, et nos coutumes, et nos états peureux de tout-perdants usuels ?

Mais je m’emballe. Votre réponse, Monsieur, est un refus, pas cette reconnaissance éperdue que j’attends comme toujours j’attends qu’on applaudisse le phoque, le ballon et son nez, j’irais jouer ailleurs, avec les camés, les extrêmes, les amoureux, ceux pourvus d’aucune éducation ni d’oncques savoir, les mômes propices du merveilleux par ignorance ou naïveté, ceux qui vous sautent au cou (à trois) et vous oublient si vite, car leurs heures d’enfance sont comptées, qui vous oublient parce que l’horloge tourne…
Lu : la Fiancée d'Abydos
:: 28.04.2004 ::
Tout proposition littéraire est fondée sur des malhonnêtetés intermédiaires : la mémoire, la culture, le désir, le langage. (Manuel Vazquez Montalban)
Voilà dix-huit mois pile que le blog d’os se tisse, suinte ou se dévide à peu près quotidiennement, se projette ou s’enterre, montre faces et facettes de l’autre vie, celle qui s’écrit, qu’il se rythme doucettement ou au fracas selon que de peine, de désir de colère ou que sais-je, dix-huit mois d’une certaine constance disciplinaire menant à fournir les sacro-saintes dix lignes par jour, celles qui méritent d’être vécues, et si les règles qui furent édifiées au point départ furent à peu près toutes égratignées quand pas franchement foulées au pied, on en peut dire au moins qu’un os à ronger a su à peu près rester le reflet de l’intime ou un accumulat de signes y conduisant.

Par le truchement d’un classement mystérieusement et abusivement favorable longtemps attribué par Google francophone aux requêtes « blog », « journal intime » et autres mots clés partiellement adéquats, la fréquentation de ce site a explosé en mars 2003 pour croître régulièrement depuis. En moyenne vous êtes 3800 lecteurs à partager chaque jour la prose plus ou moins inspirée qui se distille ici et vous venez en écrasante majorité via vos favoris. En moyenne vous lisez 4900 pages/jour et vous venez de France (46%), du Canada (26%), de Belgique (11%), de Suisse (5%), d’Afrique (5%), du reste du monde (7%). Vous m’écrivez entre 50 et 150 mails par jour, un certain nombre d’entre eux visant à me signaler mes retards, d’autres pour faire part de votre appréciation. J’en lis autant que possible, je réponds à très peu, question de temps tout simplement, je m’en excuse ici. Même si j’aime vous lire et que j’apprécie à sa juste valeur l’opportunité de disposer d’un retour au sujet du contenu, il était indispensable d’ériger comme règle de n’en pas tenir compte, de ne rien modifier de ma façon, de mes manières.

Voilà quelques semaines que la langue chante moins ici, je ne me suis jamais remis de l’écriture de mon dernier roman qui devrait se voir publié avant l’été. J’écoute moins de musique, et cela joue. Je voyage un peu moins, aussi, je travaille trop à m’investir en structures politisées ou associatives, cela colore la prosodie et l’allant au mot. Vous me dites que les textes sont plus accessibles maintenant, j’ignore si c’est une qualité, mais je me sens parfois un peu sec, un peu à coté du comment je voudrais dire, de la poésie. Ce n’est pas la première fois. Pour être franc, sur les 500 textes disponibles ici et dans les archives, je n’en aime vraiment (je veux dire sans réserve) qu’un trentaine, mais, ceux-là, je les aime et, orgueil déplacé ou non, je suis heureux de les avoir offert.

Ce petit bilan fait, je continue. Pour le meilleur j’espère. Avec pour contrainte ou ligne d’horizon de rester engagé dans mon propos, non spécialisé, d’encore tenter d’approcher une dimension musicale ou poétique, avec l’ambition sans doute assez sotte de bâtir peu à peu sinon une œuvre d’art, en tous cas une mémoire. A demain donc, à la semaine prochaine, à dans un an, dans un jour…
Lu : Hobbisme
:: 27.04.2004 ::
Il y a deux genres de personnes, ceux qui font le travail et ceux qui en prennent le crédit. Tentez d'être du premier groupe ; il y a moins de compétition.(Indira Ganghi)
Suis-je peu précis, me recoupant, délétère, dans mes appréciations et commandements tout de même ! J’ai beau poser ce principe quasi tautologique que sont rédhibitoires tous appels que produirait une quelconque compétition ou volonté d’asseoir la performance, la vérité est que je n’ai jamais su rien entreprendre d’une activité à priori de détente ou d’amusement comme autrement que dans le principe d’exceller, bien entendu en prenant comme mesure mes propres limites, celles d’autrui, en une référence spéculaire qui servirait en ligne de mire.

Matières scolaires et résultats ostentatoires. Jeu d’échecs, courses automobiles ou escalade, même motivation hégémonique. Je devrais seulement prendre un peu de ce fameux bon temps ? Me fortifier quiètement dans l’exercice sans en attendre plat résultat ou cheminement lent ? Vous trouveriez iconoclaste qu’au bout de six mois, pas plus, d’une pratique ou d’un essai j’en sois déjà à formuler quelques ésotériques anathèmes quant à la plus sûre stratégie de domination ou de réussite ? Cela vous semblerait brûlant d’étapes ? Vous semblerais-je par trop manichéen si je distinguais les ceusses qui ne franchiront pas de ceux qui survoleront ? Si je vous confiais mon appréciation, trouveriez vous ma démarche en tiers-semblant fausse, ou collusoire ? Tenez, dernièrement ce bloc en 6c+ avec passage en dalle, ou ce pur toit fait de blocages bien à bras coté 7b, vous auriez aimé que jamais je ne le franchisse, que je considère l’essai comme inutile. Que je ne me mêle pas de positionnel et de tactique dès mes premières parties sur les soixante quatre cases. Vous auriez aimé que je me dépare de mon allant paradigmatique noyé de force démonstrations techniques, gros mollets et renflements de chevilles. Vous n’aimez pas tant me devoir un compliment dithyrambique ni me voir proférer quantité d’aphorismes relatifs au vouloir, au talent ou à je ne sais quel trait de caractère qu’il suffirait de pousser avant pour qu’éclosent de nouveaux dons. Vous supportez assez mal ma définitive prétention, mon ubuesque pédanterie et ne voudriez rien tant que j’échoue, qu’au lieu de dépassement j’éprouve ce qu’est la reculade.

J’ai été très mal éduqué. Cela ne quitte jamais. Il faut briller, ou n’être rien, telle est la conception des choses dans laquelle j’ai été gouverné, enfant. Tous les jours j’appelle un peu moins de tenue, un peu moins de stature, l’oubli du moi, le reni de la force. Il semble qu’en ce qui me concerne, cela soit plus ou moins foutu mais je m’engage à ne rien transmettre de cela à l’enfant que je veux élever.
Lu : Atala
:: 26.04.2004 ::
On dit faire un bébé. Avoir un enfant. Curieuse utilisation des verbes d'action ou de possession lorsqu'il s'agit des êtres.
Par ici aussi cela s’engouffre à vibure, le statut de parent intéresse. Prévenance médicinale, options et services en tous genre et puis les avis de ceux qui possèdent de l’expérience, les mesures indispensables, faire mieux, faire plus qui se motorise de notre sentir coupable. On aura le toupet peut-être garder son libre arbitre, une certaine espèce d’indépendance mais il faut prendre position, voilà où vous amène d’être sollicité.

La vie psychique ou non mais intra-utérine. Les justes critères de développement, ne pas fumer bien sûr, éviter les chats, la musique trop rythmée, et le stress, s’interroger quant à la validité d’une approche en haptonomie, gober son poids de vitamines et compléments nutritionnels, définir le rôle du père lors du processus de grossesse, garantir l’appropriée tendresse jusqu’au calendrier des embrassades car trop serait trop n’est-ce pas, et pas assez serait insuffisant, gérer, planifier, garantir, faire, faire…

Et on n’a pas le choix. Rien n’est trop beau, aucune entreprise qui paraisse futile ou dérisoire, prendre recul quant à ces questions là même semble suspect, ingrat, irresponsable. Vous êtes prévenus. Il faut. La vie, le bonheur, le bien-être, autant de corollaires au principe de précaution : faites, dans l’ignorance et l’incertitude, faites.

Alors nous faisons. Parce que nous ne savons pas. Ainsi, nous ne saurons pas. Ainsi nous n’avons plus ni temps, ni droit, ni énergie à être, à laisser être, ainsi sommes-nous, possédant ou bien dépossédés, de notre enfance de nos souvenirs, des enfances que nous engendrerons à l’œil de l’autre ou dans sa chair. J’en peux, encore, défaire ma marche de ça qui serait triste, de ça qui désabuse. D’ailleurs, hier soir en plein notre cache, notre ressui que rien n’enfreint, sur lequel nul n’empiète, Maud et moi avons pu, pour la première fois, sentir que bougeait notre bébé à naître. Une première fois. Ca n’appartient à personne ni à nous-même et si j’écris le fait, la pulsation, elle, restera dans la paume de nos mains mêlées aussi forte qu’un tout premier amour.
Lu : roman d'un enfant sage
:: 24.04.2004 ::
Vous comprendrez un jour que le mot "homme" ne convient pas quand il faut nommer celui qui tue.
Et donc il faudrait ne pas te traiter d’enculé, de salaud, de facho, de ces noms d’oiseaux que tu porterais pourtant avec grâce et un naturel certain si nous t’en affublions, ces mots qui dessinent miracle ton contour comme les costards hors de prix que tu te fais tailler avec l’agent de notre sang et de notre sueur. Tu préfères qu’on te donne du Monsieur. Du révérant et du titre, président, ministre, conseiller, si possible avec une majuscule. Au pire qu’on accompagne ton patronyme d’un prénom, Silvio, Jacques, Georges, Jean Marie, Nicolas, Jean-pierre, Renaud, Alain, dernièrement Dominique. Car toi, tu es un homme respectable. Toi, tu incarnes une belle réussite et un joli paquet de valeurs démocratiques ou républicaines. Toi, tu es celui qui vote les lois ou en décide, ce que tu penses bon est bon de fait, tes convictions et ta vision doivent triompher.

Toi, tu es l’homme politique et ce n’est pas parce que tu te fais gauler à 200 kilomètres heures sur l’autoroute, ce n’est pas parce que tu t’envoies une pute mineure et clandestine, ce n’est pas parce que tu claques quatre mille balles de thés et frais de bouche par jour, ce n’est parce que tu recommandes à un député allemand de participer au tournage d’un film sur les camps de concentration, ce n’est pas parce que tu mens au monde entier pour aller charcuter de l’irakien ou de l’afghan, ce n’est pas parce que tu détournes l’argent public pour faire campagne qu’on aurait le droit de te demander des comptes ou de s’attendre à ce que tu modifies ta conduite, ton discours ou mieux encore : les deux à la fois.

Toi, tu es pleinement conscient de ce que tu fais. Tes crimes ne sont même pas accidentels. Ils sont volontaires, concertés et forment de curieux parallèles avec tes déclarations main sur le cœur et yeux dans les yeux.

J’ignore comment mes contemporains, l’ensemble des gens que tu gouvernes, parviennent à accommoder leur connaissance de qui tu es à leur soumission quotidienne. Je leur prête un jour une mollesse excessive, un jour une certaine sagesse et une admirable patience.

Mais vois-tu, Ambiel, Sarkozy, Bush et consort, je n’ai plus envie de t’entendre. Je n’ai plus envie de découvrir ta prochaine exaction. Je ne souhaite plus que tu tranches pour moi de ce que j’ai à faire ou non, de ce qu’il me faut respecter, travailler ou gagner, de quand et de comment je devrais faire cela. Je te destitue, à ce jour et publiquement de toute légitimité me concernant. Je ne t’accorde plus aucun droit en ce qui me concerne, aucun devoir, aucune obligation. Je me déclare, ce jour et publiquement, en état d’insurrection permanente.

J’aurais pu repomper la lettre du déserteur de Vian pour te mettre au courant. J’aurais pu faire joli, poétique, intello, me questionner quant aux limites de l’exigence de probité et de morale qui font le lit d’autres salopards de la politique que toi, j’aurais pu me réfugier, encore, dans mon autre dimension, ma dimension d’artiste au-dessus de la mêlée, et ne pas me sentir mouillé de tes incohérences parce que, tu comprends, je serais « d’une autre galaxie et de la nuit pourtant venue ». J’aurais pu mais je ne le veux plus. A partir d’aujourd’hui, je n’agirais plus qu’en fonction de mon propre code et je te prie de croire qu’il vaut cent fois le tien.

Puisque tu n’as pas assez de tenue pour prendre la fuite, je me charge, ce jour, de te démissionner, sans appel, recours ou cassation possibles.
Lu : Mémoires contre M. Goëzman
:: 23.04.2004 ::
C'est tout de même un peu dingue, ça, ce réflexe que nous avons d'essayer d'apporter une réponse à une question posée...
Et un questionnaire encore, moins pour alimenter ce blog que pour explorer certains prismes...

* - Quel est pour vous le comble de la misère ?
La misère est un comble. Forcément. Un comble qui ne comble rien, au contraire, une sorte de prédateur, de parasite qui se nourrit de l'absence qu'elle se charge d'organiser, de mettre en oeuvre. La solitude quand elle n'est pas forte, quand elle n'est pas désirée me semble appartenir aux grandes détresses. Ignorer ce que l'on gagne à cultiver son jardin peut-être. Ne pas être acteur de son propre processus de libération.
* - Où aimeriez-vous vivre ?
Là, j’aime vivre là où je suis, là où je vais. Et puis j’aimerais vivre tous les ailleurs ; ils ne se situent pas nécessairement loin.
* - Pour quelles fautes avez-vous le plus d'indulgence ?
Toutes les fautes valent mon indulgence ou ma tendresse, la culpabilité mise à part peut-être. Mais j’aime la perfection. J’aime les démarches assurées, assumées. J’aime l’effort, le goût du mieux, et les moments où tout cela s’écroule, où l’on voit bien que l’objet parfait n’est que pesant, où l’on sent que la façon sublime n’est qu’une faute de goût. J’aime la laideur souriante. J’aime la disgrâce exubérante et s’ignorant. Et j’éprouve une jouissance particulière à partager l’orgueil et l’outrecuidance.
* - Vos héroïnes favorites dans la vie réelle ?
Qu’appelez-vous « vie réelle » ? Voulez-vous dire « la vie » ? Les femmes qui écrivent. Je leur voue un culte démesuré.
* - Vos héroïnes favorites dans la fiction ?
Belle du seigneur. Madame Bovary. Nadja.
* - Vos héroïnes favorites dans l'histoire ?
Voir les deux réponses ci-dessus
* - Votre peintre favori ?
Vélasquez, sans le moindre doute. Ou peut-être Rembrandt. Ou Goya. Vermeer. Braque. Bacon.
* - Votre musicien favori ?
Je ne sais pas. Je n’en peux préférer aucun dans l’absolu, ils viennent dans le maussade, l’énervement, l’exultation ou bien l’amour, ceux-là, bien sûr, sont ceux de mes favoris.
* - Votre qualité préférée chez l'homme ?
L’être le moins possible.
* - Votre qualité préférée chez la femme ?
Jeune j’aurais parlé de l’intelligence ou du sensible, peut-être aussi de l'affable ou de la pâleur. Aujourd’hui je dis que c’est l’allant à l’érotisme si tant est qu’il soit vertigineux, absolu, pleinement désiré et heureux. Et finalement, l'un ne va pas sans les autres.
* - Votre vertu préférée ?
La vertu.
* - Votre occupation préférée ?
Je ne m’occupe pas. Jamais. Je suis occupé de tous les possibles, du monde vacillant ou glorieux, des couleurs, des musiques.
* - Qui auriez-vous aimé être ?
Dom Juan ou Saint-Jérôme. Peut-être David Bowie, Jimmy Hendrix, Hélène, ou bien Sappho.
* - Le principal trait de votre caractère ?
L’infinitude.
* - Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?
Le pardon et la fidélité.
* - Votre principal défaut ?
Je n’en ai aucun. Mes traits de caractères sont admirables ou ridicules, je m’aime absolument et il m'importe qu’on me rende la pareille.
* - Votre rêve de bonheur ?
L’oubli de ce qui serait entrave à l’amour.
* - Quel serait votre plus grand malheur ?
N’aimer qu’avec raison.
* - La couleur que vous préférez ?
Le rouge. Tous les rouges.
* - La fleur que vous aimez ?
La bouche des femmes.
* - L'oiseau que vous préférez ?
Le colibri.
* - Vos auteurs favoris en prose ?
Je n’ai pas ici la place de tenir un annuaire. Il en est tant que j’aime !
* - Vos poètes préférés ?
Voir réponse ci-dessus. Mais peut-être Mallarmé, René Char, Léo Ferré.
* - Vos héros dans la vie réelle ?
N’avons-nous pas répondu, déjà ?
* - Vos héros dans la fiction ?
Rastignac. Le Dom Juan de Molière. Cyrano de Bergerac. Le Fabrice de Stendhal, le Stephen de Joyce et Werther.
* - Vos héros dans l'histoire ?
Celui qui comme le définissait Saint-Exupéry a compris que toute action relève d'un absolu, que la grandeur du héros est d’accorder la meilleure part à cet absolu même si son fondement lui échappe dans l'obscurité du nihilisme contemporain. Il s'agit d'une foi perdue dans un monde qui ne s'étonne pas du silence de Dieu. Le héros découvre une signification qui ne porte plus sur l'infini mais sur lui même, sur la valeur de son humanité: découvrant sa solitude, loin de la fuir, il l'assume comme seule source de sa grandeur et l'action continuée l'environne de sens. Cela menant à la paix ou à l’amour bien entendu.
* - Vos noms favoris ?
Ephémère. Solstice. Enclave. Entrailles. Crocs. Il faudrait un dictionnaire
* - Ce que vous détestez par-dessus tout ?
Les yeux absents d’âme. Non, même pas. Les réponses invariables.
* - La réforme que vous admirez le plus ?
Ce mot là est un peu péjoratif à l’heure actuelle. Je n’aime pas les réformes, je préfère les révoltes.
* - Comment aimeriez-vous mourir ?
Totalement amoureux, et souffrant le martyre. Je veux vivre ma mort.
* - Etat présent de votre esprit ?
Insatiable.
* - Quelle est en ce moment votre raison de vivre ?
Maud. Mon bébé à venir. Le temps qu’il fait dehors. Cet excellent bouquin ouvert à mon chevet. L’humanité. Les possibles. Les femmes et leur parfum. Le sommeil qui me prendra plus tard. Les baisers tendres, passionnés, fortuits, la peau, vivre.
* - Votre devise ?
Question difficile. Quand même : Soyez doux avec vous-même.

Lu : Le tailleur de pierres de Saint-Point
:: 22.04.2004 ::
Nous nommerons filtre polarisant ce qui fait de nos vies des instances attractives.
Savez-vous ce qui nous rapproche ? Comme moi vous vivez les choses en mots. Ils s’inscrivent tout seul. Là. Pour toutes choses. A tous moments. Votre vie, s’écrit. Tout ce que vous vivez, voyez, entendez, sentez se soumet à cette forme particulière de translation : de l’image au mot. Du son au mot. De l’odeur, du déplacement, de la peine, du fait le plus anodin, de l’élan, ce chien qui passe en courant, ce retour dans le soir humide, cette volée d’escalier essoufflée à grand peine, ce bar encore ouvert ou cette fille un peu vulgaire accompagnée de trois types beaucoup plus âgés qu’elle, des feuilles volant ou des fleurs gisant en déjà presque pollen, ce coup de frein un peu louche, cette ville trop active ou mouillée de romantisme, votre chat clochard mendiant une caresse, le craquement du papier bonbon autour du caramel, tout ça aux mots.

Vous ne vous êtes peut-être jamais demandé si c’était comme ça pour chacun. Peut-être avez-vous toujours conçu des gens vous entourant, ce collègue ou cousin éloigné, cette voisine, qu’ils phrasent la journée muettement, comme vous, qu’en dedans de la tête ils abritent eux aussi leur traducteur automatique, un bréviaire s’alimentant, se compliquant, s’enrichissant à mesure que le temps ne s’égrène. Peut-être vous êtes vous laissés tromper de ce qu’avec ces âmes là, l’échange ait lieu toujours dans l’emploi d’un vocabulaire de vocables et de verbes.

Et bien non. Il n’y a que vous. Et moi. Il n’y a que vous et moi qui bâtissons le poème constant, la tirade sans pause, il n’y a que vous, et moi, qui vivons en transparence du livre. Vous, moi, les mots. C’est ce qui nous rapproche.
Lu : L'impiété des déistes, athées et libertins de ce temps
:: 21.04.2004 ::
Le schizophrène construit des châteaux dans les nuages. Le psychotique y vit. Le psychanalyste touche les loyers. ( Jérome Laurence )
Celui-là, lecteur d'un monde diplomatique tenu plié sous le bras fait la queue en attendant sa ration d’immondices mondialisées au fast-junk-food du coin. Ceux-là, amateurs de sport, de nature et de montagne organisent leurs sorties : l’hôtel sera telle chaîne à portier automatique et douches cabines dans le couloir, le dîner sera pris à la cafétéria de la grande surface : en face et puis très sûre. Elle, elle verse son obole tous les mois à destination des pays défavorisés mais achète ses meubles chez tel fourgueur de cochonneries importées de là-bas à prix vils. Ils disent que le pain est mauvais, ils en ont eu raison. Nous sommes au chômage. Nous manquons de choses et sommes empétrés de nos autres choses. Et nous savons.

Tous fous. Ou nuls en math. Ou bien, pas très malins. Ou, tentant d’en sortir. Juste ça.

Ils, eux, les autres. Ceux-là n’ont pas prévu, ne savent pas, se trompent. Nous, on fait ce qu’on peut.
Lu : Chroniques de l'idiotie triomphante
:: 20.04.2004 ::
On devrait se marier entre compagnons d'enfance. ( Alexandra David-Neel )
Les fêtes à l’époque c’était tous les soirs. Il suffisait de rien. Tu passais ? C’était fête. Non... c'était LA fête. Ou bien une nouvelle petite amie à présenter dans le flot des anciennes petites amies invitées quand même et des petites amies qu’on espérait, un nouveau disque (ça déboulait de Bruxelles, Blaine L Reninguer, Arno, TC Matic, Hulla, de Paris, d’Allemagne, de Londres, Einsturze Neubauten, Nick Cave, This Mortal Coil, Minimal Compact, Live Wire et Martha and the muffins, Cocteau Twin, Birthday Party, Magazine, Japan, Dalis Car, Ubik, …), des joints y en avait peu mais on fumait au verre et ça déchirait grave, à l’automne on partait à Pontarlier faire cueillette de psilocybes, alors là les fêtes duraient tard et viraient au grand n’importe quoi, on ne regardait jamais la télé parce qu'elle était déja nulle, les ordinateurs c'était des bouses monochromes qui servaient uniquement à la comptabilité et nous conspuions les consoles de jeux, la notion de blog n'était même pas un rève d'embryon d'Arpanet et en matière de nouvelle technologie on n'était pas loin de penser que le cd ne durerait pas, on était là, de chair et d'os et pas véritablement éléctroniques...

Il y avait Cyril putain de beau comme un dieu punk qui faisait chavirer toutes les filles mais intouchable à cause de Cachou s’entêtant à Nancy, il y avait Fredo et vingt longueurs d’avance dès qu’il s’agissait d’art, sorte de multicarte de l’avant-garde qui secouait velu, Alex dans la chambre duquel ça se passait toujours nettement plus hilarant que n’importe quel officiel comique, Marc et Muriel total rock and roll qui ne bossaient jamais (Marc maintenant est dingue à Berlin tandis que Muriel vit en Patagonie à 130 bornes de son premier voisin), Claire dont le mètre quatre vingt trois tout en grains de beauté déclenchait une émeute pour peu que se tenant dans un endroit public, Pascal premier radioman libre de France et cinq mille disques entassés dans son deux pièces, Sandrine et Jacques aux faits d’arme plus que déroutants quoiqu’ultra-classieux, Anne qui aurait rendu fou n’importe quel hétéro et ses très multiples copines à tomber définitivement raide, Valérie braise et glace plus maligne tu meurs, Karim affûté des affaires et maintenant quasi milliardaire, Dominique-Monsieur-sourire-jusqu’aux-oreilles mais la-bière-ça-tache-pas, Emmanuelle en Chevignon mais qui fuckait ses congénères (no future for the cpfh), pas mal d’autres encore quoique moins réguliers, ça parlait de je ne sais plus trop quoi, quelle importance, on passait beaucoup de notre temps à se marrer jusqu’à torpille-estomac, à être décadents, glamours de la fin du monde et à critiquer les Chevignon-205gti-getgetgetdown, on foutait rien ou à peu près, on allait aux concerts tous les trois jours en moto sous la pluie, on se laissait inviter à table par les parents et on arrivait complètement défoncés (ça-craint-on-s’est-fait-trop-capter) on n’avait pas un brin d’idéalisme ni de conscience politique (à la place on couchait de notre plein gré, ce qui compense), j’avais vingt-deux ans et mes tempes, mon sang, mon pouls battaient à toute volée les heures nerveuses des appétits à bout de souffle voire au-delà, alors tu comprends, Delerm ça fait peut-être marrer plein de monde mais lui-même se dit triste, ce qui ne m'étonne pas vue la daube variétale dans laquelle il semblait patauger pendant ces années là.
Lu : Hors d'atteinte
:: 19.04.2004 ::
Se spécialiser, c'est se mener sûrement à conduire une vie entière en pleine obscurantisme.
Tous ces gens très calés qui m’agacent, les chères cravates et tailleurs hautement cousus, la lenteur des décisions à prendre, les comités de validation et petits pas consensuels, les spécialisations en techniques dures, la prise en compte de chaque voix, on le saura que rien n’est simple et qu’aller quelque part c’est forcément quitter un autre quelque part, mais surtout la solitude, être seul si souvent, être seul tout le temps, ne pouvoir parler de rien qui séduise un peu l’âme, avez-vous vous le film de Bunuel « cet obscur objet du désir », évidement non vous ne vous en souvenez pas, avez-vous lu Nabokov ou « le maître et la marguerite « , non plus bien sûr, Faulkner, Joyce, Gide, ou Couperin, Debussy, Alfred Sauvy ou Ferreri, Munch, Basquiat, Jaurès, Bergson, Rimbaud, Vermeer et pourtant je ne vous parle là que du minimum syndical bordel, rien de compliqué ni de savant mais seulement de ce qui fait la vie, la vraie et tout autour, je vous parle de ce qui inspire les titres des journaux que vous vénérez et de ce qui infléchit notre conduite contemporaine, notre allant aux choses, de ce qui perfuse, distille, incite ou compromet, et comment voudriez-vous prendre la moindre décision si cela ne vous intéresse pas, si cela est mineur, accessoire, juste décoratif ?
Lu : La littérature et le mal
:: 18.04.2004 ::
L'érotisme, ce triomphe du rêve sur la nature, est le haut refuge de l'esprit de poésie, parce qu'il nie l'impossible. (Emmanuelle Arsan)
Mises bout à bout mes cigarettes fumées c’est environ dix kilomètres de nicotine puante et froide, quelques dizaines de chemises trouées, de prétextes quelconques à être ailleurs que vraiment où j’étais, et le fric, et la fatigue, les maux de tête et les poumons à bout, et le cœur énervé, et ce dépôt malpropre dans mes voitures, sur mon bureau, attaché à chaque objet du quotidien, bref et aussi parce que bientôt papa c’était plus que temps d’arrêter quand bien même si c’est à la mode et que rien ne me ressemble moins que d’être un type branchouille, voilà quatre jours que plus une seule et que cela ne me manque nullement, je suis plutôt content, c’est sûr, et vachement vivant, du coup.

L’ennui c’est que depuis je trouve les filles de plus en plus jolies et qu’il me faudrait en embrasser la plupart si ce n’est davantage, arrêter de fumer quand le printemps arrive c’est malin, j’en conviens, au chapitre des odeurs je profite à fond des arbres renaissants et des champs tout fleuris, mais en même temps c’est assez érotiquement frustrant, et ça, ça…
Lu : Une femme et autres essais
:: 17.04.2004 ::
Soyez optimistes ! Chassez, battez, tuez le pessimisme ! Nous avons tant besoin de vos forces vives...
Encore je m’interroge quant au pessimisme de ce blog dont les posts s’accumulent en une manichéenne d’humeurs pas fréquemment joyeuses et quand cela est, c’est pour dire les bonnes grâces de l’absente et quelqu’attraits qu’auraient les payses épargnées par l’homme et sa manie de la civilisation colportée au cordeau ou en coupes franches. On n’est pas loin de la caricature, on n’est pas loin de la pseudo-tristesse qui, certes, depuis le cunéiforme fait recette (Des plaques de carton, quelques seaux de couleurs : voyez, cette forteresse, qui brûle, ce triste naufrage, voyez, ces tranchées à ras bord d’amis morts.) mais l’on peut dire aussi que mes sanglots de chaumière uniquement distraits lorsque apparaissent d’hypothétiques muses font un peu songer aux faux plats et pompiers de Ionesco : une astuce, un palliatif à l’imagination ou une trop nette conformation à la classique tragédie.

Le blog d’os se pose les questions de la responsabilité, du témoignage, d’une certaine forme qui se voudrait esthète mais aussi celles de la lourdeur et du facile, des choix thématiques, du parti pris, de la rigueur ou de son absence, merde, merde faut-il écrire ? Et quoi ? Et pourquoi ? Et comment ?

Bien entendu, je désopile ça et là à lire d’autres journaux, ceux par exemple qui relatent ce que vélocement nous qualifierons d’insignifiant : les faits de la journée, les propos, la pensée fortuitement en instantanée gourrance, la légèreté absurde, ce qui tressaille amusant ou gigote rigolo, parfois c’est très bien fait, j’adore, et pourtant cela jamais n’apaise ma colère, ni ma hargne, ni ma terreur de gâcher cette existence à crever tous les jours, comme un con, du fait de n’avoir pas su investir, assez, le dépassement de l’humble, de la seule condition des vivants (viveurs ?)
Lu : Quatre soldats
:: 16.04.2004 ::
Les américains aiment tout ce qu'ils n'ont pas, en particulier les antiquités et les manifestations de la vie intérieure. (Karl Kraus)
A Sydney, demain Melbourne, je me demande vraiment ce que je fous ici. Oui ce gros congrès très important et plus de vingt heures d’avion (pour ce prix là j’aurais pu avec retard célébrer un anniversaire qui compte autrement, et en plein cœur de Tokyo ce qui ne gâte rien), oui ces mots à militer et convictions réitérées, oui comprenez bien que ça urge, qu’il est plus que temps, qu’agir, que blabla et cette sorte de choses mais j’estime le coût de la mascarade un peu fort tout de même. J’évite depuis un peu plus d’un an de poser le pied aux Etats-Unis parce qu’en vrac la bière pisse d’âne, le repli sur soi de chaque et chacune, la mollesse écœurante de tous ces corps gavés à ne plus savoir qu’en foutre et autre, la télé inévitable, la politique d’imbéciles énamourés de leurs insuffisances, l’eau et l’électricité constamment laissées en position de gaspillage maximal, l’odeur fétide des morts confortables et de la cécité ambiante, la musique où plus rien n’arrive dans l’étouffement des écraseurs à gros brodequins du top twenty, la presse séide qui ferait gerber jusqu’aux nostalgiques de Staline, la gueule de New York (à peu près seule cité jadis fréquentable) depuis le 11 septembre, mon anti-américanisme dont il faudrait sûrement me défaire avant que je ne leur ressemble, bref, et me voilà en Australie, sans le temps d’aller découvrir la campagne (parce que culturellement, tu repasseras, faut voir la peinture d’ici pour comprendre qu’au Costa Rica c’était pas si navrant que ça) et je dis que vielle Europe ou pas, dictatures en Afrique et Amérique du sud peut-être, sectarismes galopants en Asie pourquoi pas, les prochains déplacements m’emmèneront sur ces continents là et que les nouveaux mondes, j’en ai un peu rien à carrer, excusez-moi du peu.
Lu : Le complexe de Di
:: 15.04.2004 ::
Il semble que le fait de reconnaître à une langue la qualité d’être vivante serve bien trop souvent à lui préparer la mort la plus atroce possible.
Un jour elle, l’absente, m’avait écrit « il en faut du courage », bel aveu rapporté de l’intérieur par Jean Louis Trintignant revenant de Monaco sous la pluie en rafales de la nationale sept et j’entendais son timbre magnétique, la voix de l’acier doux, ou comme si l’on fabriquait les contrebasses depuis le roc, la tôle et que par grâce de destination ces matériaux d’ordinaire frigides se découvraient de caressantes manières, il en faut du courage couvrant pour partie seulement le huit cylindres Mustang, il en faut du courage, lettres nobles des mots autrement mélangés à tout et à n’importe quoi qui prennent nouveau jour si l’on cause de l’être plus que de sa part de faire, ou alors : faire la paix, faire l’amour et nous aurons résumé là les actes dignes, ceux qui valent vraiment.

Je me berçais de ça comme de quelqu’autres, les refrains qui me dictent sont rares et il faut croire qu’ils, jusqu’alors, m’ont suffit en ingrédients de base autorisant à assez de recettes. Je m’en berçais, et puis par décret quasi présidentiel cela m’a été interdit car : entendez-les s’en targuer, s’en réclamer, leur fabuleux courage de se prémunir un peu mieux, leur courage d’exclure et de laisser gisant au carreau masse de leurs électeurs, entendez-les au sortir des prisons et tribunaux s’auto-gratifier de vertus exemplaire, déclencher guerre aux leurs (y aurait-il d’autres guerres ?) au nom ou sous couvert d’une exemplaire vertu, le courage, le courage nom de nom !

Que faites-vous de nos mots ? Cesserez-vous de saloper nos beaux bréviaires, nos fiers abécédaires, nos dictionnaires de rimes ? Qui, encore, oserait user des termes honneur, morale, courage, nation sans se faire juger in extenso comme vichyste, réactionnaire, sale suceur sanguinaire, parvenu fossoyeur de ses pairs ? Faites vos guerres, menez-nous à la tombe puisqu’il semble que vous ne sachiez rien d’autre, mais, de grâce, procédez en silence et écornez le moins possible, que nos langues puissent, un jour, servir aussi la sagesse des hommes.
Lu : Théorie de l’art moderne (Paul Klee)
:: 14.04.2004 ::
Il n’y a rien tant que je désire que de ne pas arriver du tout.
Ici et c’est l’unique parenthèse, je vais vite, très vite. Quand le reste de ma vie se veut mené en une louange à la lenteur la mieux investie que possible, j’ai toujours conduit mes voitures et motos à une extrême vitesse. Tombe le masque écologique, et celui du paisible : il y a peut-être la prégnance d’un certain romanesque, Isadora Duncan, Françoise Sagan, François Cevert et puis Mac Queen, sans oublier, bien sûr et tant pis si je me répète, Trintignant, père et fils. Les cols de montagne, les épingles ou grandes courbes et plus tard la terre, l’asphalte trempée, la glace, ce qui glisse et puis tangue, c’est dancing in the sky assurément qui conviendrait le mieux : on croit piloter à la faveur d’un œil qui percerait le loin et de l’oreille qui distinguerait plus détaillée je ne sais quelle phonème venue des gommes pneumatiques, du moteur, du châssis, on vous attribuera une conscience supérieurement affûtée ou méchamment en berne selon qu’on vous admire ou vous conspue, ou vous questionnera quant à la sûreté de la main ou d’une certaine connaissance théoricienne qui vous ferait comprendre mieux qu’à d’autres quelques mystères relatifs à l’équilibre et à la loi des corps, ce n’est ni ici ni là qu’il faut chercher : le tango, la salsa, les bolides, tout ça c’est affaires de fesses et ressenti des hanches, il suffit de se laisser aller à sa part féminine peut-être, en tous cas au sensible.
Lu : Programmation en php (!)
:: 13.04.2004 ::
Et un jour, il faudra bien que nous fassions ce constat là, celui que les philosophes auront lutté de toutes leurs forces pour que, surtout, n'aboutisse jamais l'homme dans sa volonté de vivre en tant que lui-même.
Don Salluste sûrement vous enseignerait mieux sur qui je suis vraiment que ne le peuvent ces lignes ou traces à peu près involontaires et en tout cas artificieuses, un laquais aussi bon que propre à rien, un estafier tout petit peu bretteur à goitre, un jean-foutre en vérité dont les dix doigts ne servent qu’à ourdir images soyeuses et chevaleresques dispositions en pieds, capes et au poil de martre tant qu’à faire, cependant que mon quotidien bien trop diurnal n’inspirerait aucun songe à une âme ayant soif, que mes heures noires sont celles des ronflements de l’honnête homme, pas davantage, sans réels doutes ni véraces pardons.

Que je vous dise sans que j’y puisse faire : depuis Pascal l’amour est mort, valant bien moins que vos qualités, que les miennes si tant est qu’elles, soumis à sa philosophie et à celle des trucideurs, Schopenhauer, Rousseau, Nietzsche, d’autres ont eu raison, et de meilleurs, de cela qui n’est pas rhétorique, toujours est-il que même le déplorant je peux affirmer que si vous veniez à me prêter quelques mérites ou trempes, ce serait déjà chemin retors, fausse route, contradictoires accès, qu’il vous faut m’aimer dans ce que vous ne saurez jamais de moi, dans ce qui ne vous est pas soumis et pour ce que je porte que, précisément, vous n’aimeriez pas si vous le deviniez.

Et puis peut-être comme dans l’écriture après tout, dans tout amour il reste cette qualification première qu’est l’effort, l’acte du tendre, de tendre vers, de tendre à, la reconnaissance de l’inachèvement en tant qu’appât à la saveur très émérite, voilà pourquoi quand nous nous aimerons ce ne sera qu’aveuglément, je veux dire au-delà ou deçà de votre regard, de votre admiration fragile qui immanquablement se briserait, dans la nébuleuse des questions qui se doivent de rester imprécises, sans ripostes, sans réponses.
Lu : Les consultations du docteur Noir
:: 12.04.2004 ::
Très certainement nous manquons d'arrogance. Mieux dotés, nous serions aptes à la sagesse.
Je n’aurais vu de Marseille cette fois-ci que banlieues zones et absurdes bétons, un peu la rue d’Aix quand même, seule occasion de jubiler de tout le foutoir cosmopolite qui me fait m’éprendre à chaque pour cause de nos frontières encore un tant soit peu ouvertes, un parc accolé aux Alpilles ou collinettes et ça n’est pas ce que je préfère du provençal parlé, des boulevards saignés à pleine rectitude sotte d’allant nulle part et sans dess(e)in, des parkings, des tunnels, des bretelles autoroutières, un commissariat de quartier, des résidences petitement grillagées dans l’illusion de leur confort serein, un tien vaut mieux que deux, je me perçois comme infect, bourgeois maussade, aristocrate lamantin et mes lugubres refus, non, je n’étais pas prêt à cette vie là, petit déjà je me tassais de honte que mes parents osent dire aux commerçants que tel ou tel trop cher ou que nous n’avions pas les moyens, je ne me fais pas au sale, au bruyant, aux couleurs moyennes, ou plutôt : il faut que cela soit vécu à fond, sans rattrapages, sans c’est toujours ça de pris, je ne me fais pas à l’illusion, à l’hypocrite, à ce qui n’est pas fier sans mesure.
Lu : Cœur de chien
:: 11.04.2004 ::
On nommera chez l'homme "deux pièces-cuisine" ce qui ne sert ni à loger, ni à nourrir.
Et quand bien même cette idée là me fait frémir, quand bien même je ne veux pas, absolument pas, de cette réalité, pas cela, pas comme cela, se dessine à l’indélébile le camp des femmes, celui des mères. Attendre un enfant (à Naples l’on dira que l’on est dans « un état intéressant ») ou l’avoir mis au monde, voilà la séparation des sexes, voilà qui consomme, qui impose plutôt, le divorce. Son germe est là. Ou son ferment.
Lu : A good reason to vanish
:: 10.04.2004 ::
On reste figé dans une vie qui n'est pas sienne mais une vie présupposée, une vie seulement pensée.
Et je comprends dans un violent chamboulement de tout mon être, dans un irrépréhensible affolement que le fait d’offrir ou de se faire offrir de la vaisselle aux fêtes de Noël ou aux anniversaires non seulement n’est pas ringard ou le signe d’un manque navrant d’imagination mais qu’au contraire, c’est bien, c’est une bonne idée, qu’au fond cela m’a toujours fait plaisir.
Lu : Les lois de l'attraction
:: 09.04.2004 ::
Au début n'était certainement pas le verbe, mais le silence plein.
S’il n’y avait que les débuts, des romans j’en pourrais écrire dix par jour, c’est l’entrée en situation qui fabule et fabuleux le mieux, quelques phrases qui éblouissent car encore sans repères, une réplique ou deux qui donneraient follement envie de lire la suite, le possible, les possibles.

Suivant les premières lignes de grâce ça devient chose banale, détails et rationnel, on s’ennuie mais sans lascivité. M’ont le plus marqué : une journée d’Ivan Dessinovitch, le désert des tartares et à peu près tout ce que j’ai pu lire du nouveau roman. Des commencements.
Lu : Définitions algébriques des nombres particuliers
:: 08.04.2004 ::
Vous taire Monsieur, vous taire ! Voilà la meilleure façon de tout me dire de votre amour.
Il faut raccourcir cette voix, l'étêter, lui enlever de la hauteur, du volume, et puis cette propension de pire en pire affirmée à gloser, bavarder, paraphraser, en livrer tonnes et tonnes mais en dehors du sens, pire en hors de la musique, sans totalement m’absenter d’ici je décide de rédiger plus court, plus sec, plus alimenté de l’extérieur.

A ceci près qu'à partir de maintenant les citations en chapeau seront de moi, j'ai passé l'age d'aller chercher ailleurs ce que je peux aisément formuler de moi-même.
Lu : Martereau
:: 07.04.2004 ::
Le travail a des exigences étonnantes, et que l'on ne comprend jamais assez. Il ne souffre point que l'esprit considère des fins lointaines ; il veut toute l'attention. Le faucheur ne regarde pas au bout du champ.
D'où point, Madame, l’attention cruelle que vous mettez à m’éviter, à me fuir ? Comment m’expliquer que l'empressement le plus docile n'obtienne en retour que des procédés qu'on se permettrait à peine envers celui qu’on aurait le plus à craindre ? L'amour me dépose à vos pieds ; et quand une bonne fortune me propose vos cotés, vous aimez mieux prendre prétexte d’un éblouissement que de consentir à m’accorder votre aimable présence ! Combien de fois hier ne m’avez-vous privé de votre regard ?

Ce n'est là, j'ose le dire, ni la rançon à laquelle aspire mon pur amour, ni celui auquel peut prétendre l'amitié ; vous savez que le premier sentiment m'anime, et j'étais autorisé à penser que vous ne dédaigniez pas le second. Cette amitié dont vous m'avez cru digne, puisque vous me l’avez offerte, qu'ai-je donc fait pour la perdre depuis ? Ai-je été trop confiant, me punissez-vous de ma franchise ? En effet, n'est-ce pas à l’audience d’une amie, que je confiais l’ampleur de mon trouble ? Voudriez-vous me forcer à croire qu'il aurait fallu vous mentir pour mériter votre indulgence ?

Vous apportant la preuve du bien-fondé du seul éloge que vous ayez consenti à propos de ce qu’est ma conduite, j'ai eu à endurer le malheur de vous avoir déplu. Vous ayant prouvé ma soumission parfaite en me privant du bonheur de vous voir, il m’a fallu subir que vous vouliez rompre toute correspondance et m'ôter cette maigre compensation d'une privation que vous aviez exigée, me dérober ce qui me reste de plus cher. Vous ayant parlé droitement sans me laisser affaiblir par cet amour même, vous me fuyez aujourd'hui comme un dangereux Dom Juan dont vous auriez percé je ne sais quel calcul perfide.

Ne vous lasserez-vous donc jamais d'être déloyale ? Exposez-moi au moins quels démérites nouveaux ont pu vous incliner à telles froides rudesses, et acceptez d’ordonner le commandement que vous voulez que je suive ; je m'engage à m’y plier, sans discussion, est-ce alors trop vouloir que de vous supplier de me les faire savoir ?
Lu : Entretiens du Maître avec ses disciples (Confucius)
:: 06.04.2004 ::
Souvent, je regrette d'être venu moi-même en ce bas monde; non pas que je haïsse le monde. Non.... J'aime le monde, le grand monde et même le demi-monde, étant personnellement une sorte de demi-mondain. Mais que je suis venu faire sur cette Terre si terrestre et si terreuse? Y ai-je des devoirs à remplir? Y suis-je venu pour accomplir une mission - une commission ? M'y a-t-on envoyé pour m'amuser ? pour me distraire un peu ? N'y suis-je pas importun ? Croyant bien faire, presque à mon arrivée, ici-bas, je me suis mis à jouer quelques airs de musique que j'inventai moi-même.... mes ennuis viennent de là...
Les jours s’étirent sans que je vous écrive, je me lève plus tôt et me couche plus tard mais pour vous pas un mot, pas une phrase, et sûrement de mon silence ou du désordonné cacophone qui envahissent la page diriez-vous qu’ils signent ma lassitude, mon égarement ou une fugue à l’intime que je voudrais ôtée de l’accable, de l’esquinte, de tout ça qui éreinte.

Au Luxembourg, à tête d’or, à Bellecour ou fontaine Saint Michel mes chasses et battues, à plates coutures, vaines. Vaugirard, la Martinière, Saint Jacques et Saint Germain vous attendent autant qu’ils vous implorent, usés d’espérances dépitées jusqu’à larmes de pierres, à pleurs granits et à chagrins ardoises, jusqu'aux gargouilles lacrymales qui chutent l'infréquenté de vous, la privation, ruisselent et se condament, s'appitoient, et se souillent. Interrogés avec ardeur tant qu'ils en risquaient la consomption, les couturiers, les parfumeurs, les bibliothécaires s’affaissent dans le coi de votre trace perdue, de votre souvenir altéré, s’effaçant, bientôt seul reflet, mais pâle, des mires splendides d’autrefois, en passe de révolues. A Lyon, à Paris, comme aux villes de tous lieux, vous manquez et que ce cri soit silencieux ou non, qu’il enfle ou bien s’éteigne, qu’il emplisse considérablement les heures du crépuscule à l’aube ou assèche chaque détour des cieux du soir et de la nuit, il ne scande rien d’autre que votre nom, rien d’autre que votre chiffre et que vos initiales.

Il faut bien me distraire ! Alors j’enfile le pas gainé de bas des imprudentes et des écervelées, ce sera un tango, un verre ici et là, une causerie trop impeccablement conduite, ou à la suite d’une montée d’escalier dans l'attente que ne se dénouent l’intrigue, l’intrigante, les cheveux, que ne se défassent les robes et les rubans jolis et les volants qui me tourneraient l’âme, alors j’apprends par cœur, par sang la rime et la prose, les vers abscons, quelque chose d’inédit à murmurer qui vous retienne plus proche si je vous revoyais, alors je me dévoie, je me dévie dans des textes bouillons, calligraphiant du consigné brouillon, recopiant l’inscription de ma colère, de mon ennui, il faut dire qu’en dehors de vous le terne, l’inodore, teintes passées et sans saveur, quoi-dire-quoi-vivre qui ne serait pas un strictement rien d’une infime envergure et peut-être moins encore ? Reviendrez-vous ? M’écrirez-vous ?

Les jours ici s’étirent et le printemps arrive. Il y a quelque chose dans le cortège des choses, peut-être la lumière qui promet, peut-être le revenir de ces certaines fleurs, ou quelques notes qui s’étaient assoupies au creux des bras hivers dont on peut saisir à nouveau les chuintements tumultes et râles, qui me rappellent à vous, qui avivent vos contours de mémoire, votre brûle silhouette. Un signe, un indice pluriel mais en dehors de vous. Reviendrez-vous ? M’écrirez-vous ?
Lu : Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social
:: 05.04.2004 ::
Sous quelque gouvernement que ce soit, la nature a posé des limites au malheur des peuples. Au delà de ces limites, c'est ou la mort, ou la fuite, ou la révolte.
J’avais promis mais là n’est pas mon fort. D’ailleurs n’est-ce pas la moindre de mes contradictions, dans le post du premier avril j’expose mon agacement aux billevesées ignarement affidées, ce qui ne m’empêche en rien d’y aller de mon étroit couplet. Après tout ce blog est un journal. Après tout il est le reflet de ce qui me tient lieu de rythme. Après tout, et l’on l’a vu tout à l’heure, une voix s’ajoute à une voix qui s’additionne à une autre encore : voici une des bases de la démocratie. Et puis il est peut-être temps d’enfoncer les clous ou de marteler, toujours est-il que comme l’on pourrait l’entendre aux states, this guy makes me crazy.

Ce doit être un hommage aux trente ans de Pompidou, quelque chose du genre. Une tenace nostalgie de la commune ou du troisième empire. Ou alors le gars Raffarin serait un agent double, secrètement au service d’une faction maoïste qui dynamiterait le plus rapidement possible la crédibilité des siens, un peu comme la police de Gênes employait de faux casseurs pour discréditer les mouvements alter-mondialites. Ce mec là aura la peau de l’Ump, pour ça on lui devra au moins une médaille qu’on peut espérer toutefois à titre posthume. En effet, il est plus que temps que ça cesse.

Le grand chantier des trois ans à venir se résume à quelques reculades sur les réformes les plus médiatiquement controversées, point. Maintenant, le gouvernement travaille aux modalités de ça, parce que comprenez, c’est pas simple. D’ici les européennes, dont on peut s’attendre à ce qu’elles ne soient nullement une expression de la défiance citoyenne n’est-ce pas, ça va être tête sous l’eau et dague dans la manche en attendant la sécu qui se votera sans les juilletistes ou les aoûtiens, les ouvertures de capitaux propres à financer la prochaine réduction d’impôts des mieux lotis, refrain connu, méthodes éprouvées et ambitions clientélistes. C’est un peu court jeune homme, il y a des tirades du nez qui se perdent, des coups de pied de l’âne (avez-vous lu la mule du pape ?) qui se préparent.

Insurrection. Révolte, sédition, pavés dans la gueule, les aristocrates à la lanterne, la musique dans la rue. Es muss sein. Vous avez aimé mai soixante huit ? Vous aller adorer le mois d’avril de deux mille quatre.
Lu : l'érotisme
:: 04.04.2004 ::
Qui meurt de vieillesse est le dernier à en convenir.
Ca devait bien arriver un jour, mon grand père à force de quatre-vingt onze ans et des quelques avanies dues aux existences qui se prolongent se voit hospitalisé sous prétexte d’une attaque vasculaire et néanmoins cérébrale. On ne sait pas bien. Combien de jours, de mois d’années ? Quoiqu’il en soit, je veux être comme ça à ce certain moment.

Manifestement, le seul à ne pas connaître la maladie dans cet établissement, c’est l’Octave. Pour la chambre c’est exiguë, sans confort ni distraction, on va quand même pas y passer les fêtes de Pâques, n’est-ce pas ? Pour le diagnostic, y a qu’à pas s’inquiéter, une attaque ça peut arriver à tout le monde, d’ailleurs certainement n’était-ce pas la première, d’autres pendant le sommeil, et alors puisque le siège de l’âme c’est l’amour et la poésie et qu’artères seulement fonctionnant comme assez bon système de chauffage et plomberie ?

Pour le reste, c’est le souvenir des toiles et des tableaux (je peins bien mieux depuis que je n’y vois plus rien et pourquoi Picasso n’a-t-il jamais vraiment osé ?), de dizaines de milliers de vers (je ne t’ennuierai pas à te réciter Hugo, mais as-tu vraiment lu ses œuvres complètes ? J’ai une belle édition, que je te peux prêter), de chaque pli des Alpes, des Ardennes et Pyrénées, c’est les affinités de moins en moins électives pour la gent des femmes (les infirmières et aides soignantes sont tout à fait charmantes, figures-toi que celle de dix sept heures est mariée à un souffleur de verre. Ils exposent de fort intéressants sulfures qu’il me faudra aller voir sitôt sorti), c’est le détachement substantiellement marqué à la morale, l’il faut, les convenances de principe et le discours ambiant (peut-être faudrait-il revisiter entièrement la notion de faiblesse, qu’en penses-tu ? Ne crois-tu pas qu’elle est trop souvent confondue à l’idée d’une complexion idéale à laquelle, finalement, personne ne répond ?), c’est la verve, la vie, la vaillance, c’est les chandelles brûlées par les deux bouts car « c’est dans la pleine lumière et l’éveil que se construisent les ombres, les reflets et les couleurs pures qui esquissent les plus remarquables pages de l’histoire de l’homme ».
Lu : voyages au cœur
:: 03.04.2004 ::
Au départ il ne s'agit pas de comprendre mais bien d'aimer.
Forcément puisque cette conception n’a rien d’immaculée et qu’elle eut lieu tout à fait à l’écart de l’esprit sain, mon statut de papa s’accompagne de celui d’homme couplé. Il y a une maman dont le ventre s’arrondit, dont les ligne et formes rebondissent en une manière de sourire doux et de regard plein, entre autres changements notables.

Si l’on ne découvre vraiment l’amour, parait-il, le fou comme de Breton, qu’à l’instant de connaître son enfant, celui ressenti pour la mère devenant n’est pas peu, tout de même, et il est plus que gratitude. L’amour entier, celui de l’un. Les bras autour du coffre à merveille. Les mains en quête d’un peu comprendre. Les manières simples et gestes tendres. L’attention permanente, la prévalence de l’aimable. La mémoire portée de cet instant précis ou la fusion et l’oubli, une odeur tenace de don à l’autre ou d’effacement. Mais aussi le point d’interrogation qui marque ce rapport au corps de madame maintenant, quelle clandestine alchimie, quel mystérieux processus, quel tactile, sensitif, éprouvé, abrité ? Plus que dans la culotte des filles ou sous leurs jupes, le secret que les garçons ne percent pas se joue là, un peu à gauche de l’estomac, le nourri grandissant, l’alvéole battant à la mesure d’un cœur double et des fluides en alcôve échangés en une irrépréhensible clémence, hardiesse, intrépidité , toute l’impuissance des garçons : il n’y a qu’attendre et aimer, en prologue de donner corps à cette citation : « La plus grande faiblesse de la pensée contemporaine me paraît résider dans la surestimation extravagante du connu par rapport à ce qui reste à connaître.», ça fera un bon entraînement.
Lu : Les pas perdus
:: 02.04.2004 ::
Les êtres humains n'ont pas grandi en même temps que les institutions issues de leur cerveau. Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisation.
Parlant d’ambition on n’imaginait pas à ce point son absence. Il s’agirait de défaire vaguement une petite partie ce qui fut bâclé dans le dos du pays, et voilà que tout serait dit en matière de politique générale et de ligne de conduite, le grand projet de ce gouvernement désigné par lettres et chiffres comme énième suite hollywoodienne serait d’un peu moins casser, d’un peu moins mettre à plat ou rogner ?

Où est l’avenir ? Où est la vision conductrice ? A quoi faudrait-il adhérer, s’associer ? Quelle est la pensée qui régit le micmac attentiste qu’on nous promet ? Qu’avons-nous fait de l’héritage des Lumières ? Où sont, que font les intellectuels, les penseurs, les esthètes, les dynamiteurs, les architectes ?

J’entends que la parole se donne et s’échange entre gros barons et ventripotents messieurs dont la mise le dispute à la soif, feinte ou non, d’en découdre, costumes sombres et coupes cordeau, sombres et coupes, coupés, sombrés. L’habit, oui, semble faire le moine, sa messe et son missel, son étoffe c’est la bure ou la serge froidie, sa couleur c’est le gris d’un automne s’avachissant, ployant, victimisé. Les échéances se dessinent à trois ans tout au plus, quand elles ne sont pas que le regret d’un passé que nous aurions déjà trop mal engagé. Et puis les sous, encore, le fric, le flouze, le blé. Le français coûte et finalement, l’énoncé se simplifie : rien n’est trop beau pour lui quoique valant trop cher. Je m’amuserais si je ne désespérais pas de voir, qu’On, dans l’arpent, se mêle le pied d’un obus laissé là, que le chasseur, à force des pièges et des collets qu’il a lui-même posé se voit contraint au logis : dehors plein de dangers, dehors l’insécurité, dehors absent d’humanité.
Lu : Les pauvres gens
:: 01.04.2004 ::
Vous n'avez rien à dire. Qu'importe ! parlez, vous finirez toujours par échapper quelque chose.
Ce qui me gonfle par contre, c’est tous les bazars technoïdes salement branchés qui cloquent de la syndication et autres bidules jargonnants à propos des pages rank comme vaches qui pissent dans violons d’Ingres, tous ces propos avant-coureurs d’absolument rien dégueulant de boniments aussi insipides que prétendument émotionnés au premier fait divers auquel, de toute façon, il aurait été impossible d’échapper autrement, tant et tant asséné par la masse des médias qui se voudraient médiums quand en vérité ils se révèlent moins que moyens, les layouts super djeuns qui crament les yeux et flashent du manga, du Pokemon ou du Tolkien comme si c’était la bible, les marques de matos, de téléphones ou de fringues made in Mondialisa révérées très par-dessus le tout et la haine de la complication ou de la prise de tête qui empaquette tout ça, la révolte à deux balles faute de se tirer, et tout de suite, une bullet proof dans la tronche à force d’innocuité et de vies mornes, le cul qui n’en est pas et les geignardes insuffisances libidineuses qu’induisent la virtualité de notre vie moderne, n’est-ce pas, à condition qu’elle ne se vive en haut débit, les critiques de films ou de livres que personne n’aurait envie de lire ou voir et qu’il faudrait oublier avant même qu’ils ne soient jetés en pâture à cette population consumériste décérébrée, les avis prosélytes se rangeant dans les deux grands compartiments, pas un de plus, mis à disposition pour la pensée globale, la consternante molesse transpirant la feuille des pointés-pointeurs se racrapotant sous le c'est-comme-ca de la vie et sous le poids de leurs impropres conditions, et qui s'en arrangent, et qui sont d'accord avec ça, ces blogs bâclés, copies d’eux-mêmes et sur-liés dans le seul soucis de se préserver une part de marché d’audience dans la grande soupe de links, le constant recours à la photo ou à la vidéo qui pèse comme une menace sur Internet, oui on l’aura compris que dès que la bande passante sera suffisante, les sites à textes feront figure de dinosaures impuissants à contenir les grands groupes vendeurs de machins formatés pour mille et millions, toute cette assemblée rigolote de gens qui se marrent vachement de tout alors que les bombes tombent et que les humanistes sont moqués, les blogs dont aucun post ne dépasse les deux lignes, parce que tu comprends, après c’est fatigant, et puis les gens ne lisent pas, et puis ça ferait un peu trop impliqué, les grivoiseries et autres plaisanteries nulles qui circulent cent fois entre protozoaires chieurs de liens avant de s’agglutiner dans ma mailbox, l’accumulation de fautes d’orthographe comme si le fait d’en maculer un maximum l’œil du lecteur était un sésame de la contre-culture, des exemples il y en a plein et j’en pourrais citer si je n’avais pas crainte de donner une bouffée d’égotisme surcoté aux chantres de la médiocrité en ligne, en attendant tu peux toujours chercher ici un poisson d'avril, à part Donnedieu de Vabre à la culture et grand pote à Boutin (les pédés au bûcher), il ne m'en vient aucun et celui-là n'est certainement pas drôle.
Lu : Les avoeux difficiles
:: 31.03.2004 ::
L'oeuvre d'un homme retrace souvent l'histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire, surtout lorsqu'elle prétend à être autobiographique.
Certains d’entre eux bâtissent des toiles à l’intérieur d’icelle, non pas des rets mais quelque chose qui rappelle le point d’Aubusson, de Bourgogne en tant qu’objets tissés : minutieux. Précis. Thématique. Concentré. Dans le temps et l’attention. Avec en, tête cette idée à l’ancienne que le travail ferait mieux qu’uniquement suppléer le talent quand il ne s’y substituerait pas de facto, et au fond n’est-ce pas même chose ? Quelques uns sont liés depuis la rubrique ex nihilo, je crois en être, des besogneux, des réguliers et à défaut de constituer une œuvre au moins marquons nous notre temps de ce que nous sommes, de ce en quoi nous croyons, d’une cohérence probe.

S’impose à moi la question de la mémoire, la question de la trace.

Olivier Six (C’est Chez Nous, alias Amnesix) me confie ses doutes, pas assez loin, pas assez riche et puis les commentaires, défouloir parfois de fiel et de bêtise. Peut-être bien. Toujours est-il que le mélange ! Que source alternative informée à bloc quant à cette essentielle région qui par dessous la cape dévie le monde où nous vivons, que depuis Brest Jérusalem il y a cette constance, cette équité, cette intelligence (de la main, j’en sais rien mais en tout cas de la tête et du cœur) et cette humanité. Olivier, tu feras bien comme tu veux : si rien n’est indispensable, il y a quand même des choses nécessaires.

Ahosera, c’est recherche de formes bouleversées, griffées, souffrance et heurts, le langage de la violence des corps, le sang charnel et liberté grandissante qu’on n’enfreint pas, c’est le viol de toute convenance sans racole, sans putasserie. Dans le temps, ça s’impose et ça cause.

Olivier Pibarot (Particules Affectives) ce serait la note impeccable, tenue, contractée, pensée pure jusqu’à dissolution, l’essentiel, l’atomique qui mène, on le voit bien, à l’affect et voilà la réalité des choses. L’examen du microscopique, du ténu, de l’indicible conduit au solipsisme : sans l’homme l’homme n’est rien. Désencombré du bric-à-brac des liens présents sur le coté il n’y aurait qu’intègre.

Sopirik Opera, Elle nh, c’est la procession de la langue et l’absolue technicité. On n’y rentre pas comme ça, et puis dans l’élision, dans l’effacement, se produit ce sur quoi repose n’importe quel processus de création : l’espace s’ouvre, c’est au lecteur de faire le reste, le temps encore, moderne à plein régime.

Miss C, Satanik Kitten, voici les parisiennes, les françaises, les provinciales et campagnardes –ai-je assez fait comprendre que j’aime les femmes ? Les filles ? Et rire ?- et vas donc me trouver meilleur reflet de ce qu’est vivre dans le bordel accéléré du vingt et unième siècle… toute cette vie, nom de dieu, tout ce quotidien en pleine poire sans moi-je, à toute vibure, et encore le cœur qui ne se prend pas la tête, des blogs, des vrais, et ça, ça c’est pas pareil.

Torpédo et d’autres liés depuis son village, c’est chez nous en davantage hexagonal. Le trait sûr, l'encre noire et un peu rouge aussi, la nasarde en pleine mine, implacable machine à baffes et avec le recul s’il vous plaît, éclats de rire ou larmes à l’œil c’est selon mais c’est toujours sensible. Un jour, à lui et deux trois autres cités dans ce post, je proposerai un blog hebdo, chacun sa chronique et une vraie politique éditoriale, j’en connais des plus touffus vendus en kiosque qui peuvent déjà s’interroger sur la notion de la pérennité.

Et puis Kinjiki bien entendu, de Balzac à Blanchot et plus encore, peut-être fanatique dirais-je de Villon à Kinjiki, ou bien de Durher à Warhol mais en passant par Doisneau, Rachmaninov et Ferreri, sans oublier Wong Kar Wai, Truffaut, Newton ou Marc Antoine Mathieu, Camille Claudel, Anaïs Nin, Gide et puis Ferré, Reggiani, j’arrête là l’inventaire sans avoir jamais pu déterminer quelle discipline ou percer le mystère.

D’autres pas attachés au blog d’os, des spécialisés, des techniques et des belges, des canadiens, des savants qu’on peut connaître. Pas markétables. Pas soumis aux turpitudes de l’audience ou du paraître. Vérifiant, recoupant, saillants jusqu’à l’ébloui. Dans l’essentiel. Dans l’attention. Des qui se marquent dans le temps.
Lu : La nuit de l'oracle
:: 30.03.2004 ::
Les révolutions intellectuelles qui façonnent les grandes conceptions d'une époque ne se transmettent pas dans les manuels; elles se répandent comme des épidémies, par contagion d'agents invisibles et d'innocents porteurs de germes, par toutes sortes de contacts, ou simplement dans l'air que tout le monde respire.
Bon, je vais pas passer mon temps et votre envie de lire à parler de politique alors que je n’y connais rien et que cela ne vous intéresse pas, mettons que cette entrée soit la dernière avant longtemps et en tous cas avant la prochaine, et que cochon qui s’en dédit

Il avait démissionné. L’autre avait accepté. Là, de trouille, on se pissait littéralement dessus, vu que le nom du pas drôle qui suivait le sournois faisait frémir jusqu’au cœur des Carpates et de la Valachie (représentée héradilquement comme chacun sait par l’azur à l'aigle d'or, le vol abaissé, becquée, languée et membrée de gueules, tenant dans son bec une croix pattée au pied fiché, accompagné en chef d'un soleil rayonnant à dextre et d'un croissant tourné à sénestre, le tout du deuxième).

Finalement c’est d’un rire couleur urée qu’on mouille nos chausses, l’autre décidant de renommer l’un pour un second tour : soyons sûrs que comme ça, même les perdants auront tenté leur chance, comme quoi, en matière de polichinelle dans le tiroir, il en avait plus d’un et tant pis si c’est toujours le même.

Le troisième tour, social. On va t’en coller nous de l’esprit de mai, et jusqu’à ras bord encore. Quand au mot démocratie, il va falloir lui donner une couleur un peu moins pastel-un-peu-moins-guimauve, dans les rouges plus francs si vous voyez ce que je veux dire…
Lu : Madame Obernain
:: 29.03.2004 ::
Chaque livre est engendré par de longues successions d'autres livres dont sans doute on ne verra jamais les couvertures ni ne connaîtra jamais les auteurs, mais dont on entend l'écho dans celui qu'on tient à la main.
C’est souvent l’accumulation de détails allant de guingois. Une anicroche, une autre, ce reflet vite pris à l’à-plat d’un miroir qui comme une entaille, une ombre impure, une balafre, juste cette mèche défigurant, un col tarte, l’œil comme operculé. Là on vous bouscule, ici vous devez répéter à deux fois votre bonjour ou une baguette s’il vous plait, untel entrant ne vous voit pas et ce gosse à haute voix au sujet de votre défroque, elle n’a pas, encore, écrit, son coup de fil arrive trop tard, on oublie votre emploi du temps-cette-échéance qui importait et toute la fière assurance-tout-du-moins-l’insouciance à vaux l’eau, par-dessus bastingages et fétu dans le paquet de mer, l’édifice de soi s’effondre en poussières de vieux plâtres et stucs secs.

Fallait vous voir pourtant, une heure avant, formidable, portant beau dans l’altière contenance, tout entouré de vos moi-je délicieux et du toupet des gens assis, fallait vous voir franchissant la digue d’Ostende à Gand avec en tête ce seul soucis d’imaginer la place d’un bon tableau fraîchement acquis : à droite du Bruegel ? A la place du Memling ? Et vos culottes matelassées chaudement, et vos vestes de tweed, et ce sang bleui depuis cent lustres mais encore assez riche à garantir quelques jolies manières lesquelles s’augmentent d’une marotte admise aux salons, d’un talent ou deux peut-être mais sans trop n’est-ce pas, rien qui dépasserait, à la fortune du pot à condition qu’il obvie soigneusement ses souches par trop flamandes.

Et puis patatras. Minable. Vous n’êtes que minable, inodore, insipide. Le monde se passerait très bien de vous. Peut-être même vous gênez. Une ombre au tableau. Un chien dans un jeu de quille. Vous revenez de l’illusion guindée d’avoir cru savoir faire naître un sourire, une pétille, il faut comprendre : vous ennuyez. La prochaine fois, peut-être, serez-vous un peu moins attentif à l’écho, à l’empreinte, et un peu plus à qui vous êtes en dehors du néant.
Lu : L'invitation chez les Stirl
:: 28.03.2004 ::
Sans ambition il n'y a pas de talent.
On a bien fait de rappeler aux électeurs qu’ils possédaient ceci, l’intelligence de la main : ils ont su pertinemment manipuler le bulletin de vote et, accessoirement, la coller dans la gueule de qui de droit. On mesure mal encore le bénéfice de la taloche appuyée en pleine poire, en tous cas ça soulage et c'est déja pas mal. On entend parler de réforme. Les français voudraient de ça, des réformes, du changement, que ça bouge. Les ténors relèvent ou bien prétendent, de tous bords ça se presse en tribune et ça affirme que, oui, on va faire, on actera, on agira.

Il y a cette odeur d’attente, et de vitesse. Il y a ces pages vides aux chapitres des ambitions et idéologies. Comme si l’on régnait en attendant je ne sais quelle imminence, quel bouleversement en lame de fond, quel désastre, comme si l’on colmatait la chaloupe en priant un sauvetage qui viendrait d’un paquebot en maraude, comme si l’on redoutait un naufrage, un par le fond définitif. Vite, vite, bricolons deux-trois machins, écopons, posons des rustines et advienne que pourra.

A tort ou à raison, je suis né dans l’idée que ce pays, la France, possédait une grandeur, un rayonnement particulier, une ambition illustre et si j’avais à reconnaître une qualité à De Gaulle (sainte Yvonnne, faites que je n'y sois pas contraint !), ce serait celle-ci, celle d’avoir clamé une certaine appétence. Mitterrand même chose, dans son orgueil d’homme et de citoyen on trouvait cela : la prétention d’exister, pour soi, par soi, et jusqu’à l’autre.

Devons-nous rappeler que nous étions un pays d’artistes ? D’écrivains, de penseurs ? De peintres pleins d’audace ? De diplomates progressistes ? D’industriels inventifs et de chercheurs hors pair ? Devons nous seriner que nous possédions quelques restes d’un système social parmi les plus justes au monde ? D’’une certaine ouverture aux beautés et aux langues des hors-frontières ? Que notre éducation, notre médecine, notre presse et notre ingénierie n’avaient, il n’y a pas si longtemps, à ne complexer que très peu ? Devons-nous rappeler que notre voix, au concert des nations, pouvait se targuer d’une tessiture faite de raison, de sagesse, qu’elle était écoutée des plus puissants ? Devons-nous dire les efforts faits jadis vers le désarmement, vers la solidarité entre les peuples ?

Quand je voyage de par le vaste monde, je veux être fier du pays dans lequel je vis, de ses couleurs et de ses goûts. De sa justice. Je veux que nous tenions tête à la dictature du pognon à tout crin, de la croissance n’importe comment et de la compétitivité mes roubignoles. Je veux faire partie de ce pays qui le premier, et résistant courageusement aux assauts de l’envahisseur, intègrera au premier plan la question de l’environnement (et qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas rentable, il y a masse et masse à encaisser) comme une évidence dont on ne peut pas se dédouaner. Je veux être le citoyen qui travaille à ce que l’occident supprime l’esclavagisme néo-colonialiste et rétablisse l’équité entre chacun. Je veux qu’ici, l’on reconnaisse que l’entreprise est un outil au service du sang, et non pas le contraire. Je veux l’éducation et la culture comme fondements. J’ignore si ce sera Delanoé, Ségolène Dominique ou encore un autre tiré du chapeau, mais je veux que cet élu inscrive son nom et celui de mon pays dans les livres d’histoire, et que cela s’indexe au mot paix.

Avril dans la rue. Mai dans la rue. Jusqu’à l’arrêt complet. On n’est pas à deux ou trois mois. Le temps de réfléchir, celui de la confiance, celui des horizons excitants et des paris grandioses.
Lu : L'accompagnatrice
:: 27.03.2004 ::
Un bébé change les conversations de vos dîners. Vous ne parlez plus politique, vous parlez couches.
A l’instant c’est un nain ou un lilliputien, soixante cinq millimètres ça va pas chercher bézef faut bien l’avouer, les autres chiffres aggravant encore sa déficience verticale : fémur, huit millimètres. Cœur du diamètre d’un grain de riz avant cuisson. Nuque, pieds, mains de quelques angstrœms, guère plus, ce qui ne l’empêche pas de mener un barouf de tous les diables : l’angelot gigote tant et tant qu’il faudrait quasi une chambre à bulle si l’on voulait tracer les parcours.

Garçon ou fille, va savoir. De toute façon, ce sera bien.

Au rythme des bulletins de santé et états divers dont je fais étal ici, il faudra penser à baptiser autrement ce blog : Le baby blog, un sourire à donner ? Le blog babillant, une table à langer ?

Et le premier qui dit « beurk », je lui envoie les clichés d’écographie, c’est sûr qu’après, il fera un peu moins le malin.
Lu : beaux seins, belles fesses
:: 26.03.2004 ::
Dans le fait d'être champion, il y a une sorte de désespoir infini. Je suis le gagnant mais pour combien de temps? Ce soir encore, n'ai-je fait que retarder l'échéance d'une défaite ultime?
Déjeuner tant bien que mal en compagnie de mon grand père dès le retour d’Afrique. Je comprends aux mots durs, aux jugements d’une sévérité sans pardon que profère ce gaulliste de toujours et ancien directeur d’usine pour Saint-Gobain que, cette fois-ci, il y aura débâcle, bérézina, camouflet intégral pour les petits messieurs des ministères : « tu comprends, même quand ils n’annonçaient pas de programme valable, je votais pour les principes représentés, pour les valeurs morales. Ceux-ci n’ont ni principes, ni morale, rien qui les soutiennent au moment des décisions à prendre ; ce gouvernement n’a ni âme, ni humanité, il ne mérite même pas le purgatoire, il couvre de bile et du purin la mémoire du général, la droite républicaine est devenue le camps des salauds, voilà quatre vingt onze ans que j’essaie d’être juste et s’il y avait maintenant un 1789 ou un 68, je me placerais du coté des barricades.»

J’ai bien trop mal encore pour me réjouir. A l’heure de m’enfoncer dans une sieste nécessaire à l’oubli de mon dos, c’est le mot souple qui vient, l’idée d’impermanence, celle aussi de la mort qui prendra, un jour, mais j’aurais connu tant de revirements, cette chance aussi : au-delà des idées, au-delà des mots, par-dessus tout le tintouin d’avoir raison ou de se définir, la vie là, la vie souple comme il faut, comme une peau qui tout de même prend parfois la forme précise du corps.
Lu : La Quatrième Main (ébauché mais pas terminé, vraiment trop mauvais)
:: 25.03.2004 ::
Et à la vérité ce que nous disons craindre principalement en la mort, c'est la douleur, son avant-coureuse coutumière.
Cortisone trois gélules. Antalgiques trois fois deux grammes. Décontractant musculaire, un comprimé matin, deux soir. Opiacés ou dérivé de morphine à la demande, tenir, juste ça : tenir bon. J’essaie de dormir mais la douleur : intenable, mais ma nuque comme l’épicentre de l’enfer, mais le mal croc de boucher s’en retournant dans les colonnes et moelles.

Ici est aussi un journal intime : intimement, il m’est impossible de formuler autre chose qu’un braiement valétudinaire, égrotant, qu’un langage assommé de drogues, les mots des suppliciés.
Lu : Lorenzaccio
:: 24.03.2004 ::
Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu'il ne soit usé. Sans cela, c'est lui qui nous quitte.
O. c’est ma mère un peu, même manie du sauvetage à tout crin, même force, même violence, même savoir mieux que les autres et avant tout que moi, même opiniâtres réticences à considérer en dehors de soi, tant à perdre dans l’acquiescement ou la miséricorde et puis, précisément la même crainte de se voir projeté dans le regard de l’autre, figé, décortiqué, incompris, mal-aimé, dépossédé d’âme ou de souffrance que sais-je, parfaitement paranoïaque peut-on craindre. Un ami de quinze-vingt ans, les années filent, plutôt filaient, sans que j’en puisse tenir compte, et ce jeu de pouvoir auquel je ne cédait plus depuis longtemps, c'est-à-dire qu’il ne me coûtait plus de ne pas résister, de faire silence, de patienter que la rage ne se calme m’insupporte à présent, il me tue, je me punis de m’y prêter encore.

Me levant, je trouve moyen de stopper l’envahissement, le même procédé qu’usé déjà dans mon rapport filial : ne me prends pas la tête, je veux dire, vois ma cervicalgie comme coupe pleine, comme supplique, comme demande de grâce, ma douceur à moi, mon œil bon, ma commisération trouvent leurs limites aux trapèzes, je n’en peux plus de ne jamais obtenir un oui qui serait spontané: je bloque et suis bloqué.

Olivier, toi qui me lis et pour causes, je dis publiquement que mon amitié pour toi est morte, qu’elle est crevée, putride, j’ai été fidèle, j’ai pris beaucoup et peut-être pas tant donné que ça, peut-être ai-je moins pardonné qu’on ne m’a absout pour mes manquements, mes trahisons, en ceci sûrement je reste débiteur, mais j’ai peur de toi, peur de l’énergie que tu gâches à détruire, crois bien que j’ai résisté bien plus considérablement qu’H2 dans « pour un oui, pour un non », et quand j’ai fait l’erreur d’en appeler à ton humanité je l’ai payé trop cher, aujourd’hui, et ce n’est pas un choix, je prends l’initiative de rompre. Je veux vivre, je dois vivre ; n’est pas né celui qui me détournerait de ce simple commandement.
Lu : mort à crédit
:: 23.03.2004 ::
Avec le temps bien des gens lâchent. Ils disparaissent de leur vivant et ne désirent plus que des choses raisonnables.
Le cap de la quarantaine, plus si loin et qu’il faudra passer en rugissant ou pas, l’enfant à venir –tout ce sang neuf, cet espoir souriant, candide, je veux dire les yeux radieux et qui attendent en clignotant, les yeux en guirlande de fête, les yeux joliment propres des mômes- mon corps qui même se sculptant des mouvements faits en falaise ou bloc bout à bout perdra de sa vigueur, le sommeil qui s’en va comme une peau morte, et puis la connaissance des mots : j’ai déjà dit cela, je l’ai déjà écrit, déjà combiné, cela en moi a sonné et de la telle manière exacte, certains mots deviennent insupportables : toujours, rien, encore, déjà, même, comme, dans, d’autres encore… Je sais pourtant que la vie est là, qu’elle est devant, qu’il n’y a qu’à prendre et pourtant je formule mes regrets, comme si ceci ou bien cela, ces choses rêvées n’arriveront pas.

La passion. La souffrance. La joie mille et mille exultée. L’orgasme inouï. La musique tressée jusqu’au cœur, la musique chevillée en cales de bois échardées comme brasier brûlant. La folie. L’absence totale, intégrale de recul. Le grand flash, grand crash, l’éclair de magnésium en dedans de la tête, l’aveuglement. Le cri à fond de poumons. Le roman qui valedingue tout bordel, ne serait-ce que quelques lignes dont je pourrais me dire que Breton, Char, Ferré, que ceux-là ne sont pas morts en moi. De toutes mes forces j'essaie de vivre.

Et tu viens me donner des leçons ? Tu me regardes, poisson aux globes orbitaux congelés, et tu dis de mon engagement, de mon énervement, que ridicule, que grotesque, sans sens, sans fins, mais je m’en fous ! Je veux m’en foutre ! Je veux gueuler, à fond, et pas que des goémons de nécropoles, m’engager par principe dans le n’importe quoi que je croirais, avoir raison ou tort en toute impunité, n’être ni froid ni tiède mais nickel bouillant dans le désordre emporté au-delà de mes forces, très éloigné de l’écoute et de toutes ces fadaises mièvres dans lesquelles tristement, apathiquement je me vautre à longueur ! Je veux distribuer des baffes bordel ! Etre amoureux à crever ! Que mon sang coule rouge ! Eclabousse ! Gicle alentour ! Mon sang, mon cri, mon sperme, mon cœur ! Me persuader de mon génie ! Je veux qu’on se pâme ! Je veux qu’on souffre de mon amitié ! Et de mon dédain ! Surtout ! Qu’on me reconnaisse une personnalité ! Du charisme ! Je veux être tyrannique ! Imposer ! Ce sera injuste ! Je m’en fous, et que je m’en foute ou non, je crèverai quand même ! Qui es-tu pour oser me parler ? J’ai une plus grosse queue que toi et je m’en rengorge, je pisse plus loin !

Il aura fallu un enfant pour ça, je crois, découvrir que, oui, j’ai des ennemis, des gens avec qui je suis totalement en désaccord sur toute la ligne, putain je vais pas laisser faire et me dire après qu’il est trop tard, des gens que je préfère écraser de ma botte plutôt que l’inverse, me battre, déchirer leur petite contenance de salopards cradingues de mes griffes, de mon bec, les clore, les murer, leur interdire accès au bruit, à la parole. Quand je voyais un libéral, avant, je changeais de trottoir, l’air vaguement idiot, tu vois ça ? Le sourire et la condescendance ? Fini tout ça, fini ! Maintenant ? Maintenant, je campe debout, en homme là, en homme fort, je bande mes muscles, je bande tout ce qui est bandable, je cogne au foie, je cogne aux couilles et tant mieux si devant ça se tord ! Démocratie ? Mon cul ! Sans honnêteté ? Je vois pas comment. Ton recul, ta distance, c’est de la triche, c’est des manières, on peut s’en ravir au salon, à l’heure du thé, à l’heure de la molle et du feutre, mais après, c’est après, et après c’est pas trop tard pour leur faire fermer leur grande gueule d’ignares pas enseignés, inadaptés, auto conservés dans l’accroche de privilèges qui n’en sont pas, juste des babioles merdeuses d’abrutis patentés, qui font de leurs femmes des putes à chignon coincées dans l’électroménager grand standing et les clubs de bridge, qui font de leur progéniture une apprentie régnante au mépris des plus faibles, et qui crachent sur les tombes de trente six, qui crachent sur le beau, sur le plaisir, sur l’âme, sur la poésie et sur l’amour, et qui crachent sur l’ombre de leurs esclaves, et qui crachent sur tout ce qui dépasse le niveau de la binette et du râteau, qui crachent comme je défèque à plein seau, à plein la face, qui crachent comme définitivement et sans appel je les conchie et les conchierai, encore, demain, déjà et pour toujours.

Choisis ton camp camarade. Le mien, c’est celui des vivants et si on n'est pas du même, va, va te faire foutre ailleurs. Je vais être père, et ça, ça, c'est pas pareil.
Lu : les misérables
:: 21.03.2004 ::
Ce qui naît du coup de foudre, qui en est même le signe, c'est justement que le discours amoureux s'effondre, c'est qu'on reste sans voix, maladroit, incapable de briller, de séduire.
Il y a ça chez les hommes –en tous cas plupart d’eux- et j’en suis, j'insupporte d'en rabattre ou claironner la chose, en ce qui me regarde cela ne s’échangerait naturellement qu’avec les femmes que j’aime, celles que j’ai aimées, les confidentes du corps, ce goût, parfois, pour l’indécente licence, pour la pornographie.

Mais sans anonymat et voilà ce qui fait que je garde, voilà ce qui ne rencontre pas l’accord : quand la divagation entraîne celles à qui je voudrais tout confier, ce n’est pas d’hôtes connus ou de l’amant argué, ce serait là, dans la pénombre des nuits sans dates, dans les bras de spectres soudainement apparus et plus vite repartis, loin des traits, loin des visages tendres qu’elles s’y abandonneraient.

Vous prendre très vite, très sauvage, vous dire le cru des mots, vous tenir incapable et vous briser de gestes, oser cette caresse ou vous donner aux mains, aux bouches d’autres femmes devant moi, souverain, dominant, aller aux chimères que vous tenez enfouies jusqu’au cassement de toute sagesse et de toute posture, nous prélasser des fluides puissants, dans l’amer, dans le fort, je ne le peux, ne le veux qu’avec vous, vous à qui je s'abandonne pour cause de votre cœur, de votre voix, de ce que je sais de vos transports et de l’après, de votre complicité grave, du sans retours qui serait notre.

Aussi nous ne partageons pas, il y a quelque chose de riche à cela qu’on n’écaille pas et puis quand même, amer aussi : même vous devant meilleures ivresses et colossales trêves, j’aimerais, à votre regard, apparaître dans ma radicale âpreté.
Lu : Es ist eine Poulette
:: 20.03.2004 ::
La voix que nous entendions, elle venait de loin. C'était la voix du 18 bumaire, celledu 2 décembre, la voix du 13 mai. C'était celle qui annonçait la marche d'un pouvoir insolent contre le peuple, celle de la dictature. Cette voix, le peuple la fait taire. Il imposera la liberté. Républicains unissez-vous ! Vive la République !
Un début se figure en début et ça ne vaut pas moins, encore faut-il si j’en crois nos aînés ne pas trop prompts ou éthérés baisser la garde : une touchette, un uppercut en pointe sous le menton, une gauche bien dosée, voilà qui immanquablement ébranle et tant qu’à faire, plutôt que de reluire clairon et tirer les clochettes, allons donc jusqu’au K.O., ça sera toujours ça de moins à faire quand il y aura à mettre les voiles vers un peu moins inepte.

De Tarascon ou du Poitou Charente en tous cas, les grôsses voix et les anthropophages mandibules apprendront à bruisser plutôt qu’à battre du caquet : ça nous fera des vacances.

Liste de tâches pour dimanche :

* Aller voter,
* Barrer la route au borgne et à ses foutriquets,
* Casser les dents (longues) des sourds profonds qui francent-d’en-bas à la va-comme-je-te-pousse et si possible au fond des moches gouffres,
* Dénouer mon bagage et relever les manches,
* Enoncer le reste de cet abécédaire avant fin de semaine, il y a énorme à Faire.
Lu : Une esquisse d'homme d'affaires
:: 19.03.2004 ::
Si la vie est immédiate et verte au bord des étangs, pour la rejoindre, il nous faut d'abord rejoindre ce qui en nous est comme de l'eau, comme de l'air, comme du ciel.
Vous de foudre, de poudre c’est selon, en tout cas devons-nous dire très exactement à l’envers des apathies qui portent aux contenances voisines, vous éreintante de sens et d’euphonie aujourd’hui je vous lis, comme hier, comme tant que ruisselleront dedans l’artère ou le long de l’arête l’orage et le tumulte, je vous lis et palpite comme un unique muscle, un cœur pur, une âme éprise d’air, d’eau, de feu, tout cela je crois sans attaches, sans racines, dans l’absence des choses figées qui ramènent au sol. Voilà, je vole ou nage, je me noie et me brûle, délaissé, défait des contraintes terreuses, de-la-dureté-commode ou usagère, c’est mes minutes à moi, les instants de ma nature songeuse, les fragments de l’intègre, je suis là où vous êtes, je suis là, tout entier.

La culture, la culture nom de sang ! S’oppose t’elle à la nature si l’homme, par essence se fait de son passé, de l’amené, du construit ?

Et puis je me répète. Tout à l’ouest n’est pas toujours nouveau, savez-vous ? Parfois quelque chose de la ville se désole : impasses atones, arctiques artères et rues muettes, la cité baigne froidement mais sans posture réelle, sans allure qui vaudrait, j’aimerais répondre, dire le doux de la couleur en dedans du dedans, dire les rhizomes et les nœuds en dehors de la maille, mais. C’est juste gris, là, ici, voilà l’absurde souvent de se donner nouvelles : rien ne change ici-bas, ce qui vit est ailleurs, dans le rêve, dans l’oubli, dans l’ardeur de vos mots, dans l’espace de ciel qui se crée à l’autour les poètes.
Lu : la symphonie malade
:: 18.03.2004 ::
Ce qu'il ne faut surtout pas que je fasse : tomber entre deux lieux. Dans l'un, oui, dans l'autre, oui ; entre, non. Je veux que l'un m'appelle à partir de l'autre et que j'y coure et, aussitôt après, coure ailleurs. Parce que je crois qu'on naît partout étranger.
La belle, El Bahia de la Casbah au Kasr, ruelles, escaliers, impasses, couloirs voûtés en arrondis et arabesques, on ne dira pas qu’à Lyon l’on inventait les traboules quand les flancs de la Méditerranée et de l’Afrique battent ici, aux pieds d’Alger et des danseuses.

Comme on ne peut pas rire de tout, sûrement ne peut on pas tout dire, pas n’importe comment en tous cas, le fond crémeux de cette page, les mots minuscules de sens et de parfums, l’absence du son, de la musique, de la tiédeur, du souffle sable qui jusqu’au sang vous fouette, cette langue incroyable, tout ça ne se dit pas, pas ici, pas ailleurs.

Je dépose mon bloc, boire du thé, range mes crayons, entendre encore la gutturale et râpes, fourre ce nécessaire à correspondre au fond d’une inutile besace, respirer à plein amaryllis et millénaires baumes, laisse le regard errer sans buts, sans analyse, sans mémoire : rester empreint des inouïes prégnances, des contrastes, de l’étendue que donne de s’asseoir dans le jardin du monde.
Lu : l'infante Maure
:: 17.03.2004 ::
Roule, grande boule, fourmilière de consciences, terre, roule, teintée d'aurore, chapée de crépuscule, d'aplomb/sous les soleils, nocturne,/roule dans l'espace abstrait, dans la nuit à peine éclairée,/roule...
Dans le souvenir la marbrure ou l’empreinte se dessinent encore quelques de vos traits, un volant, le pli des couturières –votre port rend hommage à la main, à l’ouvroir- votre gorge profonde qui grelotte soustraite aux pesanteurs d’en bas, aux contingences, votre rire ineffable et le grain de la peau, j’y cherchais une discrète quand elle l’incarnait, entière, la fronce de vos lèvres qu’il me fallait happer par pleine bouche et appétit total, le chant sensuel et subit mais sans hâte toutefois, plutôt comme étiré, allongé, paresseux, absolument rouge jusqu’aux pourpres et carmins, de vous à moi et sans que l’on se le dise c’était cet appel fou de la chair, du désir et du vice, peu importe : j’ai su par vous que la morale, le jugement et même les mots sont trop faibles à rapporter même un quantième des embrasements si tant furieux qu’ils ne sont qu’en murmures et hurlements de fous, le cri des possédés.

J’allais, pantelant, d’un abîme vers l’autre.

Au profond de mon être cela encore se sait, je résiste, debout, je tiens comme à une bouée de vous revoir encore, que soient dissoutes distance, absence, nos réserves d’adulte, me fondre à vous encore, m’enfouir aux creux de votre plainte, disparaître, n’être jamais plus seul.
Lu : Le gardeur de troupeaux et autres poèmes
:: 16.03.2004 ::
Les idées, c'est comme les gosses. Il ne suffit pas de les avoir, il faut les élever.
Gonzesse ou bien mecton, c'est pas bien clair encore, à trois mois peut-on dire que d'embryon machin se hisse au grade de foetus avant que de tout à fait pouvoir se reconnaître en gone, môme, gosse, gnard, rejeton, enfant et dans un premier temps juste bébé, ce qui en soi se pose là, et pas qu'un peu.

Il n'y pas si longtemps encore et dans ces lignes appelé de mes voeux, l'on peut dire prié, attendu c'est sûr et puisqu'ici en plus de blog prétend au titre de journal intime, je peux ajouter : désiré, intensément, même si le morose ou le mélancolique parfois déborde, même si la colère ou l'énervement, même si affublée trop souvent la défroque de râleur que rien ne rassasie, s'il y a bien une situation face à laquelle je reste prêt à ravaler morgue, questionnements, nihilisme, vacarme et certitudes c'est bien celle-là, si quelque chose me rappelle à l'humilité en dehors du vouloir formidable de l'homme, c'est ça, la prolongation pour laquelle nous sommes, le falloir, la condition de perpétuant, voilà, un livre, un arbre, un enfant dit-on et il ne me restera comme à faire qu'à bien cultiver mon plausible jardin. C'est un peu déboussolant tout de même, au-delà des modifications environnementales et matérielles (maintenir pas de télé à la maison, ne plus écouter Minimal Compact ou Tuxedomoon à fond de potentiomètre, me débarrasser de ma stupide Murciélago inapte logistiquement à supporter les exodes muletiers qu’un trente tonnes étayerait à grand peine, céder mes abonnements aux clubs, associations, théâtres, opéras, alouette), je m’interroge quant à ce qui changera. Comment papa vais-je voir le monde ? Bien sûr il y a l’amour, qu’on ne découvrirait véritablement qu’à cette occasion, le fou, l’entier, celui de la chair exacte qui déferle, celui qui comprend tout, l’amour théorisé par les bibles, coran, Thora, hymnes védiques et les chansons de geste, celui qu’on versifie en pieds et consonances précises des mots pardon, désintérêt, allégeance, bien sûr il y a l’obligation de l’espoir et ce regard qui toujours enclave demain comme une évidence, mais les sujets d’éducation ? Les rôles : guide, mentor, éclaireur, tuteur, soutien, conseil, garde-fou, quelles limites si besoin, quels commentaires, quelles recommandations ? Vais-je gagner en principes ? En clarté ? En égoïsme, en courage ?

Des questions, celles-là et autres milliers, ça se presse, ça afflue, je prends à une ivresse joyeuse et plutôt inconsciente, en tout cas sans moindre angoisse à l’instant, de n’y sûrement pas répondre, surtout pas, après tout c’est uniquement se repaissant de cette hébétude désemplie de dogme que de ladre branche l’on se chambarde en un fruitier prodigue.
Lu : Une nihiliste
:: 15.03.2004 ::
Les grandes afflictions semblent raccourcir les heures comme les grandes joies : tout ce qui préoccupe fortement l'âme empêche de compter les instants.
Affublé d’une débilitante inaptitude à me situer dans l’espace (on rirait de me voir m’égarer à deux rues de la mienne, le long d’un trajet déjà effectué à dix reprises), je n’emprunte des raccourcis que par l’hasard dû au fait, qu’une fois de plus, je m’avions gourré de route, de chemin, d’itinéraire. Sinon non, je ne suis pas dingue, et si une conjonction miraculeuse m’a donné une fois d’enregistrer par quel bout prendre la tâche de retourner au logis ou de me mener quelque part, c’est pas pour lâcher ça, la proie et l’ombre je vis assez ça depuis petit.

La pensée, le dire, procède chez moi un peu de même manière : je confonds, mélange tout, ne me souviens jamais de quelle idée s’emboîterait à telle autre, de quel mot se combine à icelui, si bien que je me tiens à quelques formules toutes faites et bien commodes, à un vocabulaire aussi étriqué que faire se peut, quand ça dérape c’est amnésie, vicissitude ou bien coïncidence et il me semble que pour cette raison je s’engonce trop fréquemment dans la torpeur ou l’irritation de ne rien saisir aux ellipses d’autrui.

Dans le métro j’entends que « me trouvant dans un endroit très fréquenté, j’ai à gagner de surveiller mon sac et mes effets personnels ». Quelqu’un peut-il m’indiquer le rapport que je devrais établir entre ces deux propositions ? A partir de combien de personnes présentes dois-je déclencher l’alarme ? Si je n’ai pas de sac, puis-je profiter de l’anonyme quiétude ? Si le lieu est désert, cela signifie t’il que j’aie besoin de lunettes ? Que le lieu très fréquenté l’est d’invisibles spectres ? Et malfaisants, en plus ?

Dans ce magasin, je lis « qu’en raison des travaux, l’on me remercie de ma compréhension. » Auprès de qui dois-je m’excuser d’être indigne d’un quelconque remerciement, puisque je ne comprends pas ? En quoi le fait de conduire des travaux peut se constituer en raison, en motif ? Et une raison de quoi ? Sur cette affiche de réclame je vois que toute autre solution que la sncf serait un manque de professionnalisme. Même si je ne suis pas cheminot ? Ou conducteur de train ? Et si je ne suis pas professionnel, est-ce un manque quand même ? Si je décide de prendre l’avion –car aller faire mon travail à Alger en train est assez délicat- suis-je inconséquent ? Peu consciencieux ?

En tant que militant j’ai le même mal : tous ces sigles abscons, des anagrammes ? Des rébus, des charades ? J’ai du quitter l’ingénierie, déjà, faute de saisir la langue : fil rrs ? Dhcp ? In addr arpa ? Ieee 1394 ?

Enfin l’infâme, « les bombes lancées sur l’Irak retombent sur l’Espagne », faut quand même cultiver une certaine dégueulasserie intrinsèquement tordue pour titrer de la sorte, et quand en bas je recommande d’aller lire quelque chose, il ne s’agit pas des journaux, on l’aura j’imagine compris.
Lu : Princesses d’ivoire et d’ivresse
:: 14.03.2004 ::
Ce monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde.
Je joue dans quelques de mes textes, posés ici ou bien ailleurs, à « à la manière de », on parlera d’intertextualité, d’influences inévitables, d’exercices, ce qu’on voudra, je préfère, peut-être par cohérence de titre, imaginer qu’il est question d’oreille interne en ceci que mon squelette, mes os relaieraient mieux, ou différemment ce qu’autrement le cortex tairait de trop. Toujours est-il que, et parfois, c’est s'essayant à la musique à Céline.

Il faudra bien revenir là-dessus un jour, on lit n’importe quoi. Céline grand méchant territorial carbonisé, bouteille vide plombée et j’entends encore Aragon, Jean Paul Sartre et quelques autres allant se balader à la décharge histoire de s’offrir un carton sur la peau des rongeurs, Céline il est vrai se lançant en pamphlets et papiers absurdement antisémites, totalement imbitables, proférant l’horreur et la méchanceté, irresponsable imbécile montant au créneau, en tribune, et signant de son nom : on ne pardonnera pas ça, définitivement cela dépasse la simple faute.

Mais aller trop au-delà, c’est vraiment chasse aux sorcières et méconnaissance de l’œuvre. On comprendra bien que la mécanique des camps c’est d’en fermer certains pour en ouvrir d’autres, et après ceux de l’infâme (ceux-là tuaient, il n’est donc pas question d’en minimiser quoi que ce soit ou même de les comparer en faits) vient le temps de celui des vilains. On se souviendra qu’Aragon ne dira pas un mot de Drieu La Rochelle par exemple, et pourtant : le drôle pas vraiment cocasse s’inscrit dans les actifs, et c’est papy Pétain qui lui dit bien merci. En revanche Céline ! Céline plein les lignes, Céline à tout bout de champs, salaud machiavélique, rouage d’une machine à tuer super au point, grand théoricien de l’holocauste !

Mensonges. Louis Ferdinand Destouches, petit bourgeois ignorant introduit dans aucun réseau, lâché par tous et plus particulièrement par ses commanditaires quand il se produit de déféquer à la une de « je suis partout », fils de mercière épris d’une beauté puisée aux bibelots biscuits et porcelaines, belles danseuse, jolis napperons, dentelles fines, et un incroyable sens du rythme, voilà Céline, révant de séditions et de révoltes, s’essayant à seul contre tous jusque dans sa thèse de médecine consacrée à Semmelweis, petit gars à belle gueule embrigadé par frappes à motifs, la vie de ce type c’est « les mauvaises fréquentations » d’un bout à l’autre, et qu’on vienne me citer un seul texte, un seul livre ou roman qui serait un tant soi peu technicien, érudit, documenté, savant, argumenté, non, Céline c’est l’écriture du sensible uniquement et ça mène à tout et à n’importe quoi : au beau, en tous cas, comme au laid, et c’est sûr que face à un Sartre, ça ne pèse pas bien lourd.

On l’aura compris, cette entrée se justifie, ici, maintenant, de ce qu’immanquablement, par fainéantise, ignorance, manque d’intelligence et propension à faire quotidiennement mon intéressant, je suis amené dans ce blog à m’inscrire également dans une malveillance malingre, pour ne pas répéter une erreur faite ailleurs, avant, je dis en préface et non en épilogue que moi aussi, je suis un pauvre type, pas un savant, que je poursuis parce que je ne sais rien d’autre l’idée d’une note parfaite ou d’une opérette enchanteresse avec tout ce que cela sous-tend de mauvais goût et d’égarements, que ma manie du beau n’arrive pas à la cheville de n’importe quoi qui serait construit, connu, su ou bien pensé, qu’ici, c’est juste pour faire joli et que si c’est pour apprendre, autant que vous alliez ailleurs. Vous êtes prévenus : depuis le début d’un os à ronger, ces quelques mots en bas de page : n’oubliez pas, une fois venus, d’aller lire quelque chose, peut être devrais-je y ajouter pour bon poids un merci qui pèserait en supplémentaire onction.
Lu : Précisions sur mes vagues
:: 13.03.2004 ::
Je vous accorde que l'écologisme est le nom moderne de l'obscurantisme. Je lis les écologistes militants. Je constate qu'en finissant par condamner toute violence faite à la nature, ils condamnent du même coup toute civilisation. Car la civilisation est toujours une violence faite par l'intelligence à la nature.
C’est un bonjour attentionné le passeport, syllabes pleines de présence qui se disent aux yeux avant d’à l’oreille et la main qui se tend, sur ce marché du Lyon bourgeois je tracte en énième militant pas du tout informé, avez-vous votre bout d’arbre humide d’encre ? Regardez ce monsieur de la photo, comme il fait bon candidat, comme l’on croit à sa promesse, lisez ces quelques lignes qui affirment, tout s’arrange, vouloir au bout du tunnel et l’espoir…

Il y a ces contenances incroyables, ce que je n’ai jamais pu accepter comme du vivant, afficher en nippes et hardes le contenu de la carte d’identité : voyez que je suis médecin bien établi, voyez comment je pense et vote, sachez que moi jeune à musique, à pétards, anarchiste ou bien que sais-je, dame frustrée, ancien grand de ce petit coin de monde, famille très cautionnée ou bien précarité de toujours, branché au dessus de vous tous, sans code, l’habit, le moine, rastas, l’on voit ce qui est bu, fumé, dit, aimé ou contesté et ça ne change pas : la personnalité ne vaut qu’assise dans la durée.

Il y a la complexité des regards qui parlent tant de langues, une certaine forme de politesse et puis l’exigence de se situer quelque part, en strates on s’incorpore à la tribu ou l’on fonde la sienne, les questions, toujours les mêmes : l’argent, combien, l’argent public, ce que ça coûte et ce que ça rapporte, le prix des choses, les impôts-leur-bon-emploi, et tous les codes, tous les particularismes textiles, toutes les appartenances s’effondrent devant cela, l’argent, le fric, le blé, gros besoin et carburant universel, la fin et les moyens enfin fondus dans une signification défaite de toute vergogne, je souris : « vous y croyez, vous à l’argent ? Est-ce important pour vous ? » mais cette pirouette se consume d’elle-même, quelques secondes et puis, « oui, il en faut. Il en faut tout de même ».

Mécaniquement je donne mes bonjours, le bras se tend, je tracte, en énième militant. Je ne suis pas du tout informé.
Lu : Des Seigneurs de la plaine à l’hôtel de Mondez
:: 12.03.2004 ::
Il n'y a pas de naissance pour aucune des choses mortelles; il n'y a pas de fin par la mort funeste; il y a seulement mélange et dissociation des composants du mélange. Naissance n'est qu'un nom donné à ce fait par les hommes.
Cassoulet whisky ping-pong, café du plateau lyonnais bondé de ce qu’à vingt ou trente hilares, bien sympas et festifs, par-dessus le brouhaha Gaëlle et Robin reviennent du Nicaragua. Le projet d’immigrer, ici ou au Costa Rica a pris un coup dans l’aile, comprends bien, le modèle américain partout présent, sur les murs et dans la Presca l’on peut lire : Nicaragua no se vende, mais un peu tard, probable, le pays déjà complètement morcelé, bradé par lots et tenu par mafias ou tout comme, le modèle sandiniste devenu impeccable machine d’appropriation, sans blagues, tu m’en diras tant.

Je cherche, si possible, un ailleurs loin des américains, et de l’homme, sans doute.

Et puis non. Taire le plaintif, boucler l’élégie. Nous sommes d’ici, nous sommes ici, je lis dans le journal de Kinjiki les beautés de Tokyo, l’envie de la vie vue à pleines mirettes et qui coule, je vais être père et commence à faire la tournée des proches que j'en veux mander , explosions de joie, allégresse, une heureuse nouvelle, je pense au bruit bavard occupant pages et ondes, fermez vos gueules s’il vous plait : la vie, seule, vaut, plus que tout, tout vient dans ce dénouement simple : vivre, toi, vous, nous, ils, elles, eux, lui, elle, moi.
Lu : Les penseurs grecs avant Socrate
:: 11.03.2004 ::
Cruel! à quel propos sur ce point t'obstiner? / Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner! / Je suivrai ton exemple, et j'ai trop de courage / Pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage.
On dira, cette fois encore et jusqu’à la prochaine, les mots ultimes, les mots absolus, définitifs, les mots qui dépassent le sens et l’entendement, les mots du vide. On aura besoin de les sortir de soi, de jeter cela dehors, d’expulser loin de nos familles, loin de nos amis, il faudra se débarrasser d’un presque réel qui se produit, théoriquement, quoique plus proche d’un point de vue strictement géographique. Ces mots là, on les videra de leur substance, comme des corps désertés.

Sur le blog de Torpédo, je vois Guernica, pas un mot. Un apaisement, curieux, et ça vaut bien mieux que tous les commentaires, cela aurait pu être la numéro trois de Gorecki plutôt qu’encore le même rassemblement, encore, les mêmes connards radiophoniquement spécialisés qui font leur beurre d’analyses ne valant ni crémière, ni dodu postérieur, et surtout pas tripette.

Des femmes, des enfants, de petits employés, des innocents. La terreur. Les mots se calent à différents degrés d’une identique échelle, choc et effroi, Islam, tapis de bombe, raids en Palestine, Antéchrist, suicides au milieu des foules de Jérusalem, les hommes se battent faute d’enfanter, les hommes tuent, utérus absents, poitrines inutiles, agacements hormonaux dérisoires, les femmes et les enfants encaissent.

Ce serait du terrorisme pas propre quand les opérations militaires des diverses coalitions le seraient. Régulièrement l’on m’explique la différence entre les deux et je ne comprends pas. Sans mauvaise foi, moi qui détourne les yeux de l’écran quand un comédien s’arrache un ongle ou flanque une gifle. Vu vingt quatre heures chrono, quelques épisodes, et puis, des flingues, des canons sciés, des pistolets automatiques, cette posture en crabe imbécile des hommes qui avancent, rentrent dans les bâtiments, traversent les jardins en se plaquant au sol, outils en main, accompagnés, normalement, des craches-mitrailles qui leur sert de contenance.

Les enjeux électoraux. En Espagne : gagnera, gagnera pas ? Ici, en tout cas, l’on se frotte les mains de ce que les chercheurs et les étudiants iront demain se mouiller sans aucune audience puisque gros titres ailleurs, les éminents iront montrer leur détermination n’est-ce pas, combattre sans merci, éradiquer, supprimer, les mêmes mots après tout, les mêmes mots qui servent aux mêmes causes. On redore son blason. En Angleterre le douze septembre deux mille un, la porte-parole du gouvernement diffuse la consigne : «le moment choisi pour faire passer en douce les dossiers délicats ».

Un lycéen de la croix rousse meurt d’un coup de poignard. La porte d’à coté. Chimène, dont les traits et les yeux comme dans la tragédie, se fait voler son ordinateur portable et le travail qu’il contient. Presqu’une amie. Le sanglot qui dans ma gorge se forme du réel, la distance se réduit, au contraire des fractures.
Lu : Travaux de Persiles et Sigismonde
:: 10.03.2004 ::
Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx/l’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore/Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix/Que ne recueille pas de cinéraire amphore.
On n'y comprend rien ou bien si peu, on n'y entrave que dalle, que couic, qu'est-ce à dire, plait-il ? J’entends cela, souvent, on me l’écrit, on aime bien, mais on décroche, on voit pas bien où ça va ni d’où ça vient, voyez-vous c’est une gène cela, lire sans comprendre, c’est assommant au fond, et puis pas très flatteur, on se sent un peu couillon à dire vrai …

En réponse, je formule que c’est franchement voulu, volontaire, calculé, fait exprès. C’est d’abord la question de l’espace : un écho ne se crée qu’à la condition de disposer d’une étendue de bonnes proportions, au lecteur la responsabilité de la création, ou de la récréation, mes romans comme mes entrées se décident comme des cales dans l’huis : l’apport du vent, un peu de poussière à motif, un os abandonné là qu’on peut rogner ou pas, à vous de mastiquer ou de tracer, à vous les dents, à vous les doigts. C’est ensuite la question du temps : on part vite, ou l’on reste, si l’on reste, on s’assoit. Le temps pris n’est pas une garantie de se bien contenter, je l’accorde, mais je ne connais pas de plaisirs, même fugaces, qui se prodigueraient ailleurs que dans l’instant tenu.

Les mots sont choisis pour ce qu’ils sont sonnants, trébuchants, jamais pour être compris. J’aime bien comprendre aussi, parfois, et c’est Pulp fiction ou bien Barry Lyndon, Vermeer, Schubert, tout comme j’aime le bercement, la songerie des couleurs, des impressions, l'immanence, les pudeurs grelottante d'étoiles, Chostakovitch, René Char, Mallarmé, David Lynch, ce que je connais le plus près du corps en fait : incapable d’écrire que faire l’amour, n’est ce pas, serait comme ceci ou bien cela, que cette sensation de ciel d’été ou d’immersion dans les eaux de l’Ardèche seraient… (niaiseries inconséquentes et casse-papilles), j’accepte cette forme de langage qui ne se comprend pas et se ressent, seulement.
Lu : L'après midi d'un faune
:: 09.03.2004 ::
La plupart des hommes sentent ceci : que les femmes leur seront supérieures quand elles seront leurs égales.
Ouverture du printemps des poètes, et journée de la femme. Coluche me manque qui sans doute aurait su commuer mon exaspération en poilade attestée.

Rapprochements à l'emporte pièce, tout ce qui est dit ici et là, le hasard qui ferait bien les choses, la femme est l'avenir de l'homme bien sûr, comme s'il ne lui suffisait pas d'un avenir à soi, et les poètes blabla, la place de la poésie dans notre société, blabla, les mêmes choses, les mêmes insanités proférées l'air très sûr de soi, je fatigue.

De deux choses l'une : ou bien tous les jours sont ceux des femmes, ou alors les hommes n'auraient droit qu'à vingt quatre heures qui leur seraient dédiées, pas à une de plus. Sottement il me semble que nous vivons dans organisation sociale pour peu civilisée, et voilà qu'on nous sort les drapeaux, qu'on fait claquer feux de Bengale et qu'on défile au pas : consacrons donc des jours, des semaines aux poètes, et puis aux femmes tant qu'à faire... et la journée des industriels ? Et l'ouverture d'un hiver des pollueurs, ou d'un été des libéraux ?

Bien entendu, l'on se félicitera de certaines initiatives, de certaines prises de conscience, d'utiles mises en alerte : c'est toujours mieux que rien, n'est ce pas ?

J'ai l'ambition de vivre chacune de mes journées en compagnie des femmes et des poètes, souvent les mêmes d'ailleurs, ce qui, n’en déplaise aux couilles molles et messieurs trônant bas, ne doit rien ni au hasard ni à un déterminisme génétiquement missionné. De fait, j'apprécierais plutôt qu'on ferme les camps, et qu'on arrête de parquer les uns et les autres comme des espèces à part.
Lu : Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville
:: 08.03.2004 ::
Selon les théories actuelles, le bourdon ne peut pas voler, heureusement, le bourdon ne les connaît pas et vole quand même.
Rien ne vaut de replonger périodiquement dans le fouillis des lignes posées en réunion, pendant l'avion ou la taxi, les temps morts de mes vies antérieures pour taire un peu mon arrogance, ce qui par-dessous inciterait à croire à mon courage, n’est-ce pas, à la valeur de mon déni du standard et de l’ordinaire, rendez-vous compte : encore aurais-je pu ballonner carte de visite et comptes bancaires, tisser autour de moi toile chaude d’entichements hiérarchiques ou de pouvoir, m’asseoir dans la carrière, et puis non, rien de ça, tout fiche par-dessus bords, tout lâcher là à pleins risques et supposés ratatines-figures, quelle bravoure vraiment !

Je mesure à mes carnets d'époque, à ma plainte, à ma fureur, à l'étalage du feint, du laid et de l'absurde : non, je n’avais aucun choix. J’ai beau dire, tenter de me mirer dans la stature immense de l’homme laissant là, raconter comment bateau et rugissants, terres lointaines et ballot dans la vague, gueule burinée à l’embrun comme Tabarly triomphant du Cap Horn, et puis jours de disette, et puis mauvaises nuits sans chaussures serré dans le fichtre et le diantre d’un duvet uniquement froidi, comme Guillaumet dire que ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait et autres bagatelles, la vérité est qu’il m’était impossible de supporter, impossible de plier, de convenir, que par incompétence j’ai fui, que ça n’aurait pas pu se dérouler autrement.

Sans doutes cela vient d’une conjonction, mes parents névrosés mégalomanes supposant qu’ils d’une cuisse de Jupiter, et puis l’empreinte de la secte aussi, les années de l’adolescence à me trouvé formé de ce que le monde, visiblement, ne roule pas dans le sens de la pente ou justement, et c’est pas bien, bref, l’insoumission vient de ce que vous n’avez pas été habitué à la gamelle, n’ayant pas appris qu’épinards pourvoyeur du fer utile à la croissance, je continue de grimacer quand ça débarque à table, mal élevé ou pas du tout, c’est un peu la même chose, et puisqu’il faut, contre vents et marées, contre mauvaise fortune, grimper, monter, gravir, s’éloigner de la chute, j’organise l’évasif en références, et m’épargne les frondeurs.
Lu : Les chants de Maldoror
:: 07.03.2004 ::
Mieux vaut avoir honte d'un éclat que d'un silence, d'une violence que d'une abstention.
Sans blagues, voilà qui étonne ! Il se dit qu'encore l'abstention progresse, qu'elle est maintenant premier parti de France, première idéologie de tout à chacun devançant dogmes et méthodes et puis aussi responsable des devants de la scène de mouvances extrêmes, Bourdieu disait d'une voix exprimée qu'elle vaudrait cent qui se taisent et c'est à peu près ça.

C'est comme ça, il en faut n'est-ce pas ? De tout pour faire un monde. Des flics et des bidasses, des matons, des prisons, des salauds, rien n'est parfait, il faut bien mélanger l'eau au vin, arrondir les angles, plier aux compromis, on n'y peut rien n'est-ce pas ?

Mes gros titres, je les fais d'opérations policières, de manoeuvres militaires, de tôles froissées de victimes et puis d'exploits sportifs qui balisent le chemin de chez soi à l'outil, s'en écarter reste périlleux. J'informe dans le sens du poil mais à rebrousse et je sais bien l'utile de se souvenir, quant à l'avenir, on verra bien. Enfant j'ai vécu soixante-huit, je sais ça fait vieux con. Et puis soixante treize, quatre vingt un, quatre vingt six, huit, quatre vingt quinze et autres dates, j'aurais tout de même et avant de mourir si possible, aimé que l'on m'explique une fois pour quoi je vote. Cantonales ? Maastricht ? Européennes ? Régionales ? Qu'est-ce que c'est, qu'est ce que ça change ? Ce serait tout pareil, de l'identique au même ?

Je n'attends pas des autistes actuellement sis aux palais qu'ils en disent quoi que ce soit, leur genre à eux c'est la masse à bras dans les usines, les autres au cachot tandis qu'on compte les dividendes et arriver à cela ne se prépare pas sur le banc des écoles. Mais l'échec du socialisme dans ce pays tient à ceci et à rien d'autre : ne pas suffisamment s'adresser à l'intelligence des gens se paye, toujours, et plutôt deux fois qu'une.
Lu : Le feu follet
:: 06.03.2004 ::
Mesmerised children are playing,/Meant to be seen but not heard,/"Stop me from dreaming!"/"Don't be absurd!"
Rencontré Nick Masson, batteur des Pink Floyd et conduisant flegamtiquement sa Ferrari 250 GTO. Dire que j'ai si souvent chanté cela :

Welcome my son, welcome to the machine./Where have you been? it’s alright we know where you’ve been./ You’ve been in the pipeline, filling in time, provided with toys and/’scouting for boys’./You bought a guitar to punish your ma,/ And you didn’t like school, and you know you’re nobody’s fool,/So welcome to the machine.
Welcome my son, welcome to the machine./What did you dream? it’s alright we told you what to dream./You dreamed of a big star, he played a mean guitar,/He always ate in the steak bar. he loved to drive in his jaguar./So welcome to the machine.

Et peut-être n'y a t'il pas contradictions, seulement un glissement...
Lu : La Nonne Alférez
:: 05.03.2004 ::
Les sites ne changent pas d'aspect comme les hommes de visage.
Bien entendu, je n’en pense pas moins. Voilà l’aller retour périodiquement réitéré, un os à ronger devrait-il s‘affubler d’un rôle de blog en campagne ? Intervenir dans l’espace public, prendre la parole n’est pas tout à fait innocent n’est-ce pas, Sartre par exemple en fit démonstration théorique, pratique et quotidienne, et l’on voudrait ne mouiller qu’au candide, à l’ingénu au coruscant, à l’élégant qu’encore l’on pataugerait dans le sens et dans l’engagé. La fonction du mot au moins est double, on croit s’en foutre et n’y rien connaître, on croit n’en rien dire, d’ailleurs, mais ne pas savoir les arrondissements de Paris par exemple, l’exprimer, cela déjà au moins est récupérable quand pas directement spécifiant. On n’en sort pas comme ça.

D’autres, pléthores même, prennent leur quart de ce que nous sommes leurs tiers. Découlés de leur famille sociale, ils émettent, écrivent, tiennent discours argumentés ou bien diatribes, se mêlent, pensent tout haut, dissertent ou contrent, tantôt burlesques tantôt d’entière fureur, souvent documentés bien mieux que je ne peux l’être, aussi ont-ils place et peut-être meilleure : la politique aussi est affaire de technique, la politique aussi exige l’assiduité, il n’y a pas qu’écrire ou se réclamer de principes sains, il faut encore les plaquer aux particularismes locaux, temporels, de personnes, on n’en sort pas comme ça.

Soupe au lait parfois je m’emporte. Mais m’emporte-je au fond, ou bien suis-je emporté par quelque chose qui dépasse le moi, qui s’impose à force d’à force, bruits de rue, préoccupations d’amis, journaux, radios, télés, affiches, jusqu’au tract glissé dans la déclaration d’impôts ? J’aimerais tellement pouvoir prétendre à cette altitude, je suis d’un autre monde, d’une autre galaxie et de la nuit pourtant venue, déposer à mon front cette pancarte, comme sur les portes d’hôtels, do not disturb, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte et moins encore s’il s’agit d’affaires sérieuses, j’aurais la tête toujours dans les nuages, je ne cillerais qu’au bleu, aux rouges, aux sonates début dix-neuvième, aux parfums des femmes, aux yeux noirs, aux belles phrases dites par de beaux auteurs… Je secouerais mon pourpoint de ce qui l’aurait tâché, je déclamerais quelque chose qui serait frivole, étourdi, insouciant, ou alors je n’aborderais tout ça que sous l’angle d’un Pline ou d’un Tacite en me moquant gentiment de ce ramasse-miettes de Platon et du phraseur Démocrite, je donnerais banquets de fêtes à danseuses et fakirs, mes vins vieilliraient depuis tant qu’on se tairait pour les lamper et puis dans le dérèglement l’on irait à l’orgie, je m’évanouirais, harassé, aux flancs d’infatigables amantes, j’aimerais… Mais voilà, j’ai peur, mais voilà, je vais être père, j’urine aux coins du ressui, je montre les dents, j’écarte ma portée des œillades de la horde et la comédie dure, on n’en sort pas comme ça.

Depuis trois jours, j’ai ma carte. Je milite. D’un tout petit pouvoir j’en ferai un mieux assis, si je suis sage. On n’en sort pas comme ça.

C’est tellement foutu d’avance, tellement mort, indéfendable, vous y croyez, vous à la révolution ? Si l’on veut en sortir, il est temps de la faire.
Lu : Le deuxième sexe
:: 04.03.2004 ::
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
On sent bien que ça les gratte un peu là où ils n’aiment pas, l’intelligence, hier Raffarin, Ferry et Aillagon, aujourd’hui Darcos, à qui le tour ? Qui n’a pas versé à la quête ? Le gentil Nicolas ? Monsieur Fillon peut-être ? Et Madame Bachelot ? N’aurait-elle pas bouleversante citation à déterrer, petit pamphlet patriote à nous servir ?

Sommairement (ainsi serons-nous peut-être compris de ceux-là qui, visiblement, fatiguent au développement et qui montrent une certaine habilité à donneur leurs lettres de noblesse aux mots somme, sommer, sommation, etc.) la ligne de défense s’articule autour de deux axes : le réalisme (genre c’est un drame mais faut faire avec), et le consensus démocratique, autrement brandi en tant que lutte des classes.

Le réalisme serait cette chose gluante, affreusement contraignante à laquelle nous serions forcés de plier bien malgré nous, faite d’économie et de mondialisation et qui nous obligerait à soumettre l’intelligence (normalement fondamentale n’est-ce pas) aux diktats de l’industrie, de la concurrence et de la marge brute. Merci Xavier, j’ai laborieusement rédigé là-dessus il y a deux jours, ce n’est pas pour me recouper aujourd’hui. A quelques détails prés :
-Ce n’est pas en s’adaptant à ce qui est qu’on ramasse les chèques, c’est en imaginant ce qui n’est pas encore (recherche, enseignement, création artistique), c’est ça l’intelligence, sinon on se serait contenté du mot fabrication. Ton thème du lycée des métiers, t’es gentil, mais tu l’offres en papillotes à Ferry, il en fera sûrement une lettre ouverte.
- La mondialisation, la concurrence, l’économie de marché auxquelles il faut plier, c’est le libéralisme et ses défenseurs dont tu es qui les a voulues, pas nous. Tu devrais relire Lucky Luke, ça te remettrait en mémoire que si tu tires à l’ouest, il faudra t’attendre à gâchette plus rapide que toi. Privatisons EDF, la SNCF et les hôpitaux (trois exemples de parfaites réussites d’entreprises d’état) et tu viendras pleurer de te faire piquer les marchés par les acteurs concurrentiels, ce sera l’occasion d’un vibrant couplet sur la nécessité de circonscrire davantage l’intelligence à une chevauchée désespérée du type : comment réduire les coûts et augmenter les marges, conserver la croissance, etc.
- Concurrence et intelligence sont étymologiquement antinomiques : l’intelligence (inter lego), ça sert à relier, à mettre ensemble, ni à combattre ni à s’opposer et encore moins à être le meilleur.

Ce qui nous porte naturellement au vieux principe d’un autre Nicolas (Machiavel en l’occurrence) auquel ta bande de potes recourre fréquemment: diviser pour mieux régner. Il y a eu le coup des «prises en otage des terroristes du service public sur les usagers». Celui des «profs, ces salauds de privilégiés». L'astuce «intermittents fainéants qui font rien qu’à bouffer vos impôts». Récemment le coup des «chercheurs qui geignent plutôt que de gratter des Nobels». Pendant ce temps là, vous feriez dans la consultation du peuple «parce que y en a marre de l’élitisme». On cite même Jean Vilar, c’est dire !

En matière de consultation, je rigole. Consultés les acteurs de la santé ? Ni pendant la canicule, ni jamais. Consultés les juges et les avocats ? Faudra les mettre au courant alors. Consultés les employés futurs retraités ? Consulté le monde agricole en particulier en ce qui concerne le transgénique ? Consultés les intermittents ? Les chômeurs ? Les enseignants ? Les mères ? Les précaires ? Les étudiants ? Les agents sociaux ? Les maires ? Bien sûr que non. Vos consultations s’arrêtent au bureau du Medef. D’ailleurs votre serpent de Mer (Francis) se mord la queue : vous fustigez ceux qui prennent la parole et les taxez d’élitisme, ceux-là même qui oeuvrent jour après jour à la construction d’un bien être social. Sans doute déplorez-vous qu’ils, ne répondant pas aux principes qui vous servent de pensée unique, ne se soient pas enfuis aux Etats Unis sous prétexte que les salaires y seraient meilleurs, et vous ne les comprenez pas. Leur idéal à eux, c’est un pays éduqué, en bonne santé, disposant d’un toit et d’une assiette ou l’intelligence l’emporterait sur le profit, un autre monde en somme.
Lu : Traité du triangle arithmétique
:: 03.03.2004 ::
Il n'est pas aisé de n'être de nulle part, quand aucune condition extérieure ne vous y contraint.
J'ai promis depuis lurette une contrainte et une direction, j'y suis revenu il y a quelques jours à peine car voyant aux compteurs vos visites que vous vous soyez trouvée found, ou lost in translation. Voyez-vous cette question me turlupine bien plus qu'il ne me semblait, quand on voit ce que je fais de ce blog : un étalage grossier de faits et de raisons, d'explications plus contestables les unes que les autres où la partisanerie le dispute à la harangue facile, je suis bien loin de ma contrainte à moi, et de ma direction qui se voulaient détachées du traitement rampant de nos journées et des gloses prosélytes, pour décharge j'ai que la question de la responsabilité se pose assez souvent et que, les temps ici mènent à une perforante irritation qu'il faut bien pommader, d'une manière ou d'une autre.

Là n'est pas le sujet. D'abord il faut dire que cette requête reçue de vous m'a rasséréné. Qui sait qu'écrire est là ? Pour ce qui est de la direction encore est-ce facile, mais la contrainte, c'est furieusement précis de demander cela, même laissant l'obligatoire Perec l'on est bien obligé d'évoquer : canons, règles de l'art, nombres, gênes exquises, consignes, contraintes dures, critères de réalisation, sans toujours recouvrir entièrement sens analogues, les termes ne manquent pas pour dénombrer ces lois, tantôt limpides, tantôt redoutablement tortueuses et complexes, auxquelles celui qui prend la plume souhaite se plier non content de céder aux injonctions de sa langue. Des premiers poètes aux enfants de dada en passant par le Parnasse, Valéry, Baudelaire, Roussel, Ponge, tous magnifient cette soumission volontaire qui, loin de gêner l'inspiration ou de punir la spontanéité, agit comme aiguillon.

Ce point aussi fait querelle plus âpre aujourd'hui que jamais : à bâbord les partisans d'une totale liberté artistique, à tribord ceux qui rendent hommage peut-être à la valeur d'enracinement dans l’idée de culture: suffit-il d'élire une obligation pour rendre vraiment ce qu'elle exige, suffit-il de récuser les règles pour en exempter sa pratique ? Si la contrainte permet d'écrire, que permet-elle de lire?

Et vous direz : là n'est pas le sujet. Quand je débute un roman, les trois premières pages sont des interdictions d'emploi ou de facilités. Voulez-vous une contrainte, une seule, et pas technique j'imagine, qui ne serait qu'un gadget distrayant, la disparition ou je ne sais quoi, pas d'adjectifs serait rosse et complètement stupide n'est-ce pas ? Alors j'énonce : les sujets seront des pronoms personnels, la forme ne sera que dialogue (soit orale, soit écrite) et rien d'autre (ainsi, s'il y a didascalies elles seront rapportées par le dire) , malgré cela, ce ne sera pas une pièce de théâtre mais bien un roman.

De précisions quand à la direction, vous n'avez guère besoin que je les exprime : l'amour, l'amour fou, celui du corps, de toute chose, second prénom, patronyme, sobriquet, surnom mais surtout matière essentielle, empois basique d'entre particules ou atomes, je n'imagine rien d'autre et c'est tant mieux : tout encore est à minuter.
Lu : Télémaque
:: 02.03.2004 ::
La fameuse loi d'Auguste Comte - à savoir que l'énergie des mobiles est inversement proportionnelle à leur qualité...
Entendant de la rue monter les grondements l'on aura garde de ne pas se méprendre : les professeurs l'année dernière, les chercheurs, les avocats, les artistes, les agriculteurs, les universitaires s'ils battent la pavé, ce n'est ni pour réchauffer leurs pieds, ni pour masser dans l'épuisette quelqu'avantages corporatistes de mieux, les revendications actuelles ne visent ni plus ni moins qu'à sauver ce qui encore peut l'être de notre république, de notre économie.

Si nous parlons gros sous, l'on gardera en mémoire que l'agriculture (mamelle gaulliste) le cinéma, l'industrie du disque et la recherche de pointe ne sont pas seulement d'élégantes psychés ou mirer notre orgueil franchouillard. Ca rapporte du trébuchant et de l'imposable, ça s'exporte, ça fait de la marge, accessoirement ça nous maintient dans la course. La bouffe de qualité, les grands crus, la nouvelle vague, Airbus ou Pasteur y en a bourrer le tiroir caisse. On sait bien le vieux complexe né à la guerre de nos gouvernements face à l'industrie teutonne, cette course, toujours, à plus d'acier, de roulements à bille et de manivelles mais si Renault vend encore quelques autos c'est surtout grâce à son département recherche et développement (le turbo, le diesel, la sécurité active, le concept d'espace modulaire et de châssis monocoque, etc.). Si le cinéma français n'est pas tout à fait mort (pleurons les années cinquante-soixante italiennes, les années trente allemandes, la movida espagnole) c'est qu'un certain gouvernement arracha au bout de trois ans opiniâtres l'idée de l'exception culturelle. L'industrie du luxe qui amasse quantités de pépettes, c'est des créateurs, des gens de tendance, des stylistes, de la rue et c'est pas Gauthier ou Dior qui diraient le contraire. La chirurgie des yeux, du cerveau, du cœur, de la douleur, les progrès de la vaccination y compris en ce qui concerne l'immunodéficience ne se sont pas imposées à coup de clé à molette. Les grands groupes de la nouvelle économie, c'est avant tout du contenu (disques, films, art en scène ou plastiques) et pas seulement de la soudure à la chaîne.

Quand il s'agit de mesurer le degré de développement d'un pays, on le fait sur quatre critères: le produit intérieur ou national brut, l'alphabétisation, l'accès à la santé, le quotient démographique. Quand une de ces mesures faiblit, les autres, mathématiquement, suivent. T'es moins bien soigné ou plus souvent malade ? Tu rapportes moins. Tu fais moins d'études ? Tu rapportes moins. Tu ne trouves pas les conditions nécessaires à enfanter ton comptant ? Tu rapportes moins

La courte-vue frileusement sécuritaire, le repli sur soi et le rejet du métissage (qu'il soit de production, d'influences ou de migration) a toujours été, de tout temps, à l'origine des graves crises de l'histoire. On se souviendra de la récession de vingt-huit aux Etats-unis ou en Allemagne, de la misère chinoise due à la "révolution culturelle" qui consista avant tout à condamner les intellectuels et à fermer les frontières, de la tiers-mondisation évitée de justesse par l'Espagne au moment du nationalisme Franquiste, etc. Rejeter l'autre, c'est mourir. Rejeter le progrès, c'est mourir. Protéger ses acquis au détriment du partage, c'est mourir.

Monsieur Sellières, Monsieur Raffarin (qui remorque à sa suite l'échec d'une réussite pourtant exemplaire en matière de contenu, le Futuroscope) font partie de ces générations qui essayèrent à tout prix mais surtout à tout profit de conserver les mines ouvertes, les aciéries du Nord, sans réaliser qu’on ne produit pas du charbon pour produire du charbon, et que si les acheteurs ne gagnent pas de quoi, ils cessent de se chauffer. Ce sont les mêmes aujourd'hui qui ne comprennent pas que les machines grippent et puis s'arrêtent quand on fait l'économie du carburant. Décidément, malgré les gesticulations qui tenteraient de masquer un manque d'idées ne serait-ce qu’à moyen terme, c'est bien d’une pénurie d'énergie grave dont nous menace la droite.
Lu : La Vénus d'Ille
:: 29.02.2004 ::
Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.
J’avais gardé ce questionnaire, en cas de panne d’idée, hop un petit truc vite fait… finalement ç’est plus long qu’un vrai texte et à coup sûr moins révélateur, aussi est-ce probablement le dernier.

*Un accessoire : Les liaisons dangereuses d'évidement Choderlos de Laclos, mais aussi la version filmée de Stephen Frears employant fort justement John Malkovitch et Uma Thurman
*Un animal: Un chat de Colette, probablement Bâ-tou, celui venu du Tchad.
*Une arme: le mot, déjà, suffit, sûrement est-il de trop.
*Un bijou: Une rhapsodie hongroise de Frantz Liszt, ou la Campanella ? Tant de choses étincellent.
*Une chanson: The bewlay brother ou all the madmen, sortes d'internationales.
*Une couleur: Celle de votre bouche, celle-là seule.
*Un défaut: l'outrecuidance, à outrance et qui plus est cuisante.
*Une dernière volonté: de n'en plus formuler aucune.
*Une drogue: la peau, par elle, dans elle, sous elle.
*Un élément: une amnésie totale dans laquelle je baignerais comme d'autres dans la mémoire.
*Un événement: début octobre 2004, un fameux en vérité.
*Un film: Tuvalu, Mulholland drive, Barry Lyndon, Comment je me suis disputé, la femme des sables, In the mood for love, quelques dizaines encore.
*Une fleur: Taipei Millenium Mambo de Hou Hsiao-Hsien.
*Un instrument de musique: ce violon peint par Braque.
*Une maladie: se découvrir visionnaire.
*Un parfum: après l’orage, après l’amour, le parfum est cette attache au temps qui retient, qui rappelle.
*Une partie du corps: les mains, je crois.
*Un pays: toute frontière fondue.
*Un péché mignon: La culpabilité.
*Un plaisir charnel: Tous le sont, ressent-on hors du corps ?
*Une qualité: La rencontre.
*Un remède: La lecture et plus particulièrement de 1930 à 1973, en France, en Russie, en Amérique du sud.
*Un sentiment: de rester dans l’à coté, jamais vraiment au ventre, ou alors pour trop peu de temps.
*Un vent: Le Puelche, le Pampéro, Le Samiel, Le Mistral, froid ou chaud, forcément violent.
*Un vêtement: La dignité
*Un vice: L’espoir, après tout.
Lu : Madrapour
:: 28.02.2004 ::
Décomposez un poème excellent ; désunissez-en toutes les expressions, et faites-en un amas, un chaos. Donnez ce chaos à débrouiller à un écrivain médiocre et de ces parcelles éparses dites-lui de créer à sa fantaisie un monde, un ouvrage ; s'il n'ajoute rien, il est impossible qu'il fasse de tout cela quelque chose qui ne plaise pas. De même, changez l'ordre de toutes les pensées d'un beau discours ; mettez les conséquences avant les principes et ce qui suit avant ce qui doit précéder ; démolissez, ruinez tant qu'il vous plaira : il y aura toujours dans ces matériaux renversés de quoi retenir et satisfaire les regards d'un observateur.
Oui mais moi, je ne sais pas écrire, je n’écris pas comme vous, pas aussi bien, j’essaie, j’aimerais bien, je n’ai pas votre aisance, votre talent, voilà ce qu’on entend, voilà ce que disent certains courriels, et l’on sent bien l’ombre des mythes qui planent pas loin, et, toujours, l’idée de performance, qu'elle soit de blog ou non.

Bien écrire. L’horreur. Bien écrit, l’appréciation terrible déjà sur les copies du collège, très bien écrit est pire. Voulez-vous dire l’ordonnancement propret, l’argument inoxydable, ce quelque chose cadenassé à triple verrou qui ne puisse se contester qu’au fond, et encore, puisque répartition dosée de la forme, puisqu’inébranlable structure ? Bien écrit n’y touchons pas, bien écrit et c’est fini ?

Personnel serait un peu mieux que bien. Touchant serait presque, sensible pas très éloigné peut-être du dessein. Posséder une technique sert la vitesse d’exécution, jamais la qualité. Cette technique, c’est l’acquisition d’un peu de vocabulaire et pas de mots compliqués ni de vocables alambiqués –ceux-là évitent les répétitions et ne se valorisent que dans la paraphrase, faiblesse à laquelle j’incline- et de quelques règles d’articulation dont, d’ailleurs, il est aisé et même souhaitable de s’affranchir pour peu qu’on veuille conserver le lecteur : trop conforme un texte ronronne, se comprend mais ne se démarque pas du tintamarre ambiant, ne se retient donc pas. Ainsi souvent mieux vaut-il fauter, c’est Palissy inventant la porcelaine ou la découverte du livre d'Isaiah grâce à l’abandon d’une chèvre crevée. On saupoudre de ponctuation, question de comment l’on respire, on organise un peu l’avant l’après de manière à jalonner l’idée, point à la ligne.

Vient ensuite la question du talent qui ne se pose qu’en comparaison avec. On a du talent, plus ou moins que tel autre. N’est vraiment talentueux que celui qui n’imite pas son voisin ou qui le pille avec tant de violence qu’alors l’on ne sait plus de la poule, de l’œuf, de la pluie, du beau temps. Cette originalité ou dénaturation, c’est ce qui prend du temps. Car « bien écrire » prend du temps. Comme bien faire la cuisine, bien poser une véranda, bien repasser une liquette ou une culotte de lin (hé-hé). Ce temps est celui de l’introspection, de la pesée, du toucher intérieur, comme pour la peinture, on regarde la chose à décrire pendant plus longtemps que d’ordinaire afin d’y percevoir les concourants à la vraisemblance ou au signifiant. Ce coucher de soleil, cette déclaration d’amour, quoi que ça nous fait dans le dedans de nous, en vrai ? Un coucher de soleil, par exemple est rarement beau pour être honnête, et quand il l’est, il n’est jamais que ça. Celui d’hier soir, par exemple était froid. Sans rire, en février, on se pèle et fallait pas compter sur les trois watts de l’astre pour remédier au problème. Et puis les nuages c’était n’importe quoi, tremblotants, oscillant entre le rose cochon et le violet (parme fait plus savant) pas franc du collier (on dira hypocrite, ou carrément félon). Mais c’était un peu joli tout de même, et pourquoi ? Qu’est ce qui m’a fait croire que ça l’était ? Un truc d’enfant peut-être, un dessin de cabane avec le chat pas loin, un arbre en papier crépon collé sur la feuille (souvenir personnel, angoisse de la copie salopée à grands traits de colle). Ca nous donne : phare d’écailles, lueur gelée en haut charriant en traînes les parme cotons et févriers parjures, le tigre ce soir n’a pas son appétit, il s’endort, ventre creux, il est froid, il est proie et les pourceaux obscurs jaillis depuis la bauge, tout en nuit, tout en crocs, les dents de la froidure le dépècent, le soleil, fruit jadis mûr, désormais orange cueillie dans un verger papier, un jardin de crépon. C’est beau non ? Et c’est à chier, aussi, c’est le risque. Risque qu’il faut prendre, c’est la dernière étape et pas la moindre, celle qui consiste à taire ses complexes.

Pour oser, le truc consiste à contracter le temps qu’on a précédemment laissé s’allonger. Au fond, tout est dit, de toutes les manières et depuis la nuit des temps. Mais tout est fait aussi, tout est mangé, créé, voyagé, baisé, dormi, enfanté, rêvé, vécu, pensé, et mieux que soi encore. Quoi faire de sa peau ? Ouvaton ? Dans quelle étagère ? Rien ne vaut que les questions restant sans réponses, les réponses, c’est la mort en marche et le marbre par-dessus soi (solution définitive aux couchers de soleil). Pour oser, on fait comme pour vivre le reste, le morne, le quotidien, le banal, les conversations cent fois eues, les blagues râpées jusqu’à la moelle. On table rase le passé. On évite de considérer demain. Dans l’instant court et l’ignorance, ça n’a, au fond, pas moins de sens qu’autre chose. Après tout n’était-ce qu’un coucher de soleil, hier soir et, que je sache, personne ne se trouvait à mes cotés pour l’entrevoir.
Lu : Les roses de septembre
:: 27.02.2004 ::
Vieille mare / Une grenouille plonge / Bruit de l'eau
Majestueuse alcine vous ruisselez d'hivers vifs et de l'eau sorcière matin, dedans de la peau, dehors et les yeux et l'éclat pointu, et l'empreinte rousse, et le geste tout en manche par dessus les fers et fontes du chaudron, une peu de la souffrance, un peu de la tristesse, le fard blanchi d'une beauté empruntée une unique seconde, quelqu'autres ingrédients puisés en clef de voûte, à l'ossature, à l'essence, ainsi vous composez.

Remuent, clapotent, bouillonnent sous le boutoir du feu vos alchimies, étonnantes sonances, refrains en croques-tympans, vers dirait-on dépecés de leurs rimes mais c'est dans le bombement qu'elles perlent et puis se peignent, ici c'est trait de souffre et larmes en brisées, là c'est griserie folle et cuir de liesse, enfin l'on emplit les verres, on cogne sur les pianos, on coure, on halète, on s'embrasse, on se manque et on pleure, la nuit peut commencer, les étoiles percer l'étrange obscur du noir jusqu’au bout, des confidences se répondent, enfin le jour peut s'amasser dans nos corps de neuf conquérants, et de la force, et de l'âme, et du fil halé depuis pelotes, c’est une ligne de bus, c’est une place, une ruelle, le frou-frou d’un collier de suc ou d’eau, vous formez d’un mélange de pavés, de silhouettes, de strass, de tags, une robe fait l’affaire, un slogan de radio, il n’y a pas de recettes ni d’épices congrues, c’est seul le tour de main.

Je lis tout, j’apprends au cœur. J’élabore un peu, mauvais copiste. Je renifle les courants venus d’est mais ça ne cligne guère. En attendant, de mes paumes, je couvre et puis protège, je consume doucettement, économe, que vous trouviez au moment du retour de quoi brûler encore.
Lu : Amorphe d'Ottenburg, Dreyfus
:: 26.02.2004 ::
Oublions ces examens qui agissent comme des aimants pernicieux en orientant les efforts vers la " réussite ". En réalité, ils ne sont que des événements anecdotiques, de peu d'importance à côté de l'enjeu essentiel : construire cet outil fabuleux qu'est notre intelligence.
On aura beau récrier, geindre, s'insurger en faux ou je ne sais quoi, oui, il y a une guerre faite à l'intelligence et c'est pas de sitôt, intellectuel, ça craint et depuis un moment encore, si l'on prend peine d'écouter la rue c'est à dire le brouhaha régurgité depuis l'hydre télévisuelle on entend balancé ça, intellectuel, comme pédé, youpin, bougnoule, propos de rue, affirmations depuis peu gouvernementales carrément, il faut bien comprendre que les barons des industries lourdes et des économies croissantes n'aiment pas trop qu'on viennent leur casser les pieds avec des idées, et pour cause : les idées, ça consomme pas son comptant de merdes à valeur ajoutée, les idées ça va pas pointer à sept heures du matin, ça aime pas se démener sur des machines, les idées ça se fout du confort, c'est l'instrument du libre et du temps étiré, alors tu penses bien qu'ils ne vont tout de même pas encourager qui nous sommes à en avoir, faudrait tout de même pas rêver.

On peut le lire dans pas mal d'endroit, ici aussi et depuis le début, on n'invente rien, on se répète et c'est navrant, fatiguant, ennuyeux, désespérant, en encore semble t'il que dans la pétition lancée contre la guerre faite à l'intelligence les inrocks n'évoquent-ils que la dérive politique mais il en est une de fond, sournoise, serpentant dans les médias à gros tirages et dans nos esprits, la question de l'important et de l'accessoire, mais voit-on que le mot culture s'emploie aussi bien pour la terre que la tête ? Voit-on que les mêmes vocables servent au ventre et à l'âme ?

Je rêve d'un autre quatre vingt neuf, à ça ira, ça ira, et aux grilles du palais cette fois-ci, ce ne sera ni pour le pain, ni pour les jeux, mais juste pour qu'on nous rétablisse la lumière, bordel, qu'on remette le jus, qu'on remplace les fusibles, et j'en connais qui feraient bien de s'inquiéter de trouver comment ils occuperont l’ennui d’entre les repas, une fois en geôle, à la Bastille.
Lu : L'orgie
:: 25.02.2004 ::
Comme la religion va de la statue à la théologie, ainsi la pensée va de poésie à prose.
Nous sommes chez nous tout de même : un peu bourgeois, un peu se la jouant l'air de rien dans le social ou l'étalage artiste, nous y avons nos habitudes : lire la presse de gauche, soupirer longuement aux trouvailles dernières des niaiseux qui nous gouvernent, boire du café en planifiant la journée : rendez-vous associatifs, prise de parole en réunion, projet ceci, projet cela, un peu coupables et tentant de beaucoup responsables. C'est famille rassemblée.

Et puis pas tant que ça, cela pourrait être aussi un peu troquet, des étudiants, des chômeurs, de jeunes cadres et la cravate, une population élégante qui trouve de moins en moins ses marques dans ce café à la française (c'est à dire viennois, à peu de choses près) mené comme une boutique de plus en plus libérale, et l'on apprend que le personnel y est viré à l’arbitraire, peu payé, pas du tout considéré, on cherche où possiblement l'on pourrait migrer.

On y fait des rencontres : celles qui n'engagent à rien, celles qui passent le temps, qui resserrent les liens, vous en êtes vous aussi ? Combien avons-nous raison ! Combien y a t'il urgence ! Et puis, aussi, ce type, qui tient leçon des différences entre la droite et la gauche, pressé dans l'argument comptable et la logique à vingt pour cent de plus, la logique à marge, à compétitivité, la logique travailleuse qui s'oppose à l'idée d'assistanat, ce discours, entendu partout, toujours les mêmes conneries : le réalisme, la réalité, la bauge, la fange et la gamelle, l'industrie lourde et l'économie de service, l'il faut y compris si c'est aux dépens de qui nous sommes, de qui sont les gosses, les autres, les immigrés, les femmes, les bureaucrates, les fonctionnaires, de qui nous sommes, nous tous.

Je me découvre maintenant incapable de répondre à cela, de citer des chiffres, des faits, de remonter le fils de l'histoire, des histoires, comment dire : je m'en fous même. Je l'ai dit : ce qui ne sert pas directement notre nature, notre essence d'homme ne m'intéresse pas, ce qui n'est pas directement bon, généreux, sensible, sage, naïf même me parait secondaire, facultatif. Je m'adresse à ton intelligence, pas à celle qui calcule, non, à celle qui te rend aimable, et qui te fait aimer. Au fond ce n'est que cela : suis-je juste ? Patient ? Equitable ? Adorable ? Gentil ? Le reste, je m'en cogne, détails à régler quand j'ai répondu, d'abord, à ces questions, interrogations qui guident très sûrement mes choix. Quoique ayant une certaine attirance pour la tristesse pour sa beauté intrinsèque, je n'ai pas pour vocation première de me nuire. Je ne nie pas mon existence. Je sais ce que je veux : de la couleur, de la douceur, des gens qui rigolent ou qui rêvent, quand je prononce le mot participation c’est pour en prendre mon comptant, pas plus et pas moins que les autres, du travail, oui il faut, non ce n’est pas toujours facile, pas toujours marrant, mais je refuse que quelqu’un d’autre en bave plus que moi, en tire meilleur ou pire profit.

Vient la question des élections, voter. Et cette chanson un peu naze, le bal des oiseaux, comme est un peu navrant mon idéalisme à deux sous. Je vote poète. Mauvais ou bon, c’est selon, et ce n’est pas la question. J’écris. Je lis. De la poésie. Du poétique. De la sagesse bon marché. C’est ce qui me reste de plus cher, et c’est souvent gratuit.
Lu : De casibus virorum illustrium (Malheurs des hommes illustres)
:: 24.02.2004 ::
On peut s'étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l'intelligence. Ce serait oublier le sens et la beauté mathématique, de l'harmonie des nombres et des formes, de l'éloquence géométrique. C'est un véritable sens esthétique que les mathématiciens connaissent. Et c'est bien là de la sensibilité.
Je vous réponds, en retard, ce qui n'est pas si fréquent, moi qui toujours redoute de ne pas compter, que vous m'oubliiez, que vous me laissiez là, inerte, une tâche imprécise de votre mémoire et qui s'effacerait, moi qui, frénétique, me presse de me rappeler à vous, qui fait mon numéro, otarie et ballon coloré sur le nez, un tour, une amusette, quelques lignes de texte, quelques mots fichés les uns aux autres qui disent mon engouement de vous, votre absence et mon attente qui ne se forme pas, je veux dire qu'elle n'exige rien de vous, qu'elle ne vise pas à obtenir, qu'elle est seulement faite de temps passé dans la patiente langueur et le fouillis de mes pensées, dans quelque chose d'extrêmement doux, dans le rêve entier, sans assouvissement, dans la perfection d'une réalité qui ne se réalise jamais, c'est bien comme cela; j'ai senti votre tristesse.

Vous dites m'avoir lu, me lire encore, vous dites être relancée et la musique, et Mallarmé, et l'écriture comme une nourriture du corps, et l'ennui de n'être que pour vous seule. Savez-vous que c'est extraordinaire cela, quand ce journal n'existe que parce que vos mots, que parce que les rondes, les blanches, les croches et quadrilles, la stupéfiante harmonie, plutôt l'intelligence totale, c'est à dire celle sans revanche, celle sans règlements de compte ni preuve à faire de soi, l'hauteur éblouissante (irons-nous à Le Puy en Velay, à Le Mans ?), l'auteur vertigineux, tout ce que j'ai pris de vous ?

Je pense à l'imposture, à la mienne, et si tout cela m'échappait, ou alors au meilleur, peut-être, mais alors suffit-il d'ouvrir une porte, son âme, et si tout cela s'échappait ? Je pense à Nathalie Sarraute, à cette recherche vers la blancheur, ou plutôt vers le blanc, le blanc pur, à cette autorisation de l'aimer, "je vous comprends, et vous en donne le droit", cette citation aussi à propos des fruits d'or : " Un aspect de ce livre, c’est le besoin, et l’impossibilité de saisir dans une œuvre d’art une valeur absolue. Elle se dérobe constamment. Un seul lecteur arrive, à la fin, à établir avec l’œuvre un contact direct, à préserver la fraîcheur intacte de sa sensation, comme s’efforce de le faire l'écrivain."

Voilà longtemps que je n'ai pas écrit, vraiment, ni au ventre de mes carnets, ni au su de tous, dans ce blog, me relire me fait mal, aussi, il n'y a peut-être qu'une texte ou deux dont je ressente la valeur, sinon absolue et tout cas décorative, et c'est déjà pas mal. Dix, vingt, vingt-cinq lignes, pas plus, le reste s'est échappé, m'a échappé, en tous cas ne contient-il pas la justesse nécessaire à dire ce qui pèse, ce qui teinte, ce qui pleure, crie, ce qui fredonne ou bien complainte. Dix, vingt lignes, pas plus, pas de quoi comme Néron déposer une larme au fond d'un soliflore, et si l'on me prend à ça, ce sera de vous lire, pas de me répéter.

Oui, je vous donnerai une contrainte, et une direction. Dans les jours qui viennent, je le promets, et ce serment sera tenu, en attendant, avec une tendre affection et toute l'admiration d'un amateur qui s'éclaire assidûment, je vous embrasse, et vous relis.
Lu : Essai sur la psychologie de l'invention en méthématique
:: 23.02.2004 ::
Les progrès viennent souvent des barbares et rien n'est plus barré que la philosophie des philosophes et la théologie des théologiens.
On dira que j'aurais tout de même pu prévenir, qu'on n'habille pas son blog impunément de frais sans mise en garde préalable, qu'au moins j'aurais pu conserver mon très fameux layout encore une paire d'années, le temps de le roder un peu, que voulez vous, je suis comme ça : impulsif, déraisonnable, quelque peu capricieux. Morbleu, il me semble que la plaisanterie avait malgré tout fait long feu (si les plus courtes sont les meilleures, celle-ci menaçait un jour ou l'autre de tourner au médiocre), il fallait mettre fin aux tortures visuelles que nombre d'entre vous encaissaient sans broncher, d'accord ici se voudrait littéraire, puriste, arguments peu suffisants, fariboles et comptines en vérité, quelques retouches donc, en espérant que vous vous sentiez encore un peu chez vous.

Les habitués noteront pour ce qui concerne l'entrée en cours une certaine légèreté, peut-être même une humeur badine. Je n'en disconviens pas, j'ai mes raisons, qui mesurent à ce jour vingt et un millimètres. C'est peu et c'est énorme, banal, extraordinaire, je pense au maigre que j'ai pu absorber de la relativité, à la balise T dans le calcul de probabilité, selon qu'elle soit absolue ou variable, et puis aux invasions barbares.

Linéairement agaçant (pense t-on démagogue), c'est assez bien joué, guilleret mais c'est l'écriture transversale qui fascine, les plans courts, plus que des étais, en fait le vrai propos du film. On n'y prend pas forcément garde et puis, une à une, les briques prennent leur place, dans la simplicité presque bête du propos se niche une absolue subtilité (oxymore ?), revenir si souvent par exemple à l'héroïne et aux seringues n'est pas qu'un exutoire, cette phrase très courte aussi, dans un bus longeant le lac, "je ne m'habitue pas", situation quelconque et pourtant : tout est dit.

J'ai quelques mois encore mais c'est si compliqué : les renouveaux, les constantes, les faits, les théories, la bonne attitude, tout cela se noyant dans l'allégresse confuse et le néant, encore une fois, je m'accroche à l'immédiateté, et puis, et puis... on verra bien.
Lu : Maternelles
:: 22.02.2004 ::
Le morphinomane a un privilège que personne ne peut lui enlever : sa capacité à vivre totalement seul. Et la solitude, ce sont des pensées importantes, significatives, la contemplation, la sérénité, la sagesse.
Préparer Alger qui se tiendra dans l’importance, c’est plausible, et aussi dans l’allégresse des découvertes, dans la couleur du front de mer, les orangers en fleur, les marchés toute la journée, les bleds, les kibboutz, immobile trop longtemps j’en viens à oublier qu’ailleurs est dissemblable, que le monde n’est pas l’Europe et pas non plus l’occident, par exemple ne parle t’on pas d’amour traditionnellement ici, ce serait manquer par trop de pudeur, par exemple encore lit-on de droite à gauche et cela change bien plus qu’on ne croit : une photo ne sera pas vue de même manière, on n’y remarquera pas les mêmes choses, et puis à l’aube le muezzin, c’est tout de même autre chose que la chronique de France Inter ou l’expectoration usée des culturels auto-conquis de ce qu’admirables sont leurs appréciations de la chose, l’incroyable jeunesse du continent et les bravades comme autant de conquêtes, la peur aussi, le mal des certains et des certitudes, mais il faudra bien que cela cesse, comme ici cesseront nos dérives nouvelles.

Aussi suis-je éreinté, qu’avez-vous ouï de la paille et de la poutre ? Qu’est cette comédie des foulards et des voiles, et puis bordel, pouvez-vous immédiatement contenir votre propension à confondre doléances sémites et bord de droite repentie ? Je compte nombre d’amis juifs et plutôt de gauche ne vous déplaise, pas très content de Sharon non plus, pas plus racistes que moi et certainement bien moins que vous ne l’êtes et si vous êtes pressés comme le sont les faucons de voir arriver l’antéchrist, allez faire cela sur Mars, plus loin si c’est possible et laissez-nous nous arranger des richesses et des beautés du monde : nous en prenons et en prendrons grand soin, mais pas à notre compte, ce qui nous différencie au fond.

En avril, peut-être début mai, Tokyo j’espère, une autre manière encore de former ses lettres, d’autres pigments au jardin, plus de nasales que de consommes dures mais pas moins beau à l’oreille, toutes les splendeurs, comme ailleurs, comme en tous lieux pourvu qu’on garde les yeux ouverts et c’est cela, les mains, les cœurs, les regards, les portes, quand on ne les ferme pas, deviennent des passages qu’empruntent la vie, l’amour, les rire et les larmes, seules sagesses d’être là, en somme.
:: 21.02.2004 ::
Ce qui caractérise ce genre d'êtres, qui sont d'abord un peu fous et qu'on finit par dire complètement aliénés, c'est qu'ils jettent de plus en plus, et sans relâche, les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), et que, simultanément, dans leur tête, les trésors se multiplient aussi vite qu'ils les jettent par la fenêtre (de leur tête). Ils jettent de plus en plus de trésors - dans leur tête il y en a de plus en plus, et, forcément, de plus en plus menaçants, et pour finir, en jetant ainsi les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), ils ne peuvent plus soutenir la cadence, et cette tête finit par éclater.
Quoique largement équipé en haut débit, je n'utilise pas les tuyaux du pair à pair, Kazaa, Edonkey et autres systèmes d'échange de contenu multimédia. Ce n'est ni la peur du gendarme ni une moralité que les prétendues victimes de la manne s'échappant ne possèdent pas plus que les bénéficiares qui m'en empêchent, mais plutôt la question de la multitude que je ne parviens pas à résoudre : plus n'est pas le mot que je préfère, plus me fait peur, je ne comprend pas où va plus, ne discerne pas les objectifs qu'il poursuit, justement plus fait l'objet d'une promotion exaspérante, plus de films, plus de disques, de musique, plus, plus, quand il m'en faut à moi moins, de beaucoup et du meilleur si possible.

Je ne souhaite pas posséder, consommer, acheter, stocker, que cela soit gratuit, semi-payant ou abusivement coûteux ne change rien à l'affaire. Je ne veux pas collectionner, classer, trier, ranger les morceaux de musique comme s'ils ne valaient pas mieux que des babioles, les films tels ustensiles ou boites vides, de toute manière, je suis trop lent, trop hésitant, il me faudrait une vie entière pour faire le tour d'un Kubrick, d'un Lynch ou d'un Resnais, et je découvre encore dans mes vieux disques, Brel, Ferré, Genesis, Bowie, Pixies, Brassens, Mozart, quelques galettes un peu plus alternatives mais le but ici n'est pas de faire catalogue, ce serait même assez contradictoire, n'est-ce pas ?
Lu : Le neveu de Wittgenstein
:: 20.02.2004 ::
Tout l'art du roman vise sans doute à nous tirer d'impatience et à nous composer un plaisir d'attendre qui ne s'use point. Par cette précaution, un bon roman est toujours trop court.
Temporairement peut-être mais indéniablement, en tous cas pourrait-on dire, la différence tient à l'espace, Lyon moins serrée, moins étriquée, chaque chose mieux à son endroit ou son envers : une table est une table et non un guéridon, un canapé accueille plus qu'il ne rejette à une surface qui serait uniquement dessinée, un appartement vous reçois en général et une brasserie pareil, et cætera.

J'ai pris mes habitudes (mes aises) au Chantecler, café bourgeois bohème du quatrième arrondissement et comptant en plus de ma personne nombre d'abrutis du petit matin, ordinateurs dépliés sous le regard, airs inspirés priant que n'expire pas la muse, frappant signes sur signes, lignes sur lignes et dieu sait quoi encore.

Les moins technologiques sont accompagnés d'un carnet, plus/moins épais, dans lesquels ils griffonnent, notent, annotent, font courir la bille ou la mine graphite, des milliers de mots ici tous les jours, des centaines de phrases, autant de paragraphes, de poèmes, de récits, de lettres, de journaux intimes, de commentaires ou considérations en tous genre, de corrections, de confidences, tout à l'heure j'irai à la bibliothèque quérir de quoi me substantifiquement consolider la moelle, des colonnes et rangées de livres, des tonnes d'encre, de papier, de reliures, de titres, de noms d'auteurs, de fiches cartonnées, de parcours thématiques, de classements par genre, par styles, par licences, pourtant nullement impressionné j'écris, vous écrivez, ils écrivent, ne compte que cette combinaison d'espace (le lieu) et de temps (l'instant), je veux dire, vous et moi dans l'oubli, le silence, le plaisir instantané et qui emporte tout.
Lu : Propos de littérature
:: 19.02.2004 ::
On met des fils de fer autour des pelouses pour arrêter les gens qui vont y déposer des statues.
Le petit Nicolas, gentil républicain, héraut de l’intérieur à défaut de n’avoir pas su donner libre cours à une intériorité qui l’aurait peut-être mené sur les traces de Poussin (la belle noiseuse) ou de Taine (origines de la France contemporaine, La Fontaine et ses fables, etc.) s’est rendu à Rillieux, rillettes sous les bras, commune soi-disant à problèmes et commissariat peu amène, pas plus tard que la semaine dernière.

De la croix rousse, quartier Lyonnais autrefois débraillé et maintenant au faîte d’une bourgeoisie nouvelle roulant quatre-quatre teutons et découvrant les joies du loft, du brunch, du fit et puis du pitch, cinq kilomètres pas plus. Le plateau, Caluire, Rillieux, vous y êtes, dans la panade parait-il, dans la fiente, dans la bauge, des deux pieds et du reste, tellement au fond qu’il a même fallu la décider ville pilote de lutte contre la délinquance, ce qui, convenons-en, ne veut rien dire.

Ambiance Kaboul, après la traque. Cherchant les fameux délinquants, je n’ai trouvé que la police, des centaines d’hommes en armes et uniformes, contrôlant chaque check point comme Charlie, chiens menaçants, salle de réunion transformée en bunker, véhicules de patrouille en tous sens, couleurs moches de la guerre, kaki, gris, noir de fumée, un clip de Madonna, et encore, sans musique.

Dans la salle de meeting, Didier Blaha, dont l’action pour l’alphabétisation se poursuit depuis vingt ans dans les quartiers et qui exposait la nécessité de poursuivre cet effort « dans le sens d’une nation de progrès et d’intégration » s’est vu répondre par Monsieur Sarkosy que « le social, c’est bien, mais que les jeunes ont besoin de formation, pas de clubs de poterie »

Minuscule anecdote. Qui rappelle la saillie faite au retour d’un voyage chinois à propos d’une tradition japonaise millénaire : "Comment peut-on être fasciné par ces combats de types obèses aux chignons gominés ? Ce n'est vraiment pas un sport d'intellectuel, le sumo".

Mépris. Rejet des identités, des lettres, de la culture, de l’art, amalgames racistes. Considérons qu’à l’ordre du jour, la question est de déterminer si oui ou non l’homophobie est légalement acceptable. Considérons que c’est le ministre de la culture qui monte au créneau à ce sujet (Jean-Louis Aillagon), comme si l’homosexualité devait forcément s’associer aux arts et lettres, ou réciproquement.

Quelques amis de l’étranger m’écrivent. Depuis le Danemark, l’Espagne, L’Irlande, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Brésil, le Cameroun, le Sénégal, le Costa-Rica, tous demandent ce qui arrive ici, personne ne comprend ce qui se passe, personne ne comprend notre colère, ni ne sait de quoi nous avons peur.
Lu : Les fictions singulières
:: 18.02.2004 ::
La mort sera seulement notre absence.
J’en connais qui n’auraient pas hésité à donner dans le « merci de votre compréhension », même si rien n’est à comprendre et que tout ce qui vaudrait merci tient dans cette effarante manière que nous avons de plier l’échine plutôt que de nous insurger, casque plein pot et tais-toi donc.
D’autres sans doutes auraient mis terme à l’étalage du je, fin de partie, prenant prétexte que plus le temps, plus le courage, je dis moi, ici et maintenant que le blog d’os s’y recolle, que le journal intime repart, qu’on va voir ce qu’on va voir maintenant que ce roman est arrivé à terme, qu’il me faudra sans doute nouer avec le rythme un peu folâtre du printemps et me défaire de la sale manie m’ayant conduit à retoucher une certaine entrée, à demain donc, et pour longtemps.
:: 10.02.2004 ::
Quand nous serons tous coupables, ce sera la démocratie.
Jeune con et insolemment allégé de tous soucis, contraintes et même pensées de quelqu’ordre qu’elles puissent être si seulement, je vais, traversant la ville aux commandes de mon bolide, rejoindre mon frère dans un dessein de varappe affirmé, me coller les bouteilles aux avant-bras, manier du sac à pof et du mousqueton, prendre mon comptant de vols en voies, faire du sport en somme, chose assez récente et plutôt requérant particulier état d’esprit, je veux dire : insouciance, sérénité et peut-être même une certaine mollesse du bulbe qui laisserait l’organisme s’exprimer sans entraves.

Je défile donc de feu en feu jouant des chevaux, et de la boite de vitesses, pour que le compte y soit j’ai aussi : la fenêtre entrouverte et un skud des Pixies, Surfer Rosa & Come On Pilgrim je crois, à fond de volume bien entendu, en tout cas braille-je River Euphrates à tue-tête et à qui mieux-mieux, il est possible que je sois accoutré d’une chemise bûcheron très en vogue chez les dingues de cordées, coiffé à la diable et l’air solidement ahuri mais surtout : je vais dans la ville dans la parfaite ignorance de moi et de l’image donnée, je suis de musique, de vitesse de forces à dépenser.

Lors d’un arrêt plus long que d’autres, mon regard glisse à gauche et c’est Bruce Willis dans la petite Honda de Meideros chantant kangoroo en un air de country forcément imbuvable, et relevant la tête pour découvrir Marcellus Wallace traversant au passage piéton. Une grosse Renault ministérielle, l’occupant un monsieur âgé, connu et ce visage sérieux grisâtre comme le carton des boites de ration de l’armée, crapaud boursouflé qui fait songer au président du tribunal du film the wall. Il me dévisage, longuement, soupire de ce que mon squelette soit encore agité des vocalises de Franck Black et des lignes de basses de Kim Deal. The way you made them suffer, your exquisite wife and mother, fills me with the urge to defecate dit-il, pense t’il, engoncé dans le cuir limousin et la touffeur de sa besogne, je ne lui donne pas tort. Rendez-vous avec mon psy, qui sans doutes se félicite de pouvoir proposer, un peu à la manière de l’église d’hier, un billet pour le paradis mais à tarif de plus adéquate actualité que ne le pratiquait le cher denier du culte.
Lu : Mirgorod
:: 09.02.2004 ::
Rien ne met mieux en valeur la fraîcheur et la gentillesse d'un enfant qu'un vêtement sombre et austère.
J’arrive au bout de ce roman qui sera un peu plus long que je ne l’avais prévu, ce qui devrait redonner un peu de constance aux parutions du blog.
Je sais le ridicule des citations, écrire serait mourir un peu, ce serait souffrir, ça se ferait dans la douleur ou la mise en danger de soi, je ne sais encore quelle baliverne puant la gloriole autoproclamée et la légende en marche, écrire n’est ni souffrir, ni mourir, ni se mettre en danger, c’est le truc le plus naturel du monde, c’est la parole de toute chose en un peu plus lente, c’est aller jusqu’au bout d’une phrase qui nous appartiendrait, au mieux, et cela se fait sans soi, mais à travers ou par.

Tout de même c’est un peu fatiguant, ou le manque d’exercice, je tiens deux heures, pas plus, après cela se délite, cela s’égare dans choses complexes et mal rythmées, il est temps de cesser et de laisser la nuit constituer une prosodie plus précise, un refrain mieux guidé, aussi je manque à ma volonté de laisser ici, tous les jours, quelque chose qui vaille. D’ici quinze jours au plus occuperai-je à nouveau et à plein l’espace d’un os à ronger, merci encore de votre patience, et merci de votre gentillesse.
Lu : Roads from far
:: 08.02.2004 ::
Certes, c'est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme.
Lyon comme toutes les villes de France, y compris les reculées et les bourgades petites, Lyon est rachetée, rue par rue quartiers de plus en plus éloignés du centre ville par quartiers de moins en moins commerçants par les chaînes, les filiales, les franchises, les multinationales de la bouffe, du parfum et de la cosmétique, de l’aménagement d’intérieur et de la téléphonie, des fringues et de la para-pharmacie, des cuiseurs de pain ou de viennoiseries, des fleurs et puis des caves à vins, agences immobilières, boutiques photo, libraires, agitateurs officiels depuis la mondialisation, etc.

Qui possède encore un commerce en son nom, qui de cette part parait-il constituante de l’existence urbaine travaille encore à son compte, décide d’un prix ou d’un salaire, propose un produit choisi ici pour ici ou bien parce que ? Qui reste libre de faire connaître tel spécialité de terroir, tel écrivain pas comme les autres, tel entreprise plus audacieuse ? .

Je vitupère assez souvent l’impulsion d’achat et je tiens pour acquis qu’en dehors de la décroissance consumériste, il n’y aura pas d’existence durable. Ceci étant dit, même les limitant, j’ai encore quelques besoins et je m’énerve de plus en plus souvent de devoir y répondre sans pouvoir tenir compte de qui je suis, de mes aspirations culturelles ou de la posture si pas comme tout le monde que j’aimerais assumer. Aussi, allongeant mes détours et slalomant autour des piquets plantés de la pensée libérale qui dit que l’homme libre, c’est un peu l’homme égal, je m’éloigne des commerces et puis des tiroirs-caisses. N’est-ce pas malséant, au plan de la citoyenneté ?
Lu : Le nez
:: 07.02.2004 ::
Dans un plan, par un point extérieur à une droite, on peut mener une parallèle à cette droite, et on ne peut en mener qu'une.
Il est dit que les fêtes s’écrivent plus qu’elles ne se serrent dans vos bras, dans les miens, il est dit qu’au moment peut-être, et par un laps électronique, mais de lieux non, c’est un peu de ma faute.

J’aurais du n’écouter que l’essentiel désir, faire sourde oreille au reste, la raison, la sagesse, tous ces travers qui empêchent le pas d’être danse ou entrechat, arriver ce matin par Haneda ou bien Bõsõ, aller jusqu’où vous êtes, je vous aurais cherchée du coté d’un certain ordonnancement du chiffre sept au centre de Ginkaku-Ji, ou mouillant le pli d’un kimono forcément pourpre aux neiges tombées pour la nouvelle année, vous m’auriez entraîné au centre du réseau complexe, le corps, le cœur, les artères de la ville dense, jusqu’à la nuit, jusqu’au jour. Nous aurions parlé, bu beaucoup, mangé un peu, guetté un métro, aurions ri de la musique et peut-être appris d’une certaine calligraphie que si un pinceau ne se laisse pas si aisément dompter, l’encre au moins s’attache aux doigts, qu’elle est fidèle, tenace, épaisse comme le silence et puis complice aussi, en bonne camarade.

Le printemps ici prend, porte, détient un sens particulier, aujourd’hui il est vôtre. D’ici mai, il me faudra tenir promesse, comme présent vous choisirez : un haïku prononcé au sommet du Fuji, une fille à peau de soie choisie dans le meilleur bordel de la ville et que nous aimerons ensemble, un livre de papier mûrier venu d’Hokkaidõ, une estampe de Buncho, tout cela en plus des cieux mousson s’abattant dès l’été en fabuleuses tristesses, en torches de gris et noirs, en nattes longues par-dessus toutes îles, toutes rizières, il vous faut rester jusque là, il me faut vous rejoindre et tendre la main à ça, vous verrez, et vous adorerez.
Lu : Martin Eden
:: 06.02.2004 ::
Pourquoi ont-ils tué Jaurés ?
On peut dire, les voyant, voici les nouveaux voyous, voilà les larvaires lentes lippant à longues lapées la lymphe des loyautés, les souteneurs des Bédier, des Juppé, de jeunes gens très comme il faut, tronches avinées et joies pathétiques hurlant le nom de leurs héros, Bédier Mandela, Juppé le Che, mais les foules souvent sont sottes, qu’elles se battent, qu’elles portent en triomphe, les foules ignorent et si parfois elles tiennent, jamais elles n’aboutissent.

Où l’on s’étonne, c’est de voir qu’on a glissé jusqu’au retour de ce qu’on croyait éteint, parti pour toujours, les idoles sont vivantes, elles se prêtent, et volontiers encore, au piédestal, aux fastes du trône, on revoit d’immenses Staline et gigantesques Mussolini prenant bains de peuple et serrant paumes, petites filles et bouquets de triomphe en brassées impudiques, ce qui m’étonne, ce n’est pas tant de voir en liesse les nabots de l’ump scandant comme au parc des princes ou au stade de Berlin leurs espoirs et leurs haines que d’assister au spectacle que donnent les maîtres, souriants, détendus, bottant sans vergogne les fondements républicains, marchant dedans, et du pied gauche, des fois que cela leur porterait bonheur.
Lu : journal littéraire de Paul Léautaud
:: 05.02.2004 ::
Et si de probité tout était revêtu/Si tous les cœurs étaient francs, justes et dociles/La plupart des vertus nous seraient inutiles/Puisqu'on en met l'usage à pouvoir sans ennui/Supporter, dans nos droits, l'injustice d'autrui.
Hackers, hijackers, vilains pirates en informatique, défaceurs et spammeurs, grands pourvoyeurs de virus à deux balles aussi voyants que le nez de clown planté au milieux de leurs pâles figures, foule muette terrée dans les fonds de garage parfois, mais plus souvent dans le confort douillet des écoles à papa, gueules bronzées par les écrans plats, le nouveau soleil vert, elle est belle la révolution en marche, elles sont vigoureuses les insurrections, ils sont beaux les motifs et les combats, et tellement utiles !

Quelle différence entre le tambourinage à vos portes de TF1, du cul, du cul, et tant qu’à faire, du cul, et les efforts faits pour viagra, and a bigger penis and teens with pets ? Quelle différence entre le lobbying forcené des labos tentant d’imposer la réclame de leurs molécules aux heures de grande écoute et les dizaines de mails par jour, passionnément passionnants qui vous proposent médicaments à prix réduits, et assommoirs bons marchés ?
Voilà ou se situe l’écart entre les mots et puis la chair des choses, je ne connais qu’un seul moyen de les faire cohabiter, finalement, s’appliquant à elle-même cette vertu parait aussi un peu moins louche, je parle de probité.
Lu : pensées de Charles Peguy
:: 04.02.2004 ::
Mais qui peut pénétrer l'intimité des êtres ? Seigneur, la distance est moins longue du regard à l'étoile que de l'œil du dehors à la vie du dedans !
Je m'étonne et découvre, à chaque fois l'existence hors de soi, le jour de cet employé de voirie ou le quotidien à servir dans un magasin d'articles pour intérieurs, et ma voisine du troisième vivant seule avec son petit garçon "j'ai un petit garçon" m'a t'elle dit, rosissant en mère de toutes les fleurs et jardinière incroyable, ce couple très vieux qui tous les jours à la même table, à la même heure et un volubile silence, quel passé, quels souvenirs, quelles préhensions du monde qu'on croit toujours à soi quand l'on n'en a pas même un tout petit morceau, le tout nous échappant complètement, et encore, ici avons-nous un référentiel commun, mais en Tanzanie, à Nagoya, Varanasi ou dans la jungle plus inouï encore, inconcevable de nos raisons et de nos sens, les merveilles, les horreurs, la dureté et ce qui est léger, au Laos, en Mauritanie, au cœur de l'Aveyron ou bien de Bourg en Bresse, toutes ces essences qui se complètent, se télescopent, s'enchevêtrent, sans lesquelles nous-mêmes ne sommes rien ou à peu près.

Rien, je ne suis rien et c'est bien plus souvent avançant dans les foules, captant un regard, un sourire, une ride, une moue que devant l'océan ou bien sous les étoiles.
Lu : paramour
:: 03.02.2004 ::
N'importe qui se sauve par le sommeil, n'importe qui a du génie en dormant: point de différence entre les rêves d'un boucher et ceux d'un poète. Mais notre clairvoyance ne saurait tolérer qu'une telle merveille dure, ni que l'inspiration soit mise à la portée de tous: le jour nous retire les dons que la nuit nous dispense.
Pourtant l’écriture semble plutôt sûre et assez belle, parfois même elle ravit, il y a par exemple le début de que ma joie demeure dans une nuit glaciale et toute la voie lactée, la solitude, la plainte des terres déchirées à l’outil, gelées, la belle simplicité d’un labeur et du labour, une lutte, tragique, difficile, immédiate et pourtant de tous les jours, le sang comme les larmes et scintillent comme autant d’immense les autres mondes, rêvés, perdus, d’ailleurs, il y a la tresse du choléra vissée au fond des corps bleuissants, et la forêt, il y l’eau tombant folle, immanente, il y a quelque chose venu des quatre cardinaux, du hussard sur le toit il y avait matière et Giono la malaxe plutôt de façon fière.

Et puis il y a Rappeneau. Les prises à cent à l’heure, la propension maniaque à toujours avoir figurants et calèches s’agitant dans le fond, les visages-trois-secondes, les dialogues brisés action ! Action ! Les mouvements de caméras compliqués, les superpositions de plans en couches pâtissières, les personnages survenus d’on ne sait où et déjà repartis, les accessoires à qui mieux-mieux plein le champs, plein le plateau, les mimiques grotesques se succédant les unes aux autres, la photographie prétentieuse jetée en pleine gueule comme une leçon de technicien, ce massacre, cette boucherie organisée de toute œuvre, de tout beau, de tout simple, au nombre des pollueurs, hormis les fossoyeurs commettant basses œuvres dans des manoirs de Bel Air ou de Beverly, nous avons Rappeneau qui d’ailleurs s’était commis atrocement dans le l’exaspérant « bon voyage » et massacrer un rôle que tiendrait Isabelle Adjani, c’est déjà une performance même si on n’a pas envie de l’applaudir.
Lu : la tentation d'exister
:: 02.02.2004 ::
La solitude Maraud, c'est quand on a plein de monde autour de soi puis qu'on aime personne et qu'on est aimé de personne. Puis qu'on aime plus rien. Ça, ça doit être épouvantable. Puis le pire c'est qu'on peut attraper ça jeune. Vieillard à vingt ans, tu sais, c'est pas drôle.
Charmant, flatteur, extrêmement gentil, peut-être même sincère, pourtant je ne voudrais embobiner personne.
Je reçois ça et là quelques compliments si directs, si droits au cœur, vraiment, je l’assure, cela me donne immense plaisir d’en procurer un peu, et puis cela tombe bien, ici s’écrit souvent aux fins d’occasionner cela, pour le plaisir des mots, pour le plaisir d’une adroite tournure ou d’une ribote jolie, bibelot d’inanité, oui, mais sonore, pour que jusqu’en certaines bouches se mêlent ma langue, mon souffle, que claquent quelques baisers, quelques syllabes, je m’enchante d’enchanter et je dois avouer : même la tristesse dite, même le désespoir étalé là -sans assez de continence, de chasteté mais sans fard- prétend au tendre, conspire et complote aux fins de l’agrément, tant mieux si cela est, tant mieux, vraiment.
Mais il faut dire aussi. Que souvent la tentation est forte de lire l’écrivain comme on lirait sa prose, d’aimer le musicien comme la portée et la partition, de voir le peintre dans sa peinture même si aucun autoportrait qui compose son catalogue, qu’on couple naturellement, sans malice d’ailleurs, l’artisanat et le faiseur, l’accompli et l’essence.
L’ai-je dit ? Je ne m’en souviens pas, et sûrement si je l’ai fait ce n’était pas assez. Je, au fond, derrière les stucs et les lavis, suis affreusement banal, je suis un type rustre, grossier, absolument commun et peut-être même moins, je me débats dans le vil et le laid, toujours, mes aspirations sont sans hauteur aucune, je remplis mes placards, de peur de manquer, j’ai ce besoin de confort et de sécurité, je suis mu par quantités d’affres et frustrations de tous les instants, si j’ai choisi d’écrire, de voyager ou que sais-je c’est que j’ai peur, peut-être plus que ceux dont l’acceptation du morne et du las fait au moins foi comme preuve de sagesse, j’ai peur de n’être pas vu, pas assez, pas aimé, pas admiré, reconnu, ma philosophie finalement participe du même égoïsme contrit que ma soi disant philanthropie, j’ai de bien petites gloires et d’excédants triomphes, suis pétri de désirs graveleux et d’une libido forcément déçue, je coure vers ma mort en exposant mon bon plaisir, je ne crois en rien sinon en l’instant joui à plein et qu’après le déluge.
Lu : Ubu enchaîné
:: 01.02.2004 ::
Il y a des femmes qui, nées vives et charmantes, sont éteintes en quelques mois par un mari. Leurs idées sont traitées par lui avec tant de mépris et de hauteur qu'elles en viennent à douter d'elles-mêmes ; les voilà timides, ombrageuses, avec des airs tristes et battus. Il faudra bien du tact à leur premier amant pour leur rendre la confiance.
Sale loup oublieux, ignorant, petit plagiaire peu scrupuleux, profaneur punissable, j’ai omis par impéritie de préciser l’origine du sondage de pratiques partiellement reproduit sur ce blog il y a deux ou trois jours (post du 29.01). Vertement tancé par l’auteur et sommé de préciser mes sources sous peines des plus épouvantables poursuites, honteux d’avoir plagié, pillé, torpillé et même été jusqu’à travestir l’œuvre originale en intervenant sur son contenu (celle-ci ayant été rédigée dans une langue située à mi-chemin entre celle fleurissant nos textos et une autre, moins intelligible encore mais néanmoins vivante), il me faut réparer, expier, me blâmer, déplorer.
Le questionnaire original a donc été rédigé par un beau jour du mois d’octobre par une jeune femme que je n’ai pas le bonheur de connaître encore et répondant au nom de Lou. Diariste à ses heures, ma nouvelle future amie et déjà honorable confrère, Lou, tient un journal en ligne qu’on pourra découvrir et apprécier comme il se doit. ( Le journal de Lou)
Je tiens ici à exprimer ma plus vive consternation quant à ma propre attitude, j’ignorais, chère Lou, que le questionnaire fut de vous, je vous prie d’accepter mes excuses empressées et vous propose, afin de laver votre honneur bafoué, de trouver ensemble et sur un plan beaucoup plus physique que ne le permet Internet, les réponses que nous apporterions aux troublantes interrogations de votre questionnaire.
Lu : de la conversation
:: 31.01.2004 ::
Quel chien vorace est-ce donc que le néant ? Faut-il qu'il nous prenne jour par jour cette vie si courte dont la totalité lui appartient tôt ou tard ?
Il est bavard, surexcité, tenant haut le pavé, la dragée ou que sais-je au beau milieu de ce café branché, frisottant en mouton sorti de sentinelle (Arnaud Desplechin) ou d’à nous les petites anglaises (Michel Lang), l’on n’entend rien d’autre que lui à dix lieux alentour. Fumant Dunhill sur Dunhill, revenant du Gabon, l’air détendu, amis autour, famille, le timbre classieusement voilé de sa voix portant, couvrant, tranchant, il débite anecdotes ineptes sur historiettes crasses, entraînant dans son crétin sillage les cascades d’un rire convenu ou d’un gloussement circonstanciel, l’on apprend au passage qu’il grossit les rangs des élèves d’HEC.
Je l’ignore d’abord. Puis ce n’est plus possible. Je me lève, l’approche, lève la main comme au temps des romains, tout le mode s’arrête, et puis, finalement, lui aussi, en soi c’est un miracle. Un miracle de silence. Je déclame « oh, temps, suspend ton vol » ce qui provoque éclats de rire et soulagement. Sans attendre de réponse, je pars en me capant, prenant soin d’augmenter ma harangue soudaine de ce sophisme niaiseux appris de la bouche d’un épicier afghan : « un pigeon à qui l’on donne du grain et qui continue d’aboyer n’est peut être pas un pigeon. C’est peut-être bien un chien. »
Lu : le roman par lettres
:: 30.01.2004 ::
La souffrance est lâche: elle recule devant la puissance du vouloir-vivre qui est ancré plus fortement dans notre chair que toute la passion de mort ne l'est dans notre esprit.
Tout le long du retour je pense encore à elle. Depuis mon arrivée à la Croix-Rousse il y a quelques mois, quartier des canuts, des gones et puis du pot lyonnais, je l'ai rencontrée à deux, peut-être trois reprises, autant de beaucoup trop. C'est inexplicable, vraiment. Hier soir donc, chien et loup, crépuscule violacé, foule pressée entre bureaux et magasins, un trottoir trop peu large nous force à la rencontre, confrontation plutôt. Des chandelles de glace en lieu et place d'artères. Mon sang se boise. Mes membres défèquent une brusque exhalaison de peur. Fatale accélération cardiaque, l'air me manque.
Elle se jette comme une torpille sur moi, s'harponne à mon bras et dit "j'ai vu héros dimanche, il faut absolument que tu ailles le voir", j'essaie de me libérer sans comprendre, surtout éviter ses yeux de Gorgone, éviter qu'elle ne me fige là, obligé que je serais d'entendre l'insupportable timbre qui accompagne ses gestes désordonnées et ses frénétiques hochements de mine. Mais elle penche la tête, regarde par en dessous et bloque ma tentative de fuite. Et M. ça va demande t'elle, quelque chose dans la plastique du visage absolument cinglé, comme si on la torturait immensément de l'intérieur mais sans qu'elle en souffre, M. ça va je lance, tentant de me dégager de plus belle. Est-elle laide ? Difforme ? Sent-elle particulièrement mauvais ? Rien de tout cela, elle ne ressemble pas non plus à quelqu'un que je connaisse et dont j'aurais mauvais souvenir, j'estime être, une fois dégagé de l'épouvantable étreinte comme un poisson sauvé du filet, quinze bonnes minutes plus tard je n'ai toujours pas recouvert l'impassibilité qui me sert de mise quand j'affronte le boulevard, par chance, une seconde me suffit plus souvent à tomber amoureux qu'à abhorrer quelqu'un.
Lu : passage allant probablement sauter dans la version finale
:: 29.01.2004 ::
Ah ! quand l'intérêt personnel ne nous arme point les unes contre les autres, nous sommes toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé, contre ce fier, terrible... et pourtant un peu nigaud de sexe masculin.
Un questionnaire par an, voilà qui n'est pas trop, et puis c'était de mode, même Proust s'en amusa en son temps.

# Tu es plutôt string, boxer ou petite culotte normale ?
-Croyez bien que je sois confus, et même honteux de ne pas comprendre la question. Suis-je plutôt entrée ou bien dessert ? Cette contraction là, à chaque fois me navre. S'il s'agit de musique, je suis plutôt éclectique, je préfère les chats aux chiens quoique l'espèce animale me déçoive en raison de la trop grande proximité qu'elle entretient avec la race des hommes; quant aux sous-vêtements, je n'ai aucun critère particulier si ce n'est que quand vous les portez, je chavire, je me damne.
# Quelle est ta position préférée ?
-J'aime assez contenir mes avis et opinions. Mes positions ne m'intéressent pas, de fait je n'entends pas les faire partager ou alors elles m'échappent, être convaincu, être mort, frontières inexistantes.
# Que refuses-tu de faire à ta partenaire ?
-L'affront de la fidélité.
# Es-tu plutôt porté sur le sexe, cela n'a pas d'importance, tu y penses tout le temps, tu ne saurais pas vivre sans avoir ta dose ?
-Très bien très bien, la formule du jour me conviendra très bien, je vais prendre ça.
# Dit-on de toi que tu es chaud ?
-Personne ne dit de moi. L'on m'oublie vite et c'est tant mieux. Si quelque chose est dit, c'est de la conjonction d'un instant avec une illusion.
# T'es-tu déjà fait payer pour le sexe ?
-A chaque fois quoi qu'on en dise, quelle que soit la monnaie d'échange. Vous ai-je dit attendre l'amour fou ?
# As-tu déjà payé pour le sexe ?
-Voir réponse précédente
# Fais-tu des rêves érotiques et si oui lesquels ?
-Je ne suis que ceux-là, et ne sais pas trancher entre ces rêves là, et d'autres, disons que je navigue dans une altération continue de la réalité.
# Regardes-tu les films X?
-Comme "sur la route de Madison" ou "le cercle des poètes disparus" ? Non, je les déteste.
# Qu'à tu déjà fais de pire sexuellement parlant ?
-Oublier d'être aimé.
# Aimes-tu les préliminaires ?
-En ceci que tout prépare, conduit à la mort, qu'elle soit petite ou pas, oui, et non.
# Lesquels ?
-Les contes racontés dans la pénombre, un excellent verre de bordeaux, l'odeur inouïe de la soie et des nuits de juillet.
# Quel est ton fantasme le plus honteux ?
-Être aimé pour qui je suis.
# Quel est la fille qui te faisait fantasmer quand tu étais jeune ?
-Vous, et même sans vous connaître encore.
# Que serais-tu prêt à faire pour satisfaire les appétits sexuels de ta partenaire ?
-A m'abandonner, tout entier, à l'ivresse de l'amour.
# Saurais-tu avoir des relations sexuelles sans amour ?
-Oui, bien sûr. Assurément non.
# Saurais-tu avoir une relation amoureuse sans sexe ?
-C'est presque toujours le cas.
# Quelle est la pire histoire que tu aies déjà entendue sur les déviances sexuelles ? Est ce que ça te fais peur ?
-Il est dit que certains font ce qui est communément admis, alors que cela ne leur correspond pas. Cela me terrorise.
# Parles-tu pendant l'acte ?
-Je parle tout le temps, sauf quand je fais silence. Il faut temps et patience pour apprendre cela.
# Aimes-tu qu'on te parle pendant l'acte ?
-Je n'aime pas qu'on me parle, je préfère qu'on se dise.
# A quoi as-tu déjà pensé en faisant l'amour, de plus marrant, de plus honteux...
-A ce vers de Vadim Kozovoï "Entre deux points de douleur, la poésie est la voie la plus courte. Courte tellement qu’à son coup solitaire tombe décapité le temps"
# Préfères-tu le sexe plutôt hard ou le sexe plutôt érotique et très doux ?
-Je n'ai aucune préférences qui seraient autres que celles de mes partenaires. Il m'est même possible de me prêter au jeu du pouvoir, ci celui-là n'a pour objectif que le seul plaisir.
# Quand as-tu eu ta première relation sexuelle ?
-Uniquement sexuelle ? Cela ne m'est pas encore arrivé.
# Est-ce que ça s'est bien passé ?
-Je doute du fait que cela se passe, sait-on jamais ? Comment affirmer que ce serait bien moi ?
# Au sujet du sexe, que ne savais-tu pas faire avant et que tu sais faire maintenant ?
-Je n'ai rien appris encore, j'aimerais savoir entendre.
Lu : 1000 morceaux d'angèle
:: 28.01.2004 ::
On supporterait tellement mieux nos contemporains s'ils pouvaient de temps en temps changer de museau. Mais non, le menu ne change pas. Toujours la même fricassée.

lé 1venteur

Il son venu lé foréstié 2 l'otre versan, lé 1conu 2 ns, lé rebel à ns usage.
I son venu nombreu.
Leur troupe é aparu à la ligne 2 partage dé cèdre
E du cham 2 la vieil moisson désormé irigué et vér.
La longue marche lé avé échofé.
Leur casket cacé sr lé ieu é leur pié fourbu se posé ds le vague.
I ns on apéçus é se sont arété.
Visiblemnt il ne présumé ps ns trouvé la,
Sur dé tére facil é ds sillon bien clo,
Tt à fé 1soucian d'1 odience.
Ns avs levé le fron et lé avon encouraG.
Le + diser c aproché, puis 1 second tt ossi déraciné é len.
Ns som venu, dir-ils, vs prévenir 2 l'arivé prochéne 2 l'ouragan,
2 votre implacable advésair.
Pas + ke vs, ns ne le conéçon
Otremen ke par dé relation é dé confidenS d'ancétr.
Mé pourkoi som-ns heureux 1compréhensiblemnt devan vs é soud1 pareil à dé enfan?
Ns avon di merci é lé avon conGdié.
Mé oparavan ils on bu, é leur m1 tremblé, é leur yeu rié sr lé bor.
Home d'arbre et 2 cogné, capable 2 tenir téte à kelke téreur
mé inapte à conduir l'o, à aligné dé bâtisS, à lé enduir 2 couleur plésante,
Ils ignoré le jard1 d'iver é l'économie 2 la joi.
Certe, ns orion pu lé conv1cr é lé conkérir,
Car l'angoiss 2 l'ouragan é émouvante.
Oui, l'ouragan allé biento venir;
Mé cela valé-t'il la péne ke l'on en parla é k'on déranja l'avenir?
Là où ns som, il n'y a pa 2 cr1te urgente.

Conclusion numéro un : le sms, c'est pas plus rapide à écrire, même si le poéme n'est pas de vous (en l'occurence, René Char)
Conclusion numéro deux : on n'en obtient même pas la garantie de ne pas y faire de fautes d'orthographe.
Conclusion numéro trois : c'est moche à mourir.
Décision : j'interdis à quiconque de continuer à spamer mon téléphone portable avec de telles horreurs. Me suis-je bien fait comprendre ?
Lu : Le jardin des muses
:: 27.01.2004 ::
Logique n. Art de penser et de raisonner en strict accord avec les limitations et les incapacités de l'humaine incompréhension. Toute la logique est basée sur le syllogisme, qui présente une proposition majeure, une proposition mineure et une conclusion - ainsi : Proposition Majeure : Soixante hommes peuvent faire un ouvrage en soixante fois moins de temps qu'un seul homme. Proposition Mineure :Un homme peut creuser un trou pour un poteau en soixante seconde ; donc - Conclusion : Soixante hommes peuvent creuser un trou pour un poteau en une seconde. Cela peut prendre le nom de syllogisme arithmétique, dans lequel, en combinant la logique et la mathématique, nous jouissons d'une double certitude et sommes deux fois comblés de bonheur.
Budapest, j'en ai eu marre, assez, voilà ce que je n'en ai pas dit, des voyages encore, du déracinement, du loin de chez moi ou de ce qu'il en reste, encore ces autres langues et cet anglais pointu pétri de r roulés, de n'être pas assis au coin de l'âtre et entouré de mes amis de quelqu'un que je connaisse un peu et les voyages, aussi, c'est cela, le détachement, bien sûr, les bagages plus légers, l'inconstance, l'inconséquence, mais aussi, la rupture, le brisement, la discontinuité, est-ce bien une activité d'hiver quand parfois il est si commode, bienfaisant de se rapetasser dans la tiédeur du foyer, chocolat chaud, film préféré, peau aimée contre la sienne, voix des amis au téléphone ou assise dans un canapé, objets du quotidien, inutiles, encombrants mais dans la paume de la main, des repères peut-être, une façon d'ancre ?
Bien sûr les thermes, le Balaton gelé comme il se doit et moi Hans et Gretel à moi tout seul glissant sur mes patins d'argent, bien sûr embrasser une fille à l'abri des lambris du château de Buda et faire tourner encore, comme une scie, une spirale tous les romans de Kafka, bien sûr la poche lourde de Forint, monnaie absurde se décomposant en tonnes de pièces inutilisables, les joueurs d'échecs, partout, les eaux du Danube, la mer noire si proche que l'on peut presque emprunter à pied tellement de densité, le pont des chaînes, le bastion des pécheurs, tous ces points touristiques qu'il faut connaître, avoir vu, et ce que vous ramenez d'ineffable, dont personne ne parle, l'odeur du paprika partout présente, les couleurs, une drôle de vibration qui tremble le nerf, de l'optique aux fourmillements des jambes, ce froid terrible, ces contrastes dantesques.
Surface, profondeur, jamais les deux. Admettons qu'il me faille, pour une fois plonger plus qu'effleurer.
Lu : On achéve bien les chevaux
:: 26.01.2004 ::
C'est une duperie que de s'efforcer d'être bon. Il faut naître bon, ou ne s'en mêler jamais.
Elle rentre gaiement et ce n'est pas si souvent, j'entends un bonsoir qui chante, en tout cas qui chantonne et je vois bien aux ouvertures des portes ou scellement des tiroirs, à sa façon de poser son manteau, de dénouer chaussures et rubans des paquets libraires, à toute cette interprétation du rituel du retour au logis, je vois bien que quelque chose a changé, qu'un trait a été tiré, une ardoise effacée, elle dit tu m'inviterais pas au restaurant des fois, et tu penses bien que je vais pas laisser filer l'occasion, que plutôt deux fois qu'une, laisse-moi juste choisir l'endroit, choisir celui là que nous aimions tant, celui là où tu m'as dit que si bon, si subtil que pareil qu'un orgasme, et puis un verre de vin, et puis le temps pour nous, celui de nous défaire de nos mauvaises manies accumulées depuis deux ou trois semaines de ne plus du tout nous parler.
Elle dit un truc, à voix basse, justement à propos du verre de vin et je m'étrangle autant que je pleure, je rigole, je sens sourdre au fond de moi quelque chose de parfaitement inédit, c'est à nous ce truc là, ni chaud ni froid mais super étonnant, et c'est l'électricité qui gagne mon corps, mes membres, mon cœur, ma voix, je bégaie, j'essuie mes yeux du revers de la main ce qui ne sert à rien, je sanglote bêtement, j'ai du pain sur la planche et jusqu'au 15 février pour livrer mon roman.
Lu : Colomb de la lune
:: 25.01.2004 ::
Un jour, elles partent. Le jour où tout vous devient clair, le jour où vous voyez que vous n'avez jamais aimé qu'elles, que vous mourrez si une minute elles partaient, ce jour-là, elles partent.
Je m'impose une discipline en pointes, limaille, ferrets, éperons, tout ce qui peut faire avancer même si dur, même si rouillé, même si petit rat épuisé de figures et de barres, de saltos et de grands écarts, mon roman automatiquement avance, c'est une machine lancée à pleine vitesse, un bolide mais qui me laisse exsangue, épuisé, sec et plus un mot pour ici.
Ce n'est pas la même langue, d'abord, il est difficile de tanguer de l'une à l'autre, celle utilisée est beaucoup plus orale, sonore et se moins voulant mélodique, elle est sèche, pratique, grossière, emportée, c'est celle de la colère sans souffle ni recueillement, c'est celle qui se travaille à la tenaille, au chalumeau, revenir ensuite de cela pour paumoyer en festons et ravaudages, ourler dans la dentelle fut-elle de mauvais goût n'est pas chose facile, autant dire même que j'échoue.
Ce n'est pas même sujet, ou plutôt c'est volontairement tournant autour de nombre restreint, et puis chronologique, et puis servant une cohérence ou en tous cas son apparence, et cela forme prisme. Malaisé de revenir ici griffonner de rien ou de n'importe quoi.
Je pense à vous. A vous qui revenez, à vous qui êtes partie, j'ai envie de noter ce qu'il advient de mes journées et vous le raconter, les giboulées de gris et la journée se fuselant aux pourpres un peu plus tard chaque soir, le printemps à même de se bientôt gagner, minutes après minutes et l'espoir qui gonfle, je compte les jours, cinq, quatre, trois, jusqu'à peut-être vous souhaiter heureuse quoiqu'un peu plus âgée, j'étais hier soir chez D. et A. qui donnaient réception et j'aurais bien aimé vous faire faire quelques tours sur vous même, vous entendre me dire le ridicule des textes placés sous les photos quand celles-ci, déjà, sont inaptes à nous dire.
Lu : A l'intérieur du chien
:: 24.01.2004 ::
Entre la raison et le rasoir, il y a probablement une profonde complicité. La raison se dit fine et incisive. Elle prétend à la précision chirurgicale.
A dire vrai, Anselme G. n'avait d'autre que sa plume. Et encore. Plume au sens concret, réel des humains, eut pu sembler sonner comme dénomination excessivement poétique pour désigner ce qui, la plupart du temps, lui tenait lieu de prolongation scribe : un vulgaire hexaèdre de plastique à la transparence circonscrite par endroits, bille rétive, capuchon perdu, bouchon anti-salivaire gobé depuis longtemps, fleur de poubelle mâchée jusqu'à la carotide, plus que plume l'observateur aurait dit machouillis de polycarbonate, régurgitation bouillie d'encre, de glaires et de matières diverses quoique très sûrement modernes. C'est de cet improbable instrument qu'Anselme G., aux bords d'à peu près tout ce qu'on pouvait couvrir rédigeait quelques unes des plus noires phrases du monde.
Si Anselme G. avait été un monument -lui croyait l'être, les autres ne s'intéressaient que peu aux questions de l'architecture- on aurait lu, gravée à même le frontispice l'ornant modestement, cette prière " de vingt vers, faire tressaillir les cœurs", mais puisque Anselme G. était de chair, l'on ne lisait rien de plus que ce qu'il n'écrivait déjà, c'est à dire à peu près rien qui soit lisible et surtout rien qu'on ne doive retenir. Anselme G. qui n'avait ni pudeur surannée, ni crainte du ridicule un beau jour publia. L'on devrait dire combien de portes forcées, combien d'éditeurs goguenards, combien d'années perdues à s'obstiner avant que ne lui soit attribué un numéro ISBN. Fiérot, Anselme ensuite procréa, planta un arbre, mourut. Qui se souvient d'Anselme G ? Les anges ? Dieu ? Sa famille depuis ventilée dans le siècle ? Vous, peut-être ? La terre où s'emmêlent les racines du chêne dressé ? Même pas, celle-ci sert depuis vingt ans à accueillir un rutilant parking ouvrant ses colonnes et rangées aux chalands du samedi. Connaissant l'histoire, on comprendra mieux ma lenteur à acquiescer aux conditions précisées dans une liasse de papier, rue de Vaugirard ou place du Luxembourg.
Lu : La gloire de Cassiodore
:: 23.01.2004 ::
C'est tellement rare, c'est tellement improbable, c'est tellement miraculeux que c'est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu'un qui écoute.
Une lectrice m'informe qu'un vilain libéral, notant de bric et broc l'engagement gauchiste de tel ou tel blog n'a pas voulu m'inclure dans sa liste de blogs gauchistes, au prétexte qu'ici ne serait pas assez engagé, mieux, qu'il n'y aurait pas de titres, et donc pas de sujets. Moi qui me targue si volontiers d'en remontrer à d'autre quand il s'agit de manier le lexique ou le précis de grammaire (on a les prétentions qu'on peut, les miennes ne dépassent pas le mur de la cour dans laquelle je m'épave le plus fréquemment), me voilà tout empêtré, tout gêné aux entournures car ne comprenant vraiment ni cette dénonciation, ni l'argument du droitier. Fichtre diantre. Bigre même.
Gauchiste, libéral. Quelqu'un peut me rappeler l'heure ? Quel siècle ? Ces choses là existent encore ? Moi qui naïvement pensais qu'il ne restait plus que des gens de bien, moi qui croyais que les camps étaient disparus et laissaient place à une belle fraternité ou chacun, pensant un peu plus clairement que son prochain, se chargerait de l'éduquer aux règles du mieux vivre et du plus justement. Ceux qui se baptisent libéraux ne feraient-ils pas mieux de s'autoproclamer hommes libres ? et les gauchistes ? Qui encore voudrait qu'on l'assimile à cette fratrie qui n'a rien à défendre de plus moderne, de plus actuel que cette antique lubie, les droits de l'homme ? L'engagement ? De quoi, pourquoi, pour qui ? Quand je m'engage, c'est que je suis mon propre patron, mon propre employeur, hors cela ne se peut pas, je ne supporte pas la hiérarchie. L'engagement ? Voilà bien un mot, devenu jargon, vocable technique, qu'on n'entend plus guère que chez les soldats, quand il est question d'introduire la munition dans le canon.
Des titres ? Des sujets ? Je ne vois pas comment. Les mots ici, viennent les uns après les autres, c'est mathématique, ou de physique fondamentale plus que de science du langage, j'accole, je colle, j'efface, je rassemble, je cisaille entre paquets de lettres, je joue à la ponctuation, voilà et je ne sais jamais de quoi je vais parler, relire ne change rien, je ne sais jamais, non plus, de quoi j'ai pu parler. Quand a mes opinions, quand elles se couchent ici c'est pour ne pas s'en relever, je ne les assène pas, je les jette plutôt.
Lu : Apologie de mon âme basse
:: 22.01.2004 ::
Dans ce siècle, si un homme n'érige pas son propre tombeau avant de mourir, il risque de n'avoir pas un monument plus durable que le tintement de la cloche et les pleurs de sa veuve.
Quatre vingt c'était la schlague, le knout et les résultats sonnants et trébuchants posés sur la table (en plus de la bite et du couteau) le dernier jour du quarter, quatre vingt dix le partage des valeurs, les synergies et l'adhésion aux objectifs communs de l'entreprise dans un esprit de visibilité et de compréhension mutuelles, mais à condition que ça rapporte un max, deux mille c'est la symbiose des technologies et des processus, et la notion de développement durable, on croyait avoir mordu à tous les hameçons mais les faiseurs et les ferrailleurs se lèvent tôt le matin, et dans le silence de nos nuits sous Narbutal façonnent, façonnent. De Taylor l'on oblique vers Hawthorne et vers la pyramide de Maslow, puis l'on dérive encore vers les modèles de Crozier et de Friedberg, l'homme au centre du débat la-la, de toute façon tu l'auras dans le bas des reins, hin-hin.
J'ai souvent tendance à faire long, à étoffer. De fait, l'attention se perd, elle erre l'ère, et l'on n'a pas toujours bien lu : développement durable. Le nouveau management (c'est ainsi que le rebaptisent ceux dont le métier est de vendre de belles méthodes et de riantes combinaisons tous les cinq ans, sinon les marges chutent et c'est la crise dans le secteur du conseil) s'appuie sur la notion, sur le concept de développement durable. Par exemple si vous travaillez pour Dassault, pour Total ou pour Rhône Poulenc, votre direction du personnel (c'est à dire les ressources humaines pour ceux arrivés après la dernière pluie) vous fera manager dans le sens du développement durable. Vous savez de quoi je parle : cette chose là, qui vous fait passer pour des communistes ou des adorateurs de Bové, ce truc qui vous fait circuler en vélo pour pas un rond, vous conduit à éteindre la lumière et à économiser l'eau, cette idée qui vous fait recycler votre verre, vos cartons, et à donner vos livres ou les jouets des mômes à des associations, et bien tout cela et d'autres choses encore (perspective de croissance, capter une part de marché plus importante pour le dernier modèle de voiture seconde et néanmoins urbaine, vendre une troisième télé à ce foyer, etc.) servira à vous diriger en entreprise, pour le bien, le bonheur de tous, et le pognon des actionnaires.
Lu : In folio
:: 21.01.2004 ::
Dans quelle mesure le savant moderne, fabricant, aux yeux des foules, de prodiges et de miracles, prolonge-t-il et remplace-t-il le prêtre en tant que magicien ?
C'est le mot de la mode hantant les certains salons et les certaines discussions, vous n'en êtes pas déparés tandis que j'en suis bougrement pourvu même pauvre, kystiques, plurivalentes, universelles, nous sommes, dans notre marche au front et au derrière, pourvus de névroses.
Je culpabilise, je soigne cela ou bien je s'en arrange, la bande est étroite dès lors que le triste état, la terne réalité, et puis comme tout le monde, ce qui n'arrange rien.
Assumer, s'assumer, camper un rôle. Je est cadre moyen, une femme ou un adolescent. Je est végétarien, militaire, communiste, juif, partisan des trente cinq heures, je est amusant en soirée, je a tendance a forcer sur la bouteille, je perd tout ou bien je est déprimé, cinéphile, je écrit un journal, et il y croit. Je produit des films, je est un artiste, un joueur d'échecs hors pair, voyez le ergoter, gonfler l'architrave et le linteau, voyez-le brailler au tout venant ce que sont ses limites mais où commence son rôle, admirez sa fougue et son aplomb, son assurance moulée tungstène et la mèche dans le sens du vent quand bien même toujours debout, même bourrasques, même coups de chien ou bien typhons, toujours debout dans la tempête, toujours debout la voix perchée, décibélant à croque-mitraille ce que bon lui semble et ce que juste il sait.
La névrose ? Une béquille, obligatoire. Ou alors... il faudrait que les autres comptent, qu'ils soient entendus, que nos rôles, souples, indulgents, ouverts... Entendons-nous : cela ne serait pas méthode à bâtir, cela ne servirait à rien, à personne, bien mieux vaut de se cajoler en aliéné définitif.
Lu : A quatre voix
:: 20.01.2004 ::
Plus le singe s'élève, plus il montre son cul pelé
Mille mots à l'heure. Voilà pour quelqu'un qui n'avait rien à dire, rien à écrire, un roman c'est cela, une digue contenant eaux, tourbillons, déchets et boues et qui cède, alors le noir de l'encre, très vite, alors régurgitées toutes les amertumes et les colères, alors charriées, baladées, bouleversées ces petites pauses dans l'incompréhensible, alors tout qui s'accorde, se raccorde et se pose et l'on peut dire qu'on conchie présentement le structuralisme et toutes ces billevesées, que le sensible emmène infiniment plus loin, plus vite et plus profond que les petits décorticages besogneux de ces messieurs de la faculté.
Comme Bili Bidjocka je dirais :"qu'il y vienne, Ulysse, baiser mon royal cul d'africain" et j'invite les gloseurs inféconds à faire de même afin que soient vaincus leurs déboires prostatiques.
J'écris à C. de seulement s'y mettre, de seulement se discipliner à rester devant la table, à écrire, ni retoucher la forme, ni l'orthographe, quant au sens il est secondaire et il me semble que l'ici dans lequel nous vivions en est une preuve tangible, c'est là, sous le couvercle, ça fait péter la marmite pour peu qu'on veuille bien foutre le feu dessous, j'en profite aussi pour dire à tous ceux qui me souhaitent bonne année "mais pas aussi bien" : vos voeux sont là, ils sont les miens.
Lu : vaulascar
:: 19.01.2004 ::
Mais j'ai toujours eu le sens de ce qu'il faut ou ne faut pas publier, bien que j'aie toujours pensé que publier est une pure folie, un crime de l'esprit, mieux encore, un crime capital contre l'esprit. Oui, nous ne publions que pour satisfaire notre désir de gloire.
Bon, tant qu'à faire des choses auxquelles je ne comprends rien, je laisse O. voltiger entre la présentation, le code html et maintenant javascript (voilà qui fera plaisir à Karl et qui sera certainement plus syndicable), la page d'un os à ronger perd du poids et c'est tant mieux car parait-il plus démocratique et à portée des plus petits modems, nous nous battons quant à la laideur relative du titre de ce blog, graphiquement parlant moche parait-il et il me faut remonter tout le raisonnement, le fil de mes impressions et pensées, pourquoi le blog d'os s'est il affirmé dans ces couleurs, dans ce dépouillement fainéant, dans cette absence graphique, qu'est ce qui conduit à cela, était-ce justifié que de prétendre à ce point aux mots que tout derrière ceux-là devait s'effacer, s'éteindre ?
O. me conseille de lancer des consultations, quels seraient vos textes favoris, ceux que vous aimez relire, comment amélioreriez-vous la présentation générale, comment classer les archives, autant de réponses que j'attends pour peu que ni patience ni temps ne vous fassent défaut et qui en même temps reposent la question de l'espace privé, construit par soi seul.
Mon regard pivote à la périphérie de mon bureau, enjambe la balustrade et y décortique ameublement et artifices de décorations, c'est tout le contraire d'ici, ni strict ni rangé, ni bicolore ni monochrome, peut-être y voit-on plus rapidement que des milliers de liens tissés, que le monde du sensible, que les couleurs, des odeurs, de la musique, le bois, les tapis, les livres, ce genre d'objets, et pas seulement.
La pause de dix jours dont je m'excuse aujourd'hui m'a permis de terminer un roman commencé depuis belle lurette, et un recueil quasiment commandé. Il faudra que 2004 s'inscrive, et aussi sur le papier.
Lu : les testaments trahis
:: 18.01.2004 ::
Le travail, c'est parfois comme de pêcher dans une eau où il n'y aurait jamais eu de poisson.
Une petite couche encore, de remplissage, suis-je dupe ? L'êtes-vous ? L'énumération du 16 janvier complétée par celle du 17 me vaut quelques courriers et pas forcément des plus tendres, il semble encore fécond le ventre duquel gronde la bête immonde.
Ainsi par exemple l'on me reproche de souligner l'apathie complice de nos gouvernants pour la question des extrêmes quand "toute l'action de Sarkozy vise justement à réduire cet électorat extrémiste". J'aimerais seulement répliquer à ce monsieur que l'action de Monsieur Sarkosy (dont le nom hongrois rime avec celui de la comtesse Erzèbet Bathory, ce qui n'est qu'un malheureux hasard phonétique, rien de plus) ne vise certainement rien d'autre que d'asseoir sa propre petite personne tout en haut du pouvoir, qu'on ne combat pas l'extrémisme en adoptant les idées de ce bord mais qu'on le remplace, qu'enfin, un état responsable et se prétendant démocrate aurait du interdire à ce Monsieur Lepen et à ses sbires d'accéder à la tribune une bonne fois pour toute : l'exégèse systématiquement racialement haineuse, la pratique du mensonge racoleur et grossier comme principe (le négationnisme me dérange, tout de même), les histoires innombrables d'élections et de comptes truqués, le tabassage en règle et aux heures de grande écoute d'autres élus surtout s'il s'agit de femmes, la pratique de jeux de mots on ne peut moins recommandable, autant de raisons de déclarer un groupuscule fanatique hors la loi plutôt que d'essayer de le copier dans ses méthodes et ses thèmes.
L'on m'y parle aussi souvent d'un monde qui ne serait plus comme avant, depuis les tours et le onze septembre, de mon manque de réalisme, d'une menace terroriste partout présente comme une hydre à mille têtes, je réponds que ce réalisme blindé et outillé de canons ne m'intéresse pas, qu'il ne sera jamais de ma réalité à moi, que si le monde a changé dans certaines chaumières aveugles et surchauffées, il n'a pas changé pour tous, pas de la même façon, qu'à Rio, Santiago ou Buenos Aires l'on a pas attendu ce onze septembre là pour vivre dans la terreur, la faim, la misère, l'injustice et que si je ne cautionne rien de ce qui soit violent je ne supporte pas qu'on me traite d'idéaliste pour autant, j'ai seulement raison, raison de ne pas vouloir de cette horreur, raison de consacrer quatre vingt pour cent de mon temps et de mon argent à la construction de la paix, raison de croire que c'est le rôle des grands frère que de montrer l'exemple, et le bon de préférence.
L'on me dit qu'après les fastes viennent les temps de la disette et qu'il fallait trancher. trancher dans l'effectif administratif grossissant, trancher l'aide faite aux démunis qui les change en assistés, je rétorque qu'on ne peut pas en même temps cesser d'offrir du poisson et cesser d'apprendre à le pécher à ceux qui ne savent pas, qu'on ne peut pas cautionner l'idée que le bonheur est un mérou aux yeux d'agent et le garder pour soi seul, qu'enfin l'on ne traite pas ceux qu'on assiste contre leur gré d'assistés et que plutôt que de grossir encore le nombre d'articles interdisant ceci ou bien cela en matière de pêche on ferait mieux de démontrer les bienfaits d'une récolte respectueuse et équitable.
Lu : journal de Jules Renard
:: 17.01.2004 ::
Je sais bien qu'on ne peut se passer de dominer ou d'être servi. Chaque homme a besoin d'esclaves comme d'air pur. Commander c'est respirer.Et même les plus déshérités arrivent à respirer. Le dernier dans l'échelle sociale a encore son conjoint, ou son enfant. S'il est célibataire, un chien. L'essentiel, en somme, est de pouvoir se fâcher sans que l'autre ait le droit de répondre. .
On m'écrit, pour compléter la liste de la veille : soyons exhaustifs. Limitation de l’accès à la CMU (Couverture Maladie Universelle), suppression de la gratuité de l’AME (Aide Médicale d’Etat), augmentation des charges concernant l'’APA (Allocation Personnalisée d’ Autonomie de 5% à 12%), baisse des crédits pour de nombreuses associations, qui seront de plus pénalisées par la suppression des emplois jeunes, en vrac : SOS-racisme, le Clap (qui se charge de l’alphabétisation dans les quartiers difficiles), le CCEM (Comité contre l’esclavage Moderne, soutien au Mrap, attaques de tous bord de la loi sur les 35h ( on pourra travailler 4h de plus par semaine, perdre 13 jours de RTT et gagner… 1% de plus, youpi !!), suppression de la loi de modernisation sociale qui rendait les licenciements dits «boursiers » plus difficile, suppression des emplois jeunes nécessaires au fonctionnement des associations, démantèlement de l'impôt sur la fortune, augmentation des budgets de la défense et de l'intérieur mais diminution des budgets sociaux et culturels, gels des crédits de rénovation des structures de santé (maisons de retraite, hôpitaux), déremboursement de 600 médicaments, prévision de privatisation d'Air France, privatisation à terme des fouilles archéologiques (c'est à dire qu'on n'en fera plus, cela freine les travaux et c'est rarement rentable) taxe d'immigration (OMI) exorbitante, abandon du principe d'éducation pour les mineurs placés en détention, facturation de l'aide apportée aux déficients visuels ou auditifs, coté écologie la martre, la belette et le putois ont été déclarés nuisibles donc exterminables, allongement les durées de chasse, sans tenir compte des directives européennes. Les économies servent par exemple à financer un nouveau porte-avion nucléaire, des caméras et des grillages pour remplacer les surveillants et les éducateurs virés des écoles, embaucher des flics et des gendarmes, des surveillants(« construisez une école vous détruisez une prison » disait Hugo.)
Mais tout cela n'est pas écrire, j'en conviens. Je reviens bientôt, il fallait seulement de cela me souvenir.
Lu : Marc Aurèle ou la fin du monde antique
:: 16.01.2004 ::
La joie d'avoir travaillé est mauvaise : elle empêche de continuer.
Chouette ! Vendredi, fin de semaine... le temps libre, les potes disponibles, les soirées qui se préparent, et les bonnes bouffes, et les grasses matinées, le dernier disque d'untel, ou un ciné... autorisation pour les centrales de relever la température de l'eau des rivières, début de suppression des journées sans voitures, baisse des budgets alloués à la recherche, à l'éducation, commencement de privatisation du personnel non enseignant, loi permettant les arrestations et renvois arbitraires des immigrés, réforme du régime des retraites, baisse des fonds alloués au pays en développement, privatisation de personnels militaires. Sympa ! Aller à la FRAC pour mettre la main sur ce fameux dvd, et puis acheter quelques bouteilles, des capotes au cas où... loi sur le racolage passif, diminution des allocations à destination des sans-emploi, délocalisation massive de personnel de l'industrie, loi permettant aux collectivités de choisir ses entrepreneurs sans recours aux appels d'offre, dégradation substantielle des conditions faites aux intermittents du spectacle, explosion des populations carcérales, début de privatisation d'EDF, et puis, trouver des fleurs pour les bien-aimés... traîner à la terrasse des cafés... se faire un petit restau samedi... transformation du RMI en RMA, diminution des impôts pour les classes les plus aisées, soi disant décentralisation mais accompagnée d'un privation des moyens dont disposent les communes, projet de loi concernant la suppression du droit de grève (instauration du service minimum), mise en place de décrets favorisant les milices et dénonciations hors cadre législatif (personnel de la RATP fliquant les usagers de la route, suppression du caractère privé des emails, instauration d'une responsabilité pénale des hébergeurs concernant le contenu des pages web les obligeant à faire la police par eux-mêmes), suppression des postes d'assistants scolaires, réforme du statut de la sécurité sociale en 2004, baisse des indemnités logements pour les plus démunis, baisse des allocations étudiantes et des bourses, super, un bon week end en perspective ! On va bien rire ! Incapacité à gérer les dossiers sensibles, impuissance face à la montée du front national, loi de représentativité faisant disparaître purement certains partis politiques, réforme du statut de la SNCF en 2004, réforme de la notion de contrat à durée indéterminée (CDI) en 2004, afin de le transformer en contrat de projet (c'est à dire du boulot quand il y en a sinon rien), augmentation abyssale du déficit public, diminution des participations à destination des ONG, entorse aux règles exigées par nous-même en ce qui concerne notre déficit qui nous place en mauvais élèves de l'Europe, projet de mise à mort de l'exception culturelle française (Messier avait échoué), incapacité à présenter une direction unie du pouvoir aux commandes, absence complète de cohérence entre les différents ministères (finances, santé, intérieur, éducation, défense) oui, c'est vendredi, y a plus qu'à se détendre et à compléter cette liste, je n'arrive décidemment pas à me souvenir de tout.
Lu : l'histoire de pi
:: 15.01.2004 ::
Je ne suis qu'un exilé, c'est aussi un titre important, ici.
Ces sommets là, réunions de gens importants, j'en ai un peu assez. Je ne suis personne, pas important du tout, j'étouffe dans la longueur du jour passée à fréquenter les reflets de qui je suis censé voir, je n'aime pas qu'un silence solennel s'établisse quand à mon tour je dis le plus simple, le plus normal, je n'aime pas qu'on me prenne à part, après les conférences pour me dire qu'il faudrait faire montre d'un peu plus de patience, de tempérance, je ne suis pas musculairement amorphe, je n'ai pas besoin de repos, mes costumes ne craignent pas les salissures, je n'ai ni mise en plis ni brushing à préserver de la tourmente et si je n'ai pas le goût de l'effort inutile, mes manches se trouvent aisément retroussée de ce qu'un chantier valable se présente.
Dans les apartés qui suivent, je dis : que je ne suis pas un intellectuel et que je le déplore, que je ne rejoins aucun camp qui pourrait me contraindre, que je ne connais personnellement ni machin, ni machin même s'ils s'en réclament, que je déteste le pouvoir sous quelque forme qu'il soit, que je suis un type simple, un maquignon, que j'essaie d'être moral et de ne casser les pieds de personne avec ça, que si je n'avais pas tant de joies à me laisser percer par les pluriels du monde j'aurais été un type dangereux, que peut-être bien je suis revenu de tout, que je connais la saveur amère de ne pas croire à grand chose et que ça tombe bien, j'ai en adoration ce qui conduit à la tristesse.
Lu : une demeure africaine
:: 14.01.2004 ::
Décidément, il n'y a pas grand-chose à faire avec les poètes !... Les yeux fixés sur le passé, vous tournez le dos à l'avenir... Vous parlez de liberté... et vous êtes esclave d'une rime... Vous ne voyez jamais que ce que vous voulez voir...
Photos des ponts, la nuit. De lumières confites, oranges, jaunes doux, ors subtils. Par gros paquets la trace de l'absence aux choses, encre à deux plombes du mat', les sillons de chine, les rigoles de la nuit creusées dans les rues, dans les passages cochers, entre deux miroirs posés sur l'eau du fleuve. Le glissement en pointillé des silhouettes, leur chute dans un trou noir ou derrière un angle. Un peu de musique venue des fenêtre d'une bâtisse épaisse, d'un pub, des rires, le fracas du verre cassé.
Je ne rentre pas. Je trace des circuits complexes et m'éloignant de ma chambre. Ma chambre ! Un autre pas chez moi, un autre lit complètement anonyme, un bain trop propre, trop inodore, l'éternel tas de serviettes ultra-blanches brodées, une baie sur la ville en bunker, ce matériau sans défauts enchâssé au millimètre, qui ne vibre pas, quand bien même ce serait la guerre. Le mobilier vernis, solide, les tableaux rivés au mur, le sèche cheveux incorporé, la télécommande solidaire du chevet, toutes ces choses, attachées. Toutes ces choses prises dans le béton, cadenassées, lourdes, qui m'alourdissent.
Comme la distance de vous. L'éloignement coincé dans la dimension physique du monde, et même au téléphone, ce n'est pas votre voix, pas votre odeur. Mes mots n'y peuvent rien. Je vous pense, mais c'est l'épopée du buveur d'eau, je vous imagine mais c'est hôtel New Hampshire, je vous raconte et ce n'est que vers le phare. A Budapest cette nuit, vous j'ignore où, je ne rentre pas, vous me manquez bien trop.
Lu : quinze variations sur un thème biographique
:: 13.01.2004 ::
L'importance du processus est une autre découverte. Les buts et les aboutissements importent moins. Il est plus urgent d'apprendre que d'accumuler des informations. La bienveillance vaut mieux que la surveillance. Les moyens sont les fins. Le voyage est la destination.
Faudrait comprendre mes urgences à partir et puis aussi pourquoi je ne suis pénétré de complétude qu'entre deux points finalement. Je ne suis jamais aussi bien qu'en mouvement, que nulle part. L'entre deux, c'est ma chaise confortable, mon fauteuil moelleux, il n'y a que là que l'impatience se taise, que la nervosité, la colère se mettent en berne et me foutent la paix. Un répit. Le meilleur moment du voyage c'est l'allant avant la destination. On ne peut rien faire, et rien y faire, on ne peut rien attendre, la réalité s'est évaporée, rien ne vous rattrape et même si je traîne des casseroles, la ficelle est d'assez considérable longueur.
C'est comme la fin d'un bouquin. Je n'ai pas souvenir d'avoir vraiment craint d'être déçu ou de l'attendre particulièrement, d'avoir absolument besoin de connaître un dénouement, une chute, de courir les chapitres ou galoper les pages pour découvrir une morale, une conclusion, une explication. Je m'en fichais, ça n'a toujours pas d'importance. Ce que j'aime de lire c'est l'allant. Tant qu'à faire je pense à l'orgasme tout comme à la satiété. L'un et l'autre ne m'émeuvent que peu, je ne les recherche pas et même, peut-être je les évite. Ce que j'aime c'est l'allant. Le moment périlleux, inconnu, indestiné. Le lieux sans repères. La compagne sans nom.
Quand j'y pense, le truc couillon des écrits de Molière ou de Lafontaine, c'est la moralité. L'expérience. Ce qui nous empêche d'entrer nos vies comme des choses neuves parce que nous savons, nous pouvons, d'avance, supposer ce que l'histoire sera. Nous savions mieux qu'elle ses voltes, ses courbures, son tournant. Nous infléchissons les choses, car nous les connaissons. En avion, en voiture ou bateau, je suis serein, je crois parce que l'accident est possible. Peut-être n'arriverons-nous pas. Ou peut-être que l'endroit où nous nous rendons n'existera plus, à notre arrivée. Peut-être.
Lu : morphine
:: 12.01.2004 ::
- Harriet, qu'est-ce qui nous est arrivé ?
- Nous n'avons jamais regardé la réalité en face.
- Ce n'était pas ma faute. Tu m'as dit qu'elle était au nord.
- La réalité est au nord, Ike.
- Non, Harriet. Les rêves creux sont au nord. La réalité est à l'ouest. Les fausses espérances sont à l'est, et il me semble bien que la Louisiane est au sud.
Machin débarque à mon insu, je veux dire sans que je m'y attende, dans le foutoir généralisé qui me sert de pré-piste d'envol : ce soir à Budapest, j'ai tellement attendu ça que je me fiche assez de savoir quelle compagnie daignera bon de me faire arriver à port, ou non. Parterre jonché, capharnaüm, je peux discerner et trier dans ce qui ne peut ressembler qu'à un accumulat poubellisé à d'autres tout ce qui me sera utile, nécessaire, superflu et donc obligatoire, je recense : un ou deux futal très fripouille et les baskets ad hoc, un costard genre maquereau italien, quelques chemises de couleurs et coupes diverses mais toutes en soie, chapka, manteau cachemire et astrakan, cinq ou six paires de chaussures dont une effilée en lame Tolède, quelques pulls, sous-vêtements, appareil photo, une bonne brouette de livres des fois que je viendrais à manquer, quelques blocs de papier, mon plume pur or, la machine portable à taper des blogs, mon tabac blond hollandais, rien pour la pluie, aucun médicament mais deux chandelles et une cale en bois qui ne me quittent jamais même si elles se justifiaient un peu plus quand je fréquentais les bouges de Bangkok que les cinq étoiles du nord, téléphone y compris s'il est hors de question que je l'allume ne serait-ce qu'une fois, carnet d'adresses papier, billets, passeport, ouf, tu tombes bien machin, tu peux m'accompagner jusqu'au taxi ?
Lu : beau et courageux
:: 11.01.2004 ::
-A l'affût sous les arbres, ils auraient eu leur chance, seulement de nos jours il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied, l'esprit fantassin n'existe plus ; c'est un tort. - Et c'est l'oeuvre de qui d'après toi, des Volfoni ? - Ce serait assez dans leurs sales manières ; Mr Fernand ? Je serais d'avis qu'on aborde molo, des fois qu'on serait encore attendu... Mais, sans vous commander, si vous restiez un peu en retrait... Hein ? - Ouais, n'empêche qu'à la retraite de Russie, c'est les mecs qu'étaient à la traîne qu'ont été repassés...
Ma vie de Lyonnais c'est surtout la croix rousse et les pentes, je me venge de ce qu'à Paris sans doute je n'ai jamais pu habiter les collines, ici, du plateau je hume, je marche sur le toit de Lyon les mains aux poches, il m'arrive d'aller au bord lucarner la trépidance contemporaine qui s'agite, en bas, en tout petit.
Ce soir c'est cassoulet whisky ping pong et René, patron de gauche aux manières un peu anglaise et qui me reçoit toujours à grandes claques dans le dos, "comment vas-tu oh mon sublimissime ami ?" demande t'il en hurlant, et je rigole avant de brailler à mon tour : "mesdames messieurs, on ferme !"- ce qui panique un peu la clientèle et puis l'on pose le board tandis que je l'assure d'une fameuse raclée au backgammon, les dés volent, le videau, Jacobi rules et douglas fairbank à chaque fois qu'il réalise un double un. Je matte cette fille sortie droit d'un film d'Élia Kazan, je goûte aux irlandais 12 ans d'age et sans rien y connaître déclare que c'est quand même pas pareil que de l'écossais, je repense à la scène du grisbi des tontons flingueurs et récite entièrement la tirade, "Ca c'est sûr, c'est d'la boisson d'homme, - Vous avez beau dire, y'a pas seulement que de la pomme, y'a aut'chose. Ça serait pas dès fois de la betterave, hein ? - Si, y'en a aussi.", Michel passe et les choses se compliquent, il faudra en dépouiller deux.
La vie de rien, la vie n'importe comment, la vie brûlée et je me dis, cette fille par dessus l'épaule de mes compétiteurs, cette odeur de scotch, de tabac, le brouhaha de la salle et John mac Laughlin en train d'en remontrer à Paco de Lucia, mon téléphone qui sonne à vide puisque je ne décroche jamais, la rentrée à trois heures du matin dans l'odeur des feuilles d'hiver et la brume dormante, les cheveux de M. qui piquent le nez jusqu'à mon oreiller, tout ça c'est le meilleur des instants qui restent, c'est tout bête, je pique du nez dans la tristesse de n'être pas, ne serait-ce qu'un tout petit peu, moins alambiqué.
Lu : un dépliement de Bing
:: 10.01.2004 ::
Ceux qu'on aime, on voudrait qu'ils vous doivent tout.
Je rêve une lande à fouler et les bruyères boutées contre vent enventrées à la tourbe dans leur maison Irlande, je rêve l'enfer vert et bouillonnements de cris dans les langages singes ou quatre ailes libellules, le grand fleuve où qu'il soit, le Caire peut-être et ce sera veine des villes, l'amazone tranchant peuples ignorés solides sur les jambes, je rêve mes grolles époumonées de cotes, sommets déserts et vue à plonge-esprit, que se chauffent les doigts à la peau de chiens sombres, je rêve océans, membres d'algues, dagues glabres et bateaux trébuchants, chaque vague, chaque marche, chaque escale à l'atoll que finisse la vie là, je rêve un rouge lumière s'enfonçant dans toute chose du monde comme telle robe, tel talon piquant le ciel et y laissant la trace, je rêve Meuse en bière et eau de Kyoto, cérémonies de thé, tofu empreint du lac souterrain, hardeur courtisane, dos griffés et nuques prisonnières entre paumes, mon vit comme empire des sens vous nourrissant des laits tendres, moi vous gardant toujours quelque maquillée, quelque enfuie ou bien absente, je rêve coloquintes en géométries totales, totalement confuses et pleines ébauches de mes songes, de moi aussi ailleurs, de moi aussi souvenance légère.
Je rêve de langages par pan boulés à l'envers de nos sagesses neuves, plus jamais de pouvoir, même l'à-soi disloqué, même le dire et puis aussi de construits compliqués, je rêve de pensées contraires et pesées funéraires.
Ma vie du cinéma. Une petite légende qui compte pas grand chose et tout de même, je me réconcilie de vieillir, je me réconcilie du temps et de tout le possible, je prépare mon sac, je pars à Budapest.
Lu : Ulik au pays du désordre amoureux
:: 09.01.2004 ::
Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?
Je n'ose vous répondre, de toute façon ce serait : trop vite, trop mal, comment échapperais-je de ce syndrome, le piédestal ? J'ai eu plaisir, honneur parfois à quelques grandes rencontres, vous en êtes de celles-ci; comment vous convaincre ? Moi je vais échoué même dans la réussite, je ne fais rien peut-être mais cela ne me barre pas de savoir apprécier à plein, , je me flatte qu'on me voit truqueur, poseur, naïvement opaque, les ceusses le savent bien qu'éternellement l'on peut distraire et puis, fatiguent, consomment, se lassent, moi, de vous je ne m'use nullement, je crois que mon instinct commande à plus fort et plus loin que ma simple liberté, ce serait je crois le sang de mon sang, l'âme au creux du tronc, l'inoxydable squelette qui arme l'atour, c'est la charpente, devant que d'être libre je suis encore parce que je suis fidèle.
Je dis partout de vous comme ma muse, comme une source de quelle je s'accointe à le verbe, à les mots, je saisis fibrillé de votre regard doux et rimes abstraites l'essence de la poésie qui pose bien au dessus discours, théorèmes, principes dans le temps allongé qu'à nul ne concerne quand vos frappes précises touchent au cœur, immédiates dans le sens, dans l'état. Je dis partout de vous votre main si agile qu'elle se pose en une forme principale sans qu'il y faille toucher, votre gorge palpitant et vos épaules en orbes, partout qu'il y a, à l'avers des nuits sans fortunes ou sans rêves votre prénom sauvé sauvant de la noyade et qui bruisse et qui pince, partout je dis encore qu'il faut vous avoir nue, que tout ce qui émeut, touche, effleure contient de votre peau, qu'elle est blanche, imperceptiblement mue par le feu, la foudre, l'embrun de mer n'est jamais loin, et le sel, et l'écume.
Vous partez. Cela est fait, je suis privé, par la distance, par un épais maintenant, de votre corps, de votre autan, malgré cela il me faut dire : vous m'êtes ancrée, vous m'êtes encrée.
Lu : dictionnaire vagabond
:: 08.01.2004 ::
On ne sait rien de soi. On croit s'habituer à être soi, c'est le contraire. Plus les années passent et moins on comprend qui est cette personne au nom de laquelle on dit et on fait les choses.
Je ne sais pas bien ce que vaut/vaudra Nathalie, dernier film d'Anne Fontaine, et quelles que seront les critiques, j'irais le voir. L'occasion de rendre plus solide, mieux fondée une première appréciation de son travail, ébauchée lors d'une projection en avant-première de son précédent, "comment j'ai tué mon père". En lui-même le film et sa photographie, le jeu de Berling, celui de Bouquet bien plus encore, l'inouïe précision de certains des dialogues et puis quelque chose en rapport avec le non-dit bien sûr, la tempérance, toute cette économie du silence qui se jette à nos vies, la démonstration d'une idée énoncée par Cohen je crois, initiant que l'imagination ne devrait plus être portée au monde du sensible mais à celui de l'entendement, d'autres aspects encore comme l'illusion du relief quand les choses sont seulement vues du regard, l'équivoque inévitable (nécessaire) étoffant la nébuleuse de nos rapports affectifs/amoureux, j'en pourrais dire encore mais à quoi sert ? Mieux vaut voir m'étais-je dit après l'exercice de ma tyrannie locutoire à propos d'un autre comment, franchement aimé lui aussi mais de Desplechin : comment je me suis disputé. J'étais encore assis au propre comme au figuré quand arriva sur scène Anne Fontaine accompagnée de Michel Bouquet. Non-événement dira t'on. Sauf que, fait assez rare pour être rappelé, il n'y eut pas de bat-flanc entre le travail et la prestation publique, entre l'acteur et l'homme interrogé, entre la réalisatrice et celle répondant aux questions, entre l'art et ses artisans, les artistes. J'avais aimé, beaucoup, cela, que soit habitée l'oeuvre comme le milieu juste, impressif, imposé d'une réalité ouverte, personnelle.
Lu : l'homme de chevet
:: 07.01.2004 ::
Je comprends que toute mon horreur de mourir tient dans ma jalousie de vivre. Je suis jaloux de ceux qui vivront et pour qui fleurs et désirs de femme auront tout leur sens de chair et de sang.
C'est impossible d'être mort, impossible et si beau, c'est si froid. J'en compte deux. Pour les siens c'est colère, je dis inepte en soi, je dis crétin, je dis bâtard, et l'on s'arque, et l'on boute, l'on voudrait n'en pas revenir, laissé là à l'éclat mais c'est le grondement dur d'absences creusées depuis la terre aux pieds, la ravine et filent ritournelles, s'abîment souvenances dans la fosse en clapotis et flasques échos, il faut claquer le sol, et la pierre, et le marbre, brûler les cendres des mères brûlées, il faut s'habituer aux écharpes de voix s'effilochant, un brouillard dense, quelques nappes, maintenant ne pointe plus qu'une lumière blanche et ça n'éclaire rien que tertres vidés, corolles falotes, racines retournées, inscriptions d'un marbre ou cuivre abscons dans le chevrotement des sentes à fouler seul, il faut s'accommoder des visages mourants multipliés en éteintes de moins en moins, re-mort, re-mort, c'est le matériau même qui s'effondre, qui s'altère et se fond, emplissement des chairs, joli modelé mais comment se ferait-ce ? Pierre, bois, glaise, boues imprécises et puis plus rien, pas même le reflet dans la flaque, pas même d'odeurs au vent.

Et pour soi être mort. Après pour moi guillotine qu'on ne plaque pas et l'essai transformé, c'est l'ovale écrasé, brisé. Regarde mon visage, regarde ses traits, vois les se murer, s'engoncer, traverser mauvaisement ma jeunesse, mon allant, aime les car il n'en restera aucune teinte, après sale petit poème sans pitié, sans amour, vers unique à rimes moches et qui prend son temps, qui bouffe de l'intérieur, qui décapillarise et grise avant tonsure, mite gorgée de mon haleine, après je sais ma mort et il faudrait puiser son jouir dans les romans de gare pour en aimer le mot. Ma mort c'est impossible et froid, ce n'est certainement pas beau, je ne veux pas maigrir, je ne veux pas mes mains tâchées ni mon timbre s'acidulant, je ne veux pas de ventre plissé et zizi mou, je ne veux pas que mon torse vacant se plie sur lui seul en enveloppe à personne adressée, je refuse la force quittant mes jambes mes bras, mes épaules, merde, merde : à quoi sert d'être beau, à quoi sert l'attention que tu m'aimes si c'est que cela cesse ? A quoi bon le parfum, le bleu de la prunelle ou les voltes gracieuses quand après nous conduit à aucun de tout ça, à ne plus même pouvoir haïr cette idée de l'après ? Mourir, non, je ne veux pas d'écorche, pas ce fichu, pas ce totalement foutu, pas cette fin définitive à termes, ou alors tout de suite, et qu'on n'en parle pas.

Ne compte pas sur moi pour ça, ne m'attend pas, je ne viens pas. Tu vois, je ne freine même pas, je fume et conduit vite, je bois quand cela rie, j'aime sans travesti latex et je peins des fleurs et j'écris de minuscules lignes, et j'emprunte des avions, des taxis maladifs, des bus bondés aux cahots de pistes hypothétiques, je passe mes nuits dans la rue dangereuse, mourir j'en comptais deux et je n'en sais plus qu'une : celle des autres, que je ne connais pas.
Lu : Essai sur la littérature angloise
:: 06.01.2004 ::
Il n'est rien que je haïsse comme à marchander. C'est un pur commerce de trichoterie et d'impudence : après une heure de barguignage, l'un et l'autre abandonne sa parole et ses serments pour cinq sous d'amendement.
Ce couple en jogging arqué sur un caddy qui pousse, qui traîne et qui s'engueule, ces deux collocatrices jouant aux dames devant le rayon condiments, ces gosses tirés à hue, à dia hurlés pour un oui, pour une rien, ce chef de secteur encore au taf à l'heure des amis et de la famille, les annonces joliment gaies pour voitures à dégarer ou jambons en promo, couleurs délavées, tristes, couleurs arrondies au centime près, les packs plastiques, les prix trop hauts mais vraiment beaucoup trop bas, cette femme en plein schéma prostitué à s'enquérir de ce que son lait toilette se tarife aux moyens, toutes les manips possibles qu'on arnaque, qu'on opaque, les rangs d'employées le bonsoir entre les dents depuis la formation aux bonsoirs en formation et cette haine serrée de la condition, de l'impossibilité, je crois, de se sentir probes et propres, les codes barres et les barrements, ces articles désespérément cherchés, biologiques, de juste commerce, le retour au parking mais l'on n'est pas dehors, la télé, la grande surface, je commence l'année fort et peut-être dans le trop-plein d'humilité.

Mais aussi toute cette faiblesse, cette paresse, cette dolence, l'hésitation, le rêve par dessus les gondoles, ce que j'aime des hommes, je vois derrière la grille que se ménagent, même beaucoup trop courts, les instants de la réconciliation, parfois c'est au dessus l'oreiller, c'est à table, au café ou au cinéma, une bibliothèque, c'est dans ce trajet ou les transports manquent et donc comblent, c'est dans l'instant éternel, cette fleur à soi pour une seconde mais une seconde non finie, et qu'est-ce qu'on s'en fout d'après ?
Lu : Cours d'étude pour l'instruction du prince de Parme
:: 05.01.2004 ::
Épargnez-nous l'emphase. Elle est le propre des esprits creux. Et si vous n'avez rien à proposer, vous avez toujours la solution de vous taire. C'est étonnant comme on y songe peu !
Ah oui, dénigrer, critiquer, rien à la place ! Tu veux dire proposer ? Poser pour ? N'as tu pas remarqué que pour, comme parce que, aux fins de, dans le but, sont évités ? Pas constamment je te l'accorde, ces machins là, il m'arrive de les utiliser mais c'est manié comme la nitroglycérine, comme un bohème ultra-fin, comme la pierre gemme, c'est fragile, c'est dangereux, versatile, à sens multiples. Et tu demandes pourquoi ? Je pourrais, je crois, répondre par une question mais ne crains pas les pièges : j'imagine des choses neuves, pas encore pensées, pas en ces termes tout du moins, des lieux où tu aurais ta place, des dispositifs que tu concevrais toi-même, ta poésie, ton chant, ta couleur rouge, ton ordre à la ligne et par delà, que tu écloses en somme, et puis le don, point.

J'ai appris, comme toi par capillarité qu'un objectif ne se peut définir comme tel que quand l'on ne peut plus apposer à sa suite une question comme "pour quoi faire ?". Un objectif se suffirait donc à lui-même. Marketing. Invention d'un siècle un peu trop échancré par la guerre, le flux des places financières, l'obsession de mettre tout sous son contrôle.

Si je donne, c'est toi qui sait pourquoi, moi, je m'en balance. C'est plus ma tasse de thé, c'est pour toi, tu n'en veux pas ? Laisses-le, cela ne me regarde pas, non plus. C'est sorti de moi tu vois, mais je ne veux même pas que cela soit ce que tu vois, c'est strates feuilletées et floues, ourlés délicats, arias suaves, griffes au visage, c'est con, c'est bon, et ça ne vaut rien.

Je sais bien que c'est la tare des anarchiste, aussi ne suis-je pas anarchiste, détruire sans érection. Tu permets ? Je veux voir.
Lu : Don Sanche d'Aragon
:: 04.01.2004 ::
L'Académie française, c'est comme la prostate : elle fait rire quand on en parle. Personne n'a jamais été fichu de savoir à quoi elle servait exactement, mais sur le tard, elle finit toujours par devenir pour tous les hommes un besoin pressant.
L'académie française avec Giscard c'est vraiment l'appât hideux du temps premier aux heures paralysées devant la lucarne, n'est ce pas ? C'est l'académie des stars, les bacs degeus dégueulant d'iniques léonines scandées sur de faux beats, les histoires de loft mais sans pisser dans la glycine, les légendes créées avant que d'être, je m'en cogne une ration de dix heures sans stop : les six chaînes nationales, les programmes ahuris, les présentateurs vedettes, l'humour de chiottes et les blagues de toto, la course aux gains... et dire que cela n'est pas interdit... du pain, des jeux, surtout des jeux, ici la chroniqueuse porte un nom de yaourt, on n'imagine pas plus direct non ? Ici la mince frontière entre réclames et programmes a disparu, et c'est pas mal : cette limite là était factice, on vend du cul, avec le cul ou par le cul, il y cette phrase tirée d'un vieux duke nukem et qui m'amuse encore : your head, your ass, what difference ? et vlan, un coup de lance roquette entre les fesses ou dans les joues, pas besoin de viser, peut être, mais ne soyons pas dude trop quand même : il y a, sans précisions, une visée.

On croit qu'il suffit de l'éteindre, qu'il suffit de descendre la laide électronique à la cave et que l'humidité se chargera de taire, c'est faux : plus qu'une muselière c'est carrément l'aiguillon, voilà l'ennemi, la télé, putain quelle horreur, dont le pouvoir s'étend bien au delà des foyers, la télé instrument faisant plier toute différence, toute initiative dans la sûreté des modèles incontestés, la télé qui décide de ce que vous bouffez, de ce que vous ne lisez pas, de ce dont vous gavera par les cinq sens, qui placardera vos villes, vos routes, vos voisinages, vos salles de spectacles réduites à la condition de salles de spectateurs, la télé circuit vingt-quatre et plus de mômes ce qui arrange bien quand il faut classifier la teneur de l'horreur, et cette promotion systématiquement pédophile... la compète du sport toc super triché au rang même de la mort ou du pressant, la survente de toutes peurs... les armes partout présentes, à la main comme des mouchoirs ou des bouquets de roses... l'héroïsme par tous les trous; par amour du raccourci, je dirais que j'en ai marre de voir l'audience de ce blog et de quelques autres, qu'ils se lisent ou bien s'écrivent, cannibalisée par l'hertz, le câble, les tuyaux du dépotoir qui déversent engluements, racrapotages, ici sur ce canal c'est une bande de texte qui défile pendant que s'incruste une petite image dans la grande, prends en plein la joie, camarade, fous t'en jusque là, pendant ce temps je baise ta femme.

Lu : Symétrie et phénomènes physiques.
:: 03.01.2004 ::
Lorsque je me tins devant toi, tel un miroir limpide, tes yeux plongèrent dans les miens et contemplèrent ton image. Alors tu me dis : " Je t'aime. ", en vérité, tu t'aimais en moi.
Dernière soirée, et les adieux dits à pleine bouche pour quelques uns, du bout des lèvres à d'autres, précisons que M. et moi avons lancé comme à l'accoutumée notre entreprise d'investigation et de destruction lors d'une conversation moins anodine : qui êtes vous sous la cape, sous le loup ? Je dis à E. à ce moment et avant les mauvaises grimaces que je suis stupéfait, stupéfait de constater qu'on puisse, à bac+ un gros paquet, vivre à ce point dans l'ignorance du monde, sans éducation au plus simple, au limpide, à ce qui éclate et sans options politiques : savons-nous qu'en Géorgie, un chercheur en biologie voit son salaire tout juste suffisant à acquérir quatre kilos de viande ou trente-cinq oranges par mois ? Savons-nous la saveur crame-langue de voir sa terre partie aux colons, de n'en plus espérer que le droit de retourner quinze heures par jour pour y gagner poignée de manioc ou de bananes ? Tu vois E., tu vois N., je suis écœuré, simplement écœuré de cette mollesse à croire que la volonté d'aller au travail répond au besoin, ne serait-ce que matériellement et vos appointements d'avocats, torchez-vous avec dans le mercure et le béton, dans vos climatisation et gazs lourds, dans votre bruit et votre acier pointé, votre mort braquée comme la preuve qu'ici l'antisémitisme ne vaincra pas, je suis juif, maintenant je peux le dire, et plus du tout depuis quelques années si tu suis mon doigt du regard, de toutes façons l'on ne m'enculte pas, votre tour viendra, soyez certains qu'avant vos enfants vous connaîtrez le temps des regrets, sinon celui du remord.

Je suis navré de l'écrire, enfantin, démonstratif, morale globale, et puis nous sommes le trois janvier. Le bon moment sans doutes. Concrètement ça passe par l'achat solidaire, équitable. Par l'éducation. Par se poser les bonnes questions. Par exprimer, lors des audiences populaires, l'attention que nous prêtons à l'autre. Fin du prêche. Et bien sûr j'aurais honte de lire ce post, que soient instrumentalisés les mots que je dépose ici, qu'ils visent à servir la moindre cause, mais merde... il semble qu'il y ait urgence, et plutôt deux fois qu'une.
Lu : En Hollande, Lettres à un ami
:: 02.01.2004 ::
Je jetai un regard dans l'encrier, j'y vis deux mouches. Noyées. Qu'était-il arrivé ? Un double suicide par dépit amoureux... ou une chute dans les montagnes de verre provoquée par un éboulement, grains de poussière... il était trop tard pour prétendre à une explication.
Sérieusement équipés -ce que je ne dénonce pas, étant première victime de l'avoir aux fins de faire- nous allons de nos pas volontaires à la cime, raquettes et engoncements polaires, ce qui encore me remet au sujet du temps, celui en l'occasion qui s'étire entre le projet formulé la veille dans le confort des canapés verre à la main et discussions rieuses et celui pris à ahaner qui sa tabagie, qui sa mauvaise saison au bureau, ce temps double qui ne se croise pour ainsi dire jamais une fois l'enfance éteinte où le corps a définitivement divorcé de l'âme, ce temps gros gredin trompeur qu'assimile la pensée et puis les actes, les mises à plat, les pauvres mots incompétents à signifier l'épaisseur : chouette ballade, oui froid, et l'arrivée terrible ! Épuisante, d'autant que le manque d'oxygène, la perspiration félonne à l'arrêt, voilà, tous et tout.

Alors on prend son appareil photo, horloge à deux dimensions qui fait encore rebondir d'autres mots, il faudrait étirer et manifestement l'on échoue, l'on s'empêtre, l'on s'enferre : la grande aiguille sans ressorts, oncques trotteuse et barillet brisé, cela tout de même possède un avantage : le format comme celui des souvenirs autorise à un classement efficace.

Autrement je pense à Nathalie Sarraute assidue de montagne, à cette pièce pour un oui pour un non et je joue à autre chose : adorer sans subtilité la présence de S., son équilibre stupéfiant, sa capacité à dire et la chaleur qui émane continûment, le sourire très en œil de K., l'ouverture d'E. sans lézardes à ce moment, je teste encore l'amour crois-je, je peux dire de moi qu'avec constance je suis en état d'aventure, d'exploration, je me prête à toutes expérience dans une égale probité et une curiosité réelle.
Lu : les belles endormies
:: 01.01.2004 ::
Que demander d'une fleur sinon qu'elle soit belle et odorante une minute, pauvre fleur, et après ce sera fini.La fleur est courte, mais la joie qu'elle a donnée une minute n'est pas de ces choses qui ont commencement ou fin.
Seuils et départs, vent jusqu'aux soutes dans la tiède caresse en une seconde bue, voiles rondes d'allant et voiles ôtés, joués, mis en scène, actualités de soi vers d'autres et non dans le sens contraire, liesses sans laisses et beaux parjures quand il se joue d'être plus libre, sifflement des cristaux à la pulpe des doigts, sous l'impulsion bulleuse des champagnes ineffables de la musique plein la cale, des portes-notes, de la culture à bout de souffle et puis d'ailleurs, vos peaux confondues de l'être, du néant, dans le galop au sabre clair et l'absolue descente par delà l'épuisement, des phrases ou bien des mots qui bourdonnent, qui saturent s'esbaudissant, qui chahutent, cent mille baisers en tournoyant, lisses moments, aspérités dans ce rugueux sublime de se combler encore, vivre vite, vivre longtemps, les écarts en se foutant de tout, de chaudes larmes dont le sel retenu vous ramène à toutes les mers, le bord des bords, d'autres avrils finissant à branle-combats ou pris en soie comme un coucher de lune, juillet sera toujours sans fin quoiqu'avec pluie et belles promesses belles, l'Espagne, le Japon, tant qu'à faire le Pérou, pattes de chat, que vos amours s'aiment, que vos espoirs s'allument parfaitement brûlants à plein inassouvissements et portés par devers le fort tabac, le rhum, d'antiques livres découverts ou un nouveau roman, short story aussi, la poussière en trombe tombant et c'est de l'or, de l'or, des paillettes, sentir, courir et voir, ce rire parti du fond de l'être qui secoue jusqu'aux murs des cités, le silence tout autour et dit à rimes exactes, les jolis matins mutins, mâtins et matois, du rouge comme l'an passé bien mieux encore, une pause, vaciller, jouir, s'émerveiller, en pleurer, le goût du sable et puis du vert, grains de démence comme silice au liège des sandales capricieuses, inconséquences arachnéennes prises au fil de la toile mais en dehors des sphères, des lettres envoyées en plein parfum d'à bientôt, je vous aime déliquescent, de l'immédiat, de l'allongé, sautille enfant, rigole dame, écrits messieurs, tout ça dans le désordre complet, dans le bordel la moire et la peinture, trouer ce ciel, se péter les poumons de ce que cela soit tellement bon, se prêter nos prénoms, se maquiller paraître, s'habiller jouer, gueules charbons, costards exquis et robes sexy, à bloc d'au top, aller dans le pur, aller à l'élégance sans une seule convention, écrire bien sûr, adorer ce qui vient, se taire, parler beaucoup, croquer en une seule fois et laisser fondre, boire le calice, jouter la lie, que l'année deux mille quatre soit drôle, simple, frivole, belle comme une fleur parme, folle à lier et célébrée, qu'elle soit vôtre et demain.
Lu : 366 jours pour réfléchir à la terre
:: 31.12.2003 ::
Je l'aime ; et quand les voeux que je pousse pour elle/N'en obtiendraient jamais qu'une haine immortelle,/Malgré tous ses mépris, malgré tous vos discours/Malgré moi-même, il faut que je l'aime toujours.
Chamonix maintenant et dans la vallée moche et trop petit studio s'abritent de formidables pinces-cœur. Des gens très bien, des avocats, des ingénieurs, vétérinaires, tous les compagnons de l'année à torcher, la plupart me sont inconnus, et c'est bien, d'autant bien qu'il ne me vient plus, j'en fais le constat à l'instant, de dire qui je suis, où je vais, ce que j'ai fait et le pourquoi, le comment, j'ai d'ailleurs la sensation d'avoir quitté le monde depuis longtemps et d'avoir évité une révolution de moeurs assez fondamentale : personne ne pose plus ce genre de questions, à moins que je ne sois comme souhaité : tout à fait transparent.

Après le ski et les descentes comme un fou, bien que la neige tollée rien ne m'arrête ni ne me freine, c'est fondue, picole, musique, imitations, bagarres de coussins qui nous opposent aux voisins, concert de casseroles à minuit pile, embrassades, tout est comme il faut chez les enfants du monde, cela fonctionne, cela se pose sur l'habitude et les manies, sur la structure. De bonnes résolutions, j'en ai, dehors ai-je dit sans en démordre, et aussi : du rythme, des horaires fixes, de l'assiduité mais bien plus encore : taire mon orgueil. Réhabiliter le(s) verbe(s).
Lu : La place royale
:: 30.12.2003 ::
Mais je découvre : c'est mourir avant l'heure que de faire des économies de vie. Le bonheur ce n'est pas de gagner du temps : c'est de savoir le perdre. Pouvoir écouter patiemment la confidence d'un inconnu bavard. Se mettre en retard de son propre travail pour donner un coup de main à quelqu'un qui en a besoin. Donner impulsivement l'objet qu'on aimait bien. Et prendre son temps, muser dans l'air du temps, traîner gaiement, bayer aux corneilles Dans la biologie-physique-et-chimie de l'être humain, une saine économie, c'est de ne pas en faire. Calculer sa dépense est un mauvais calcul.
Je suis charmant, à ce point séducteur dans la maison de Savoie, je fais des mines, j'arrange comme Tom Cruise la lumière en écharpes et bijoux autour de mon visage, je fais masse de trucs avec les yeux, la voix, des mots reviennent en évidence, au fond de moi ne me quittent plus un seul instant les basses enchevêtrées du père, de l'agonie, de l'opportun et de Dona Elvire, la chair de poule et la pluie ou tout comme, le duel de Dom Juan, les pointes de fer maniées jusqu'à râles, capes et masques, draps défaits, fuites et fuyards.

Last year à Marienbad, Moderato cantabile, et puis ce truc de Pialat vu déjà vingt fois : sous le soleil de Satan, Depardieu que je n'aime pas mais simplement sublime, quand on montre le diable, on montre seulement l'usurpé, la gloriole facile, le faux de bric et broc, le diable, le mal et tous les axes n'existent pas : il faut bien vivre, tout, encore, se résume à cela.

Somptueuse balade accompagné de M. dans les bois noirs et la neige crue, le gui, le craquement des sols à mortes feuilles, les mains tenues. Je ne parviens toujours pas à ce que se résolve la question -une brèche, un exil- et je songe à Judas, je fume trente cigarettes.
Lu : l'épreuve et la femme de trente ans
:: 29.12.2003 ::
N'importe quelle histoire, si vous y songez bien, n'est jamais qu'une histoire de gens qui s'entretiennent, se querellent ou se saluent longuement pour prolonger leur réunion sur une terre où tout semble passager et où tout s'enfuit au fond du temps.
Je dors extraordinairement tout de même, quelque chose comme le double de temps d'avant et ce n'est pas me réveiller qui me tire hors du lit, au contraire. Dix livres commencés gisent. Je suis complètement incapable de recoller les prénoms, descriptions, liens entre les personnages, il serait temps de remettre en cause le réflexe animal d'enfiler lignes et sauts de page. L'odeur de M. dont oreillers et parements sont empreints, et si un jour je suis ivrogne, ce sera accroché à cette odeur de peau, de rêves secrets, de fulgurances nocturnes, intensément bruts, sales, rieurs, d'énergies épuisées et à refaire.

Quelqu'un que je connais m'écrit après avoir lu quelques textes d'ici. Me demande s'il s'agit de moi. Je réponds par cette plaisanterie éculée, interphone, téléphone, que c'est bien moi sans plus de précisions, sans certitudes non plus : je comprends que l'on ne peut pas croire un tel écart entre façade et cœur. Ce qui l'explique c'est que j'essaie, de toutes mes forces, j'essaie tête en dessous, savoirs en berne, peurs éloignées, avec autant d'humilité que possible je veux voir ce que la vie, ce qui se trouve dehors me donne, comment cela transforme, ce qui passera, se passera.

Lire encore Bergson et tenter de saisir, en dehors de moi, que le présent ne préfigure en rien demain, en rien, en rire.
Lu : Technical Alpine Climbing For Two-Person Teams
:: 28.12.2003 ::
Toute tribulation [sic] embellit les êtres.
Énième repas et l'on se ressoude, comme cela, une fois l'an, C. et J. me semblent si loin, charmants jeunes gens qui sont déjà de l'autre côté, du mien, de celui où l'on sait qu'il n'y a rien à savoir, que le bonheur ne vous descend pas dessus du plafond mais qu'il s'usine au rythme des machines qu'on veut bien laisser tourner, alimenter, dans l'entraille de sa fabrique personnelle et les rouages métals mais masque devant les yeux quand même, ne pas prendre un coup d'arc.

J'en ai assez, assez de plaindre ce moi, assez de l'écrire, assez de ressasser mêmes autogyres et spirales d'Escher, j'en veux personnellement à dieu, mes parents, le passé, mes amis loin et le lourd intellect, mon corps impuissant, les fluides qui ne sont pas ou bien sont trop, tous ces morts, bordel, tous ces morts et c'est ça surtout je crois, assez de n'être pas simplement une ravissante idiote, un cadre volontaire, une avocate dynamique, une mère de famille ou un chat, un écrivain célèbre extrêmement imbu de lui-même, assez de ne pas mieux saisir le tumulte bruyant des obligations et des fêtes, du plaisir et de la peine, assez de ne pas savoir tout simplement cesser d'être le spectateur stérilisé des nécroses qui me figent, je devrais aller relécher mes blessures et membres glas dans ma tanière de Lozère et puis aucune projection ne semble assez se colorer pour que j'y vois espoir, histoire.

M. se porte mieux tandis que P. s'imbibe moins vite, C. s'est lestée d'une compil tout à fait formidable de tubes hors d’âge et de rires, il semble que soit prêtée une certaine attention au bonheur et j'ai un peu de gratitude, je me joue des pluriels.
Lu : Le pays où l'on n'arrive jamais
:: 27.12.2003 ::
Si la vie est immédiate et verte au bord des étangs, pour la rejoindre, il nous faut d'abord rejoindre ce qui en nous est comme de l'eau, comme de l'air, comme du ciel.
Mais non en fait (?), J. c'est n'importe quoi, décharnée, désossé squelette aux jambes pincées et je ne peux pas déclarer non plus que cela tienne à la voix, K. ce n'est ni les formes ni l'accent ni le sourire, I., V., A., pareilles, il n'y a pas de beauté qui tienne ou plutôt elle n'est que dans l'œil de l'admirateur c'est sûr, et puis ce n'est pas si sûr, pas sûr du tout assurément (?), c'est ailleurs encore, je comprends que ce ne sont ni les projets, ni les intelligences, ni le bord politique ou la générosité, ni la moralité et pas vraiment le physique où magnificence se mêle confusément avec mécharmes et hors-canons, non, c'est l'immédiateté, tout simplement, l'observation de la vie coulant là, sans retenue, sans distance, sans philosophie ni théories, le bouillonnement du désir instantané, peut-être le fait qu'on se sente bien ou en tout cas pas si mal en ma compagnie, je veux dire que je ne sois pas une menace, et je comprends aussi que je sois tombé raide dingue de l'écriture et du journal de Kinjiki, que depuis cela n'a pas cessé, le flot, l'ardeur en toute attitude qu'elle soit triste ou bien heureuse (ce qui est même chose), qu'elle déjeune ou rencontre ses amis, un sale type ou un chauffeur de bus, à la mer, la montagne ou l'herbe verte et puis cela me claque encore : ce journal, c'est l'immédiate, je n'aurais pas mieux dit, personne ne l'aurait fait.

Je déménage mon père, d'un château l'autre et je vois bien que ma vie à moi, c'est que quelque chose tienne sur mes épaules, la responsabilité, la canne du berger, les transhumances, seul il y a longtemps que je serais tout à fait inerte alors j'en prends plus que je ne devrais, courir, porter, aider, être là, pleurer parfois de n'avoir pas plus de retour, à moins que je ne doive remettre en cause la fiabilité de mon calculateur, et toujours de toute façon je suis accompagné en secret de cet axiome de Léo Ferre : quand on passe son temps à comptabiliser, l'on devient un comptable, alors, et basta.
Lu : Une bonne poignée de textes de l'immédiate.
:: 26.12.2003 ::
Je m'emmerde avec les habitants de cette planète parce qu'ils ne peuvent être que terre à terre, aplatis et plats, réalistes et mal réalisés, limités à eux-mêmes et ivres de se confesser à la gueule du premier venu.
Gueule de bois et toujours pas de ftp, je fuis O. téléphonant en espérant qu'il comprenne, je ne réponds pas à mes mails, les stats du blog deviennent folles et je vois que google m'a fait remonter sur le podium, moins j'écris, moins cela chante et plus je grimpe, ce journal intime se pose au diapason de nos modernes temps : merdique et consommé.

Seigneur des anneaux volet trois, un monumental joyaux photographique -trois heures de métal ajourné et tout ce soin- mais désespérément vide : il faut dire que cela raconte, et moi, les histoires... V. m'exaspère comme la masse presque complète de mes contemporains agglutinés les uns aux autres, tenus, accrochés par mornes soucis, mornes plaisirs et destins et sachant bien que la quête de sens casse plus qu'elle ne pousse, je repousse encore toutes mes échéances avec l'idée que quelque chose de grave peut-être me sortirait une heure, une heure seulement du marbre qui fige tout à l'intérieur et pour être plus précis au chapitre des bonnes résolutions, je dis que j'envoie à la première occasion mon psychanalyste rejouer dans sa cour, plus un rond, plus un mot, faut pas se foutre de moi trop longtemps, je suis déjà servi de ce que mon enfance fut un désastre convaincu, alors.

Et puis les thèmes aussi, l'amour, l'amitié, l'art, donnant-donnant, le sexe, la claque couleur, les femmes jeunes, quoi d'autre ? La musique ? Les romans ? Ces questions cuisantes de l'existence, de la justice ? Merde.
Lu : faits et croyance
:: 25.12.2003 ::
On parle comme on sent : mettez le plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et voyez-le expliquer la loi !
Des kilomètres encore vers une autre famille -une autre propriété- dans le bleu glacé de noël qui scintille, mille feux, mille lumière mais à l'intérieur ce froid sombre, je m'en fous, je me fous de tout, je suis seul à bord, seul à table dans les rires et les engueulades, seul à me dire que les photos de fête sont toujours moches gâchées par l'étalage d'objets, de marques, de bouteilles et d'emballages dégueulasses, faut-il tout de même que nous soyons aveugles pour ainsi nous submerger et je comprends qu'il s'agit seulement de combattre notre agoraphobie.

Pourtant il est mon oncle préféré, et de loin, je pourrais, je devrais au moins ce bonheur-là, je me souviens de sa fermeté quand son père avait décidé de le faire médecin quand tout ce à quoi il postulait c'était bouffer du Crs et du gaulliste, des cris qui traversaient les boiseries et les stucs, la véranda, les commodités jusque la rue, journaliste, journaliste un point c'est tout et j'emmerde les bourgeois et puis mieux que ça encore, cinéaste, son premier studio, son premier film, son hommage à Méliès, son cinéma ultra militant et cette façon de ne jamais gagner d'argent, son brisement et le mien de voir Sammy mourir à petit feu, mon pire et mon plus beau chagrin - savez-vous quelque chose de se voir totalement noyé en ses larmes, en sa morve ? - de sa probité bordel et même Yves encore à la secte, même Dominique mon jésuite de parrain ne lui arrivent pas à la cheville...

Mon frère si seul aussi, qui veut partir aussi, je ne sais pas quoi dire qui rompe la solitude.

Z. à quinze ans superbement adolescente et j'applaudis l'énergie et la verve et la verdeur et sa manière d'éviter les ornières et chemins tout tracés, ça doit être bon, délicieux, si je pouvais marche arrière faire !
Lu : le génie du Christianisme
:: 24.12.2003 ::
Personne n'est capable réellement de penser à personne, fût-ce dans le pire des malheurs. Car penser réellement à quelqu'un, c'est y penser minute après minute, sans être distrait par rien, ni les soins du ménage, ni la mouche qui vole, ni les repas, ni une démangeaison. Mais il y a toujours des mouches et des démangeaisons.
Toujours J. mais c'est facile et fabriqué, complètement faux, ce sont les mots de M. qui trottent et gouvernent mes tentatives, être vivant, rester vivant, sentir cela, la vie, un grand souffle ou une brûlure, un picotement, n'importe quoi qui me sorte de ma veille enveloppe indolore, de mon corps fané et de mon désespoir, je pense partir loin, peut-être retourner à Tokyo comme il y a quelques années quand j'avais compris de ma laideur de beach boy parfaitement musclé, gueule carrée, tignasse blondie et regard en lapis-lazuli, la panoplie complète, qu'elle me faisait proie convoitée au soleil levant, ça avait marché cet artifice comme un feu dans mes membres et j'étais revenu à ras bord d'énergie et de sûreté, à moi le monde, à moi les choses à dire et les messages, à moi l'assurance des indispensables et des plaisants, ou alors essayer la Géorgie, le Vietnam, cesser d'écriture aussi, plus un mot car ceux-ci ne m'ont pas attendu : je sais bien que l'ânonnement boursouflé produit par paquets de jours n'emplit plus le blog d'os et mes carnets que pour la question de l'espace, J. est une liane, belle et bête ce que j'adore et ce qui me convient, je profite par bouffées de l'immense maison, du domaine, de la débauche des mets, des vins, je voudrais que cela me tue, je promène mes cousins et mes oncles à bord de ma feulante Lamborghini, bruit des cylindres et de l'étonnement, vacarme même qui permet de rester à distance nonobstant ou plutôt à diapason de l'énorme pont central, toujours les mêmes questions, les mêmes chiffres, les mêmes mots, sapins, cadeaux, mercis, ordres des choses, le repas ses milles entrées, les invités d'eux mille photos, le sapin, le champagne et baisers, je finis par m'endormir priant pour que la mort me prenne. Mon frère si seul aussi, qui veut partir aussi, je ne sais pas quoi dire qui rompe la solitude.

Lu : Jude l'obscur
:: 23.12.2003 ::
Je parle tout le temps, mais je ne sais pas répondre. C'est d'ailleurs pour cela que je parle tout le temps, pour empêcher qu'on me questionne. C'est ma façon d'être muet.
Voyage muet, faussement familial. C'est notre façon de participer à la marée, la coulée d'acier qui vient au sud ou à la neige, millions de sardines sans imagination dans nos petites autos, nos minuscules inquiétudes, notre façon d'occuper le vide, tout de même j'attends un peu de revoir J. dans l'impossibilité unilatérale que quelque chose n'arrive et puis je n'attends rien, une dernière piqûre peut-être, un sourire arraché comme un os à son chien, un clignement de l'œil et c'est poudre, c'est paillettes, nous avons franchi tout à l'heure les portes des terres ancêtres et nous avons roulé, encore, longtemps, jusqu'au chaud des couleurs et du manoir : nous sommes attendus.

Comme un serpent lové dans l'écoute de R. j'observe J. et ses manières un peu voyantes, ses tentatives de rétablissement à l'ordre des femmes ou du désir inspiré, je saisis ce qui me rapproche des manières simples, je me suis complètement abêti c'est sûr, je vois aussi ce qui m'en sépare, ne pas admettre cette réalité ou pseudo que je sois seulement stupide, j'ai cessé d'enregistrer, le présent chez moi bénéficie d'une espérance de vie de quelques heures, tout s'efface à mesure, depuis combien de temps n'ai-je pas pensé ? Réfléchi ? Imaginé ? Je suis là, point d'entrée aux propositions extérieures et me laisse porter par ce qui traverse ou descend, par les autres, les sollicitations téléphoniques ou de messagerie, c'est tout, j'essaie d'inscrire quelque part, dans une case de mémoire, dans mon sang, dans ma chair, faut pas trop rêver, l'arc de son corps, ce mouvement de main, une intonation peut-être de ce mot qui m'a plu et je sais bien que tout sera lavé vite, atone, grisé, enfoui, cela n'aura jamais existé ou sera confondu dans d'autres moments, d'autres élans si seulement encore je puis.

Sinon gens charmants, bons moments, repas superbe et je glisse en doigt pointé dans le scintillant rubis d'un verre bourgogne.
Lu : L'harmonie imitative de la langue française, poème en quatre chants
:: 22.12.2003 ::
On est tous les mêmes, plus ou moins fiers, plus ou moins tapageurs, mais le moment venu : la courbette.
Cette année cela aura été encore un peu plus pire-ça-craint que les précédentes, j'en suis au blocage quasi, à l'inextricable, pourquoi ne suis-je pas suffisamment insolent pour y arriver les mains vides et repartir tel quel, j'ai passé une soirée merveilleuse, vraiment, mais je n'ai ni merde à offrir, ni merde à recevoir et puisque nous en sommes à aborder ce chapitre, sachez que je vous tiens rigueur de m'avoir davantage encombré que je ne l'ai fait, que cela ne restera pas impuni, patientez donc jusqu'à l'année prochaine seulement.

Il se trouve qu'assez facilement je peux comprendre que je ne suis pas vraiment généreux en ce sens que si j'ai peu de plaisir à offrir, je n'ai aucune joie à recevoir, ou plutôt : les inquiétudes, le coup d'œil furtif, encore un peu de stress, de contraintes, de plateaux de balance, les justifications d'après présents, ce n'est pas tant le fait que cela soit à date fixe mais plutôt nos piteux manques d'appétit, j'ai plus de matière de toute forme et sorte que vous ne pouvez l'imaginer, vous pareillement n'est-ce pas, mais je vous rassure, vraiment tellement bien trouvé, vraiment, tant d'agrément, la vérité : laissons-nous un peu en dehors du marchandage mal à propos, voulez-vous ?

Mais non. C'est Noël. Révérences dociles et ploiements obéissants. J'y suis retourné de mon petit couplet, du pur artisanat bien joli, de bons bouquins choisi méticuleusement en fonction des goûts et personnalités, une lampe faite de mes mains, ce tableau encadré, une compilation d'articles et mélodies inédites d'époque, plein le coffre, des mètres d'emballage polychromes, quelques bouquets, quelques bouteilles, un peu de numérique, rien que de l'éphémère à se traîner jusqu'aux héritages futurs, l'autorisation faite aux pourvoyeurs de me prendre expressément pour un con-mais-c'est-la-période, je n'ai que moi au fond, est-ce cela que vous voulez ? Je me donne, alors, et moins il y en aura, moins cela pèsera.
Lu : les gracques
:: 21.12.2003 ::
Donner des ordres, détruire tout ce qui bouge, considérer l'autre comme ennemi ou subalterne, voir du cadavre et bouffer toujours la même chose, le cul tabassé sur le siège d'un half-track génère un vocabulaire utilitaire et minimaliste, élimine la métaphore et le symbolique, construit une syntaxe qui ne permet aucune interprétation et ne comporte aucun cas particulier
Encore je ne réponds pas au téléphone, je ne réponds pas au courrier s'entassant qu'il soit électronique ou non, je règle le nécessaire par petits traits économes, brefs, pingres en vrai, avec au fond la certitude d'un peu trop tirer sur la corde mais j'assume, voilà me dis-je ce qu'est d'être gâté, une dent laide, mauvaise, un môme ingrat, il y a tant de solitudes qui se sont imposées dans les vies, dans les corps et moi qui encore qui ai la chance de me voir entouré, il faut que j'expose mon caprice, que l'on me fiche la paix, que je fasse ma diva claquant la porte et maux de tête, laissez-moi seul, seul, que sous aucun prétexte l'on ne dérègle mon exil.

Je mets un disque ou pas, un vieux truc français, Ferré, Reggiani, Juliette Greco ou alors de la musique américaine, Julie London, j'adore, Louis Prima, ça peut-être trick of the tail de génésis, au-delà du délire d'Ange (et le petit con était triste, il ne savait pas lire), évidement Bowie, Gotham ou crackle de Bauhaus mais spécialement fort, je passe un film et il y a fort à parier que ce soit David Lynch ou Wong Kar Wai, je prends un livre, en ce moment cela peut n'être qu'un recueil de photo (Baldwin par exemple) sans texte mais aussi un auteur russe ou du nouveau roman, forcément et puis je finis toujours par m'énerver de ne rien savoir du temps vécu en dehors de la distraction alors je coupe tout, plus un son, plus une image, j'arrache les fils du téléphone et vais me déborder sous des tonnes de mousse, au bain, j'y reste très longtemps, mes pensées se font de bric et broc, de choses très primaires, sans vitesse, sans approfondissement, je ne reviens au monde que quand celui-ci a tout à fait perdu son cadre.
Lu : le sexe des rimes
:: 20.12.2003 ::
Carnivore : qui s'adonne à l'action cruelle de manger l'infortuné végétal, ainsi que ses usufruitiers et continuateurs.
Et j'en prends jusque-là, tout ce que je peux prendre, tout ce que je pourrais garder ou non et je m'en fiche un peu, des rues blanchies de neige, le son des pas bu par la couche épaisse par-dessus les pavés, toute cette poudreuse revanche de l'ignoble été qui jamais ne prenait fin en France, de l'eau, des fleurs de verre, j'avance une ruche à bourdons entre les oreilles, les yeux fichés au ciel, piqués bleu dur, noyé bleu tendre, les flammèches qui rebondissent partout dans les lianes de glace, encore taper mes pas au pont d'œufs, encore sertir la narine de force de l'air gelé et de la ville, je pars tout à l'heure et pour un an peut-être, alors.

Alors comme Rome. Barcelone, Madrid, Paris, Budapest, New York, alors comme Buenos Aires et puis Berlin, alors comme ici et ailleurs j'ai l'ambition d'un arbre grand secoué au vent, pourri d'années et de bonheur, immobile aussi, un arbre au pied duquel un banc, m'enraciner là et partout à la fois, au bord des plages frissonne, en colline tisonne, je garderais toujours pour moi le secret de cette ride spéciale, à la commissure des lèvres, à bâbord et tribord du regard, les visages rieurs franchement, les sourires pour peu qu'ils soient subtils, la grâce parapluie mais mouillée d'elle, l'éperdue touffeur des errants qui seuls savent que rien ne se sait pour de vrai.
Lu : La Calprenède et la politique des années Mazarin
:: 19.12.2003 ::
Oui, c'est un bien grand mal, pour les honnêtes gens, qu'un homme pervers s'élève aux honneurs en charmant le peuple par son éloquence alors qu'il n'était rien la veille.
De la main droite mais très lente elle effleure un verre de pain liquide, une Radegast à billes d'or, des embruns paresseux, l'onde entamée de l'index semble remonter jusqu'à l'épaule par vagues pleines, elle parle un anglais pétri de slave que j'essaie de déchiffrer à travers les lèvres, je dis que je lui dois ma grippe, elle rigole, comme la musique, comme la fête autour et les foulards bohèmes, comme les gens qui se lèvent, s'assoient, et les habits sertis de rouge et de brocards, elle nie à peine, je glisse doucement depuis ma fièvre dans la facilité du moment, les épaules nues, les maquillages épais et sublimes, l'air coq des garçons et les chemises serrées dans les pantalons, la cascade lactée du rire de Monika, cette façon super gauche donc super classe de me laisser allumer ses cigarettes, l'alcool qui continue d'arriver sans que n'y fassions rien, centimètres par centimètres nos peaux s'aimantent tandis que je garde l'air de rien, impeccable, distant, très détendu, complètement saoul, je suis intarissable de littérature et de voyages, en sortant elle dit avoir froid et je lui donne mon manteau, nous remontons par les petites rues voûtées de réverbères un peu mandarins tout de même jusqu'à sa porte et en français elle demande si les honneurs de sa couche la feraient pardonner de ce que je sois mal fichu par sa faute, je n'ai pas envie que ce soit ce moment, encore, de l'écrire après, encore, de toute cette accumulation du désir qui se joue jusqu'à la mort, de cette situation tant vécue mais aussi tellement vue, lue que l'on s'en trouve dépossédé, et puis j'ai très envie d'elle, de remonter de son index à son épaule comme une bulle sournoise, de l'emprunter comme une ruelle pavée, plus ou moins par mégarde, hypocritement c'est à dire sans sûreté, je dis que oui, bien sûr, mais que nous dormirons seulement et qu'à cette heure pas d'histoires, son lit est comme son corps un vertige bouillant de lins, d'odeurs qui vous attachent, de rubans, de foulards et de soies, nous sortons de notre ivresse avec les petits bleus de l'aube.
Lu : le roman bourgeois
:: 18.12.2003 ::
Le plafond, dans l'enseignement, doit être compris de façon à faire ressortir la taille de l'adulte vis-à-vis de la taille de l'enfant. Un maître qui adopte le plein air avoue qu'il est plus petit que l'arbre, moins corpulent que le bœuf, moins mobile que l'abeille, il sacrifie sa dignité.
Ca a bien duré six ou huit mois, parigot, parisien, au moins ça, le temps de se correctement entailler la peau aux cabanes et d'apprendre à ficeler nos cartables direct sur la selle des vélos, à ne pas rendre de devoirs trop proprets et apprendre à ne même plus s'apercevoir de la présence des filles lors de la récré, nous qui avions appris des années à tirer leurs cheveux et puis se mettre en grâce, la classe c'était un impeccable foutoir mélangé de trois cours mais qui commençait toujours par l'examen d'une planche de la hulotte ou la lecture d'un numéro, hier les champignons, aujourd'hui sur les oiseaux de nuit ou bien les rongeurs, deux fois par semaine on n'avait pas même le temps d'ôter nos manteaux qu'on repartait par le haut du chemin, bifurque à gauche, longe la marre, tiens salamandre, tiens libellule, dytique, têtard, et puis hop aux champs, hop aux bois, voyez-vous cette nervure particulière, en cette saison, ou bien cette chrysalide ? Trouvez-vous le pourtour de ce rond de sorcière, savez-vous pourquoi cela se nomme ainsi ?

Il était l'heure de rentrer, écrire un poème ou la pièce de théâtre de la fin d'année, appliquer quelque principe de calcul mental à l'économie de la cantine, rédiger une lettre à son grand-père racontant ce qu'on avait aimé de la lecture de Daudet ou de Pagnol, Monsieur Karl très impressionnant d'autorité, de calme et de justice, sachant tout et cherchant le reste avec nous dans les livres, jamais un bon point ni un mauvais, mais une drôle de manière de vous confier la correction du prochain devoir et puis je crois, une confiance intègre à l'idée que le meilleur ça vient du cœur et qu'on est pas obligé de le montrer, mais que c'est là, personne forgée, libre, inébranlable, digne et sans principes.
Lu : Peter Camenzind
:: 17.12.2003 ::
Planifier, structurer, gérer. Mots de notre temps et qui viennent à la bouche de ceux qui ne font rien sans précautions.
Les voyages au nord, petit, c'est l'hiver tombant la nuit jusqu'au mois de mars et les platanes qui défilent collés aux bords de la familiale, c'est le silence installé en troisième passager de trêve entre les parents, c'est la poisse brouillée, diffuse, c'est le chaos des routes à peines visibles et de gros camions caparaçonnés de glaises, de betteraves ou maïs s'en remontant jusqu'au noir charbon du poêle domestique, et au brûlant de la potée, c'est déjà, à la radio, cette prosodie particulière des invités, qui un livre, un film, un disque, va savoir, orchestrée dans l'empaumure contrebasse de Jacques Chancel faisant tanguer l'auditeur entre déliquescence et sommeil définitif, les pauses, le souffle, la pâte un tout petit peu brisée par moment, une voix pareille rend tout possible, elle invente le son d'une radio à elle seule, elle est l'académie.

C'est au cours de radioscopie que j'entendais pour la première fois ce grand classique de l'invité, j'aime le public, j'aime ce que je fais, j'aime me mettre en danger et plus on est creux, mieux cela est dit du péril, de la nudité et de l'impudeur, de l'exposition de soi et de son art sans fard, sans faux semblants, sans précautions, se jeter, là, en pâture, au verdict final sévère et mérité, ce serait cela la mise en danger, ce serait avancer tout droit, regarder les gens aux yeux, à l'âme, ce serait dire je t'aime d'une voix forte, ou bien allez-vous faire voir quand il serait venu le temps, ce serait dire je et non pas on ou vous, ce serait faire ce qu'on a toujours voulu faire, ce qu'on aime, ce serait marquer un bon peu de considération pour autrui et ne pas passer sa vie dans le compromis véreux et courte-vue, bref, se mettre en danger tiendrait du syllogisme en somme, en ceci que cela se résumerait à prendre un peu d'air frais dans le fond des poumons, comme si l'on voulait vivre, seulement.
Lu : Manon Lescaut
:: 16.12.2003 ::
Je ne comprends pas les hommes qui me disent n'avoir jamais été tourmentés par la perspective d'outre-tombe, ni inquiétés par leur propre anéantissement ; et pour ma part je ne cherche pas à mettre la paix entre mon cœur et ma raison ; j'aime bien mieux qu'ils se battent entre eux.
Rue Celetna, cristal, tour poudrière, cristal, Staromestské nàmesti, cristal, sans cesse je suis accompagné en livre ou dans mes poches, j'exulte et puis j'expire, Breton aussi était Pragois, à Paris il y a encore la trace des peuples du centre mettent en terre ce que je sais des villes, rue Vezenska, cristal, quelques notes de la clémence de Titus sûrement en attendant ce soir et le stabat mater au Statni, rue Nerudova, cristal, et les femmes, les filles et j'avais lu, avant de partir, une drôle d'allusion à Saint Pétersbourg donc forcément à la Nevski.

Je gèle. Encore eut-il fallu ce matin que je gardasse le lit (n'est-ce pas), ma grippe importée de France ne rend pas l'âme quand bien même le froid incroyable jusqu'aux cordes du squelette, je chemine complètement hagard, les couleurs se délavent et se mêlent devant mes pas, tout vacille, au lieu de m'enchanter, je râle chaque nouvelle lancée de mal à travers les bras les jambes le dos, j'avance, je m'en fiche jusque-là et pas mal avec ça.

Du lit justement je peux voir le château et ça s'impose impitoyablement à moi, cette année qui bientôt se termine porte en elle Kafka dans l'enfermement et la sapience, du premier janvier des nouvelles l'on peut à plat défier des perspectives et se donner aux bonnes résolutions, je sais déjà la mienne. Deux mille quatre, si tant est qu'on veuille prêter sens encore aux suites de chiffres et nombres sera, parce que je le veux, destiné au dehors.
Lu : le lutrin
:: 15.12.2003 ::
Ca peut rendre agressif d'être complètement privé de vie, d'avoir l'écriture qui gangrène tout le reste, en dehors des moments de joie ça peut rendre triste.
Une fameuse oui, une furieuse colère, complètement dingue en vrai et permanente avec ça, qu'arrête jamais, qui gronde-déchiquette, et tu voudrais des mots là-dessus ? Du miel, du sucre, quelque chose de joli, un petit habit mignon de fête tout plein de couleurs avec les volants autour des membres, de la dentelle, pourquoi pas l'accompagnement western des violons et des flûtes que te diraient ma colère comme un truc touchant, digérable, comestible, sexy, pire compréhensible, tiens, fumes, je suis en rage, en rogne, furibard à un point, voilà c'est tout.

Liens, c'était ça, la clé c'est A. et V. , une soirée chez moi autour d'une table et mon départ demain pour Oxford où je devais rejoindre Sasha, et ce discours que j'ai maintenant fait mien (comme les autres) quant à l'âpre sollicitude du monde auto-tournée à soi, c'est à dire rien pour ses pairs tout pour sa gueule mais quand même bosser, tu vois, marcher dans la combine, en prendre sa ration dans son étroit cabas, quand on a rien à mettre à la place, hein ? Lève un peu le voile ici. Tu vois quoi, un peu d'amertume, quelques souvenirs compassés, quelque chose comme l'eau de la tristesse, bougonnements, tirades en chapelets de harangue à tout propos, désirs là ou ailleurs, il n'y a que la colère. Que la colère t’entend ?

Je me lève avec, le matin c'est terrible. Je me couche avec. Tout ce que je fais vient de là, faut croire que ça me tient debout. Je pourrais te qualifier cela, pourquoi faire ? Non, non, tu me feras penser, à la place, à en laisser doubler encore l'intensité, à me faire plus irascible encore, à fouler Prague à grandes enjambées, à tomber raide aux couleurs du soir, furieux que, à danser jusqu'aux aubes, à claquer de grands sillons de rires en travers des noms en A, à me brûler les yeux, la peau, les mains, la gorge, le ventre, à pas revenir surtout, je note cela sur un carnet, all the madmen gueule dans le blanc-seing du creux de mes boyaux, pRaGuE et moi dedans c'est la carpe, le lapin, le bordel, la vie de fond en comble.
Lu : ce que nous voile le voile
:: 14.12.2003 ::
Ce qui apparaît le plus nettement dans une œuvre de maître, c'est la " volonté ", le parti pris. Pas de flottement entre les modes d'exécution. Pas d'incertitude sur le but.
Vilaine chose pas bien à la mode, au mieux prérogative bien gardée des imbéciles, sans cesse je me tords et la dénonce puisque partout tu vois qu'elle rampe et puis se lève en faisant gonfler la voix, les yeux, les veines sur le cou et le front, tu vois qu'elle fait dire et faire n'importe quoi mais que toutefois bien commode car permettant d'avancer un peu, d'y aller, de mouiller la chemise et bras retroussés, sans rire, je peux dire : "si je suis bien certain d'un truc, c'est qu'il faut se bien garder d'avoir des certitudes", si l'on a l'humour boutonneux ou bien servile l'on rira de cette pitrerie à trois centimes d'euros quarante et sans voir : hurle, hurle, vois où tu te trouves et tes viscères, geindre et gémir, ventouser par plaques de nerfs cramés, bouillis une crépitante véritable douleur, tremble, pleure, désole-toi, tu t'en dispenses peut-être au secret de ton appétit immédiat à la vie dans le feu de l'action (réussir ce strike, déchiffrer cet article, présenter le visage aimable de l'humanité lors d'une visite, défaillir devant cette toile, réchauffer ceux qu'on aime, acquérir ce bidule) et dans ton absence de participation mais je tiens dans mes mains la baquette, la badine, la schlague, il me suffirait de te proposer de prendre place, de te poser la question, de te demander de t'étendre un peu, de m'expliquer et là, là, c'est ton tour, tu y es, et pleinement. Putain, j'admire tellement les gens silencieux, le silence tu vois l'air buté de parfois quand demandé le zinzin con l'autre te plante son zoom à lui au cadre à fond du tien ou bien même pas et puis rien, pas un mot, pas un souffle, pas une pensée même, j'en suis sûr (hé-hé), pas même un jugement, je fais un jour la preuve que les gens muets sont sourds avant tout et que, comme c'est évangélisé, les portes du paradise leur ont été ouvertes voilà bien belle lurette, que c'est full maintenant et que, tant pis, tentez l'année prochaine.

Et puis quand même un doute, par exemple cette scène du grossier Forman Milos mais un peu jubilatoire aussi Amadeus : Tom Hulce penché sur son billard écrivant volées de notes tombées d'on ne sait où, traversées, traversantes, c'est l'acte trois de Don Giovanni, on frappe à sa porte, d'abord en surimpression de la musique puis plus fort ce qui la stoppe tandis que Mozart lève la tête. Se poser agressivement certain chez l'artiste, relève souvent du tropisme.
Lu : Mélange
:: 13.12.2003 ::
Homère a peint la vie humaine. Chaque village a son Nestor, son Agamemnon, son Ulysse. Chaque paroisse a son Achille, son Diomède, son Ajax. Chaque siècle a son Priam, son Andromaque et son Hector.
Ce que le siècle donne qui n'était pas avant ? Rien, probablement. Et puis si, peut-être un peu ou tout encore, en admettant le glissement brutalement produit entre l'année en neufs et celle faites de zéros, bons auteurs, fraîches résolutions, nouveaux héros, méchants de l'an, leçons tirées des choses dites, à dires, des choses tues, un gros barda d'innovations tout azimut, la conscience de l'instant, c'est à dire : que rien ne change, qu'on n'invente rien, que tout s'accélère pourtant.

Je cesse de lire. D'écrire pour l'instant, je ne peux pas : faut vider les trop-pleins.

J'aime toujours lire pourtant. Mais je suis encombré dans mon dévot accomplissement par le fait que certains mots associés les uns aux autres en groupes ou bien fagots se rendent signifiants, porteurs de mesures, de raisonnements, qu'ils renvoient tous en fait par le truchement de l'indécrottable réflexe-très-formidablement-implanté (ancré) de la réflexion à la même rengaine que tout est dit, que tout est vécu, que ma passion, mon amour, mon bouillonnement de colères, chagrins, éclats de rires, emports du corps, ivresses et vertiges ont traversé les âges pour arriver ici, usé, complètement bouffé aux mites, les cuisses déjà largement tartinées du foutre de myriades d'aînés, la bouche, les mains malaxées jusqu'à l'informe et qu'il faudrait n'être qu'un sot pour encore s'en emparer avec ne serait-ce qu'un rien de ravissement.

Lu : Elisa
:: 12.12.2003 ::
Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire, c'est qu'il n'admet rien sans preuve, qu'il n'acquiesce point à des notions trompeuses et qu'il pose exactement les limites du certain, du probable et du douteux.
Quand bien même mon tempérament excessivement romanesque m'a conduit très tôt à ignorer Diderot, je ne peux que recommander à notre Philosophe National (trademark) de bien vouloir méditer les quelques lignes sises en chapiteau de cette entrée et, le temps qu'elles n'arrivent jusqu'à lui, de ne plus se commettre dans la désolante contrefaçon devenue quasiment chez lui paraphe certifié.

BHL grand ami de Massoud, BHL faisant rien qu'à critiquer les intégristes algériens avec courage depuis la rive gauche, passe encore, d'autant que même élaboré sans honnêteté, les causes étant justes, l'argument tenait bon gré mal gré. Notre grand reporter s'égara davantage quand il fut question de régler la leur aux serbes, n'économisant ni raccourcis racistes, ni approximations moyenâgeuses (longues descriptions de "tares" physiques comment autant de signes de dysfonctionnement moral ou mental, par exemple). Soit. L'appui au contra nicaraguayen (en vérité financé par l'extrême droite) alla plus loin que le seul faux pas. Soit, encore.

Mais avoir écrit "qui a tué David Pearl" mérite carrément la prison. Pour peut-être la première fois de ma vie, j'ai été tenté de faire jouer l'institution et de porter plainte pour incitation à la haine raciale. Dualités manichéennes élaborées à la truelle sans aucune mise en perspective et visiblement sans sources, projection de l'énonciateur comme suffisante caution à des informations que personnes d'autre ne possède (quand il ne s'agit pas de contrevérités pures et simples), constantes références au bien, au mal, aux anges et aux diables, cantonnement de la religion musulmane à une dégénérescence psychotique et meurtrière, voilà le genre de rapport qui, s'il était signé de l'équipe de Bush, suffirait à mettre le feu aux ambassades mais qui, romancé par notre bon maître nous vaut d'assister, atterrés, à l'exposition de sa dangereuse pensée sur tous les fronts (le monde Arte, et France culture compris) comme d'autres montrent aux passants la partie la moins ragoûtante de leur anatomie. Je me souviens d'Edern Allier, grand conçurent de BHL dans la course aux bacs libraires au moment des fêtes, de sa nullité tout aussi partisane et volontairement opposée, au moins lui nous faisait rire parfois, de Deleuze résumant tout cela en une analyse du marketing philosophique fort saine, non, tout ne se vend pas, et moins encore tout ne s'achètera.
Lu : précis de décomposition
:: 11.12.2003 ::
Le jeu d'échecs est un lac dans lequel peut se baigner un moucheron, et se noyer un éléphant.
J'ignore ce qui a pu motiver à l'attribution d'une palme d'or, comme j'ignore si Gus Van Sant s'est inspiré du Manasollasa ou du Chatrang-namak pour titrer son film, elefant, et puis il me faut en préambule, rappeler à l'attention de quelques lecteurs visiblement confus et fraîchement arrivés sur le blog d'os : ici ne se rédige ni procès d'intellectuels, ni critiques d'élites, je ne crois pas qu'en dehors de la pensée diffuse, plurielle, de la foison de sensations et des points de vue multipliés au-delà du delà, le monde ne se conçoive, de fait puis-je m'octroyer la permission de m'agacer et de dire en dehors des clichés gras et des catégories essentielles : untel ne me parle pas. On lira Guy Debord, Bergson, Jonas ou Spinoza, Beckett, Sartre, Camus, qui on voudra, quelques archives ici, et l'on verra que la chasse loin d'être ouverte peut se tirer en sortant.

Deux dingues donc déboulent au lycée armés des intentions les moins claires qui soient, les moins naturelles, et d'un arsenal tout à fait lénifiant, étudiants moyens habillés moyennement, provenus d'environnements familiaux moyens dont on ne saura pas plus. Des gens sortent. D'autres sont abattus. Le proviseur échange quelques mots avec son assassin avant qu'il ne le flingue. Tous se semblent, sont identiques, vus comme creux, inintelligents, sans désirs ni vies propres, insipides adolescents et l'on entend qu'ils ne sont pas les derniers, que beaucoup d'autres feraient/feront cela.

Aux échecs, face à la complexité du jeu, très longtemps l'on joue des coups génériques (thématiques), clouages de pièces visant le centre, consolidation de la structure de pions, occupation des colonnes B à G de ses tours, fous C4/C5 visant les points sensibles F2/F7 dans l'idée que créer une position c'est faire exister quelque chose qui aurait une dynamique interne par simple juxtaposition de thèmes. Cette vision est fausse, se faire passer quelque chose ne fonctionne que pour la raison que les pions, ne pouvant pas faire marche arrière (alors que toutes les autres pièces sont libres d'aller et venir) produisent un mouvement d'ensemble fini, sans quoi les débutants ne pourraient pas dans certains cas trouver d'issue à leur partie. Quand on joue à plus haut niveau, l'on apprend à considérer chaque possibilité comme n'étant pas identique à la précédente, ni vraie ni fausse mais porteuse d'un sens intrinsèque, très précis, différent, à désemballer, à désétiquetter en quelque sorte. De la pratique du jeu, j'ai retenu une certaine forme d'aversion pour les savoirs globaux s'appliquant à tous et à personne.

Le fait est qu'il n'y a pas massacre tous les jours. On peut considérer que la raison de cette vérité statistique tient de l'acquis, "que la position vit d'elle-même, et qu'elle engendre mécaniquement", je crois-moi, au contraire, et bien que j'apprécie le cinéma non démonstratif (le démontrant finalement renforce la tromperie par ignorance profonde et catégorisation à l'emporte bout) qu'il est excessivement racoleur et mensonger de faire un tel film quand on n'a pas examiné 10 puissance 64 possibilités que les faits ne se déroulent autrement.
Lu : La science des limites.
:: 10.12.2003 ::
Nul n'est aussi bien pris, quand il est pris, que le sage devenu fou : sa folie, éclose en pleine sagesse, a toute l'autorité de la sagesse et toutes les ressources de l'éducation ; elle a pour donner grâce à ses aberrations la grâce même de l'esprit.
Sur un air de Brassens, parlez-moi de lettres et je vous fous mon poing et cætera je m'endors riant plutôt jaune aux exposés de Bachelard quant aux vertus de l'abstraction appliquée en recherche plutôt que l'empirisme, nos philosophes à nous font dans la bouffonnerie tandis qu'outre Rhin l'on maniait le casque à pointe, décidément.

Pensez ! Ce qui est fait en classes de fac de la langue et de la littérature, et voyez ce que vous pourriez récuser de l'expérience immédiate au profit d'une pensée pure, détachée de nos cultures, flottant quelque part entre Poe et Jack Vance et tant qu'à faire une petite claque à Aristote nous ayant légué les farces de la terre immobile et au milieu de l'univers, l'uniformité du temps, mieux vaut lui opposer la force créative de la technologie non ?

Ca vaudrait pour le temps, Lamartine Eluard et les autres ?

Moi, j'arrête. Je me suis longtemps apitoyé sur mon chiche sort d'autodidacte sans maîtres ni écoles, sur la difficulté de n'être que surjeté aux étoffes du savoir et des bons salons, mais bon sang, au moins j'aime lire, au moins j'aime la poésie, infiniment jusque dans mon incapacité à lui rendre un hommage qui soit, vingt vers me touchent jusqu'au cœur et quand bien même les drames, je me fous qu'on ait le droit ou non, le sens d'ailleurs m'échappe, m'échappera encore, ce même sens qui fabrique les tanks, les hôtels barbelés, les théories de races meilleures, la mécanique du roman peut bien s'effondrer sur elle-même dans le gros bouillon des sciences dures, elle peut devenir chose grave, phénomène à ressorts roulements à billes, barillets et tourbillons de précision, je plane encore, je flotte, je suis la bonde de l'ignorance et je la tiens serrée, en moi, je me rencogne éperdument dans le chant somptueux de ma nature première.
Lu : l'engagement rationaliste
:: 09.12.2003 ::
La tristesse vient de l'eau.
Aussi je rentre, dans ma maison ou mon appartement, c'est selon, je m'y enfonce comme je ne quitte pas souvent ni le logis ni la tristesse, voilà des environnements que j'entretiens le mieux, je place un disque tout à fait différent d'un jour à l'autre et pourquoi pas London calling ?, du tilleul, de la verveine, un vrai truc de vieux pendant que coule le bain, une poignée de cristaux que la mousse m'écarte des blancheurs des peaux d'hiver, je reprends mon livre où il a été laissé le plus souvent au café le matin, je rigole en songeant à belle du seigneur parce que mon maître à moi porte jupons et dentelles, je m'efforce tous les jours d'amener quelque chose de plus que la veille au soin de moi qui me fera aimé, quai numéro trois bien trop suave, je suis dans l'attente douce et la prison que j'ai tissée autour de moi, c'est immobile, complètement figé et c'est bon, des fois, je veux dire de ne rien avoir à raconter, à poser, de ne pas s'occuper d'une heure de l'avion ou de tenir sa peau au minimum de risques, de ne pas sourire ailleurs que devant mon miroir, de ne pas graver dans le cuir ou dans l'âme quelque danger terrible, quelqu'encontres légendaires, quelques villes impossibles, de ne pas se voir bouffer la moelle et l'envie par la mocheté, l'entraille diserte, l'eau qui manque, la crasse moiteur qui vous fait sentir des jours durant quelque chose comme la chèvre, tout ce confort, j'en ai besoin, j'ai eu froid, j'ai eu mal, je ne veux plus me voir en dehors de moi-même et de ma chance d'être né de ce côté, je veux dire à mon psy que son commerce de culpabilité, il se la colle où je le pense, je pense à Valmont, à ce n'est pas ma faute que je dirais, matois, provocateur, arrogant, alangui de bien-être et qu'on ne vienne pas me casser les pieds, j'ai eu ma part, je sors de mes poches mes jouets, un très beau stylo de jonc et ambre, un briquet de luxe, mon trousseau orné par un taureau écumant de pouvoir, un Countach parait-il, je prépare Prague et Budapest, il sera temps, un peu plus tard, de convaincre à Alger.
Lu : au château d'Argol
:: 08.12.2003 ::
Pourquoi les gens naissent-ils? Pourquoi meurent-ils ? Et pourquoi cherchent-ils dans l'intervalle à porter le plus souvent possible une montre à affichage numérique ?
Tous mes jours se ressemblent, je les joue dans le rite, l'habitude, l'imagination volontairement inhabitée, au très petit matin j'emmène mon corps dormant aux mains gourdes, au dos lourd dans la fumée des cafés et les yeux par dessous de ceux comme moi venus chercher quelques marques civiques ou les dernières nouvelles, l'odeur de moka et de tasses express flotte dans l'air, épais, gorgés encore de la pluie du dehors, des plis du lit, de la baie j'observe des ombres craintives qui s'enhardissent petitement, comme hier, ce sont les premiers rais qui s'infiltrent aux paupières et dans les rues décloses, je parcoure quelques pages et bougonne, j'enregistre un portrait homme ou femme, quelque chose que je pourrais fixer de la chair, du rire, de la voix, et j'apprends des matières. Un tronc d'arbre même malheureux d'urbanisme forcé, un zinc, ses mouchetures, ses entailles, cette certaine forme de plâtre, vieille peinture, papier mâché, je pars en ville m'oublier au musée, j'ai, toujours, rendez-vous à midi avec des amis, nous déjeunons dans le bruit, le temps pressé d'y retourner, je vois un film ou une pièce en matinée, j'arrange quelques affaires puis vient le soir, ce soir conquis de toutes mes force dans le pendant du jour entier, je la retrouve indemne de toute violence, seulement adorable, alors je l'adore, je prends ses mains et nous parlons, l'amour, le refuge, la cache chaude effaçant la fatigue, de la vie, des voyages et aventures, des villes aimées et autres femmes, de la musique et puis des mots ne me reste que virtualité, enfin pleinement je se délave au plein des couleurs diaprées, le souffle investi et pour de vrai, les textures, la voix, l'être que je n'ai pas à apprendre.
:: 07.12.2003 ::
L'apprentissage de la numération chez les enfants montre combien le mot, d'abord accolé aux objets, puis aux images, s'en détache progressivement pour vivre d'une vie indépendante.
Compliquant mon trajet et paroles "paresseuse" de Bénabar en tête, je choisis avec soin une place dans le train. La lumière devra former un angle particulier avec le plan de mon probable livre et la marche du convoi, ce sera une voiture à compartiment et non un omnibus corail (j'ai cet orange en nausée comme celui de Bouygues presqu'identique), pas de banquettes en moleskine olive, on n'y crachera ni fumées ni goudrons ni tripes aussi j'irais me livrer à tout cela au ressui plus loin, mes compagnons seront triés sur le volet : pas de jeune con facultatif ou bien canis lupus, pas d'hommes d'affaires, pas d'instit femelle de plus de trente-cinq ans, pas de walkman vissé à fond de promiscuité dans le déballage affirmatif de tant de différences, on peut boire des eaux minérales ou jus de fruit mais pas de bière, pas de bidasse donc.

J'évalue très vite le remplissage ou non des conditions énumérées traversant les couloirs. Ici est mieux que bien, une fille éblouissante occupe seule le wagon : jambes croisées dans une jupe de laine jacquard peu dessus le genou, bottes hautes très Pauline Claire ou Maud années soixante-dix, béret, chevelure fière, pull mohair, livre, lèvres peintes mais estompées. Refermant la porte je murmure bonjour plein de basses quoiqu'un peu sensible, ce qui n'est pas si simple, tout au moins cela réclame t'il un peu de temps et d'entraînement... les cinq premières secondes, n'est-ce pas.

De paresseuse je passe très vite à dommage de Greame Allwright, la divine passagère ne répond pas à mes salutations empressées quoiqu'à priori encore respectueuses, elle passe son temps à envoyer des messages courts depuis un téléphone équipé d'un appareil photo, l'œil a l'air plutôt hargneux ou bête, ce qui est la même chose, son livre c'est un paquet de feuilles improbablement collées les unes aux autres de je ne sais quel auteur à succès rayon crimes et horreurs made in New Jersey, elle s'empiffre de douceurs industrielles allégées à l'Aspartam, elle a l'air nerveuse, terriblement, elle me fait peur, je bredouille un truc très éduqué qu'elle semble ne pas comprendre et m'enfuis juste au compartiment d'après.
Lu : le jeu favori (jeu de dames)
:: 06.12.2003 ::
Le temps est une invention de l'esprit. Une trouvaille remarquable, un instrument de haute précision pour susciter en nous des tourments nouveaux, pour dissocier le monde et le rendre plus inextricable. Seul le temps, cette invention démente, sépare l'homme de tout ce qu'il convoite. C'était là un de ces appuis, une de ces béquilles dont il faut avant tout se défaire si l'on voulait être libre.
Je voudrais qu'on me pose, verroterie, colifichet, vaisselle un peu précieuse mais sans brillance, j'aurais les jambes habillées de napperons de dentelles vieilles, un peu jaunies, sur le bord de ce guéridon, de cette commode, on m'aimerait pour ce que je suis, objet inerte sans ambition, du sucre de mon corps, de son biscuit l'on tirerait un contact agréable, anodin, une attention brève et sans importance.

Je reste encore pour mon frère je crois, et M. qui ne perdent pas patience. Je dis oui aux demandes. J'examine leurs exigences. Que je le veuille ou non, ne vient pas l'impulsion. On finira par me dire que même eux je ne les aime pas, ce qui serait tout à fait faux. Je les admire même, les envie, et tant d'autres !

Pas de douleurs. Ni froid ni chaud. Aucun désir. Je ne croyais pas aller si loin, et sans causes apparentes. J'en parlerai à mon psy, sûrement, lui poserai cette question déjà mille fois venue : savez-vous clairement ce que vous faites, où vous m'emmenez ? Je vous permets de jouer avec moi, c'est même tarifé dans ce sens remarquable : c'est le client qui encaisse. Quand me laisserez-vous, et sous quelle forme ?
Lu : Le jeu des perles de verre
:: 05.12.2003 ::
En la rendant plus obscure et pour ainsi dire plus noire, cette philosophie, ils paraissaient l'avoir rendue plus profonde. C'est ainsi qu'une eau bourbeuse et qui coule peu.
Ca en va du même pareil des complications que de la spécialisation, c'est qu'il faut bien brûler quelque chose, va savoir, le temps, la vie, l'idée d'éternité que personne d'un peu d'aplomb ne supporterait, ces machins qu'on sait pas quoi en faire du bout des bras ballants, inutiles, colorier un peu l'air, le badigeonner parfum ou bien vernis, ronger ses ongles, se coiffer, s'habiller, je me souviens un italien qui s'excavait le cuir cheveux en écoutant des conférences sur une platine à bande le regard fixé sur je ne sais quoi que personne ne pouvait comprendre et lui, tic, tic, tic, toutes les cinq secondes un nouveau poil de tête enroulé d'abord autour de l'index, coincé avec le pouce, arraché, éjecté, un double mouvement horloger, Foucault n'était pas loin.

Ou alors est-ce de la fatigue, de la couardise, de la paresse, je ne m'y retrouve pas et puis, ce n'est jamais assez il semble, je ne sais plus faire d'effort peut-être, va savoir. Jeune par exemple j'étais l'homme des modes d'emploi, la hotline à tout faire, un cv, une demande d'ambassade, un devoir de philo, de math, un problème d'ordinateur ou du code à débugger, une fonction dans le tout dernier logiciel à faire un truc spécial, toujours au téléphone, celui qui ne se trouve rebuté ni des petits caractères ni de l'entre les lignes, des lettres, de demande de grâce, de voisinage, d'amour, de colère, des lettres injustes ou rétablissant la justice, presque toutes, j'étais une sorte d'écrivain puis de lecteur public. Ca me passionnait la petite bête à vrai dire, placer l'étanche sur la lamelle comme un vieux goût de casse-tête chinois ou d'ailleurs, des heures j'en pouvais passer afin de m'immiscer, m'introduire, je montrais à mon frère comment ouvrir telle boite ou tiroir à secrets, nos maisons en étaient pleines (demeures jamais étales).

Je m'endors ou je meurs, je ne sais pas, je suis incroyablement las, effrité, corrodé par la complexité des choses, je m'apprécie idiot, complètement ahuri face aux propositions, inaptes à relever le gant. L'eau c'est liquide, non, tout au plus, bien sûr je perçois encore quelque chose des transparences, des nattes, du ruissellement, des précipités, cascades, et puis les vacarmes, les onomatopées rondes, la tendresse couchée, la soif de toute chose ou son absence mais c'est un peu théorique, c'est le sens qui s'est noyé, ce qui est étrange encore, c'est que cela prenne tant de mots pour le dire, un peu.
Lu : journal des frères Goncourt
:: 04.12.2003 ::
L'habitude du raisonnement et de la spéculation est l'indice d'une insuffisance vitale et d'une détérioration de l'affectivité. Pensent avec méthode ceux-là seuls qui, à la faveur de leurs déficiences, parviennent à s'oublier, à ne plus faire corps avec leurs idées: la philosophie, apanage d'individus et de peuples biologiquement superficiels.
Et il faudrait que je me tape ça maintenant, Gödel, Esher et Bach, les brins d'une guirlande éternelle, pavé bouffi de huit cent quatre-vingt-cinq pages de théories amalgamées sur à peu près tout et n'importe quoi mais à l'américaine, déjà je suis stupéfait de la vision en pointillé du big one de Michael Moore, ce mec qui éduque nos voisins d'outre atlantique aux méfaits du profit à grands coups d'arguments niveau maternelle, merde, je le vois bien défendre une certaine forme de bon sens un peu enfantine, le panier manié de la ménagère et ne pas sortir de là, je fais pareil ici, en face de raisonneurs, de discutailleurs, je suis complètement expulsé des discussions autour de moi. La vision compliquée des philosophes, Kant ? Je m'en fous. J'y comprends rien. Ca me gonfle. Le monde est rempli d'abrutis prétentieux gazant au-dessus du derrière, apprends déjà à bouffer, après on verra, à dormir, à baiser, apprends le parfum des fleurs, apprends à te taire, cesse de sublimer deux secondes, bordel.

Je me rappelle cette conversation sur un trottoir de Manille ou de San José, un vrai défilé de crève-la-faim juste à l'entrée de l'hôtel, avec D. qui décidément m'obnubile quelque peu ces temps-ci, je crois sur la télévision, une discussion pleine de compromis et de sourires crispés, désolé mon gars, j'avale pas et même si tu n'y es pour rien, quand je pense à toi, je frissonne encore à l'idée de t'envoyer ma main dans la gueule, quand je pense que ta théorie, c'est qu'on leur en donne sur té-éf-un parce qu'ils aiment cela, que c'est la loi - la loi ? Comme dit, je m'insurge- de l'offre, allez, allez-vous faire voir. J'ai bientôt quarante ans. Et ça, c'est pas pareil.
Lu : la lune seule le sait
:: 03.12.2003 ::
Le progrès est une pure notion technique, et il est toujours confisqué par des connards ou des canailles qui en font le pire.
Des gens qui n'ont visiblement rien à foutre décrètent qu'il est temps de remédier à la fracture numérique -dieu des colocations grammaticales, ayez pitié !- ayant fait le constat triste d'un sous-équipement en matière d'internet (frappez ce mot "internet" sous la tutelle d'un vérificateur orthographique et voyez-le vous obliger à la majuscule...) chez huit habitants sur dix de ce monde au front bas.

Rendez-vous compte ! Dans ce monde, huit personnes sur dix n'ont pas accès à la toile, au réseau des réseaux ! Huit sur dix qui n'ont pas la possibilité de commander de téléphone portable bluetooth via un terminal de paiement sécurisé, les mêmes n'ayant pas non plus la chance de journellement lire nos minuscules maux d'êtres de connards suffisants, trop farcis, exhalant sans efforts nos mornes lassitudes dans l'inconstance cloquée des révoltes prises entre dîner et souper, ne se donnant, pour la plupart et dont je suis, pas même la peine de soigner, ne serait-ce qu'un peu, la façon. Je m'interroge. Qui compose ce comité ? Quelle race d'homme, puisque l'heure est à la discrimination positive, s'est vue dotée du toupet nécessaire à l'énonciation de telles propositions ? Ont-ils jamais pris un avion ? Un train ? Vas-y machin, donnes-lui internet au roumain qui, fût un temps béni malheureusement révolu par la grâce de décrets sécuritaires, gagnait de quoi ne pas mourir tout à fait en lavant le pare-brise de ta merco climatisée.

Ca me fait penser qu'en deux mille cent la température aura grimpé de quatre à six degrés ici. De la flotte jusqu'aux faubourgs de Paris. Zéro neige en Europe, même pas grave, on ira skier au Népal, à Lhassa ou à Goa chez les hippies reconvertis en gérants de stations hivernales. Plus une feuille aux arbres, mais des cactus en Auvergne. Je m'en cogne royalement. J'ai recommencé à piloter en rallye. Quarante litres aux cent. Le plus vite sera le mieux. Par conscience écologique et solidarité envers mes compatriotes non câblés je me contentais jusqu'à maintenant pour mes emplettes en ville d'une sportive de deux cent chevaux. Cette semaine, j'en ai changé. J'ai pris une italienne de cinq cent, on ne peut plus rouge, posé un adhésif opaque sur la plaque d'immatriculation et fait péter un score aux alentours des deux cent soixante-dix kilomètres heure en face des radars automatiques. La grande classe quoi. Notez le scotch : courageux, oui, mais pas désobéissant, enfin, pas en mon nom.
Lu : le conte de noël d'Augie Wren
:: 02.12.2003 ::
Sans connaître sens ni direction, notre errance va de l'être-là vers l'exposition, de l'humilité, véritable essence de l'humain, vers le non-lieu absent et haut, notre accomplissement, et ce mouvement crée l'écart de l'exaltation, notre grandeur et notre être, écart vide ou plein. La misère et la joie ensemble comblent l'expérience fondamentale que nous pouvons avoir de l'être, de la vie, du monde, des autres, de la pensée.
Ne me reprochez rien, je vous écris fort mal, je vous regarde un peu à travers, comme font les chats qui semblent épier plus loin ou bien plus haut, je pense à vous par-dessus l'épaule et votre conversation me laisse en vague reflux de vous à la songerie qui bat le flanc, l'âme, votre voix m'est connue, vos rires aussi, ce n'est pas être las.

Oh Pardélia prenez de mon cœur la vertueuse essence quand je suis à la guerre, mon glaive tranche les têtes qui roulent et vous veillez ma paix ! vous dis-je sans cesse, le matin avant les distractions, le soir tombé à l'aplomb de dormir, et la question chemine, de mon pouce j'apprends un fois encore le contour de vos mains, j'entends l'air léger que vous réchauffez en dedans, je plaque mon derme au votre et ce moment très précis d'aimer votre peau sonne un départ, l'absence, le déjantement des vies journalières, la question chemine, je m'accroche à une réponse choisie par hasard car il faut bien se connaître dans une position dites-vous et sans cela : je ne saurais pas.

Il me semble aussi que l'on ne devrait pas s'opposer à ce qui s'impose, cela serait entrer dans le champ de la force -une certaine forme de pouvoir- j'y répugne vous le savez bien, sans doute par incapacité d'ailleurs, qu'importe, je comprends que votre marche soit inexorable, je la soutiens claudiquant plus souvent qu'à mon tour, le reste est comme peur, c'est à dire mauvaise conseillère, j'apprends à ne pas l'écouter.
Lu : les mouflettes d'Atropos
:: 01.12.2003 ::
Moi, je veux tout, tout de suite, - et que ce soit entier - ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûr de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais enfant.
J'avais mes petits trucs, faut l'avouer, tu dirais de loin le mec entièrement fort, blindé, la peau d'alligator, la nuque cuir et la tête brûlée, tellement de kilomètres, beaucoup appris des taxis à Lima, des cales de bois dans les portes de chambres à Bombay ou à Kiev, du palu à peu près partout hors d'Europe mais la vérité c'est qu'on tient comme on peu ou peut, on serre les dents et tu laisses le temps jouer en ta faveur, c'est ça le truc principal. Sinon, c'est des astuces, des gants que tu serres entre les dents le temps qu'on t'ampute, j'avais trouvé ça pour calmer mes maux de ventre petit, Vivaldi ou une suite de Bach, alors dans la jungle pareil, tout autour croule de lianes et sales bêtes, et le bruit ! A rendre dingue, criasseries, hululements, la nuit s'emplissant de touffeur et de flotte n'arrange rien, frôlements, vacarmes improbables, chants de l'horreur sanguinaire et des comptes qui se règlent, gluantes émissions sonores à la peau plus la transpiration, cette pluie qui n'arrête pas, les films d'Herzog qui s'en remontent forcément Fitzcarraldo, Aguirre, et j'aimerais être aussi cinglé que Kinski au regard d'eau démente jusqu'au fond du gouffre mais je viens de Paris avec mes bonnes manières et ma trousse pharmaceutique, et mon hamac crétinement tendu entre deux essences d'arbre impossibles à nommer, alors c'est Casals égrenant comme un chapelet les suites de Bach pour violoncelle et j'imagine courageusement revenir du marché aux livres des bords de Seine, longer la rue de Bièvre, m'allonger dans l'herbe des Tuileries, commander un café en faisant bouffer le lin qui me vêt, la nuit enfin s'en vient et le sommeil avec, je rêve de moustiques piccolos, d'hévéas perchés en toit d'église qui résonnent dans l'air sec comme de grandes pipes d'orgues.
Lu : Jean genet, portrait d'un marginal exemplaire
:: 30.11.2003 ::
Soudain il découvre ceci que demain sera semblable, et après-demain, tous les autres jours. Et cette irrémédiable découverte l'écrase. Ce sont de pareilles idées qui vous font mourir. Pour ne pouvoir les supporter, on se tue - si l'on est jeune, on en fait des phrases.
Je traverse Paris quasiment en sprintant, aéroport, saut, taxi, saut, de toute manière la pluie n'est pas là et cette année vraiment avare d'automne puis j'ai mes obligations, sans cela je ne serais pas rentré, ou plus tard, ou le cœur plutôt crevé mais quelque chose me tient dans l'étroitesse d'un délai alors j'ai dit oui à cette soirée, celle-là seulement bien entendu, et je ne crois pas rester, Lyon au plus tard à l'heure des lumières rasantes et de la brume encore. Je reconnais mal la Seine, mal les abords du Luxembourg, Vaugirard, Médicis et stoppez-là, mal les façades ultra bourgeoise à plusieurs millions d'euros, je suis devenu provincial en trois mois me dis-je m'engouffrant dans l'ascenseur velours et stucs qui mène directement à l'intérieur de cet appartement, ici ronronne comme une chaudière : à craquer de bois sec, grosses bûches, invités arrimés aux plateaux de coupes et petits fours, musiques suaves nickels de style et mode, comme on dit la fête bat son plein, la maîtresse de maison me plante au beau milieu du grand salon comme une curiosité "le meilleur parti de Paris et pas encore pris avec ça" régale t'elle pendant que je prends conscience de ma tenue trappeur un peu en décalage si l'on compte les smokings et robes longues et les réparties d'habitude ne viennent pas, ne fanent même pas près des lèvres, c'est "ridicule" quoique je sois arrivé sans Rochefort.

N. m'attire un moment à elle ce que je ne refuse pas tant ai-je besoin de quelque chose qui soit repli ou planque, elle me fait raconter d'où je viens, que c'est tellement charmant Lyon, au fond, qu'ici la ville est morne et les fêtes ennuyeuses, je déclame "il commence de broncher dans la tempête solaire, de ce côté-ci, secoué, ou rétif, de son récit dilacéré" je dirai plus tard les mêmes choses, j'entendrai pareil, identique, c'est défilé chignons, nœuds pap, le champagne n'est pas mal quand bien même son défaut d'imparfaitement saouler, L. me propose une ligne comme à chaque fois que je refuse comme à chaque fois, j'ai l'impression très exacte qu'ils me visitent comme une ferme d'autruches, de zébus tandis qu'il me semble clair le vieillot de l'ensemble, jurassique, tous de fripés dinosaures et les mêmes barrissements, les mêmes trompe la mort, si je profitais de ma descente en capitale (hé-hé) pour aller casser la gueule de D ?

Je n'en ferais rien, c'est sûr, il suffit de m'en réjouir et puis quand même, le dixième verre aidant j'arrime une tonkinoise vaguement graphiste-styliste-designer qui m'entretient de corruption, d'affaires d'état, du charme tellement français, d'être malin comme un français et j'ai beau fomenter quel qu’idées indécises sur une application sévère de quelque chose que je sais bien français, je soupire sans cesse, ça s'entend, mon sourire je crois ne filtre rien du sifflement agacé par trop de similaire, si je restais pour mademoiselle C. que je viens de lire au bureau dans le flot d'une connexion rapide et d'une pause de tout ça ? Malins, oui, et tellement chastes les français ! Tellement prudes ! Je dis que toutefois je reste ouvert aux propositions de fiançailles à conditions qu'elles soient correctes et allant au mariage, dans le taxi je ris encore, j'arrive chez moi vers six heures du matin, mon appartement à moi, non plus, n'a pas du tout changé.
Lu : l'écriture du désastre
:: 29.11.2003 ::
Il y a aussi en tout voyageur un homme traqué, découvrant soudain sa solitude, son impuissance à entrer dans la comédie ou la tragédie qui se jouent autour de lui.
On voudrait transmettre la superposition d'états d'un concept quantique, par exemple un amateur se transformant avec émission d'un intérêt, à un objet macroscopique, ici l'art, et c'est le plein paradoxe de Schrödinger, l'ambiguïté de l'état de l'amateur, puisque pouvant être dans une superposition d'état excité/désexcité, qui devrait pouvoir se transmettre à l'art en utilisant le principe d'intrication : imaginons que l'intérêt émis déclenche un dispositif qui tue l'art; dès lors, cette forme "d'interaction" entre l'amateur et sa victime permet de dire : si l'amateur est désintégré alors tout art est mort, si au contraire il reste dans l'état excité, alors l'art est toujours vivant. On a donc intriqué les états de l'amateur et de l'art.

Nous pourrions prendre en exemple la scène du sac plastique voletant d’American beauty. Ce sac est-il art ? Ou le vent ? Non, ce qui l'est c'est l'acteur l'ayant filmé, non, plutôt l'observant, une fois filmé, le commentant, dans l'état excité. Ou plutôt, le réalisateur d'American beauty mettant en scène le commentaire, plus vraisemblablement encore le spectateur que nous sommes prêtant notre état d'excitation à cette réalisation.

Dans ce cas peut-être pourrait-on défendre ce que ce post (hilarant) dénonce. Nous baguenaudant, (et pourquoi pas dans les pâturages, où doux et crémeux se trouve ton fromage) en vitrines mobiles, équipés du bout des bras des pièges polypropylènes à denrées, victuailles et indispensables merdouilleries qu'on entassera chez nous, tout à fait bavant de et par l'abondance de la corne, nous voilà devenus art, artiste, amateur, signifiant, signifié, excitation, avant tout, probablement la meilleure représentation de la mort.
Lu : De la suffisance de la religion naturelle
:: 28.11.2003 ::
Et nous ignorons le nom du misérable qui, en ce moment même, donne sa vie à l'œuvre que nos petits-enfants consommeront pour survivre : car si l'appétit de pain parfois se calme, cette faim, je l'espère, jamais ne s'apaise. Qu'est-ce que la culture enfin ? La résurrection irrégulière et régulière de ceux qui ont bravé la mort pour créer, qui reviennent pour coudre la tradition d'hier à la vivacité d'aujourd'hui. Sans eux pas de continuité, pas d'immortalité de l'espèce humaine, sans leur renaissance pas d'histoire.
Ca tiendrait chez moi plutôt du feu sous couve que de la flamme en vent grand, du brûlot contraint que de l'incendie, c'est aussi des années de contrôle, de maîtrise, des années à éduquer le regard qu'il cherche ailleurs qu'au pic du brillant, du clinquant, de toute manière : d'ici de côté du monde, notre faim de lui dès le matin s'éteint, une tartine, hop, bon pain, bonne farine, meilleures gelées et confitures et à part le week-end, notre appétit est las jusqu'au moins le midi.

Vendredi soir on doit sortir. Samedi manigancer d'ingénieuses méthodes et d'astucieux problèmes pour en craquer un peu, saigner un peu les comptes, fabriquer de l'attrait, de l'ambition, et puis lire. Voir. Écouter, visiter, humer, promener, apprécier critiquer. Multitude. Multiple. Plusieurs, tout, tout, l'on aurait pu, à nouveau, faire perquisition, Épicure, Alain, carpe diem, mais il y a maintenant le culte du désir et celui de l'ivresse qui fait sentir coupable le dépressif de n'en pas souhaiter davantage.

L'appétit, je le cultive doucement, dans la tension maximale. Presque tout passe : l'envie ne valait pas. Pour le reste, j'en deviens rogue, fou, je façonne l'obsession jusqu'à rupture. Des fois rien pendant des mois. Mais alors ! S'il vous plait ! Quel déferlement ! Plus rien ne l'arrête, aucun frein, aucune bonne raison, il faut, il faut c'est tout. Presque rien, mais sans limites, mais à fond. J'en suis là de vous. Maintenant vous débusquer, vous prendre, vous brûler, vous chambarder, faire de vous tas de cendres, et moi, bille de feu étirée jusqu'au ciel, dans la seconde brève, la fraction, le quantième, l'estomac en mal terrible, disparaître, mourir de ma gerçure.
Lu : de petits enfers variés
:: 27.11.2003 ::
La vie est courte et c'est péché de perdre son temps. Je suis actif, dit-on. Mais être actif, c'est encore perdre son temps, dans la mesure où l'on se perd. Aujourd'hui est une halte et mon cœur s'en va à la rencontre de lui-même. Si une angoisse encore m'étreint, c'est de sentir cet impalpable instant glisser entre mes doigts comme les perles de mercure. Je ne me plains pas, je me regarde naître, et à cette heure, tout mon royaume est de ce monde.
Fi des idéalismes, des longues attentes, des croyances, des espoirs, des aspirations, du désir même puisqu'exaucé il me laisse comme avant retranché du possible qu'il contenait, foin des occupations, passe-temps, passions, violons d'Ingres ou d'ailleurs, au diable les marottes, les bons moments, je rebondis, c'est tout. D'un événement à l'autre, avec en tête savoir que se décrire en mec déterminé, ou pas, c'est bien la même.

Je sens son courant d'air. La mort est un lit froid, le pied déjà dedans j'arrange de petites économies, de petites dépenses, le temps c'est la température difficile à maintenir, il y fait toujours un peu trop chaud et parfois c'est glacé, je tente un peu d'équilibrer mais n'invente pas les règles : l'entropie veut qu'à situation pondérée, le travail (k) devient impossible. Alors je perds mon temps et le cœur lâchera.

Ou bien alors... une voi(e)x humble peut-être. Si ce n'était que cela la vie ? Un abrutissement complet, la jouissance, bâfrer des fruits pourris à même le sol, fourrer tous les derrières qui traînent, s'assoupir n'importe où sans s'interroger du réveil, punir jusqu'à trépas le premier importun ? Penser ? Perdre mon temps ! Construire ? Perdre mon temps ! Et savoir... ha, savoir, savoir le pire, savoir le tison de braise fourré en pleine tête, prends en pour plein crâne camarade ! Savoir l'horrible esquille plantée en plein la poitrine, crever doucement mais sûrement dans l'affre maximale, agoniser en vieux de toujours, déchiqueter l'enfance, l'amour, toute fidélité, savoir serpent, succions, souffrance, savoir démolissage des heures tendres et de l'oubli, faites des études ! Pour peu qu'elles soient productives, exploitables, vous n'aurez plus, jamais, le moindre temps à perdre.
Lu : la chartreuse de Parme (ce qui devient une sorte de manie)
:: 26.11.2003 ::
Nous sommes tous prisonniers d'une conception figée de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas, nous fixons sur l'important des regards anxieux, pendant qu'en cachette, dans notre dos, l'insignifiant mène sa guérilla qui finira par changer subrepticement le monde, nous sautera dessus, par surprise.
Vu O. en ayant fini peut-être avec l'initiatique ermitage, et c'est ce qu'on gagne à être surdoué lui dis-je, sans rien en même deviner, l'on brûle la vie si vite ! Ce qui devrait coûter années se résume en trop peu de mois, il faut trouver autre chose. Nous débattons longuement dans l'idée de renvois d'un blog à l'autre, c'est ce qui sera fait, dès demain, c'est encore une surprise, on verra bien que faire avec perdre son temps.

Au retour, très, très très insupportable trouvaille au hasard de mes documents quand je cherchais un machin vaguement rédigé à propos du Poas, de l'Irazu, que sais-je, les mêmes questions reviennent et cette idée qu'en silence ça fout le camp, ça se déglingue, qu'y puis-je faire ? Le drame d'aimer les gens c'est d'assez considérer leur façon de voir pour ne plus être capable de déterminer la sienne, une qui se tiendrait, dix fois mon cœur s'arrête, ma vue se colore d'un jaune bileux, quelque chose se rompt et peut-être bien définitif. On en parle vers une heure du matin quand j'estime avoir assez fait la gueule, assez fait l'homme, je pourrais - je devrais- répondre à cette invitation d'Aude et de Céline et puis non, la réalité vous transforme parfois sans que vous ne puissiez à l'avance imaginer comment, et puis j'ai peur de passer pour une lopette : me mettre à pleurer au beau milieu d'une partie à trois, ça ne le ferait pas. De fait je ne tiens pas de vengeance qui pèse, pas de leçons à donner, ça me dégoûte d'être pris comme ça dans la stratégie du camion de baffes ou du coup de pied au cul, la nuit nerveuse, tendue, veillée, l'agacement, Damoclès perché par-dessus mon bien-être et prêt à le percer, ma mauvaise humeur, mon abattement, et pour combien de temps ?

Irrépressible dis-tu ? Je n'ai pas de réponse autre que celle du danger, de l'animal, j'ignore tout à fait comment quelque chose pourrait l'être quand mes aspirations relèvent du culturel, uniquement.
Lu : Sophie, la mer et la nuit.
:: 25.11.2003 ::
Le goût de l'exploit s'oppose aux arts et sciences, il gauchit la nature qui est le modèle premier du beau, du sublime.
Évidement j'avais mes modèles. Des gens fantastiquement formidables, de droites créatures de dieu croulées au monde bas dans le dessein de nous en remontrer, à moi plus particulièrement, d'inaliénés académiciens de style et de bon goût, de séraphiques représentants en arts et métiers, celui-là improvisant inlassablement comme Charlélie Couture à la douze cordes, l'autre peignant un peu moins bien que Bacon mais plutôt mieux que Van Gogh, ce troisième qui des rois de France improvisait un quelque chose semblable à Shakespeare ou peu s'en faut, tous ceux propriétaires d'une conscience politique, les analysés, la tignasse en foutoir ou l'œil peint, c'est fou ça, je crois que personne n'a autant eu la certitude de vivre son adolescence dans un état total de plouc ou de ringard que moi, furieusement je détestais mes sapes, ma petitesse de vue, mon quotidien de tâcheron à la secte, ce cartésianisme qui tuait toute poésie, j'avais le bec cloué de ce qu'un Dominique ou un Christian puisse vous enrouler toute une assistance, et sans se déparer jamais du sourire royal ni du regard ficelle, le tout sans raison, voilà l'exploit.

Et puis vient l’âge de l’âge pris, une certaine constance de désabusement, la nécessité de sa part de gâteau, va savoir, les piédestaux s'effritent, on ne suit plus personne, pas les mêmes en tout cas, à mon tour dans les attentions adolescentes dont je suis entouré, peu ou prou, je vois que moi s'impose et il faut casser cela, prendre immédiatement les devants car toi ne se construit ni dans l'admiration ni dans la révérence, toi ne s'édifie pas à l'ombre des forts à bras, des sémaphores, ni dans leur refus d'ailleurs, mais à côté, détaché, particule n'ayant pas vraiment d'autre choix que l'unique au risque de se trouver effacée, dévorée.
Lu : Monsieur des Lourdines
:: 24.11.2003 ::
Le beau étant le signe du vrai, et la première existence du vrai en chacun, c'est donc dans Molière, Shakespeare, Balzac que je connaîtrai l'homme, et non point dans quelque résumé de psychologie. [...] Toujours donc revenir aux grands textes ; n'en point vouloir d'extraits ; les extraits ne peuvent servir qu'à nous renvoyer à l'œuvre. Et je dis aussi à l'œuvre sans notes. La note, c'est le médiocre qui s'accroche au beau. L'humanité secoue cette vermine.
Et aussi il faut dans ces éditions commentées s'envoyer, se cloquer, se fader, s'en coller, et jusque-là, toutes ces notes, ces renvois, ces commentaires illuminés d'édifiés spécialistes, en tout petit, mais sur la moitié de la page car il semble que la place de la note de bas de page, ce soit à partir du premier tiers, autant de brisements, de cassures, de brèches et de chutes, et lire là-dedans ? Lire ?

A vrai dire il n'y a pas de bonne méthode. C'est comme ça, insoluble. A n'y rien comprendre. En même temps ç'est trop de pauses. A la fin et tout d'un coup, c'est la nausée assurée, ça valdingue, remue sans cesse, c'est le mal amer.

Si j'étais un auteur je le défendrais tout à fait. De mon vivant, après ma mort et destruction avant le domaine public. Imagine le même truc pendant la projection d'un film. Le bonus, le making-of, en simultané du film, plus les critiques, plus les références, plus les rappels, plus les clins d'œil, plus les commentaires. Je prédis de mauvais jours au cinéma dans de telles dispositions. Pendant un opéra, un ballet.

Y en a marre de cette culture zappée, comme marre de l'hyperréalisme et des prix à Beigbeder, ras le bol de la branchouillerie ratissant large pour une poignée de ronds, c'est pas un métier de lire, ni d'écrire, c'est gratuit, ceux qui ne le comprennent pas feraient mieux de s'en aller spéculer, loin, hors de ce monde que j'imagine mieux qu'eux.
Lu : mammifères
:: 23.11.2003 ::
Vous êtes très jeune, Cécile, vous apprendrez en grandissant que c'est toute une affaire de vivre. En fait, me direz-vous, il suffit de se lever le matin et de se coucher le soir et avec un peu de patience le jour passe...
Je prends l'avion très vite, n'importe lequel mais ce n'est pas facile : donnez-moi pour mille euros de trajet vers n'importe où, c'est simple, justement je m'en fiche, choisissez à ma place, mais il y a les visas, la date de retour obligatoire, le bon passeport, toute cette terre qui ne nous appartient pas à nous les terriens, à laquelle nous n'avons pas le droit tout du moins du point de vue du droit, finalement la chef d'escale que ça amuse trouve quelque chose, pour huit cent et quelques ça ira ?, et je n'ai ni sac, ni valise, ni pull épais et pas de costume de bains, on verra bien, il fallait d'abord que je parte, pas forcément pour être ailleurs mais au moins pour l'entre-deux, l'étape, le glissement calé dans l'interstice étroit du rien à faire et de l'injoignable, dans la poche de mon baggy minor je trouve la vie de Henry Brullard, ça ira bien, j'aurais dû l'Italie, dommage je n'y ai pas pensé, c'est en tout cas ce que je confie à ma voisine de passagère; elle demande après une heure ou deux de bavardage : me feriez-vous la cour et je crois bien que oui, pour vos jambes et votre chevelure librement dénouée, pour votre allure si superbe quand j'erre en freux, en ère, pour les fards qui rosissent les joues, votre odeur oui, je vous fais la cour, c'est ostensible, plus tard on boit du champagne presqu'au bout du monde, elle annule ses rendez-vous à la chaîne, dit non aux hommes importants, aux avocats, à qui sais-je depuis une chambre prise le plus vite possible, arrêtons-nous dans le premier palace voulez-vous ?, elle décommande très sûre pendant que sournoisement je dénude le dos, les jambes, l'odeur, je pense aux yeux noirs, et à mort à Venise peut-être à cause de ses cheveux courts, après c'est sauvage ou doux, cela dure, et dure, nos regards brûlés de repas absurdement romantiques, de promenades dans le givre ou la tiédeur des soirs, des musiciens qui partout sérénades ou bien tangos, c'est presqu'insupportable et vraiment délicieux, on joue la comédie des étoffes, des mains et des sourires, jusqu'au lit, l'ascenseur et c'est neuf semaine et demie ou le pillow book, je vois trop de films pour que cette vie m'appartienne encore, je lis trop de livres, quand suis-je vraiment moi ?, je commande au matin du café, des fruits, des journaux incompréhensibles, la rue bruisse de pousseurs, de carrioles, de vendeurs à la criée, elle se lève somptueuse, nous ajoutons une touche respectable à nos airs ambigus, nous nous disons au revoir très franchement, décidons du prochain rendez-vous, même endroit, même jour, exactement jour pour jour dans un an.
Lu : Thérèse philosophe
:: 23.01.2003 ::
M'avez-vous assez prié et fait prier par Dullin, par Denoël, supplié "sous la botte" de bien vouloir descendre vous applaudir ! Je ne vous trouvais ni dansant, ni flûtant, vice terrible à mon sens, je l'avoue... Mais oublions tout ceci ! Ne pensons qu'à l'avenir ! Tâchez que vos démons vous inculquent la flûte ! Regardez Shakespeare, lycéen ! 3/4 de flûte 1/4 de sang... 1/4 suffit je vous assure ... mais du vôtre d'abord ! Avant tous les autres sangs. L'Alchimie a ses lois... Le "sang des autres" ne plait point aux Muses...
Tout crasseux-pas-chié de sa faulde, ni dégrossi du giron, prétendu apostat de son sang même, recopieur de défets monopsiques à toute heure, s'ennuyant, ennuyant. Car voilà toute la répugnance (j'en ai parlé pourtant, par opposition à la distraction) éprouvée: vous vous ennuyez et ne foutez pas votre comptant.

Foutez mon vieux, foutez ! Prenez modèle de vos aînés, sinon d’âge en tout cas d'énergie, entendez mon conseil: peindre, écrire, chanter c'est foutre ! Discourir, tamponner l'épinette, subordonner, corrompre, tout pareil, glouglouter dans son sang, l'ouïr vrombir quand on est poignardé par l'enfouissement de son corps dans un autre, voilà ! Vous posez là, expulsez ce qui est de vous-même -résidus d'émonctoires chafouins- quand il faut entremettre, s'introduire, pénétrer, durcir, prendre tout, bander en somme! Bête que vous êtes... laissez-là vos chagrins. C'est à fond des paroisses de parmain et des puits profanés que le cri s'énonce bien.
Lu : bonjour tristesse
:: 25.01.2003 ::
A cette nuit comme une soeur de charité/Longue robe traînant sur leurs pas de bravade/Caressant de l'ourlet les pâles camarades/Qui venaient pour causer de rien ou d'amitié.
Je déteste avoir vieilli. Je ne dis pas vieillir, vieillir est transparent, vieillir est un insensible petit ronron ébroué depuis bonne heure, c'est une léthargie dans laquelle on mouille le doigt sans ronds d'eau, sans tiède ou chaud, je ne dis pas vieillir qui s'agrippe en douceur et noyaute l'ingambe, vieillir , ce spécimen à microscopiques ambitions, ce charançon coi, cette manière d'étouffement serpenté au jour le jour dans l'enfoncement de la charpente, du pourri de boyard, mais dans le sucre aplati et docile.

Avoir vieilli en revanche, je veux dire le retour aux maintenants qui vous mordent la gueule et vous bouffent la chair jusqu'à section des nerfs, le cru revif claqué à pleine figure dans les sillons, les coins, les craquelures annonciatrices du naufrage qui tire droit dessus, voiles gavées de vents, matelot gibeté à la dunette, époumoné de cris -mort ! mort !- qui l'emplissent plus vite qu'il n'écope, avoir vieilli-la mitraille renvoyée à tout-chaos par inflexibles chisteras des flaques-à-tain, regardez ! Avoir vieilli l'écorchure, regardez ce fracas, regardez ce froid gâchis, avoir vieilli et rien, rien qui ne semble, rien qui ne dise.

Ce n'est pas moi, je le jure, je le jure mon amour, moi je suis poli à ne pas croire, moi je suis cristal échappé des petites maisons, tout chez moi écarquille et entonne, je cache sous ma défroque des esquisses de muscles d'Olympe, chacun de mes pores cèle millions et mille pigments que n'importe quelle étincelle fait tempêter en exaspérations polychromes, moi je suis du bouillon d'ardeur impétueuse, je wizze sans pauses jamais, pas un fleuve, pas un sommet ne ralentit ma course vers toi et l'anéantissement que je promets, je suis la foudre et la colère, je suis le feu, oui je suis feu.
Lu : Les champs magnétiques
:: 24.01.2003 ::
Le premier flic que j'aperçu avait une barbe de huit jours. Le second portait un uniforme minable auquel il manquait deux boutons. Le troisième, planté au milieu du principal carrefour de la ville [...] dirigeait la circulation le cigare au bec. Après celui-là, je cessais de les passer en revue.
- J'ai à vous rapporter, un fait... inédit... de-la-crème-croyez-moi... du dessus de panier... c'est un secret... je ne devrais rien dire... j'étouffe pourtant... trop lourd, on ne peut pas exiger de moi que je le garde... trop au-dessus de mes forces... rendez-vous compte... bien sûr, vous ne pouvez pas, pas avant que je vous le dise... concevez quelque chose d'immense ! Je vais le souffler, d'une traite, votre oreille sera trop exercée, et voilà... je l'aurais dit sans le vouloir. Approchez...

- M'approcher ? Y êtes-vous ? Vous piquez ma curiosité de vos sournoises banderilles, vous brûlez de tous les artifices... c'est secret... trop lourd... qui vous dit que je veuille entendre ? Qui vous dit qu'à mon tour... je pourrai... peut être ce sera trop lourd, j'étoufferai, alors l'oreille d'un autre ?

- Ne refusez pas de m'entendre, je vous en conjure. C'est terrible, ça le serait davantage si vous ne le sachiez pas. J'en serais alors le seul dépositaire, puisque les pages qui me l'ont appris sont maintenant tout à fait disparues. Le seul ! Par humanité, par charité... ai-je la carrure d'Atlas ? La complexion d'Hercule ? Me voyez-vous palefrenier du monde, je veux dire, seul, à récurer les écuries et me trouver couvert de ce tas de crottin ? Vous l'entendrez, car il le faut, et je l'exige, ce point est arrêté.

- Arrêté ? Mais comment... vous imposez que je sache, alors je l'apprendrai, n'est-ce pas suffisant ? N'est ce pas effronté ? Quelle autorité, voyez-vous ça... je me garde bien, sachez-le, de savoir les choses, car les choses me gâtent, les choses m'ennuient pour ce qu'elles sont et font et encore: savoir encombre qui je suis dans mon art.

- Je vous le dis quand même car il y est justement question des choses, et puis parce que j'ai reçu la triste charge de montreur -spécialisé- en vérités. Le voici donc : "Il y a, en tous lieux des choses imparfaites, pire, il y a, ai-je lu, des conceptions qui nous restent étrangères".

Ajout: Quand j'apprends que Roselyne Bachelot rétorque d'un "merde" aux scélérats de la défense américaine, soulignant ce faisant ses origines des Pays de Loire, ça me fait deux raisons d'être fier de ma lignée charentaise (citation de Berlioz: "sites bizarres dont la mystérieuse solitude me frappa si vivement...")
Lu : Un certain sourire
:: 21.11.2002 ::
We would zig zag our way through the boredom and pain. Occasionally glancing up through the rain.
Elle dit "c'est beau" et comme je ne réponds pas, elle précise "cette lumière à travers les arbres, là". Puisque je ne réponds pas (je suis d'une lenteur voulue, cherchée, permanente, je provoque mes retards, quand par hasard il me viendrait de comprendre quelque chose dans une unité de temps zappable, je remets mon ouvrage à l'ouvroir, le détricote) elle me demande confirmation "c'est beau non ?". Je hurle (à l'intérieur en silence, lent, très lent) : "non, ce n'est pas beau, ce ne l'est certainement pas, c'est d'une laideur commune, même pas épouvantable, c'est tout juste laid à ne pas être vu", et puis je lui réponds : "c'est tout ce que la ville propose". Alors elle déclame avec emphase, la voix trémolo : que je suis chiant à mourir, chiant comme la pluie, chiant comme novembre. Elle n'a pas tort : ça aussi, je le revendique.

Et puis non, pas tout à fait. Je m'amuse souvent, je rêve, je rigole, je suis d'une incroyable légèreté, je connais des étreintes qui me laissent tout à fait hors de moi, je danse, j'ai en moi toutes les joies des garçons, et j'imagine les joies de filles.

C'est autre chose. Le beau. Difficile à dire. Tu veux dire : "Comme les Ménines au Prado ? Comme le duel du Dom Juan de Mozart ? Comme les couches de plomb des marées en Bretagne ? Comme les entrées en scène de Barry Lyndon ? Rien de tout ça ? Tu veux dire :" c'est beau, et beau de façon inédite ? Comme rien d'autre ?" Tu vois bien que ça ne dit rien, que ça ne se partage pas, et c'est mieux que de s'emmêler tragiquement dans le soi-disant beau gluant qui sert à vendre, à faire accepter n'importe quoi, à ce beau tyrannique, puissant, violent, que cette qualité universelle, "le beau", c'est comme l'intelligence : Dangereux. Fasciste. Sans commisération. Sourd. Qu'au moins l'on ne fasse pas vibrer ce mot dans l'air au moindre petit éclat de beau. Que je préfère rester engagé tout entier dans l'ivresse différente de l'hors norme.
Lu : dernières nouvelles de l'homme

Le blog d'os est avant tout un journal intime.
N'oubliez pas, une fois venus, d'aller lire quelque chose.